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Conseil constitutionnel et jurisprudence de la Cour EDH

Hélène SURREL - Professeur, Sciences Po Lyon, CEE-EDIEC

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 55-56 - juin 2017

Octobre – décembre 2016

Outre la censure de l’absence totale de garanties entourant les perquisitions administratives dans le cadre de l’état d’urgence (régime applicable avant la loi n° 2015‑1501 du 20 novembre 2016, décision n° 2016‑567/568 QPC, 23 septembre 2016, M. Georges F. et al., § 8), bien évidemment en harmonie avec l’exigence, aux termes de l’article 8 de la CEDH, de « garanties adéquates et suffisantes contre les abus »(1), plusieurs décisions QPC attestent de la convergence des standards européen et constitutionnel. Au-delà de cette convergence, certaines d’entre elles, comme ici la décision n° 2016‑594 QPC, Mme Sylvie T, du 4 novembre 2016, sont particulièrement topiques de la réception implicite de la jurisprudence strasbourgeoise.

I - Les droits procéduraux

Garantie des droits

La convergence des jurisprudences relatives à l’encadrement des dispositifs rétroactifs a déjà été plusieurs fois relevée(2), et la décision n° 2016‑603 QPC, Consorts C., du 9 décembre 2016, en apporte une nouvelle confirmation. Le Conseil constate une contrariété avec l’article 16 de la DDHC mais conclut à l’absence de méconnaissance du droit de propriété. Cette approche diffère quelque peu de celle de la Cour qui, lorsqu’elle est saisie d’allégations de violations à la fois du droit à un procès équitable et du droit au respect des biens, est susceptible de constater une double violation. En l’espèce, les requérants estimaient qu’en ayant porté de dix à quinze ans le délai à compter duquel les donations et successions sont imposées sans qu’il soit tenu compte des donations antérieures pour l’application du barème d’imposition ainsi que des droits à abattement et à réduction, l’article 784 (deux derniers alinéas) du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi de finances rectificative pour 2012 du 16 août 2012, était contraire à l’article 16 de la DDHC et violait le droit de propriété. Après avoir rappelé que le législateur « ne saurait, sans motif d’intérêt général suffisant, ni porter atteinte aux situations légalement acquises ni remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de telles situations », le Conseil relève que la règle dérogatoire en jeu permet que l’imposition des donations et successions soit calculée sans tenir compte des donations antérieures effectuées depuis plus de quinze ans et, partant, « en bénéficiant de droits à abattement, d’un barème et de droits à réduction intégralement reconstitués » (§ 6). Or, dans la mesure où « (c)haque donation ou succession constitue un fait générateur particulier pour l’application des règles d’imposition », les dispositions litigieuses ne peuvent, sauf à porter atteinte à une situation légalement acquise – l’imposition des donations antérieures –, « avoir pour objet ou pour effet de conduire à appliquer des règles d’assiette ou de liquidation autres que celles qui étaient applicables à la date de chaque fait générateur d’imposition » (§§ 7‑8). En revanche, « les modalités d’imposition d’une donation passée ne peuvent produireaucun effet légitimement attendu quant aux règles d’imposition applicables aux donations ou à la succession futures » (§ 9). Aussi le législateur n’était-il pas tenu d’assortir la modification litigieuse de mesures transitoires.

Droit de se taire

En consacrant, dans la décision précitée Mme Sylvie T, « le droit de se taire » dans une procédure pénale, droit qui découle du « principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser » (§ 5), le Conseil réceptionne implicitement la jurisprudence européenne. Il délivre aussi une interprétation qui privilégie l’effectivité de ce droit. Si le texte conventionnel n’énonce pas le droit de ne pas témoigner contre soi-même, la Cour a mis au jour, au regard de l’article 6, le droit de tout « accusé » « de se taire et de ne pas contribuer à sa propre incrimination » dans l’arrêt précité Funke c/ France (§ 44)(3). Le droit de se taire, lequel implique de bénéficier de l’assistance d’un avocat(4), vaut ainsi pour la personne gardée à vue, qui doit en être informée(5).

En l’espèce, la requérante estimait que l’obligation de prêter serment au cours d’une enquête pénale, lorsqu’elle est imposée à une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, violait le droit de se taire et celui de ne pas participer à sa propre incrimination. Partant, l’absence de nullité des auditions réalisées sous serment au cours d’une garde à vue réalisée dans le cadre d’une commission rogatoire prévue par la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 153 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2004‑204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, était contraire à l’article 9 de la Déclaration.

Le Conseil relève tout d’abord que, depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2011‑392 du 14 avril 2011 sur la garde à vue, une mesure de garde à vue ne peut être prononcée qu’à l’encontre d’une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, à laquelle son droit de se taire est notifié. Mais, par ailleurs, aux termes des articles 103 et 153 du CPP, toute personne entendue comme témoin au cours de l’exécution d’une commission rogatoire est tenue de prêter serment de « dire toute la vérité, rien que la vérité ». Or, faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue « peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit » (§ 8). Partant, en faisant obstacle, en toutes circonstances, à la nullité d’une telle audition, il est porté atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée.

Droit à un procès équitable, liberté individuelle, liberté d’aller et venir et droit au respect de la vie privée

Comme précédemment s’agissant d’une personne placée sous écrou extraditionnel(6), le Conseil adopte, dans la décision n° 2016‑602 QPC, M. Patrick H., du 9 décembre 2016, une position qui fait écho à la jurisprudence européenne relative au droit à la liberté et à la sûreté énoncée à l’article 5 de la Convention.

En premier lieu, il estime que les dispositions de l’article 695‑28 du CPP (dans leur rédaction résultant de la loi précitée du 14 avril 2011) ne sauraient, sauf à méconnaître la liberté individuelle, « être interprétées comme excluant la possibilité pour le magistrat du siège, saisi aux fins d’incarcération dans le cadre de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, de laisser la personne recherchée en liberté sans mesure de contrôle dès lors que celle-ci présente des garanties suffisantes de représentation » dans l’hypothèse où le procureur général, qui n’est pas un « juge (…) ou un magistrat habilité à exercer des fonctions judiciaires » au sens de l’article 5 de la CEDH(7), décide de ne pas laisser en liberté la personne recherchée (§ 15). Ensuite, attentif au respect des droits de la défense, il considère que la personne présentée au premier président de la cour d’appel ou au magistrat qu’il a désigné doit pouvoir « être assistée par un avocat et avoir, le cas échéant, connaissance des réquisitions du procureur général » (§ 16). Enfin, le droit à un recours effectif est bien garanti puisque l’intéressé peut, à tout moment, demander sa mise en liberté à la chambre de l’instruction et, dès lors, contester la régularité de l’ordonnance d’incarcération.

Par ailleurs, alors que le requérant pointait l’absence de durée maximale de l’incarcération et de procédure de réexamen périodique de la mesure d’incarcération, le Conseil rappelle qu’en matière de privation de liberté, le juge judiciaire est tenu de « statuer dans les plus brefs délais » (§ 20). Examinant ensuite les garanties prévues (art. 695‑34 du CPP), il conclut que la fixation de délais pour les différentes étapes de la procédure permet que « l’incarcération de la personne recherchée ne puisse excéder un délai raisonnable » (§ 26), et relève aussi in fine que l’intéressé dispose de la possibilité de « solliciter, à tout instant de la procédure, sa mise en liberté devant la chambre de l’instruction » (§ 27).

Droit à un recours effectif et droit au respect de la vie privée

Confronté, dans la décision n° 2016‑580 QPC, M. Nabil F., du 5 octobre 2016, à la question des garanties, au regard des articles 2 et 16 de la Déclaration et de l’article 34 de la Constitution, assortissant la procédure d’expulsion en cas d’urgence absolue, le Conseil adopte une position qui ne heurte pas la Convention et traduit la prise en compte de l’existence de garanties procédurales différenciées selon la nature du droit – articles 2 et 3 ou article 8 de la CEDH – que l’exécution de la mesure d’éloignement est susceptible de violer. En toutes hypothèses, il doit exister un recours permettant « un examen suffisamment approfondi et offrant des garanties procédurales adéquates des questions pertinentes par une instance interne compétente fournissant des gages suffisants d’indépendance et d’impartialité » mais, s’agissant d’une allégation de violation de l’article 8, un recours de plein droit suspensif n’est pas exigé(8). En revanche, pareil recours est requis en présence d’allégations d’un risque réel de violation du droit à la vie ou d’infliction de traitements contraires à l’article 3(9).

En l’espèce, le requérant arguait de l’inconstitutionnalité de l’article L. 522‑1, premier alinéa, du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), au motif qu’il permettrait l’expulsion d’un étranger en urgence absoluesans lui laisser la possibilité de former un recours avant l’exécution de la mesure d’éloignement. Mais, pour le Conseil, répondant « à la nécessité de pouvoir, en cas de menace immédiate, éloigner du territoire national un étranger au nom d’exigences impérieuses de l’ordre public » la procédure litigieuse, qui dispense l’autorité administrative de l’obligation d’aviser préalablement l’étranger concerné CESEDA avant de prononcer l’expulsion, permet d’opérer une « conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée » entre le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit au respect de la vie privée et la prévention des atteintes à l’ordre public et des infractions (§ 9 et § 12). L’intéressé n’est, en effet, pas privé de son droit à un recours effectif puisqu’il est à même de contester la décision d’expulsion devant le juge administratif, notamment le juge des référés habilité à en suspendre l’exécution et à ordonner toute mesure nécessaire à la sauvegarde d’une liberté fondamentale (art. L. 521‑1 et L. 521‑2 du code de justice administrative). Le requérant contestant également l’absence de délai entre la notification de la décision d’expulsion et son exécution d’office, le Conseil relève que celle-ci ne relève pas des dispositions contestées de l’article L. 522‑1 du CESEDA mais notamment de l’article L. 523‑1. Aussi souligne-t‑il qu’en cas de contestation de la décision, distincte, déterminant le pays de renvoi, il appartient au juge administratif, au regard des articles L. 513‑2 et L. 523‑2 du CESEDA combinés, « de veiller au respect de l’interdiction de renvoyer un étranger ‘à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu’il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 » (§ 11), se montrant, ainsi attentif aux exigences conventionnelles(10).

II - Les droits substantiels

Droits au respect de la vie privée et du secret des correspondances

Dans le droit fil de la jurisprudence européenne, le Conseil sanctionne, dans la décision n° 2016‑590 QPC, La Quadrature du Net et a., du 21 octobre 2016, l’absence de « garanties appropriées » pour assurer le respect effectif du droit au respect de la vie privée et du secret des correspondances (§ 9). La Cour européenne est, en effet, particulièrement attentive à l’existence de telles garanties. On se souvient que, déjà en 1990, la condamnation de la France dans les affaires Kruslin et Huvig c/ France (24 avril), en raison de la qualité défaillante de la « loi » au sens de la Convention(11), avait conduit à l’adoption de la loi n° 91‑646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications.

En l’espèce, les requérantes estimaient que le fait d’autoriser des mesures de surveillance et de contrôle des transmissions empruntant la voie hertzienne sans définir les conditions de collecte, d’exploitation, de conservation et de destruction des renseignements ainsi recueillis et sans prévoir aucun dispositif de contrôle de ces mesures portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée.

Pour l’exécution de telles mesures, le ministre de la Défense ou le ministre de l’Intérieur peuvent requérir, auprès des personnes exploitant des réseaux de communications électroniques ou fournisseurs de services de communications électroniques, les informations ou documents qui leur sont nécessaires pour la réalisation et l’exploitation des interceptions autorisées par la loi (art. L. 871‑2 du code de la sécurité intérieure (CSI)). Mais ces mesures obéissent à un régime dérogatoire en vertu de l’article L. 811‑5 du CSI, n’étant soumises ni aux dispositions relatives au renseignement figurant au livre VIII du code, ni aux dispositions de la sous-section 2 de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du CPP, lesquelles encadrent leur mise en oeuvre.

Pour le Conseil, dès lors que les pouvoirs publics sont habilités à « prendre des mesures de surveillance et de contrôle de toute transmission empruntant la voie hertzienne, sans exclure que puissent être interceptées des communications ou recueillies des données individualisables », il est porté atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances (§ 6). Or, si les mesures litigieuses peuvent certes « être prises aux seules fins de défense des intérêts nationaux » et, partant, constituer une mise en oeuvre des exigences constitutionnelles inhérentes à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation », leur utilisation « à des fins plus larges » n’est pas exclue (§ 7). Et non seulement leur nature n’est pas définie mais, en outre, la décision d’y recourir n’est assortie d’« aucune condition de fond ni de procédure » et leur mise en oeuvre ne s’accompagne d’aucune garantie (§ 8). Les exigences constitutionnelles sont ainsi en harmonie avec celles du juge européen qui, de longue date, a encadré le recours à des mesures de surveillance, en contrôlant leur caractère strictement nécessaire et l’existence de garanties adéquates et suffisantes contre les abus(12). Plus récemment, il a précisé, dans l’arrêt Zakharov c/ Russie, les « garanties minimales » que doit prévoir la loi « contre les abus de pouvoir »(13). Sont dès lors pris en compte « la nature des infractions susceptibles de donner lieu à un mandat d’interception, la définition des catégories de personnes susceptibles d’être mises sur écoute, la fixation d’une limite à la durée d’exécution de la mesure, la procédure à suivre pour l’examen, l’utilisation et la conservation des données recueillies, les précautions à prendre pour la communication des données d’autres parties, et les circonstances dans lesquelles peut ou doit s’opérer l’effacement ou la destruction des enregistrements » (§ 231).

Le raisonnement du Conseil, dans la décision 2016‑591 QPC, Mme Helen S., du 21 octobre 2016, est également proche de celui de la Cour européenne, selon laquelle toute conservation ou utilisation de données à caractère personnel sans le consentement de l’intéressé doit être assortie de garanties appropriées au regard de l’article 8(14).

En l’espèce, la requérante estimait que le deuxième alinéa de l’article 1649 AB du code général des impôts (CGI), dans sa rédaction issue de la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013, portait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée en permettant le libre accès à certaines données à caractère personnel. Cette disposition institue, en effet, un registre public des trusts qui « recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust » (§ 1). Visant légitimement à favoriser « la transparence sur les trusts » et à « éviter leur utilisation à des fins d’évasion fiscale et de blanchiment des capitaux », le dispositif litigieux porte cependant atteinte au droit au respect de la vie privée dans la mesure où il « fournit des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine » (§§ 5‑6), atteinte qui s’avère disproportionnée en l’absence de toute garantie. Ni la qualité, ni les motifs justifiant la consultation du registre n’ont, en effet, été précisés par le législateur, de même que les personnes habilitées à accéder aux données en cause.

Droit de propriété

Le Conseil a pu juger que des autorisations d’exploiter n’étaient pas, en tant que telles, couvertes par le droit de propriété(15), adoptant ce faisant une approche sans doute plus restrictive que celle de la Cour européenne qui analyse, par exemple, le retrait d’un permis d’exploitation d’une gravière ou celui d’une licence de débit de boissons alcoolisées comme une réglementation de l’usage d’un bien au sens de l’article 1 du Protocole 1(16). Dans la décision n° 2016‑593 QPC, Société Eylau Unilabs et a., du 21 octobre 2016, il estime, cependant, que ce droit entre en jeu à propos de l’obligation de fermeture de sites d’un laboratoire de biologie médicale dont l’implantation est devenue irrégulière en raison d’une révision du schéma régional d’organisation des soins ou d’un changement de délimitation des territoires de santé, le Service juridique se référant, à cet égard, à la décision n° 84‑172 DC du 26 juillet 1984, Loi relative au contrôle des structures des exploitations agricoles et au statut du fermage, dans laquelle le Conseil avait examiné, au regard du droit de propriété, les limitations apportées à l’usage d’un bien du fait de l’extension d’un régime d’autorisation préalable applicable aux opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations agricoles(17).

Les requérants soutenaient ici qu’en imposant la fermeture de sites de laboratoires, dont l’ouverture était soumise à une accréditation et au dépôt d’une déclaration préalable auprès de l’agence régionale de santé, sans prévoir de garanties, les premier et troisième alinéas de l’article L. 6222‑5 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2013‑442 du 30 mai 2013, violaient le droit de propriété, pointant notamment l’absence d’indemnisation de l’exploitant d’un laboratoire contraint à une telle fermeture. À cet égard, le Conseil rappelle, qu’en présence d’un « préjudice anormal et spécial » subi par un exploitant, celui-ci serait à même d’en demander réparation sur le fondement du principe constitutionnel d’égalité devant les charges publiques (§ 11). Ce faisant, la protection garantie paraît plus généreuse que dans le cadre de la Convention qui, outre la reconnaissance d’une large marge nationale d’appréciation, n’impose pas, s’agissant d’une réglementation de l’usage d’un bien, une indemnisation, sachant que, lorsqu’elle existe, celle-ci constitue, cependant, un des éléments pris en compte dans l’appréciation du caractère proportionné de l’atteinte portée au droit de propriété(18).

Droit au logement

La décision n° 2016‑581 QPC, Société SOREQA SPLA, du 5 octobre 2016, fournit l’occasion de rappeler le caractère plus protecteur du droit français, tel qu’interprété par le Conseil, par rapport à la jurisprudence européenne. La Cour européenne estime, en effet, dans l’arrêt Chapman c/ Royaume-Uni, que le droit au respect du domicile, énoncé à l’article 8, ne garantit pas un droit au logement, question qui « relève du domaine politique et non judiciaire »(19). Toutefois, elle « inscrit indirectement le droit au logement opposable dans le corpus des droits protégés par la Convention »(20), en considérant que le défaut d’exécution de la décision d’expulsion de familles occupant illégalement un immeuble n’emporte pas violation de l’article 6 § 1, pareil refus répondant « au souci de pallier les risques sérieux de troubles à l’ordre public liés à l’expulsion de plusieurs familles, parmi lesquelles se trouvaient majoritairement des enfants », ou en jugeant que l’inexécution d’un jugementenjoignant à l’État d’assurer le relogement d’une personne, sur le fondement de la loi dite DALO, viole le droit à l’exécution des décisions de justice(21).

Était en cause ici l’impossibilité de satisfaire à l’obligation de relogement, pesant sur la personne publique à l’initiative de la réalisation d’une opération d’aménagement, au bénéfice des occupants d’un bien affecté par une telle opération (deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 314‑2 du code de l’urbanisme) lorsque ceux-ci sont en situation irrégulière au regard du droit de séjour. Alors que la requérante alléguait notamment une violation du droit de propriété, le Conseil constate l’absence de privation de propriété, au sens de l’article 17 de la DDHC, et le caractère proportionné de l’atteinte porté à ce droit. Visant à « protéger les occupants évincés et compenser la perte définitive de leur habitation du fait de l’action de la puissance publique », elle met en oeuvre l’objectif de valeur constitutionnelle, déduit des principes figurantdans le Préambule de la Constitution de 1946, que constitue la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (§ 11). Indifférent aux éventuelles difficultés pratiques assortissant la mise en oeuvre de l’obligation de relogement du fait de dispositions réglementaires, le Conseil relève que celle-ci ne peut, par ailleurs, donner lieu à des poursuites pénales pour délit d’aide au séjour irrégulier.

Janvier – mars 2017

Exception faite de la question du cumul de sanctions « pénales », les décisions QPC commentées attestent indéniablement de la convergence des standards européen et constitutionnel voire de la réception implicite de la jurisprudence strasbourgeoise par le Conseil.

I - Droits procéduraux

Garantie des droits

En jugeant, dans la décision n° 2016-604 QPC, Société Alinéa, du 17 janvier 2017, une disposition interprétative contraire à l’article 16 de la Déclaration, en raison de l’absence d’un « motif d’intérêt général suffisant », le juge constitutionnel pratique un contrôle effectif des dispositifs rétroactifs à l’instar de la Cour européenne des droits de l’homme qui requiert, quant à elle, tant pour les lois de validation que pour celles interprétatives(22), la présence d’un « motif impérieux d’intérêt général ».

Était en cause la conformité de la référence « II » figurant au paragraphe IV de l’article 2 de la loi n° 2011-1117 du 19 septembre 2011 de finances rectificative pour 2011 (dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1978, du 28 décembre 2011, de finances rectificative pour 2011). La requérante estimait, en effet, qu’en rendant la réforme du régime du report en arrière des déficits pour les entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, applicable aux déficits restant à reporter avant l’entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, le législateur avait porté atteinte à la situation légalement acquise que constituait le droit au report en arrière des déficits.

Le paragraphe II de l’article 2 de la loi du 19 septembre 2011 – modifiant l’article 220 quinquies du code général des impôts (CGI) – réformait ce régime en prévoyant que le déficit constaté au titre d’un exercice ne pouvait plus être imputé que sur le bénéfice de l’exercice précédent, dans la limite d’un plafond, et que l’option pour le report en arrière devait être exercée par l’entreprise « dans les mêmes délais que ceux prévus pour le dépôt de la déclaration de résultats » de l’exercice au cours duquel le déficit est constaté. Ne contenant pas de disposition contraire, il ne valait que pour l’avenir, ne s’appliquant, dès lors, qu’aux seuls déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi. Mais, le paragraphe II de l’article 31 de la loi du 28 décembre 2011, auquel le paragraphe III conférait un « caractère interprétatif », avait prévu que la réforme en jeu s’appliquerait non seulement aux déficits constatés au titre des exercices clos à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011, mais aussi à ceux qui restaient à reporter à la clôture de l’exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette même date. Partant, les dispositions litigieuses « ont remis en cause les options exercées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 19 septembre 2011 pour le report en arrière des déficits reportables à la clôture de l’exercice précédant le premier exercice clos à compter de cette entrée en vigueur » (§ 9). Or, en application de l’article 220 quinquies du CGI, « l’exercice de l’option pour le report en arrière ‘‘fait naître au profit de l’entreprise une créance’’ sur l’État ». Le fait générateur de la créance étant antérieur à l’entrée en vigueur des dispositions contestées et, en l’absence d’un « motif d’intérêt général suffisant », il est donc bien porté atteinte à des situations légalement acquises (§ 10).

Principe d’impartialité et droit à un recours effectif

Dans le droit fil de la jurisprudence européenne relative au principe de l’impartialité objective(23), le Conseil, dans la décision n° 2016-616/617 QPC, Société Barnes et a., du 9 mars 2017, juge l’absence totale de séparation, au sein de la Commission nationale des sanctions (CNS), entre les fonctions de poursuite et d’instruction et celle de jugement, contraire à l’article 16 de la DDHC (§ 10).

Aux yeux du juge européen, la violation du principe de l’impartialité objective ne peut, en effet, en aucun cas être « purgée » à un stade ultérieur de la procédure, même si la décision incriminée est ensuite soumise à un contrôle de pleine juridiction au sens de la Convention européenne par une instance respectant toutes les garanties du droit à un procès équitable(24). Aussi l’approche protectrice du Conseil, qui ne limite pas la soumission à ce principe aux seules autorités administratives indépendantes, est-elle bienvenue. Ici, la CNS, « autorité administrative dotée d’un pouvoir de sanction, qui n’est pas soumise au pouvoir hiérarchique d’un ministre », est, en conséquence, tenue de « respecter les exigences d’impartialité découlant de l’article 16 » (§ 8).

Créée pour sanctionner les manquements commis par certains professionnels soumis à des obligations de vigilance en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, elle est habilitée, par l’article L. 561- 40, à infliger des sanctions disciplinaires et pécuniaires (art. L. 561-40 du code monétaire et financier (CMF)). À cette fin, elle peut être saisie par le ministre chargé de l’économie, celui chargé du budget ou le ministre de l’intérieur des manquements constatés aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes des personnes entrant dans son champ de compétence (article L. 561-38 du CMF). Il lui revient ensuite, en vertu des dispositions contestées, de notifier les griefs à la personne mise en cause puis de statuer par une décision motivée mais « sans que la loi distingue la phase de poursuite et celle de jugement » (§ 9 ; art. L. 561-41, 2e al., dans sa rédaction issue de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 et art. L. 561-42 du CMF, dans sa rédaction résultant de l’ordonnance n° 2009-104 du 30 janvier 2009)(25).

La position protectrice du Conseil, dans la décision n° 2017-624 QPC, M. Sofiyan I., du 16 mars 2017 (voy. aussi infra), fait également écho aux exigences européennes au regard du cumul de fonctions juridictionnelles lorsque la juridiction a porté préalablement une appréciation sur la question qu’elle doit juger. Soulevant d’office un grief tiré de l’article 16 de la DDHC, il considère que le fait, pour le juge des référés du Conseil d’État, d’autoriser la prolongation d’une mesure d’assignation à résidence puis d’être susceptible de statuer en dernier ressort sur la légalité de cette mesure, méconnaît le principe d’impartialité et le droit à un recours juridictionnel effectif (§ 12, dernière phrase du § II de l’article 2 de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016). En effet, lejuge des référés devant déterminer si « ‘‘les raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne continue à constituer une menace pour la sécurité et l’ordre publics’’ sont de nature à justifier l’autorisation de renouveler une mesure d’assignation à résidence » est, dès lors, « conduit à se prononcer sur le bien-fondé de la prolongation de la mesure d’assignation à résidence ». En outre, sa décision « ne revêt pas un caractère provisoire » (§ 11).

Principe de nécessité des délits et des peines

Le Conseil maintient une position contraire à celle de la Cour européenne des droits de l’homme dans la décision n° 2016-621 QPC, Société Clos Teddi et a., du 30 mars 2017, en réaffirmant que le « principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts » (§ 4) Était en cause le possible cumul de la contribution spéciale, prévue par l’article L. 8253-1 du code du travail, et des sanctions pénales, prévues par l’article L. 8256-2 du même code, encourues par un employeur ayant embauché un travailleur étranger sans titre de travail. Alors que le juge européen tient compte du seul caractère « pénal » au sens de la Convention des sanctions en jeu(26), le Conseil prend en compte la nature des sanctions c’est-à-dire leur sévérité. Ici, les sanctions sont de « nature différente ». Certes, les sanctions pécuniaires susceptibles d’être prononcées « sont comparables dans leur montant » mais le juge pénal peut, en outre, condamner un employeur d’étrangers non autorisés à travailler à une peine d’emprisonnement ou, s’il s’agit d’une personne morale, à une peine de dissolution ainsi qu’à des peines complémentaires (§ 7).

II - Principe d'égalité

La décision n° 2016/606-607 QPC, M. Ahmed et a., du 24 janvier 2017, atteste des limites inhérentes à la nature même du contrôle exercé par le juge constitutionnel voire son caractère inapproprié lorsqu’est en cause une pratique. En l’espèce, les requérants dénonçaient notamment le caractère discriminatoire des contrôles d’identité effectués par les services de police judiciaire, sur réquisitions du procureur de la République (art. 78-2 et 78-2-2 du code de procédure pénale). Le Conseil ne peut que constater le caractère neutre des dispositions litigieuses qui « n’instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant la période déterminés par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d’identité » et affirmer que « la mise en oeuvre des contrôles ainsi confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s’opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes », le juge ordinaire veillant au respect de cette interdiction (§ 26). Il en va de même s’agissant des contrôles auxquelles sont soumises des personnes de nationalité étrangère (§ 34). Seul un contrôle in concreto est, en effet, de nature à permettre de sanctionner de telles discriminations, soit via le recours à la notion de discrimination indirecte, qui appelle un contrôle de proportionnalité(27), soit en effectuant un contrôle radical de la légitimité de la différence de traitement litigieuse. Particulièrement sévère s’agissant des différences de traitement fondées sur l’origine ethnique ou la race qui sont, par principe, inacceptables dans la société démocratique au sens de la Convention(28), la Cour européenne considère la « discrimination fondée sur l’origine ethnique réelle ou perçue » comme une discrimination raciale, « forme de discrimination particulièrement odieuse »(29). Ainsi, dans l’affaire Timichev c. Russie, elle constate la violation de l’article 14 – clause de non-discrimination – combiné avec l’article 2 du Protocole 4 garantissant le droit à la liberté de circulation. En l’espèce, le requérant, qui s’était vu interdire l’entrée en Kabardino-Balkarie à un poste de contrôle, se plaignait d’avoir été victime d’une discrimination parce qu’il était tchétchène, les policiers ayant reçu l’instruction de ne pas admettre de Tchétchènes sur le territoire. Or, la seule invocation par l’État défendeur de la volonté de prévenir des infractions et garantir la sûreté publique ne saurait justifier d’avoir traité différemment le requérant alors qui se trouvait dans la même situation que les autres personnes souhaitant franchir cette frontière administrative. La Cour de cassation fait application de cette jurisprudence lorsqu’elle vérifie si un contrôle d’identité était bien justifié par des « éléments objectifs étrangers à toute discrimination »(30).

III - Autres droits et libertés

Liberté individuelle

L’état d’urgence durant depuis le 14 novembre 2015, la durée des mesures d’assignation à résidence, prises à l’encontre de certaines personnes et renouvelées périodiquement, n’a pas manqué de faire l’objet de critiques et de susciter une nouvelle QPC. Dans la décision précitée n° 2017-624 QPC, M. Sofiyan I., le Conseil était donc de nouveau appelé à déterminer si une assignation à résidence était susceptible de constituer une privation de liberté et, partant, impliquer le contrôle du juge judiciaire. Il avait précédemment jugé que tel n’était pas le cas, sauf à dépasser la plage horaire maximale de l’astreinte à domicile, fixée à douze heures par jour(31). Était en cause, ici, le fait qu’une assignation à résidence, prononcée dans le cadre de l’état d’urgence, puisse être prolongée, au-delà d’une durée totale de douze mois, pour une durée de trois mois, sans que le nombre maximal de renouvellements aitété fixé. Or, pour le Conseil, la « seule prolongation dans le temps d’une mesure d’assignation à résidence ordonnée dans les conditions prévues par l’article 6 de la loi du 3 avril 1955 n’a toutefois pas pour effet de modifier sa nature et de la rendre assimilable à une mesure privative de liberté » (§ 7). En d’autres termes, la durée de la mesure n’a pas pour effet d’affecter sa nature.

Cette position ne paraît pas heurter celle du juge de Strasbourg qui est, pour sa part, conduit à faire le départ entre les privations de liberté au sens de l’article 5 § 1 de la Convention et les restrictions du droit à la liberté de circulation au sens de l’article 2 du Protocole 4, estimant, dans l’arrêt Guzzardi c. Italie, qu’il n’y a entre les deux « qu’une différence de degré ou d’intensité, non de nature ou d’essence ». Ainsi les modalités d’exécution d’une mesure d’assignation à résidence sont-elles de nature à en faire une « privation de liberté », le critère décisif, en la matière, résidant dans l’existence d’un confinement dans un local délimité(32). L’exiguïté de la zone de confinement, l’existence d’une surveillance quasiment permanente et la quasi-impossibilité de nouer des contacts sociaux assortissant l’assignation à résidence du requérant, dans l’affaire Guzzardi(33), ou « le confinement à domicile » dans l’affaire Lavents c. Lettonie(34), conduisent à retenir la qualification de « privation de liberté » au sens de l’article 5.

Appelée, dans l’affaire De Tommaso c. Italie, à apprécier si le requérant avait fait l’objet d’une « privation de liberté », le juge européen, après avoir affirmé qu’il lui fallait « partir de sa situation concrète et prendre en compte un ensemble de critères comme le genre, la durée, les effets et les modalités d’exécution de la mesure considérée », ne tient pas compte explicitement de la durée des mesures litigieuses(35). Or, l’intéressé avait été soumis à des mesures de prévention pendant deux ans : une mesure de surveillance spéciale de police assortie d’une assignationà résidence associée à d’autres restrictions. La Cour souligne, en outre, le fait que le contexte dans lequel s’inscrit la mesure constitue « un facteur important car il est courant, dans les sociétés modernes, que surviennent des situations dans lesquelles le public peut être appelé à supporter des restrictions à la liberté de circulation ou à la liberté des personnes dans l’intérêt du bien commun », alors même que seuls cinq États – dont la France – sur trente-quatre États parties étudiés connaissent des mesures comparables(36). En l’espèce, le requérant n’a pas été contraint de vivre dans un endroit exigu et n’a pas été dans l’impossibilité de nouer des contacts sociaux. En outre, le fait de ne pas pouvoir, en principe, sortir entre vingt-deux heures et six heures du matin ne constitue pas une assignation à domicile relevant de l’article 5 de la Convention. Aussi les obligations qui lui ont été imposées ne relèvent-elles pas d’une « privation de liberté ».

Liberté d’aller et de venir

Aux termes de l’article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 – dans sa rédactionrésultant de la loi n° 2016-1767 du 19 décembre 2016 –, une assignation à résidence, prononcée par l’autorité administrative dans le cadre de l’état d’urgence, peut être d’une durée de douze mois mais peut être prolongée pour trois mois de manière renouvelée. Une nouvelle mesure d’assignation d’une durée maximum de quatre-vingt-dix jours peut aussi être décidée (article 2, § 2, de la loi du 19 décembre 2016). Ces dispositions portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, le Conseil devait donc déterminer si le législateur avait bien assuré la conciliation entre la prévention des atteintes à l’ordre public et le respect de la liberté d’aller et de venir, « composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 » (§ 13). Pour ce faire, il examine les garanties assortissant les mesures litigieuses. L’assignation à résidence ne peut être prononcée ou renouvelée que lorsque l’état d’urgence a été déclaré – soit « en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public » ou « en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique » – et ne peut concerner qu’une personne résidant dans la zone couverte par l’état d’urgence et à l’égard de laquelle « il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». En outre, la mesure d’assignation à résidence cesse au plus tard en même temps que prend fin l’état d’urgence, lequel doit, au-delà d’un délai de douze jours, être prorogé par une loi qui en fixe la durée. À l’issue de sa prorogation, les mesures d’assignation à résidence prises antérieurement doivent être renouvelées pour continuer à produire leurs effets (art. 6, al. 11), conformément à la réserve d’interprétation formulée par le Conseil dans la décision QPC précitée M. Cédric D.

À la suite de ces constats, le Conseil procède à un encadrement du renouvellement d’une mesure d’assignation à résidence au-delà d’une durée de douze mois. Ainsi, sauf à porter « une atteinte excessive à la liberté d’aller et de venir », un tel renouvellement ne peut être décidé qu’à une triple condition. Le comportement de la personne concernée doit constituer « une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics », l’autorité administrative doit produire « des éléments nouveaux ou complémentaires » et l’examen de la situation de l’intéressé doit tenir compte de « la durée totale de son placement sous assignation à résidence », des « conditions de celle-ci » et des « obligations complémentaires dont cette mesure a été assortie » (§ 17). Enfin, la « durée de la mesure d’assignation à résidence doit être justifiée et proportionnée aux raisons ayant motivé la mesure dans les circonstances particulières ayant conduit à la déclaration de l’état d’urgence », le juge administratif veillant à ce que la mesure soit adaptée, nécessaire et proportionnée à sa finalité (§ 18).

Au regard de la jurisprudence européenne, ces garanties paraissent bienvenues dans la mesure où le juge de Strasbourg exige, en cas de prorogation de la mesure litigieuse, « des contrôles périodiques quant à la persistance des raisons (la) justifiant »(37) et ne se contente pas de « motifs stéréotypés et abstraits »(38).

Liberté de communication

En dernier lieu, la décision n° 2016-611 QPC, M. David P., du 10 février 2017, dans laquelle la répression pénale de la consultation habituelle de sites internet terroristes (article 421-2-5-2 du code pénal) est jugée contraire à la liberté de communication, fournit l’occasion de souligner la convergence, en termes d’intensité, des contrôles exercés sur les restrictions à cette liberté par le Conseil constitutionnel et Cour européenne, même si cette dernière ne s’est jamais prononcée sur un dispositif de cette nature.

Ayant eu essentiellement à connaître d’affaires concernant des restrictions à l’accès à l’Internet mais aussi à la liberté de communication d’informations par des internautes, le juge de Strasbourg est particulièrement vigilant quant au libre accès à l’Internet : « l’un des principaux moyens d’exercice par les individus de leur droit à la liberté d’expression et d’information »(39). Ici, tant la généralité et le caractère radical du dispositif litigieux que l’effet inhibiteur de la sanction pénale, régulièrement relevé par le juge de Strasbourg, permettent de penser que la Cour de Strasbourg conclurait à une violation de l’article 10 de la CEDH.

Revue doctrinale

Articles thématiques

  • Bonnet, Baptiste. « La règle de priorité d’examen : fondements, justifications, critiques » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : Journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 65-71.
  • Deumier, Pascale. « Conventionnalité et constitutionnalité devant les juges du fond » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : Journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 55-64.
  • Gaïa, Patrick. « Rapport introductif » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en- Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 5-14.
  • Larrouturou, Thibaut. « Priorité d’examen, droit de la CEDH et de l’Union européenne » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : Journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 73-84.
  • Magnon, Xavier. « Le contrôle de conventionnalité depuis la QPC » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : Journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 41-45.
  • Vidal-Naquet, Ariane. « Vers la “conventionnalisation” du contrôle de constitutionnalité ? » in Question prioritaire de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité : Journée d’études organisée le 2 février 2015, Aix-en-Provence, Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2016, p. 27-39.

(1) Cour EDH, Funke c/ France, 25 févr. 1993, § 56.
(2) En dernier lieu, déc. n° 2016‑538 QPC, Époux M. D., 22 avr. 2016, cette chron., cette Revue, n° 53, octobre 2016, 179.
(3) Voy. aussi Cour EDH, Murray c/ Royaume-Uni, 8 févr. 1996, interrogatoire de police, voy. F. Sudre (dir.), Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, PUF, 2015, ci-après GACEDH, n° 35.
(4) Cour EDH, Salduz c/ Turquie, Gr. Ch., 27 nov. 2008, GACEDH, op. cit., n° 37.
(5) Cour EDH, Brusco c/ France, 14 oct. 2010, obligation de prêter serment pour une personne placée en garde à vue, violation de l’article 6, §§ 1 et 3.
(6) Déc. n° 2016‑561/562 QPC, M. Mukhtar A., 9 sept 2016, cette chron., cette Revue, n° 54, janv. 2017, 179.
(7) Cour EDH, Moulin c/ France, 23 nov. 2010, § 59.
(8) Cour EDH, Gr. Ch., De Souza Ribeiro c/ France, 13 déc. 2012, § 83.
(9) Cour EDH, Gebremedhin c/ France, 20 sept. 2007, § 66.
(10) Par ailleurs, l’absence de délai imparti à la chambre de l’instruction pour statuer, sur l’appel de l’ordonnance prise par un juge autorisant la saisie ou sur l’appel interjeté à l’encontre d’une ordonnance de refus de restitution d’un bien saisi, ne constitue pas « une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif de nature à priver de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété » notamment dans la mesure où le juge est toujours tenu de statuer dans un délai raisonnable (décisions nos 2016‑583 à 586 QPC, Société Finestim SAS et a., 14 oct. 2016, § 11 ; n° 2016‑596 QPC, Mme Sihame B., 18 nov. 2016, § 8), exigence garantie par l’article 6 § 1 de la Convention.
(11) 24 avr. 1990, à propos d’écoutes téléphoniques judiciaires. Pour la Cour, la « loi » doit être rédigée avec suffisamment de clarté afin d’indiquer en quelles circonstances et sous quelles conditions les autorités publiques peuvent prendre des mesures secrètes, de manière à fournir à l’individu une protection adéquate contre l’arbitraire (Huvig, § 29).
(12) Cour EDH, Klass c/ Allemagne, 6 sept. 1978, § 50, écoutes téléphoniques dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
(13) 4 déc. 2015, Gr. Ch., § 230, système d’interception secrète des communications de téléphonie mobile.
(14) Cour EDH, Z. c/ Finlande, 25 févr. 1997, § 95, informations relatives à la santé d’une personne.
(15) Décision n° 2013‑346 QPC, 11 oct. 2013, Société Schuepbach Energy LLC, cons. 13, 15 et 17 ; cette chron., cette Revue, n° 43, avr. 2014, 213.
(16) Cour EDH, Fredin c/ Suède (n° 1), 18 févr. 1991, § 47, et Tre Traktörer Aktiebolag c/ Suède, 7 juill. 1989, § 51.
(17) Commentaire site internet, Cons. const., p. 8.
(18) Par exemple, Cour EDH, Chagnon et Fournier c/ France, 15 juill. 2010.
(19) 18 janv. 2001, Gr. Ch., § 99, voy. GACEDH, op. cit., n° 46.
(20) F. Sudre, Droit européen et international des droits de l’homme, PUF, 2016, n° 468.
(21) Déc., 12 oct. 2010, Société Cofinfo c/ France, n° 23516 ; 9 avr. 2015, Tchokontio c/ France.
(22) Pour un exemple de loi interprétative, voy. Cour EDH, 14 février 2006, Lecarpentier c. France, disposition visant à sauvegarder l’équilibre financier du système bancaire.
(23) Voy. notamment Cour EDH, 11 juin, 2009, Dubus SA c. France, § 61, violation de l’article 6 § 1 en raison de l’absence de distinction claire entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement dans le cadre de la procédure disciplinaire devant la Commission bancaire.
(24) Cour EDH, 26 octobre, 1984, De Cubber c. Belgique, §§ 31-33.
(25) Ces dispositions ont été modifiées par l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016 aux fins de préciser les attributions du secrétaire général de la CNS et de son président.
(26) Cour EDH, 8 juin, 1976, Engel et a. c. Pays-Bas.
(27) Cour EDH, Gr. Ch., 13 novembre, 2007, D. H. et a. c. République tchèque.
(28) Cour EDH, Gr. Ch., 4 octobre, 2012, Chabauty c. France, § 50.
(29) Cour EDH, 13 décembre 2005, Timichev c. Russie, § 56.
(30) Cass., civ. 1re, 9 novembre, 2016, arrêt n° 1239, 15-25.210.
(31) Cons. const., décision n° 2015-527 QPC, M. Cédric D., du 22 décembre 2015, cons. 5 et 6 ; cette chron., cette Revue, n° 51, avril 2016, p. 180.
(32) Cour EDH, 6 novembre, 1980, §§ 93-94.
(33) § 95.
(34) Cour EDH, 28 novembre, 2002, §§ 62-64.
(35) Cour EDH, Gr. Ch., 23 février, 2017, § 80.
(36) § 81 et § 69.
(37) Cour EDH, 20 avril, 2010, Villa c. Italie, § 48, mesure de sûreté.
(38) Cour EDH, Gr. Ch., 5 juillet, 2016, Buzadji c. République de Moldova, § 122, mesure d’assignation à résidence constitutive d’une « privation de liberté » au sens de l’article 5 de la Convention.
(39) Cour EDH, 18 décembre, 2012, Yildirim c. Turquie, § 54, blocage de l’accès à des sites dépourvu de base légale.