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Contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles et droit européen - la conviction d'une piste à emprunter

JOËL ANDRIANTSIMBAZOVINA

Professeur à l'Université de La Rochelle Doyen honoraire de la Faculté de Droit, de Sciences politique et de gestion Laboratoire d'Analyses de l'Action publique et de l'Europe Secrétaire général du Cercle des constitutionnalistes

HÉLÈNE GAUDIN

Professeur à l'Université de La Rochelle Doyen honoraire de la Faculté de Droit, de Sciences politique et de gestion Directrice du Laboratoire d'Analyses de l'Action publique et de l'Europe

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 27 (Dossier : Contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles) - janvier 2010

Le droit européen impose-t-il le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles ?

Le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles a divisé la doctrine, notamment française, parce qu'elle a été abordée sous l'angle purement théorique, voire métaphysique, de la supra-constitutionnalité(1). Or, dès lors que le texte constitutionnel prévoit des limites matérielles aux lois de révision de la Constitution, la question est moins celle d'une supra-constitutionnalité que celle de la protection des valeurs fondamentales qui forment le noyau fondamental de la Constitution contre les caprices et les dérives du pouvoir de révision de la Constitution. Il s'agit moins d'imposer au législateur constitutionnel on ne sait quel principe transcendantal que de préserver les principes de base de la Constitution(2).

L'enjeu est de savoir comment faire respecter ces limites matérielles aux lois constitutionnelles. Dès lors qu'un contrôle de constitutionnalité des lois a été instauré dans un système constitutionnel donné, la question principale est celle de la concrétisation de la protection du noyau fondamental de la Constitution à l'égard du législateur constitutionnel qui ne saurait être assimilé au pouvoir constituant originaire. Autant ce dernier échappe logiquement à tout contrôle du juge de la constitutionnalité, autant le législateur constitutionnel qui ne détient qu'un pouvoir dérivé de la Constitution ne saurait déborder le noyau fondamental de celle-ci sauf à se muer en pouvoir constituant originaire(3).

Les enseignements du droit comparé des systèmes constitutionnels nationaux étayent ces constats(4) même si l'on peut noter une certaine diversité des situations. L'existence explicite dans le texte de la Constitution de limites matérielles aux lois constitutionnelles ne s'accompagne pas toujours d'un contrôle de constitutionnalité de ces lois. Ainsi, si la Cour constitutionnelle allemande(5) et la Cour constitutionnelle italienne(6) contrôlent le respect des limites matérielles des lois constitutionnelles, le Conseil constitutionnel français écarte sa compétence pour effectuer un tel contrôle(7).

Le droit européen, à savoir ici le droit de la Convention européenne des droits de l'homme et celui de la Communauté et de l'Union européennes, peut-il fournir des arguments en faveur du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles ?

Au xxie siècle, la réponse est naturellement positive. Mais cette réponse n'est pas une réponse d'obligation qu'imposerait le droit européen au droit constitutionnel national. Cette réponse n'est pas une réponse d'exigence impérative du droit européen à l'égard du droit constitutionnel national.

Le droit européen et le droit constitutionnel national n'entretiennent pas (plus) des relations d'opposition(8), mais des rapports d'harmonie et de cohérence(9). Le droit européen est pleinement intégré dans le droit national comme le droit européen s'imprègne du droit national. Mieux, ils appartiennent à un ensemble commun : le droit constitutionnel européen. Le double phénomène réciproque de l'européanisation du droit constitutionnel(10) et de constitutionnalisation du droit européen(11) a donné naissance à ce droit constitutionnel européen(12). Celui-ci est né des changements profonds des relations entre le droit européen et les droits nationaux des États membres. Le parallélisme des révisions successives des traités communautaires et de l'Union européenne et des Constitutions nationales(13), le développement d'une jurisprudence des Cours constitutionnelles nationales relative tant à la construction communautaire qu'au statut de la Convention européenne des droits de l'homme en droit national(14), l'approfondissement d'une jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme relative aux Cours constitutionnelles nationales et aux Constitutions nationales en sont les aspects les plus saillants(15).

Le droit constitutionnel européen est le droit applicable à la construction d'une Europe politique. Autrement dit, le droit applicable à la création d'un espace et d'une entité politiques dans lesquels se retrouveront ensemble les peuples et les États européens. Cette Europe politique en devenir est celle de l'Union européenne en ce que celle-ci vise l'intégration politique de l'Europe. Elle ne saurait être celle du Conseil de l'Europe car celui-ci reste une simple organisation de coopération qui ne s'est d'ailleurs pas dotée d'institutions normatives d'intégration. Ce droit applicable à la construction de l'Europe politique est à la fois une discipline scientifique et un ensemble de normes et d'institutions. Dans les deux cas, il a sa logique propre et sa propre cohérence. En tant que discipline scientifique, le droit constitutionnel européen est fondé sur des concepts divers issus des autres disciplines juridiques et des ordres juridiques qu'il englobe. En tant qu'ensemble de normes et d'institutions, le droit constitutionnel européen est formé d'un agrégat de normes et d'institutions situées au niveau supra-national et au niveau national. Le droit constitutionnel européen est un droit de solidarité et un droit de mutualité : solidarité et mutualité des droits constitutionnels nationaux, du droit constitutionnel de l'Union européenne et du droit de la Convention européenne des droits de l'homme.

Dans ce cadre nouveau, les questions constitutionnelles doivent être appréhendées dans une logique de conciliation et d'assemblage et non dans une logique d'opposition entre le droit européen d'un côté et le droit constitutionnel national de l'autre côté. Tel sera le cas du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles.

À ce propos, on partira du postulat selon lequel ce contrôle est un contrôle juridictionnel exercé par la juridiction chargée d'assurer le contrôle de constitutionnalité des lois. On ajoutera que, en vertu du caractère subsidiaire de la protection juri-dictionnelle supranationale et du caractère prioritaire de la protection juridictionnelle nationale des droits, les modalités du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles dépendent de chaque ordre juridique national, à la fois quant à la nature des normes contrôlées, à l'organe compétent, au type de recours et à l'étendue du contrôle. La Cour européenne des droits de l'homme a toujours considéré que le droit à un recours effectif devant une instance nationale garanti par l'article 13 de la CEDH n'implique pas une obligation pour les États d'instaurer un recours contre la loi(16). De son côté, au nom du principe d'autonomie procédurale nationale, la Cour de justice des Communautés européennes laisse toute latitude aux États membres à ce sujet sous réserve du principe d'équivalence et du principe d'effectivité(17).

Malgré ce respect de la marge nationale d'appréciation et de l'autonomie procédurale nationale, le droit européen n'est pas indifférent à l'égard du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles. Plus exactement, dans la constellation des systèmes juridictionnels du droit constitutionnel européen, le contrôle juridictionnel des actes publics, et particulièrement des lois ordinaires comme des lois constitutionnelles, fait partie des instruments de préservation des valeurs communes partagées par l'entité englobante et les entités englobées.

Dès lors que la Constitution nationale elle-même prévoit des limites matérielles aux lois constitutionnelles, l'articulation du droit européen et du droit constitutionnel national implique le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles (I) qui soit un contrôle doté d'une certaine qualité (II).

I. L'articulation du droit européen et du droit constitutionnel implique le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles

Dans le droit constitutionnel européen, le contrôle juridictionnel des actes publics est fondé sur des valeurs communes et sur des principes de régulation et d'harmonisation des compétences de contrôle. En vertu de ces valeurs et de ces principes, la nécessité d'un contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles découle des principes d'Union de droit, de prééminence du droit et de l'État de droit (A) et des principes de subsidiarité et d'identité constitutionnelle nationale (B).

A -- Un contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles découlant des principes de prééminence du droit, d'Union et de Communauté de droit et d'État de droit

Une des caractéristiques communes des États membres de l'Union européenne et de la Convention européenne des droits de l'homme et des entités d'intégration que sont la Communauté et l'Union européennes est de partager les valeurs de la société démocratique. Il s'agit du pluralisme, de la tolérance et de l'esprit d'ouverture régulés par les principes de prééminence du droit(18), de Communauté et d'Union de droit(19) et d'État de droit(20). Respectivement affirmés par le droit de la CEDH, le droit de la Communauté et de l'Union européennes(21) et le droit constitutionnel des États, ces principes ont une triple signification formelle, substantielle et juridictionnelle. Formellement, ils font dépendre la validité des normes inférieures du respect par elles des normes supérieures notamment, dans l'ordre interne, des normes constitutionnelles. Sur le plan substantiel, ils exigent le respect par les pouvoirs publics des droits de l'homme et des libertés fondamentales garantis par les conventions supranationales et les Constitutions nationales. Au niveau juridictionnel, la concrétisation des exigences formelles et substantielles ainsi présentées implique la création et l'organisation d'une protection juridictionnelle complète et effective.

La complétude et l'effectivité de la protection juridictionnelle se mesurent globalement à l'aune de toutes les voies de droit existant dans le système constitutionnel européen : les recours interétatiques et individuels devant la Cour européenne des droits de l'homme ; les recours et voies de droit devant les juridictions communautaires, notamment le recours en manquement d'État et le renvoi préjudiciel en interprétation et en appréciation devant la CJCE ; les recours devant les juridictions nationales ordinaires et notamment devant les Cours suprêmes et les Cours constitutionnelles nationales. À propos du contrôle juridictionnel de la loi, on peut regrouper les types de contrôle dans les deux catégories bien connues du contrôle de conventionnalité et du contrôle de constitutionnalité.

On pourrait se contenter d'affirmer qu'il n'est point besoin du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles, ou, du moins, ne point l'étoffer et le perfectionner là où il est incomplet ou rustre, dès lors que le contrôle de conventionnalité des lois constitutionnelles est exercé avec efficacité au niveau supranational, notamment par la Cour européenne des droits de l'homme.

Cet argument ne correspond pas à la philosophie générale du droit constitutionnel européen. Les principes de régulation des rapports entres les juridictions européennes et les juridictions constitutionnelles et suprêmes nationales commandent l'organisation et le perfectionnement du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles.

B -- Un contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles découlant des principes de subsidiarité et d'identité nationale

L'interaction des normes et des systèmes juridictionnels au sein du système européen des juridictions nécessite une bonne administration des relations inter-juridictionnelles. Au nom de cette bonne administration de la justice, une rationalisation de l'articulation des recours juridictionnels contre la loi apparaît logique. Elle peut être basée sur le principe de subsidiarité juridictionnelle(22) et le principe d'identité constitutionnelle nationale(23).

Le principe de subsidiarité juridictionnelle organise les relations entre le contrôle supranational et le contrôle constitutionnel national de la loi constitutionnelle. Il vaut dès à présent dans l'articulation du contrôle de conventionnalité de la loi ordinaire effectué par la Cour européenne des droits de l'homme et le contrôle de constitutionnalité de la loi ordinaire exercé par les Cours constitutionnelles nationales. Dès lors que ce dernier peut avoir un impact sur la solution d'un procès, il constitue une voie de recours interne que le requérant doit épuiser en vertu du principe de subsidiarité avant toute saisine de la Cour européenne des droits de l'homme. Connaissant l'actuelle et persistante saturation du prétoire devant la Cour européenne des droits de l'homme, le principe de subsidiarité va jouer son rôle entièrement, y compris à l'égard de la loi constitutionnelle. Afin de réduire aussi les risques de condamnation d'un État par la Cour européenne des droits de l'homme, le développement d'un contrôle de constitutionnalité de la loi enrichi d'une interprétation conforme de la Constitution avec la CEDH et les droits fondamentaux communautaires est un instrument de prévention de ces condamnations. Dans la perspective d'adhésion de l'Union européenne à la CEDH, un contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles constitue un filtre efficace pour limiter les risques de condamnation des États par la Cour européenne des droits de l'homme. Surtout, le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles rentre bien dans la logique de la subsidiarité. Selon celle-ci, la protection nationale des droits de l'homme et des libertés fondamentales des individus a vocation à dépasser en qualité et en efficacité la protection supranationale. Dans l'absolu, cette dernière ne devrait servir que dans des cas exceptionnels et elle a même vocation à entrer en sommeil et en hibernation si la protection nationale joue convenablement son rôle. Le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles apparaît ainsi comme un pilier de cette protection nationale.

Le droit européen ne s'oppose pas bien au contraire à ce déploiement du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles. Au nom de la marge d'appréciation nationale et de l'identité nationale inhérente aux structures fondamentales et constitutionnelles de chaque État membre de l'Union européenne(24), le principe de constitutionnalité et sa manifestation dans le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles constituent un noyau dur de l'identité nationale de nombreux États. Concernant la France, il ne fait pas de doute que la forme républicaine du gouvernement constitue un noyau dur de l'identité constitutionnelle du pays. La France républicaine l'est génétiquement en tant État Nation et en tant qu'État membre de l'Union européenne(25). Au nom à la fois du droit de l'Union européenne et du droit constitutionnel français, le contrôle constitutionnel des lois de révision de la Constitution permet de protéger cette caractéristique identitaire de la France dans la construction européenne.

Il appartient à l'État d'organiser le contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles. L'autonomie des États dans la création, dans l'installation et dans la mise en œuvre du contrôle de constitutionnalité des lois, doit être conciliée avec les exigences de qualité de la garantie des droits selon les standards du droit constitutionnel européen. Celui-ci impose une certaine qualité du contrôle de constitutionnalité des lois.

II. L'articulation du droit européen et du droit constitutionnel national implique une qualité du contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles

Dans cette articulation, le droit européen, et particulièrement le droit européen des droits de l'homme, n'est pas indifférent à qualité du contrôle de constitutionnalité des lois(26). Une interprétation croisée des principes de prééminence du droit et du principe de subsidiarité juridictionnelle lui permet de fixer les standards de qualité de l'organe et de la procédure de contrôle de constitutionnalité des lois (A) et de l'office du juge de la constitutionnalité des lois (B). Il va de soi que ces standards sont transposables au contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles.

A -- La qualité de la procédure et de l'organe de contrôle de constitutionnalité des lois constitutionnelles

Ce que l'on a pu appeler la « banalisation de la justice constitutionnelle »(27) par le droit européen ne doit pas être vue comme une vassalisation de celle-ci mais comme une garantie de sa qualité(28).

La qualité de la procédure est assurée par l'exigence de respect des règles du procès équitable fixées par l'article 6, paragraphe 1, de la CEDH dans le cadre des recours constitutionnels directs contre la loi(29), des renvois préjudiciels concernant la constitutionnalité de la loi(30) et des recours contre les décisions juridictionnelles(31).

Ainsi le droit à un délai raisonnable des jugements s'applique au contrôle de constitutionnalité des lois dans ces procédures et voies de droit. Il en est de même du principe d'égalité des armes et du principe du contradictoire(32).

Cette exigence de respect des règles du procès équitable ne concerne pas seulement la procédure mais aussi l'organe de contrôle à travers le droit à un tribunal et le principe d'impartialité. La combinaison de ces deux branches du droit à un procès équitable implique que l'organe du contrôle de constitutionnalité des lois ait toutes les caractéristiques d'un tribunal tant pour ce qui concerne la procédure devant lui que pour sa composition, notamment quant aux qualités de juriste de ses membres(33).

Elles concernent également l'office du juge de la constitutionnalité des lois.

B -- La qualité de l'office du juge de la constitutionnalité des lois constitutionnelles

La Cour européenne des droits de l'homme contrôle la qualité de la motivation des juges de la constitutionnalité des lois(34). Il ne s'agit pas seulement d'un contrôle formel. C'est un contrôle substantiel qui concerne l'articulation des normes supranationales et des normes constitutionnelles et notamment la conciliation des droits et des libertés. Il en ressort une exigence d'interprétation conforme des normes constitutionnelles nationales avec les droits fondamentaux européens. Le juge constitutionnel national des lois peut voir aussi sa motivation et son interprétation servir d'appui au contrôle de conventionnalité exercé par le juge européen des droits de l'homme(35). Et il est clair aussi que la Cour de justice des Communautés européennes prend en compte dans sa jurisprudence celle des cours constitutionnelles nationales et la caractéristique fondamentale d'un ordre constitutionnel national(36).

Le droit communautaire demande en tout cas de son côté que le contrôle juridictionnel national n'offre pas une qualité inférieure à celle du contrôle juridictionnel communautaire.

Pour cela, la création d'un contrôle de fondamentalité pourrait être une solution.

La théorie du contrôle de fondamentalité, c'est-à-dire de la fusion matérielle du contrôle de conventionnalité et du contrôle de constitutionnalité des lois, permettrait à la fois de veiller à ce que certaines révisions constitutionnelles ne remettent pas en cause les valeurs fondamentales d'une société démocratique et à ce qu'il y ait une cohérence du contrôle de constitutionnalité et du contrôle de conventionnalité des lois ordinaires et des lois constitutionnelles(37).

Une telle fusion est envisageable et souhaitable.

Elle simplifierait l'articulation de la protection supranationale et de la protection nationale des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Les juridictions suprêmes nationales et les juridictions constitutionnelles nationales seront confrontées progressivement à des requêtes invoquant pêle-mêle les moyens d'inconventionnalité et d'inconstitutionnalité de la loi y compris de la loi constitutionnelle.

Elles auront à faire face, même s'il ne faut pas en exagérer le risque, à des éventualités de contradictions entre les normes supranationales et les normes nationales. Un des moyens le plus simple de prévenir les multiples renvois à la Cour constitutionnelle, à la Cour de justice des Communautés européennes et d'attente de la saisine de la Cour européenne des droits de l'homme est d'organiser entre les Cours suprêmes nationales et les Cours constitutionnelles l'interprétation harmonieuse des normes européennes et des normes constitutionnelles nationales. Les difficultés d'interprétation du droit européen en matière de fondamentalité ne remonteraient au niveau européen qu'en cas de difficultés d'interprétation non résolues par les Cours suprêmes et le juge constitutionnel.

Cet enrichissement de l'office du juge constitutionnel peut se faire par voie d'interprétation jurisprudentielle. Il permettrait aussi de renforcer la coopération entre le juge constitutionnel et les juridictions suprêmes nationales d'un côté et les juridictions européennes de l'autre côté. Le contrôle de fondamentalité des lois constitutionnelles est un des facteurs le plus fiable de l'harmonisation de la protection des droits entre les différents systèmes juridictionnels de protection.

N'est-ce pas cette harmonie de la protection des droits qui est la meilleure garantie pour les justiciables dans le plus complet mais aussi le plus complexe des systèmes de protection des droits dans le monde

(1) Notamment Rials (S. ), « Supra-constitutionnalité et systématicité du droit », Archives de philosophie du droit, 1986, T. 31, p. 57-76 ; Troper (M.), « La notion de principes supra-constitutionnels », 15e journées de la Société de législation comparée, 1993, p. 337-355 ; Favoreu (L.), « Souveraineté et supra-constitutionnalité », Pouvoirs, no 67, 1993, p. 71-77 ; Vedel (G.), « Souveraineté et supra-constitutionnalité », Pouvoirs, no 67, 1993, p. 79-97.
(2) En ce sens Beaud (O.), La puissance de l'État, Paris, PUF, 1994, p. 357 : « Le pouvoir de révision est une magistrature constitutionnelle, et à ce titre soumis à la Constitution, sur le fond comme sur la forme » ; Jouanjan (O.), « La forme républicaine du gouvernement, norme supra-constitutionnelle ? », in La République en droit français, Mathieu (B.) et Verpeaux (M.) (dir.), Paris, Économica, 1996, p. 267-287 ; Klein (C.), Théorie et pratique du pouvoir constituant, Paris, PUF, 1996, p. 199-205.
(3) Pour une défense de cette thèse sous l'angle de la protection des droits fondamentaux, Sabete (W.), Pouvoir de révision constitutionnelle et droits fondamentaux, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2005.
(4) Des études en ce sens sont présentes dans cette livraison.
(5) Cour constitutionnelle fédérale allemande, 15 décembre 1970, Écoutes téléphoniques, BVerfGE, Tome 30, p. 1-45, in Bon (P.) et Maus (D.) (dir.), Les grandes décisions des Cours constitutionnelles européennes, Paris, Dalloz, 2008, no 15, p. 71 ; Fromont (M.), « La révision de la Constitution et les règles constitutionnelles intangibles en droit allemand », RDP 2007, p. 2-32
(6) Cour constitutionnelle italienne, 29 décembre 1988, arrêt no 1146/1988, Bon (P.) et Maus (D.) (dir.), Les grandes décisions des Cours constitutionnelles européennes, Paris, Dalloz, 2008, no 16, p. 76.
(7) Cons. Const., déc. no 2003-469 DC du 26 mars 2003, Rec. 293 : le Conseil constitutionnel « ne tient ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle ».
(8) Voir Gaudin (H.) (dir.), Droit constitutionnel, droit communautaire, vers un respect réciproque mutuel ?, Actes du colloque de La Rochelle des 6 et 7 mai 1999, Paris, Économica, 2001 ; Mathieu (B.), Verpeaux (M.), Melin-Soucramanien (F.) (dir.), Constitution et construction européenne, Paris, Dalloz, 2006.
(9) Gaudin (H.), « Primauté, la fin d'un mythe ? », à paraître dans les Mélanges en l'honneur de Philippe Manin, L'Union européenne : union de droit, union des droits, Paris, Pédone ; Ritleng (D.), « Le principe de primauté concilié », in Le droit constitutionnel européen. Quel droit constitutionnel européen ?, colloque du Laboratoire d'Analyses de l'Action publique et de l'Europe, Faculté de Droit, de Sciences politique et de gestion de La Rochelle, 21-22 septembre 2009, Actes à paraître à l'Annuaire de Droit Européen, Bruxelles, Bruylant.
(10) Constantinesco (V.) et Pierré-Caps (S.), Droit constitutionnel, Paris, PUF, 2009, 4e éd., p. 257, no 278, parlent d'« européisation » des Constitutions.
(11) Malgré le rejet par les peuples français et néerlandais du traité établissant une Constitution pour l'Europe et malgré la suppression du mot « Constitution » dans l'intitulé du traité de Lisbonne, sur le plan scientifique, la constitutionnalisation de la construction européenne est une réalité : voir entre autres publications, Beaud (O.), Lechevalier (A.), Pernice (I.), Strudel (S.) (dir.), L'Europe en voie de constitution, Bruxelles, Bruylant, 2004 ; Gaudin (H.) (dir.), Regards croisés sur la Constitution européenne, Annuaire de Droit européen, Vol. I, 2003, Bruxelles, Bruylant, p. 3-188 ; Gaudin (H.) (dir.), D'un traité, l'autre : continuité et rupture, Annuaire de Droit européen, Vol. IV, 2006, Bruxelles, Bruylant, p. 5-342. Et pour une présentation des traités sous l'angle constitutionnel, Rials (S.) et Alland (D.), Constitution de l'Union européenne, Paris, PUF, Que-sais-je ?, 2003.
(12) Pour une évaluation de l'évolution : Flauss (J.-F.) (dir.), Vers un droit constitutionnel européen. Quel droit constitutionnel européen ?, Actes du colloque du 40e anniversaire de l'Institut des Hautes Études européennes de Strasbourg, 18-19 juin 1993, RUDH, vol. VII, nos 11-12, p. 357-468 ; Gerkrath (J.), L'émergence d'un droit constitutionnel pour l'Europe, Bruxelles, Bruylant, 1998 ; Gaudin (H.) et Rousseau (D.), « Le droit constitutionnel européen en débat », RDP 2008, p. 721-730 ; Gaudin (H.) (dir.), Vers un droit constitutionnel européen. Quel droit constitutionnel européen ?, colloque du Laboratoire d'Analyses de l'Action publique et de l'Europe, Faculté de Droit, de Sciences politique et de gestion de La Rochelle, 21-22 septembre 2009, Actes à paraître à l'Annuaire de Droit Européen, Bruxelles, Bruylant.
(13) Gaudin (H.), « Révision des traités communautaires, révision des Constitutions nationales : recherche sur la symétrie d'un phénomène », Mélanges en hommage à Guy Isaac, 50 ans de droit communautaire, Presses de l'Université de Sciences sociales, Toulouse, 2004, p. 541-557.
(14) Outre les décisions du Conseil constitutionnel à propos notamment des traités relatifs à la Communauté et à l'Union européennes, voir Bon (P.) et Maus (D.) (dir.), Les grandes décisions des Cours constitutionnelles européennes, Paris, Dalloz, 2008, avec les décisions commentées aux nos 92 à 101. Ajouter Cour constitutionnelle de Hongrie, 29 avril 2008, no 61/2008 ; Cour constitutionnelle de la République tchèque, 26 novembre 2008, P1 S 19/08, Traité de Lisbonne, http://www.angl.concourt.cz ; la Cour constitutionnelle d'Allemagne, 30 juin 2009, www.bverfg.de/entscheidungen/es20090630_2bve000208.html
(15) Szymczak (D.), La Convention européenne des droits de l'homme et le juge constitutionnel national, Bruxelles, Bruylant, 2007, Publications de l'Institution internationale des droits de l'homme.
(16) Jurisprudence constante depuis CEDH, James e.a c/ Royaume-Uni, 21 février 1986, § 85 ; par ex. CEDH, Gd. Ch., Roche c/ Royaume-Uni, 19 octobre 2005, § 137.
(17) Par exemple, CJCE, Gd.ch., 13 mars 2007, Unibet, aff., C-432/05, Rec. I- 2271, points 37 à 44, concl. Sharpston (E.).
(18) Le principe de prééminence du droit est proclamé par le préambule de la CEDH : « résolus, en tant que gouvernements d'États européens animés d'un même esprit et possédant un patrimoine commun d'idéal et de traditions politiques, de respect de la liberté et de prééminence du droit (···).
(19) L'expression Communauté de Droit est celle de la Cour de justice des Communautés européennes, CJCE, 23 avril 1986, aff. 294/83, Rec. 1339 ; point 23, « La Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n'échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu'est le traité » ; pour une systématisation des concepts de Communauté de Droit et d'Union de droit, Rideau (J.) (dir.), De la Communauté de Droit à l'Union de Droit, Paris, LGDJ, 2000.
(20) Voir pour la signification de l'État de droit dans les grands systèmes juridiques, J. Chevallier, L'État de droit, 4e éd., Paris, Montchrestien, 2003 ; L. Heuschling, l'État de droit, Rechtstaat, Rule of Law, Paris, Dalloz, 2002 ; Andriantsimbazovina (J.), « La Convention européenne des droits de l'homme comme instrument de convergence entre droit communautaire et droits constitutionnels nationaux », communication au colloque de La Rochelle des 6 et 7 mai 1999, Droit constitutionnel et droit communautaire : vers un respect constitutionnel réciproque ?, Gaudin (H.) (dir.), sous l'égide de l'Association Française des Constitutionnalistes et de la Commission pour l'Étude des Communautés européennes, Paris, Économica, 2001, p. 169-204.
(21) Art. 6 § 1 du traité sur l'Union européenne : « L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'État de droit, principes qui sont communs aux États membres ».
(22) Pour un débat autour de cette question, La subsidiarité, Gautron (J.-C.) (dir.), Revue des affaires européennes, 1998 (nos 1-2) et notamment Gaudin (H.), « Les principes d'interprétation de la Cour de justice des Communautés européennes et la subsidiarité », p. 10-27 ; Simon (D.) La subsidiarité juridictionnelle : notion-gadget ou concept opératoire », p. 84-94 ; Andriantsimbazovina (J.) La subsidiarité devant la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme », p. 28-47.
(23) Levade (A.) « Quelle identité constitutionnelle nationale préserver face à l'Union européenne ? », in Gaudin (H.) (dir.), L'État membre de l'Union européenne, Annuaire de Droit Européen, Vol. II, 2004, Bruxelles, Bruylant, p. 173-197.
(24) Art. 4 du TUE, version traité de Lisbonne.
(25) Sur ce sujet Gaudin (H.) (dir.), L'État membre de l'Union européenne, Annuaire de Droit Européen, Vol. II, 2004, Bruxelles, Bruylant, p. 3-256 ; Rideau (J.) (dir.), Les États membres de l'Union européenne, Paris, LGDJ, 1997.
(26) Cf. L'étude pénétrante de Sudre (F.) « Question préjudicielle de constitutionnalité et Convention européenne des droits de l'homme », RDP 2009, p. 671-684.
(27) Flauss (J.-L.), « La contribution de la jurisprudence des organes de la Convention européenne des droits de l'homme à la formation d'un droit constitutionnel européen », RUDH 1995, vol. 7, nos 11-12, p. 373-383, spéc. p. 381.
(28) Voir à cet égard, CEDH, Ruiz-Mateos c/ Espagne, 23 juin 1993, Série A, no 262, in Sudre (F.), Marguénaud (J.-P.), Andriantsimbazovina (J.), Gouttenoire (A.), Levinet (M.), Les Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, 5e éd., Paris, PUF, 2009, no 23, p. 245.
(29) CEDH, Voggenreiter c/ Allemagne, 8 janvier 2004.
(30) CEDH, Gorraiz Lizarraga e.a c/ Espagne, 27 avril 2004, § 47.
(31) CEDH, Becker c/ Allemagne, 26 septembre 2002 ; CEDH, Soto Sanchez c/ Espagne, 25 novembre 2003.
(32) CEDH, Krcmar e.a c/ République Tchèque, 3 mars 2000 ; CEDH, Steck-Rich e.a c/ Liechteinstein, 19 mai 2005.
(33) Voir globalement, Guinchard (S.) e.a, Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, 5e éd., Paris, Dalloz, 2009, p. 490, no 243 s.
(34) Par ex : CEDH, Husák c/ République Tchèque, 4 décembre 2008.
(35) Par ex : CEDH, Gd.ch., Yumak et Sadak c/ Turquie, 8 juillet 2008, à propos du seuil électoral de 10 % pour obtenir un siège aux élections législatives en Turquie.
(36) Par ex : CJCE, 14 octobre 2004, Omega, aff. C-36/02, Rec. I-9609, à propos du principe de dignité dans le droit constitutionnel allemand.
(37) On se permet de renvoyer à Andriantsimbazovina (J.), « L'enrichissement mutuel de la protection des droits fondamentaux au niveau européen et au niveau national. Vers un contrôle de fondamentalité ? », RFDA 2002, p. 124-138 ; Dutheillet de Lamothe (O.), « Conseil constitutionnel et Cour européenne des droits de l'homme : un dialogue sans paroles », in Le dialogue des juges. Mélanges en l'honneur du président Bruno Genevois, Paris, Dalloz, 2009, p. 403-417, spéc. p. 412 s.