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Conférence des Cours ayant compétence constitutionnelle des Etats membres de l'Union européenne - Discours

Cahiers du Conseil constitutionnel n° 4 (Dossier : Droit communautaire - droit constitutionnel) - avril 1998

Message du Président de la République à la conférences des cours suprêmes communautaires

Paris, les 25 et 26 septembre 1997

C'est un grand privilège qui m'est offert aujourd'hui de pouvoir m'adresser à vous, Madame et Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Juges, qui représentez l'ensemble des juridictions à compétences constitutionnelles des quinze États membres de l'Union européenne.

Pour la première fois se trouvent en effet assemblées, dans la perspective d'une réflexion commune, les institutions qui, dans chacun des États membres, veillent à la conformité des règles de droit interne à leur Constitution, quelles que soient par ailleurs les modalités de ce contrôle.

Dans ce processus, les États sont nécessairement conduits à aborder les problèmes d'articulation entre droit communautaire et droit constitutionnel national.

Susciter l'échange, comme il vous l'est proposé aujourd'hui, entre des institutions qui, malgré leurs différences, sont toutes confrontées à cette question, est une étape indispensable à l'élaboration du droit de l'Europe.

La comparaison de vos traditions juridiques respectives, de vos expériences et des débats doctrinaux de chacun de vos pays fera apparaître, nul n'en doute, au-delà des spécificités nationales, des lignes communes.

Tenter d'identifier les convergences et des différences d'approche entre nos systèmes nationaux participe de la démarche résolue de la France en faveur de la construction européenne. C'est pourquoi l'initiative prise par le Président Roland DUMAS a reçu dès l'origine mon plein accord.

Absent de Paris, je regrette de n'avoir pas l'occasion de vous accueillir personnellement, mais je tenais à vous adresser ce message de bienvenue et de vif intérêt pour vos travaux ; ils contribueront à l'œuvre commune de rapprochement et de solidarité dans laquelle chacun de nos États est engagé et j'y porterai, de ce fait, une particulière attention.

Jacques CHIRAC

Discours de Président Dumas à Matignon

25 SEPTEMBRE 1997

Monsieur le Premier Ministre,

Merci de tout coeur d'avoir accepté de soustraire, pour nous accueillir, quelques instants à votre emploi du temps dont chacun imagine sans peine l'encombrement.

L'objet de nos travaux revêt un bien moindre caractère d'urgence que les questions qui occupent en ce moment votre gouvernement. Je ne le crois pas cependant sans importance pour le développement harmonieux de la construction communautaire et donc pour l'action gouvernementale elle-même.

L'Europe du Traité de Rome était presque exclusivement l'Europe de la libre circulation des biens, celle du grand marché.

Avec le Traité sur l'Union et la communautarisation progressive du troisième pilier inscrite dans l'accord d'Amsterdam, elle devient également l'Europe de la libre circulation des personnes et l'Europe des libertés.

Cette évolution se traduit par d'amples transferts de compétences au profit des institutions communautaires et nombre de nos pays ont procédé aux modifications de leurs constitutions requises par une telle mutation. Ces « habilitations constitutionnelles », plus ou moins larges selon les Etats, traduisent, dans le droit positif de chacun d'entre eux, le degré de consentement national à l'avancée de l'idée communautaire.

Mais se pose ensuite la question -qui constitue précisément l'objet de nos travaux- de la compatibilité avec ces constitutions nationales des actes de droit communautaire dérivé, ainsi que la question des institutions chargées d'y veiller.

  • Une telle préoccupation concerne en premier lieu le respect du principe de souveraineté.

Les traités transfèrent en effet aux institutions communautaires des compétences d'attribution, et il importe que les actes de droit dérivé s'inscrivent dans les limites de ces transferts.

  • La question se pose également -du moins en théorie- au regard de la protection des droits fondamentaux.

Le traité sur l'Union européenne ne prévoit-il pas que celle-ci respecte l'identité nationale des Etats et les droits fondamentaux qui résultent de leurs traditions constitutionnelles communes ?

  • La question se pose enfin à propos du respect par le droit dérivé de certaines normes ou principes de valeur constitutionnelle spécifiques à certains Etats, le plus souvent hérités de leur histoire nationale singulière.

Pour ne parler que de la France je songe ici, par exemple, à l'acception particulièrement exigente du droit d'asile retenue par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 tel qu'interprété par le Conseil constitutionnel ou encore aux particularismes des principes de valeur constitutionnelle qui s'attachent à la notion de service public.

Aussi accueillant que soit le droit positif national aux normes communautaires, il est légitime que les cours constitutionnelles -ou chargées du contrôle de constitutionnalité- soient, sur ces trois séries de questions, vigilantes.

Comment ne pas penser ici aux positions prises en la matière par les Cours allemande et italienne ?

Mais loin de moi le désir de dramatiser ces questions et encore moins de faire de ces préoccupations une menace pour la construction européenne. Bien au contraire.

Loin de constituer deux pôles antagonistes, droit constitutionnel national et droit européen sont les piliers de l'Europe démocratique.

Sur le plan matériel, d'abord, car les emprunts mutuels sont incessants entre droits constitutionnels nationaux, droit communautaire et droit issu de la convention européenne des droits de l'homme.

A la reconnaissance, au niveau européen, sous les auspices des cours de Luxembourg et de Strasbourg, des droits et libertés fondamentaux, fait écho la constitutionnalisation de droits issus de la construction européenne (il suffit de penser à la liberté de circulation et d'établissement, à l'égalité entre les sexes, au droit au recours juridictionnel ou à la participation aux élections locales).

Intégration européenne et protection des droits fondamentaux ne se conçoivent plus l'une sans l'autre.

La complémentarité se manifeste aussi sur le plan organique, aussi longtemps du moins que les tâches de contrôle juridictionnel se répartiront de façon équilibrée.

Cet équilibre pourrait, me semble-t-il, reposer sur la division des rôles suivante :

  • Afin de garantir l'indispensable unité d'application du droit communautaire, le juge constitutionnel, à l'instar du juge ordinaire, réserverait au juge communautaire la question de l'interprétation et de la validité de la norme communautaire ;

  • En contrepartie, le juge communautaire vérifierait effectivement que cette norme, d'une part, respecte les droits fondamentaux, d'autre part, n'outrepasse pas, notamment au regard du principe de subsidiarité, les compétences transférées par les traités aux institutions européennes.

J'ai la conviction que l'évolution des esprits, des textes et des jurisprudences conforte cet équilibre.

Celui-ci peut être évidemment rompu par quelque incident.

Ainsi certaines de nos Cours se sont-elles d'ores et déjà réservées de contrôler la constitutionnalité d'actes communautaires en cas de fonctionnement aberrant des institutions communautaires ou d'atteinte manifeste aux principes suprêmes de l'ordonnancement constitutionnel national.

Il nous appartient de savoir éviter pareil incident.

Tel est, en quelques mots, l'état d'esprit qui préside à nos travaux.

Je vous renouvelle, Monsieur le Premier Ministre, mes vifs remerciements pour l'intérêt que, par votre présence même, vous avez bien voulu témoigner à notre rencontre.

Intervention du Premier ministre devant la conférence des Cours ayant compétence constitutionnelle

« Contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé »

- 25 septembre 1997 -

Mesdames et Messieurs les Présidents,

Mesdames et Messieurs les Juges,

Mesdames et Messieurs,

C'est un grand plaisir et un honneur pour moi que de pouvoir vous recevoir ici, à mi-parcours des travaux qui vous réunissent à Paris sur un thème particulièrement délicat et important, celui de la relation entre le contrôle de constitutionnalité et le droit communautaire dérivé.

Je tiens à féliciter le Conseil constitutionnel, et tout particulièrement son Président, pour cette initiative très utile et tout à fait inédite, consistant à réunir les présidents des Cours ayant, dans les quinze Etats de l'Union, une compétence constitutionnelle et le Président de la Cour de Justice des Communautés Européennes. Je suis sensible à cette démarche très européenne, à la veille de la signature du Traité d'Amsterdam et je suis certain que vos travaux contribueront à une meilleure compréhension réciproque et constitueront une étape vers davantage d'unité dans l'application du droit, au bénéfice des citoyens européens.

Les nombreuses rencontres que vous aurez durant ces deux jours tant avec les membres du gouvernement qu'avec le Président de l'Assemblée Nationale attestent l'intérêt que les autorités publiques françaises accordent à cette initiative et je m'en réjouis.

Je n'aurai certes pas la prétention de vous tenir un discours de spécialiste de droit, qualité qui est la vôtre au plus haut titre. Je souhaite simplement vous indiquer en quelques mots en quoi votre rencontre et son objet sont, à mes yeux, significatifs.

Vous êtes, chacun, les représentants de cultures juridiques très différentes, nourries d'histoires et de traditions qui vous séparent souvent. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si vos premiers travaux aujourd'hui ont porté sur les spécificités nationales. Et ces caractéristiques nationales sont d'autant moins réductibles qu'elles concernent des valeurs d'ordre constitutionnel, placées au c ? ur de la souveraineté des Etats. Cette reconnaissance de ce qui vous distingue est essentielle car elle permet un enrichissement mutuel : c'est aussi par une démarche de cette nature que l'Europe du droit se fortifie.

Par ailleurs, et j'en viens précisément au sujet de réflexion et d'échange qui vous réunit à Paris aujourd'hui et demain, il ne me semble pas qu'il y ait eu jamais véritablement d'opposition entre le droit constitutionnel et le droit communautaire. La reconnaissance par les quinze Etats membres de la spécificité du droit communautaire a permis aux cours constitutionnelles d'exercer pleinement leur rôle. Elles ont eu la sagesse d'éviter le conflit en préférant que s'instaure progressivement une coopération au service du droit.

Pour leur part, les constitutions nationales ont traduit le consentement de la Nation aux transferts de compétence induits par les traités. Ce fut, par exemple, le cas de la France en 1992 avec la révision de notre constitution.

Par ailleurs, des mécanismes de contrôle parlementaire existent dans l'ensemble des Etats européens, qui permettent d'identifier les risques de non-conformité d'un acte communautaire de droit dérivé à l'ordre constitutionnel, et ce, en amont du processus de décision communautaire, ce qui facilite, le cas échéant, les ajustements nécessaires.

Enfin, concernant le respect des droits fondamentaux, le mouvement progressif vers davantage d'unité des positions a connu une étape significative lors de la Conférence intergouvernementale : le nouveau Traité sur l'Union européenne, qui sera signé dans quelques jours à Amsterdam, exprime bien cette évolution positive en confirmant l'existence au niveau communautaire de certains principes fondamentaux et en en soumettant le respect par les institutions communautaires à la Cour de Justice des Communautés européennes. Or ces droits fondamentaux reprennent le plus souvent des valeurs et des traditions constitutionnelles partagées par les Etats membres.

Cette harmonie résultant du respect par le droit communautaire des droits fondamentaux consacrés par les constitutions et de la reconnaissance par les Etats membres du plein effet du droit communautaire est essentielle au rapprochement des citoyens de la construction européenne.

Pour assurer un sentiment d'appartenance et de confiance de l'opinion au projet européen, si nécessaire aujourd'hui, le droit doit pleinement jouer son rôle unificateur.

Ainsi en apprenant à mieux connaître vos différentes traditions juridiques et en développant cette « coopération » constitutionnelle, vous contribuez à ce mouvement porteur d'avenir et d'espoir qu'est la construction de l'Europe. Je vous en félicite vivement et vous souhaite tous mes v ? ux pour la poursuite de vos travaux.

Lionel Jospin

Discours Assemblée nationale

26 SEPTEMBRE 1997

Monsieur le Président,

La construction communautaire ne se réduit pas à un vis-à-vis entre organismes bruxellois et administrations nationales. Elle doit aussi reposer sur un colloque pluriel entre institutions des Etats membres investies de compétences analogues.

C'est là une conviction que partagent les élus de la Nation : il n'est qu'à constater l'ancienneté de l'intérêt que le Parlement, singulièrement l'Assemblée nationale, porte aux questions communautaires et l'ampleur prise par la coopération entre les parlements nationaux.

Ainsi, c'est à l'initiative du Parlement que la révision constitutionnelle du 25 juin 1992 a institué, à l'article 88-4, le droit à l'information des assemblées sur les propositions d'actes communautaires, les mettant à même de faire connaître leur opinion sur ces textes par voie de résolutions, et d'influencer la négociation des actes communautaires.

L'intense activité développée depuis lors par votre délégation pour l'Union européenne, sous l'autorité de ses présidents successifs -Michel PEZET, Robert PANDRAUD, Henri NALLET- témoigne de la part grandissante prise par l'instruction de ces dossiers, souvent fort complexes.

Je n'aurai garde également d'oublier le rôle croissant de la coopération interparlementaire au sein de l'Union européenne, engagée avec succès à l'initiative de la France, dès 1989, alors que vous présidiez déjà, Monsieur le Président, l'Assemblée nationale. Au sein de la Conférence des Organes Spécialisés dans les Affaires Communautaires, des rencontres régulières et fructueuses ont pu se tenir entre les parlementaires de tous les Parlements de l'Union, et cette « COSAC » est désormais consacrée par le traité d'Amsterdam comme le vecteur naturel de la participation des parlements nationaux à la construction européenne.

C'est dans le même esprit -mais sans doute plus tardivement et plus modestement- que j'ai souhaité, par notre rencontre d'aujourd'hui, amorcer un dialogue analogue entre les Cours constitutionnelles -ou ayant compétence constitutionnelle- des pays membres de l'Union européenne. Je l'espère aussi dense et fructueux que celui qui s'est instauré entre les parlements.

Quant au thème retenu -droit constitutionnel et droit communautaire dérivé- il a été choisi, croyez-le bien, non pas dans le souci de défendre frileusement les prérogatives de nos cours, mais bien plutôt dans celui de permettre à celles-ci de contribuer tout à la fois à la construction européenne, à la sauvegarde des droits fondamentaux et à la préservation, voulue par les traités eux-mêmes, des principes essentiels de la souveraineté nationale.

Les traités communautaires ont instauré dans les Etats membres un ordre juridique spécifique obéissant à ses règles propres. Ils ont dévolu aux institutions communautaires des compétences d'attribution, lesquelles ont vocation à s'étendre. Pour ne pas être conflictuelle, la rencontre de ces transferts de compétences et des prérogatives inhérentes à la souveraineté des Etats membres doit être organisée par la Constitution elle-même. Aussi, le plus souvent par une révision constitutionnelle, la question de la compatibilité entre droit constitutionnel national et droit communautaire originaire a-t-elle dû être traitée d'entrée de jeu.

Revient-il ensuite à nos cours nationales de contrôler si les actes de droit dérivé subséquents sont conformes au cadre constitutionnel ainsi redéfini, et notamment de vérifier s'ils s'inscrivent dans les limites des transferts de compétence consentis ? Selon quelles modalités et avec quelles conséquences ? C'est tout le difficile débat qui nous occupe pendant ces deux journées.

Il me reste, Monsieur le Président, à vous remercier chaleureusement pour l'accueil que vous nous avez réservé et pour ce déjeuner qui tempère si opportunément l'aridité de nos travaux.

Allocution de M. Laurent Fabius, Président de l'Assemblée nationale, pour le déjeuner offert aux Présidents des Cours constitutionnelles des Etats membres de l'Union européenne

Messieurs les Présidents,

Mesdames et messieurs les parlementaires

Mesdames et messieurs,

C'est un honneur pour l'Assemblée nationale et pour son président de vous accueillir aujourd'hui à l'occasion du colloque organisé par le Conseil Constitutionnel. Très chaleureusement, je vous souhaite la bienvenue.

Dans un livre publié en 1930 et intitulé « Europe », un de mes illustres prédécesseurs, Edouard Herriot, écrivait, avec prescience : « Une Fédération européenne loyalement constituée, avec la collaboration nécessaire du temps, ferait découvrir la nécessité d'un droit nouveau dans le fait, avant même qu'elle ne fût découverte par le raisonnement ». Nous ne sommes pas membres d'une même fédération -certains diront pas encore-, mais l'expérience de la construction européenne démontre le rôle central qu'y tient le droit, et illustre l'émergence d'un ordre juridique qui s'impose dans les faits avant d'être codifié. Si je ne craignais d'employer une formule qui paraît receler une contradiction dans les termes, je dirais que dans le domaine juridique aussi, le fait peut précéder le droit, si on entend par droit un ordre juridique formellement complet et achevé.

Cette dynamique particulière du droit dans la construction européenne est bien sûr illustrée par l'apport majeur de la Cour de justice des communautés européennes. On retrouve la même dynamique à l'œuvre dans les rapports entre droit communautaire et droits nationaux. Si l'articulation du droit communautaire originaire et des droits nationaux relève de la logique classique du droit des traités, les données sont évidemment plus complexes au regard du droit dérivé qui a des effets directs en droit interne, ce qui crée des situations nouvelles. D'où l'intérêt du thème de réflexion que vous avez retenu cette année. Sous son intitulé plutôt aride « contrôle de constitutionnalité et droit communautaire dérivé », il touche des questions de souveraineté et la portée juridique et politique de la construction européenne elle-même.

Un problème majeur à ce sujet est que les citoyens des différents pays européens ne se trouvent pas dans la même position juridique vis-à-vis du droit communautaire puisque la hiérarchie des normes n'est pas la même dans tous les Etats membres. En France, vous le savez parfaitement, la Constitution prévaut dans l'ordre interne sur les normes externes. Les modalités d'application du droit communautaire varient donc d'un Etat à l'autre. Il est de la compétence des juristes d'analyser et d'évaluer les conséquences de ce fait.

Permettez-moi de vous soumettre deux réflexions plus générales, plus « politiques » que m'inspire cette hétérogénéité des régimes juridiques.

D'abord, le droit communautaire et nos droits nationaux ne relèvent pas, me semble-t-il, de deux ordres intrinsèquement différents. Ils reposent sur des valeurs identiques, et, d'une certaine façon, sur les mêmes références. Le traité sur l'Union européenne prévoit que l'Union doit respecter les droits fondamentaux tels qu'ils sont garantis par la convention européenne des droits de l'homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes des Etats membres en tant que principes généraux du droit communautaire. Si les droits nationaux incorporent le droit européen, celui-ci intègre, à la source, pourrait-on dire, les principes essentiels des droits nationaux, même si je sais bien que cette parenté profonde ne résout pas en pratique tous les problèmes susceptibles de se poser.

D'autre part, on déplore souvent, et à juste titre, que la construction européenne paraisse aux citoyens lointaine, difficile à appréhender. Tout ce qui en accroît la complexité ne peut que les en éloigner un peu plus. La simplification ou la rationalisation est donc bienvenue. Pour autant, peut-on, doit-on, rechercher une amélioration dans une standardisation des systèmes juridiques nationaux ? Je ne le pense pas. Ces systèmes sont un élément du patrimoine intellectuel et politique de chaque Etat, ils expriment une partie du génie propre de chacun de nos peuples. Une uniformisation ne serait guère conforme à l'esprit de la construction européenne telle que nous la connaissons. Il me semble que, dans le domaine juridique, des progrès sont plutôt à rechercher dans les conditions d'élaboration du droit communautaire lui-même. Vaste sujet, sur lequel je ferai seulement deux commentaires, pour terminer.

Le premier impératif me paraît de veiller à ce que ce droit se développe autant que nécessaire, mais pas forcément au-delà. Une plus grande attention à la hiérarchie des normes et à la répartition des domaines de compétence est indispensable ; il s'agit là d'un point particulièrement sensible pour un grand nombre de nos concitoyens. Nous savons que l'accent mis depuis le traité de Maastricht sur le principe de subsidiarité s'est traduit par une diminution de l'activité législative de la Commission. Il s'agit là d'une tendance à mon avis favorable qu'il faut confirmer.

Il faut ensuite que le législateur européen puisse remplir sa fonction dans de meilleures conditions d'efficacité et de clarté. Nous retrouvons là tout le problème des institutions européennes qui ne sont plus adaptées. Leur réforme vient à mes yeux, comme dans l'optique du gouvernement français, au premier rang des échéances européennes. On n'en parle guère dans l'opinion pour le moment ; et cependant, c'est capital. Il en va de la crédibilité politique de l'Union et, donc, de son avenir.

Partant donc du droit, et d'une question en apparence technique, nous abordons rapidement des questions fondamentales sur l'avenir de l'Europe. C'est une nouvelle preuve du rôle central du droit comme armature des constructions humaines. « Ubi societas, ibi jus », plus encore en Europe qu'ailleurs.

Merci de contribuer, par vos travaux, à l'avancement ordonné de la société européenne.

Discours au Ministère des Affaires étrangères

25 SEPTEMBRE 1997

Monsieur le Ministre,

La réunion à Paris des cours constitutionnelles -ou ayant compétence constitutionnelle- des pays membres de l'Union, auxquelles a bien voulu se joindre la Cour de justice des communautés européennes, me paraît un événement d'importance.

Tout d'abord parce qu'au delà des différences qui existent entre nos pays : différences dans les traditions juridiques, différences dans les modalités du contrôle de constitutionnalité, différences encore -pourquoi ne pas le dire ?- dans le degré d'ouverture, d'accueil, du droit national au droit communautaire, cette rencontre manifeste le souci de nos Cours de réfléchir ensemble au rôle qui peut être le leur dans la construction communautaire.

Une telle réflexion s'impose : chacune des constitutions nationales cristallise, à un moment de l'histoire du pays, l'ordonnancement institutionnel et les valeurs essentiels de la communauté nationale. Le juge constitutionnel en est le gardien naturel.

Pour leur part, les traités européens instaurent un ordre juridique spécifique, obéissant à ses règles propres et opérant des transferts de compétences de plus en plus importants au profit des institutions communautaires.

La question se pose donc du conflit éventuel entre droit constitutionnel national et droit communautaire, et du rôle dévolu au juge constitutionnel dans un tel conflit.

Nous n'avons toutefois pas retenu, pour nos travaux, un thème aussi large. C'est que la question de la compatibilité entre constitution nationale et droit communautaire originaire est déjà assez bien explorée : elle a fait généralement l'objet, avant la modification des traités, d'un examen préventif exhaustif. C'est le plus souvent « ex ante » que chacun des Etats procède aux adaptations constitutionnelles nécessaires à la poursuite de l'intégration européenne.

Le consentement éclairé au transfert de souveraineté apparaît comme la condition même de la mise en oeuvre du traité. Certains Etats y répugnent, dans telle ou telle matière, pour des raisons politiques ou psychologiques que l'on peut comprendre. C'est ainsi par exemple que le Royaume-Uni et l'Irlande ont souhaité demeurer à l'écart, à l'issue de la conférence d'Amsterdam, du nouveau titre sur la libre circulation des personnes.

Plus mal connu est en revanche le thème retenu pour nos travaux : « droit constitutionnel et droit communautaire dérivé ».

Dans quelle mesure les institutions chargées du contrôle de constitutionnalité ont-elles à connaître d'actes de droit communautaire dérivé ? Si contrôle il y a, quelles en sont les limites et les implications ? Telles sont, Monsieur le Ministre, nos interrogations.

Ce débat ne prend nullement un tour alarmiste : la simple lecture des rapports nationaux sur ce thème montre qu'à ce jour seul un petit nombre de Cours a eu à connaître d'une telle question et qu'aucune n'a rendu une décision constatant la contrariété entre norme constitutionnelle et norme de droit communautaire dérivé.

Est-ce à dire pour autant que la question est purement théorique et notre réunion inutile ?

Je ne le crois pas, ne serait-ce que parce que l'élargissement croissant des compétences dévolues aux institutions communautaires, dans des domaines sensibles pour les libertés publiques -je pense en particulier, vous l'avez compris, à la communautarisation progressive de ce qu'il est convenu d'appeler « le troisième pilier »- pourrait augmenter les occasions de friction entre normes constitutionnelles et normes communautaires et provoquer un grippage que personne ne souhaite, soyez en sûr, de la mise en oeuvre des traités.

Mieux vaut, dans ces conditions, faire oeuvre préventive d'analyse et de réflexion.

C'est pour cela que nous sommes réunis.

Merci, Monsieur le Ministre, pour votre accueil dans cette maison où il me plaît toujours à revenir. Merci également pour l'intérêt que vous voudrez bien accorder aux conclusions de nos travaux.

Intervention de M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes, au déjeuner en l'honneur des participants à la conférence des cours constitutionnelles des États de l'Union européenne

(25 septembre 1997)

Monsieur le Président du Conseil constitutionnel,

Monsieur le Président de la Cour de Justice des Communautés européennes,

Madame et Messieurs les Présidents,

Messieurs les Juges,

Messieurs les Professeurs,

Mesdames, Messieurs,

Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd'hui au Palais des Affaires Etrangères, à l'occasion de la tenue à Paris de la Conférence des Cours constitutionnelles européennes.

Sans doute savez-vous que ce Palais est aussi l'un des lieux de mémoire de l'Europe : c'est dans le Salon de l'Horloge, que vous venez de traverser, que Robert Schumann lança, le 9 mai 1950, son appel à la France, à l'Allemagne et aux autres pays européens qui voudraient s'unir à eux pour mettre en commun leurs ressources en charbon et en acier, afin d'abolir entre eux, à tout jamais, la guerre.

Je suis aussi très heureux et honoré d'accueillir dans cette maison, qui est toujours la sienne, le Président Roland DUMAS. Il y fut –comment pourrais-je ne pas le rappeler- un très brillant Ministre des Affaires européennes, puis le grand Ministre des Affaires étrangères qui, notamment, négocia et signa deux des textes qui fondent le droit communautaire : l'Acte unique et le Traité de Maastricht.

Enfin, je voudrais saluer tout particulièrement le Président et le Juge français de la Cour de Justice des Communautés européennes qui ont la charge d'interpréter et de faire respecter tous les textes fondamentaux de la construction européenne. A ce titre la Cour joue un rôle majeur dans la construction d'une communauté de droit et d'un espace où s'applique pleinement le droit commun à tous.

La tâche n'est pas aisée, j'en conviens. On reproche aux traités leurs lourdeurs et leur complexité, sans doute avec raison. On se plaît à souligner, par contraste, la simplicité et la clarté du Traité de Rome. Mais que de chemin parcouru depuis 1957 ! Le Traité de Maastricht hier, celui d'Amsterdam aujourd'hui sont, vous le savez, le fruit de longues négociations, entre des partenaires toujours plus nombreux. Ainsi la lettre traduit-elle parfois de manière imparfaite l'esprit de certains compromis acquis de haute lutte et qui sont toujours des points d'équilibre fragiles.

Votre rôle est donc essentiel pour permettre une interprétation harmonisée de ces textes qui régissent des aspects de plus en plus nombreux de la vie des citoyens de l'Union.

Si nous sommes réunis ici aujourd'hui, c'est parce que depuis quelques années, les membres des juridictions constitutionnelles et des Cours suprêmes des Etats Membres de l'Union Européenne qui ont compétence en matière de contrôle de constitutionnalité, ont éprouvé le besoin de faire régulièrement le point, ensemble, sur les liens entre l'ordre juridique communautaire et les ordres juridiques nationaux. J'ai le sentiment et je parle sous votre contrôle à tous, que la symbiose a été féconde et positive.

Juges constitutionnels, vous êtes les gardiens des droits fondamentaux dans chacun de vos pays. C'est un domaine où la Cour de Justice des Communautés européennes a développé, depuis quelques années, une importante jurisprudence, avant même que les négociateurs des traités ne l'y invitent. Cette jurisprudence a été bâtie à partir des traditions juridiques et constitutionnelles des Etats Membres. Ceux-ci, notamment dans le traité de Maastricht, ont décidé de soumettre le législateur communautaire au respect des droits fondamentaux, de façon explicite : le Président DUMAS le sait bien, qui en a été le promoteur tenace.

Le respect des droits fondamentaux a également été au c ? ur des préoccupations des négociateurs du Traité d'Amsterdam, qui sera signé dans quelques jours. A cet égard, la procédure qui permet au Conseil de sanctionner un Etat qui ne respecterait pas les droits fondamentaux, constitue une avancée importante, en particulier dans la perspective de l'élargissement.

C'est sans doute ce même souci d'harmonie qui vous a conduits à choisir comme thème de réflexion, la question des rapports entre le droit constitutionnel et le droit communautaire dérivé, règlements ou directives.

Ce thème me paraît particulièrement bien choisi à quelques jours de la signature du Traité d'Amsterdam qui enregistre quelques progrès dans la construction européenne, notamment dans le domaine de la coopération en matière de justice et d'affaires intérieures.

Certains, en France, se sont émus des difficultés qui pourraient naître de la possible non-conformité à notre Constitution d'actes de droit communautaire dérivé, et ont proposé que soit institué un véritable contrôle de constitutionnalité des actes communautaires. Je sais que la question s'est posée aussi chez certains de nos partenaires. En effet, on peut imaginer une éventuelle contrariété entre, d'une part, le principe de supériorité de la Constitution qui, dans les ordres juridiques de plusieurs Etats membres, est placée au sommet de la hiérarchie des normes juridiques et, d'autre part, le principe de primauté du droit communautaire.

Sur ces questions, le Gouvernement français suivra bien entendu avec le plus grand intérêt vos débats et vos conclusions. J'ai été heureux de comprendre, selon la synthèse qui m'a été donnée de vos rapports nationaux, que le problème de la non-conformité d'un règlement ou d'une directive avec la règle constitutionnelle paraissait, pour l'instant plus théorique que réel.

Au demeurant, les procédures dont nous disposons, en France, pour veiller à la constitutionnalité des actes communautaires, me paraissent satisfaisantes. Je pense bien sûr à la procédure de l'article 88-4 de la Constitution française, qui permet au Parlement français de voter des résolutions sur les projets d'actes communautaires. Ainsi, il peut signaler au Gouvernement les éventuelles difficultés de non-conformité à la Constitution. Cette avancée est, elle aussi, l'? uvre de Roland DUMAS, qui a conduit, avec le brio qui est le sien, la révision constitutionnelle de 1992, préalablement à la ratification du Traité de Maastricht. Je sais que des procédures comparables, qui associent le parlement national à la négociation communautaire existent dans d'autres Etats membres.

Il est important pour les responsables politiques que les Juges indépendants que vous êtes, examinent ces questions dans la sérénité et nous éclairent, voire nous mettent en garde. Nous vous remercions par avance et vous souhaitons un plein succès dans vos travaux. Merci encore, Monsieur le Président, d'être aujourd'hui, avec vos collègues, l'hôte de ce Palais des Affaires étrangères./.

Discours chancellerie

26 septembre 1997

Madame le Garde des Sceaux,

Vous avez regretté, Madame la ministre, dans les colonnes d'une revue spécialisée, que la Conférence intergouvernementale n'ait pas tenu ses promesses, s'agissant du renforcement du caractère démocratique de l'Union européenne et affirmé que vous attendiez beaucoup de la coopération du monde judiciaire et juridique pour compenser cette faiblesse du traité.

La rencontre de nos cours constitutionnelles me semble aller dans le sens de l'attente que vous avez ainsi exprimée.

Le dialogue que j'ai entendu instaurer entre les cours constitutionnelles -ou ayant compétence constitutionnelle- des pays membres de l'Union européenne illustre en effet cette prise de conscience partagée de la nécessité d'une coopération au sein de l'Union.

Les traités communautaires ont, dans de nombreux secteurs, imposé une « communautarisation » de la coopération ; l'accord d'Amsterdam a en outre initié une coopération judiciaire active en matière civile, les acquis des accords de Schengen étant par ailleurs pris en compte.

Il convient de noter -et je rejoins ici votre conviction personnelle- que ces progrès de l'intégration européenne, au-delà du domaine initial des échanges économiques, imposent une vigilance accrue à l'égard de la protection des droits fondamentaux.

Pour que l'Union européenne devienne cet espace de liberté, de sécurité pour les personnes et de justice souhaité par les « quinze », il convient que chacun des partenaires intéressés soit disposé à s'engager dans cette coopération, ceci alors que l'empreinte européenne se retrouve dans tous les domaines juridiques. Le juge national devient ainsi chaque jour davantage un juge européen. Les instruments juridiques de l'entraide judiciaire internationale évoluent, quant à eux, dans la perspective d'une harmonisation des politiques judiciaires.

Dans de telles conditions, le juge constitutionnel peut-il se tenir à l'écart de l'intense activité juridique déployée ? Je ne le pense pas. Il est, selon moi, de son devoir, alors que l'Europe judiciaire est en train de se construire, de s'interroger sur l'indispensable efficacité que doivent revêtir les garanties des droits de l'homme devant accompagner cette évolution. Son indépendance et sa sérénité n'ont rien à craindre de sa participation à ce débat essentiel. Les juridictions constitutionnelles ne sauraient rester étrangères au mouvement qui s'est engagé dans le monde juridique et judiciaire.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous avons choisi de nous rencontrer autour du thème « droit constitutionnel et droit communautaire dérivé ». La présence de représentants des différentes cours de l'Union et celle de membres de la Cour de Justice des Communautés Européennes nous a permis d'aborder des questions aussi essentielles que celle du rôle respectif du juge communautaire et du juge constitutionnel et de nous interroger sur l'articulation entre normes constitutionnelles et normes de droit communautaire dérivé.

Nous avons, au cours de ces deux journées, exploré les voies juridiques de cette conciliation. Ainsi le sentiment commun que nous avions initialement de la complémentarité des ordres juridiques nationaux et communautaires, en matière de protection des droits fondamentaux s'est trouvé conforté par nos travaux.

La défense des droits fondamentaux reconnus par l'ensemble de nos pays est au demeurant pratiquée même en l'absence d' exception d'inconstitutionnalité et de contrôle constitutionnel de la conformité de la loi au traité, par les juridictions ordinaires elles-mêmes, lorsque celles-ci écartent des dispositions législatives incompatibles avec la Convention européenne des droits de l'homme.

Mais toute difficulté n'est pas pour autant éliminée : la convergence de nos systèmes juridiques en matière de protection des droits fondamentaux n'exclut pas en effet la possibilité d'un conflit de la norme communautaire avec une règle constitutionnelle. Le dialogue s'avère donc nécessaire entre les juridictions constitutionnelles et la Cour de Justice des Communautés Européennes ; les échanges auxquels nous avons procédé, lors de ce colloque, contribueront, je l'espère, à prévenir une confrontation qui, même peu probable, déstabiliserait, si elle se réalisait, le processus d'intégration. Tel est, résumé en quelques mots, l'esprit de nos travaux.

Il me reste maintenant, Madame la Ministre, à vous adresser mes très vifs remerciements pour l'accueil que vous nous avez réservé à l'issue de notre conférence.

Allocution de Madame Guigou, garde des sceaux, ministre de la Justice

(CHANCELLERIE, 26 SEPTEMBRE 1997)

Monsieur le Président de la Cour de Justice des Communautés Européennes,

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres du Conseil Constitutionnel,

Mesdames et Messieurs les Présidents et membres des Cours constitutionnelles,

Je me réjouis de pouvoir vous accueillir aujourd'hui, au lendemain de votre réception par le Premier Ministre et au terme des travaux très importants qui se sont déroulés au Conseil constitutionnel.

Monsieur Roland DUMAS, je suis particulièrement heureuse de vous recevoir en votre qualité de Président du Conseil constitutionnel, ainsi que tous ses membres. C'est une nouvelle et forte illustration de l'excellence des relations entre le gardien de la Constitution et le ministère du droit.

Je voudrais saluer tout particulièrement l'initiative que vous avez prise M. le Président (Dumas) de réunir à Paris pour la première fois les représentants des Cours constitutionnelles de l'Union.

Je suis également très sensible à l'honneur qui m'est fait de recevoir aujourd'hui les représentants de chaque Cour constitutionnelle de l'Union et de la Cour de justice des Communautés.

Vous savez que je suis très attachée à ce que de telles rencontres entre les juristes de tous les Etats membres de l'Union aient lieu.

Celles entre les juges ont une richesse et une densité particulières. Qui plus est peut-être quand il s'agit des Cours ayant compétence constitutionnelle.

Le thème que vous avez décidé de traiter hier et aujourd'hui est un exemple bien choisi de la subtilité des questions qui se posent ou pourraient se poser : Contrôle de constitutionnalité et droit comunautaire dérivé.

Les deux types de normes, constitutionnelle et communautaire, ont vocation à prévaloir, les unes en droit interne, les autres dans l'ordre juridique communautaire. Il est vrai que ces normes ont également vocation à s'appliquer aux mêmes sujets de droit. Il y a donc théoriquement un risque de contrariété.

Mais je dois dire que ce risque me paraît limité d'une part en raison de la communauté de valeurs inspirant le droit communautaire et les systèmes juridiques des Etats membres ; d'autre part, parce que le Traité sur l'Union prévoit que celle-ci doit respecter les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et par les traditions constitutionnelles communes.

Cela dit, le risque de contrariété pour être exceptionnel n'en est pas moins réel. Je n'en veux pour preuve que l'avis rendu par le Conseil d'Etat en 1993 sur le projet de directive relatif à la protection des personnes physiques à l'égard des données à caractère personnel. Sur certains points, le Conseil d'Etat a indiqué que cette directive comportait des garanties moindres pour la liberté individuelle que celle qui résulte de la loi de 1978. C'est d'ailleurs ce difficile problème qui a conduit le Premier Ministre à donner une mission au Président BRAIBANT en vue de la transposition de cette directive.

Les rapports nationaux et le rapport de la Cour de Justice des Communautés européennes, les débats sur les spécificités nationales, enfin les conclusions de M. le Président DUMAS constitueront pour l'avenir un apport très riche à nos réflexions, en même temps qu'elles traduisent une préoccupation et une capacité de réflexion européenne auxquelles je souscris pleinement.

Il est nécessaire que nous nous enrichissions réciproquement de nos approches différentes d'une même question. Et la question de ces deux journées était d'un intérêt tout particulier au regard de préoccupations concrètes autant que conceptuelles : construction de l'Union européenne et du droit communautaire et protection des droits fondamentaux n'ont jamais cessé d'être des priorités affirmées de chacun des Etats membres.

S'il existe parfois des controverses, elles résultent non d'un quelconque désaccord sur les buts à atteindre mais de traditions diverses quant aux moyens à mettre en oeuvre à cette fin.

C'est également dans cet esprit que doivent être accueillies les diverses réflexions engagées par les politiques.

Le Traité d'Amsterdam vient de le rappeler, le niveau élevé de protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans les Etats membres passe par l'élaboration d'une action commune dans le domaine de la coopération judiciaire. Vos rencontres en sont une illustration concrète.

De mon côté, je favoriserai ces rencontres entre juristes autant que je le peux. Je rechercherai toujours une participation ouverte aux questions de fond telles que celles dont vous avez débattu. Il est essentiel de faciliter le travail en commun et la réflexion sur l'avenir du droit en Europe. Certes, il est difficile de faire dialoguer les tenants de cultures juridiques différentes de Common law et de droit romain, même quand ils sont conduits à exercer une même mission. Mais ce dialogue n'est pas impossible puisque vous en êtes les artisans et la preuve vivante.

Je vous remercie