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Chronique de droit privé

Thomas PIAZZON

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 55-56 - juin 2017

Octobre - décembre 2016

Pour la fin de l’année 2016, la hotte privatiste du père noël constitutionnel est lourdement lestée des deux mastodontes législatifs que représentent, d’une part, la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle (décision n° 2016‑739 DC du 17 novembre 2016) et, d’autre part, la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin 2 » (décision n° 2016‑741 DC du 8 décembre 2016). De manière symptomatique, on relèvera d’emblée que ces deux décisions du Conseil censurent plusieurs dispositions législatives pour des manquements aux règles de procédure d’adoption des lois. Mieux encore, la « décision Sapin 2 » stigmatise une contradiction législative portant atteinte à l’objectif d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi(1) – ce qui n’est pas si fréquent – et s’aventure même à censurer une disposition en raison de son absence de portée normative(2) – ce qui n’était pas arrivé depuis la décision des sages ayant posé cette exigence en 2005(3)… Sans doute faut-il voir dans ces tristes mésaventures constitutionnelles, qui témoignent encore une fois de la médiocrité des lois contemporaines, une preuve de la précipitation désordonnée inhérente aux législatures qui doucement se meurent. À ces deux décisions de contrôle a priori s’ajoutent plusieurs QPC rendues dans le domaine du droit des personnes et de la famille et du droit du travail. Si aucune de ces décisions n’innove, toutes sont l’occasion de rappeler des principes constitutionnels importants.

S’agissant du droit de la famille, les successions prennent le relais du droit des régimes matrimoniaux qui avait donné lieu à une décision du Conseil en septembre dernier, au sujet de l’article 1397 du code civil(4). La décision n° 2016‑574/575/576/577/578 QPC du 5 octobre 2016, Société BNP Paribas SA(5), constitue une sorte d’événement en soi, tant le droit des successions est une matière traditionnellement peu contentieuse. Ses spécialistes se souviendront toutefois que les sages avaient eu l’occasion de censurer le droit de prélèvement de l’héritier français dans une décision d’août 2011(6). Dans cette nouvelle affaire, le Conseil a au contraire déclaré conformes à la Constitution les dispositions de l’article 792, al. 2, du code civil qui s’appliquent à l’acceptation d’une succession à concurrence de l’actif net(7). Selon ce texte, « faute de déclaration dans un délai de quinze mois à compter de la publicité prévue à l’article 788, les créances non assorties de sûretés sur les biens de la succession sont éteintes à l’égard de celle-ci. Cette disposition bénéficie également aux cautions et coobligés, ainsi qu’aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte ». Ces règles, qui sont issues de la loi du 23 juin 2006 ayant substitué ce mécanisme original à l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire, étaient contestées par la société requérante sur le fondement des articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, qui protègent le droit de propriété, dans la mesure où « elles prévoient l’extinction définitive de la créance faute de déclaration dans un délai de quinze mois » (§ 4). Conformément à sa jurisprudence la mieux établie au sujet du droit de propriété (§ 5), qu’il accepte sans ambages d’appliquer aux créances depuis 2010(8), le Conseil a d’abord examiné l’hypothèse de la privation du droit de propriété (art. 17 DDHC). Il décide sur ce point, sans grande surprise, que « dans la mesure où la créance n’est éteinte que si le créancier a omis de la déclarer dans le délai prévu par le législateur pour qu’il accomplisse des diligences, les dispositions contestées n’entraînent pas de privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789 » (§ 6). Le service juridique du Conseil constitutionnel vient rappeler que celui-ci « a jugé à plusieurs reprises que, dans la mesure où le propriétaire disposait de la possibilité d’éviter la privation de propriété, l’article 17 ne pouvait être invoqué. Il en a jugé ainsi dans la décision n° 2015‑486 QPC du 7 octobre 2015 pour des dispositions entraînant la cession forcée de parts sociales mais ne s’appliquant que si le dirigeant qui détient ces parts n’a pas renoncé à l’exercice de ses fonctions de direction »(9). En somme, il suffit que l’intéressé déclare sa créance pour échapper à l’extinction, donc il n’y a pas de privation de propriété. Le Conseil a ensuite examiné la conformité de l’article 792 du code civil aux conditions d’exercice du droit de propriété (art. 2 DDHC), ce qui le conduit à vérifier que l’extinction définitive de la créance faute de déclaration – qui constitue bien une « atteinte au droit de propriété » (§ 7) – est justifiée par l’intérêt général et qu’elle est proportionnée à l’objectif poursuivi. Sur l’intérêt général, les sages estiment qu’« en adoptant ces dispositions, le législateur a cherché, en assurant l’efficacité de l’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net, à faciliter la transmission des patrimoines » (§ 7). L’argument peut paraître un peu vague. En vérité, la loi du 23 juin 2006 a surtout cherché à rendre attractive cette branche de l’option successorale par rapport à l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire, laquelle était nettement délaissée par les héritiers. Tenu aujourd’hui comme hier dans la limite des forces de la succession recueillie (intra vires hereditatis), l’héritier qui accepte à concurrence de l’actif net est surtout assuré d’un apurement plus rapide des dettes successorales, dans la mesure où les créances non déclarées dans le délai de quinze mois sont éteintes. C’est dire que la réforme protège l’intérêt privé des héritiers bénéficiaires – comme l’on disait avant la loi de 2006 – bien plus, en vérité, qu’un quelconque intérêt général. Aussi une partie de la doctrine avait-elle critiquéla solution nouvelle au lendemain de son adoption(10), relevant au surplus, et « en passant, [que] cette mesure n’[était] pas favorable au crédit des personnes âgées »(11) ! « Faciliter la transmission des patrimoines », comme le dit le Conseil, cela revient ici à sacrifier les intérêts des créanciers ayant manqué de vigilance ou de diligence, au seul profit des héritiers – un petit pas vers le droit à l’héritage ? Reprenant la voie du maître gouvernemental, le service juridique du Conseil tente de mieux préciser la position des sages : « Comme l’indiquait le Premier Ministre dans ses observations, en instituant un délai de déclaration, le législateur a cherché à figer la consistance du patrimoine successoral pour permettre aux héritiers de se positionner sur le devenir du patrimoine et aux créanciers d’être réglés dans un ordre déterminé, le tout dans un délai raisonnable. Selon le Premier ministre, si l’extinction des créances n’était pas prévue à l’issue d’un certain délai “l’insécurité générée par la crainte de voir de nouveaux créanciers se manifester aurait détourné les créanciers [sic] du dispositif, comme ils s’étaient détournés de la précédente procédure d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net [sans doute faut-il comprendre acceptation sous bénéfice d’inventaire…]” » (p. 9). Si certains de ces arguments paraissent contestables(12), la référence au « devenir du patrimoine » est plus pertinente et c’est là que réside sans doute le véritable intérêt général poursuivi par l’article 792 du code civil : il faut éviter que les biens successoraux ne perdent de leur valeur parce que les héritiers attendraient passivement que des créanciers successoraux réclament leur paiement. En ce sens, le code civil facilite la transmission du patrimoine, car il incite les héritiers à accepter la succession à concurrence de l’actif net plutôt qu’à y renoncer par crainte d’un passif excessif. En dépit de sa bonne volonté, il reste au Conseil à faire des progrès en matière de motivation de ses décisions ! Ainsi justifiée, l’atteinte au droit de propriété des créanciers est-elle au moins proportionnée à l’objectif poursuivi ? Tel est bien le cas pour le Conseil, qui croit pouvoir découvrir trois garanties dans le mécanisme institué. D’abord, les créanciers « disposent d’un délai de quinze mois pour déclarer leurs créances (…) à compter de la date de la publicité nationale de la déclaration d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net ». Si le délai paraît en effet suffisamment long(13), encore faut-il que l’information ait une chance d’atteindre effectivement les créanciers. Or, effectuée au greffe du tribunal de grande instance du lieu d’ouverture de la succession, l’acceptation à concurrence de l’actif net fait seulement l’objet d’une publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC) et d’un avis dans un journal d’annonces légales diffusé dans le ressort du TGI(14). Si l’on peut admettre, à la rigueur, l’efficacité de ce dispositif pour les créanciers professionnels (sauf pour la banque BNP Paribas, visiblement…), qu’en est-il pour les autres ? Selon le commentaire du service juridique, très optimiste, « il est possible de considérer que la proximité existant entre un créancier non professionnel et son débiteur assure plus facilement l’information du premier en cas de décès du second » (p. 9). Ensuite, deuxième garantie, « les créances assorties d’une sûreté réelle échappent à l’extinction », ce qui était la moindre des choses ; mais encore faut-il remarquer que ces créanciers ont tout intérêt à déclarer leur créance, « au cas où la mise en oeuvre de leur sûreté ne leur permettrait pas de recouvrer la totalité de leur créance. Ils deviennent alors, en effet, pour le surplus, créancier chirographaire et ne pourront être payés que s’ils ont déclaré leur créance »(15). Enfin, le Conseil relève qu’« en vertu du dernier alinéa de l’article 800 du code civil, l’héritier qui a omis, sciemment et de mauvaise foi, de signaler l’existence d’une créance au passif de la succession est déchu de l’acceptation à concurrence de l’actif net » (§ 7). En dépit de sa force apparente, l’argument ne convainc pas tout à fait, car, comme un auteur l’a justement remarqué, cette garantie pourrait bien être illusoire(16). Encore que le Conseil ne le dise pas, une autre garantie permettait de conclure à la proportionnalité de l’atteinte portée au droit de propriété : les créanciers successoraux, grâce à l’isolement automatique des patrimoines que permet le système de déclaration, ne subissent pas le concours des créanciers personnels des héritiers pendant le délai de quinze mois (art. 791, 1 °, et 798, al. 2, C. civ.). Il est vrai cependant que la Cour de cassation avait posé la même solution dès 1819 dans le silence du code civil(17). Dans le sens d’une disproportion, en revanche, on notera que le Conseil aurait également pu relever que l’extinction de la créance non déclarée profite aussi, selon l’article 792, al. 2, non seulement « aux cautions » (ce que le caractère accessoire de cet engagement explique bien), mais encore aux « coobligés » et surtout « aux personnes ayant consenti une garantie autonome portant sur la créance ainsi éteinte », ce qui est plus discutable(18). De même, l’extinction joue à l’égard de la succession, c’est-à-dire au profit de tous les héritiers, y compris ceux qui ont accepté purement et simplement… Au bout du compte, la volonté du législateur d’assurer la pleine efficacité de l’acceptation à concurrence de l’actif net est résolument préservée par le Conseil constitutionnel, au détriment du « droit de propriété » des créanciers, lesquels sont bizarrement mieux traités par le droit des procédures collectives que par le droit des successions(19).

Cette exploration automnale de la jurisprudence familiale du Conseil constitutionnel sera poursuivie, du côté extrapatrimonial, par l’étude de quelques aspects de la décision n° 2016‑739 DC du 17 novembre 2016, Loi de modernisation de la justice du xxie siècle. Parmi toutes les innovations de cette loi, deux d’entre elles, soumises à la sagacité du Conseil constitutionnel, appellent quelques mots de commentaire. Il s’agit d’une part du divorce « sans juge » et, d’autre part, de la possibilité de changer de sexe à l’état civil, deux modifications profondes du droit de la famille et des personnes qui révèlent, plus que jamais, l’amateurisme du législateur français et la bienveillance dont fait montre le Conseil à son égard. Commençons par la déjudiciarisation du divorce (art. 50 de la loi) ou, pour reprendre l’expression peu concise de la loi de 2016, le « divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d’un notaire », nouveau cas de divorce entré en vigueur le 1er janvier 2017(20). Selon le nouvel article 229‑1 du code civil, « lorsque les époux s’entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d’un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l’article 1374 ». Deux séries de griefs étaient principalement dirigées par les parlementaires contre la procédure nouvelle : d’abord une méconnaissance du principe d’égalité et, ensuite, une atteinte au droit de mener une vie familiale normale. Le principe d’égalité était convoqué sous plusieurs angles (§ 37), le plus intéressant étant celui qui implique les enfants du couple. En vertu de l’article 229‑2, 1 °, du code civil, pièce essentielle de la procédure nouvelle, les enfants mineurs du couple, dès lors qu’ils sont capables de discernement, doivent être informés par leurs parents de la possibilité que la loi leur reconnaît de demander à être entendus par le juge. On peut y voir la rançon de l’article 388‑1 du code civil qui, traduisant en droit civil les engagements internationaux de la France, consacre le droit des mineurs capables de discernement à être entendus par un juge dans toute procédure qui les concerne. Or, si cette demande a lieu, la loi de 2016 décide que la voie du divorce « sans juge » devient impossible et la procédure sera celle du divorce par consentement mutuel classique, devant le juge aux affaires familiales. Selon les sénateurs, qui se sont vivement opposés à la procédure nouvelle, « en liant indissolublement audition de l’enfant et déclenchement de la procédure judiciaire, les dispositions contestées excluent du bénéfice de la protection particulière qu’apporte cette procédure, les enfants qui, faute d’être capables de discernement, ne peuvent demander à être entendus par un juge ainsi que ceux qui ne le demanderont pas, afin de ne pas s’opposer au souhait de leurs parents de privilégier un règlement non judiciaire du divorce. En outre, selon eux, l’article 50 introduit une autre rupture d’égalité injustifiée entre les enfants dont les parents divorcent par consentement mutuel selon la procédure conventionnelle et ceux dont les parents divorceront selon une autre procédure, puisque seuls ces derniers voient leurs intérêts protégés par un juge » (§ 37). Puisque la question relève du droit de la famille, le Conseil a d’abord tenu à rappeler, comme par exemple dans sa décision relative à la loi consacrant le mariage entre personnes de même sexe(21), que « l’article 61 de la Constitution ne [lui] confère pas (…) un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » (§ 38). Les sages déroulent ensuite une froide argumentation : si la « protection spécifique » des mineurs, par le maintien de la voie judiciaire, dépend bien de leur demande à être entendus par le juge – et par conséquent de leur degré de discernement –, cette différence de traitement n’en repose pas moins « sur une différence de situation entre les mineurs capables de discernement, qui sont en mesure de s’exprimer sur la situation résultant pour eux du choix de leurs parents, et les autres. Cette différence de traitement entre les mineurs, qui bénéficient en tout état de cause de la protection qui découle des exigences de l’autorité parentale, est en rapport direct avec l’objet de la loi. Elle n’entraîne donc pas de rupture d’égalité contraire à la Constitution. » (§ 43). Le Conseil ajoute que « les enfants dont les parents divorcent par consentement mutuel ne sont pas placés dans la même situation que ceux dont les parents divorcent selon une autre procédure. L’intervention judiciaire systématique dans le second cas est justifiée par le fait que les époux n’ont pas trouvé un accord sur le principe ou les effets de leur divorce. La différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la loi et ne méconnaît par conséquent pas le principe d’égalité » (§ 44). Voilà donc scellé de manière implacable le sort des enfants dont les parents divorceront en empruntant la procédure nouvelle : plus ils seront jeunes, moins ils seront protégés, ce qui peut paraître un peu étonnant… À cet égard, le rapprochement avec la procédure de changement de régime matrimonial, dont le Conseil constitutionnel a récemment eu à connaître(22), est saisissant. Tandis que l’article 1397 du code civil impose l’homologation judiciaire de la convention modifiant le régime matrimonial des époux, dès lors que ceux-ci ont des enfants mineurs – solution que le législateur a récemment et expressément entendu maintenir, au nom de la protection des enfants, avec la bénédiction du Conseil constitutionnel –, la nouvelle procédure de divorce n’impose l’intervention du juge que dans le cas où un enfant demande à être entendu, ce qui suppose qu’il soit capable de discernement. Le changement de régime matrimonial des parents serait-il donc, dans l’esprit du législateur français, un acte plus grave pour les enfants que le divorce de leurs parents ? Telle est bien l’incompréhensible équation qui résulte du rapprochement des textes. Au fond, cela témoigne bien des valeurs qui sont aujourd’hui celles du droit français de la famille. Ainsi, au sujet du droit des successions précédemment évoqué, la meilleure doctrine n’avait pas manqué de relever que l’évolution du langage juridique (acceptation sous bénéfice d’inventaire) vers un langage comptable (acceptation à concurrence de l’actif net) avait le « mérite [de] nous rappeler où sont aujourd’hui les vraies valeurs » et constituait un « nouvel exemple d’une société entièrement assujettie à l’argent »(23). Comparé au changement de régime matrimonial, le divorce “sans juge” en porte un nouveau et désolant témoignage. Selon le Conseil, les enfants pourront sécher leurs larmes (pendant que les avocats se frottent peut-être les mains, en attendant que leur responsabilité soit engagée(24)…), parce qu’ils « bénéficient en tout état de cause de la protection qui découle des exigences de l’autorité parentale » (§ 43, préc.), laquelle a « pour finalité l’intérêt de l’enfant » (art. 371‑1 C. civ.) et permet la saisine du juge en cas de difficulté (nouvel art. 373‑2-13 C. civ.). Il n’en reste pas moins que cette protection est seulement potentielle, surtout pour les plus jeunes enfants, là où l’intervention du juge du divorce joue un rôle prophylactique, comme le montrent par exemple les décisions nuancées relatives à la résidence alternée. S’agissant du droit de mener une vie familiale normale, tiré du 10e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, le grief est également écarté par le Conseil constitutionnel – même s’il semble accepter implicitement de se départir d’une conception traditionnellement restrictive de ce droit(25), qui ne revêt en principe qu’un aspect concret en permettant aux intéressés de vivre ensemble. Le Conseil examine en effet ce grief sur le fond, d’abord du point de vue du couple, et relève les « garanties destinées à assurer la protection des époux » (§ 50) : maintien de la procédure judiciaire si l’un des époux est placé sous un régime de protection juridique (art. 229‑2, 2 °, C. civ.), assistance d’un avocat pour chacun des époux(26), délai de réflexion de quinze jours (art. 229‑4 C. civ.) – contre dix jours en matière de crédit immobilier, diront les mauvaises langues… –, force exécutoire subordonnée au dépôt de la convention au rang des minutes d’un notaire chargé d’en apprécier la « validité formelle » – drôle de garantie ! À notre humble avis, tout cela ne remplace pas les vertus de l’intervention d’un juge pour protéger l’époux le plus faible contre son conjoint, et certains n’ont pas manqué de rappeler ici la célèbre formule de Lacordaire : entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. Ou devrait affranchir… Les professionnels du droit savent bien que l’ombre du juge sert de garde-fou contre les conventions iniques, notamment quand il s’agit de fixer le montant de la prestation compensatoire. Bien sûr, dans le sens libéral inverse, qui est celui du législateur et du juge constitutionnel, la procédure nouvelle est conforme à la liberté de mettre fin au mariage, c’està- dire au tout nouveau droit au divorce consacré par le Conseil constitutionnel(27). On peut d’ailleurs être étonné que la décision du 17 novembre 2016 ne rappelle pas l’existence de cette liberté nouvelle, contrairement à son commentaire officiel publié par le service juridique du Conseil. Après avoir analysé le droit de mener une vie familiale normale du point de vue des époux « consommateurs de divorce », le Conseil se tourne du côté des enfants (§ 51). Il décide que l’« intérêt de l’enfant » est préservé pour plusieurs raisons. D’abord, l’enfant capable de discernement (et seulement lui ; cf. supra) doit être informé par ses parents de son droit à être entendu par le juge et il peut demander à être effectivement entendu, imposant ainsi une procédure judiciaire. En guise de garantie, cette construction paraît plutôt inquiétante, soit qu’elle débouche sur une détestable responsabilisation des enfants (oseront-ils s’opposer à la volonté de leurs parents en leur faisant « perdre du temps » pour divorcer ?), soit qu’elle conduise à leur instrumentalisation (les parents poussant leur enfant à demander à être entendu pour pouvoir bénéficier de la procédure judiciaire(28)) voire à leur « manipulation » (« la demande d’audition de l’enfant ne risque-t‑elle pas d’être utilisée par un époux pour faire pression sur l’autre afin de lui faire accepter telle ou telle clause, qui peut n’avoir aucun rapport avec l’autorité parentale ? »(29)). Mettre ainsi l’enfant au coeur de la procédure de divorce, dont il pourra influencer en particulier la longueur, sans le mettre nécessairement au coeur des intérêts protégés, faute d’intervention systématique du juge, voilà la manière dont le législateur contemporain le protège… Le Conseil évoque ensuite le rôle du notaire, chargé de vérifier la régularité formelle de la convention de divorce, ce qui suppose spécialement que mention soit faite de la délivrance de l’information au mineur et de son souhait de ne pas être entendu. Cela paraît cependant très formel – et conduit à s’interroger, au passage, sur la responsabilité éventuelle du notaire, question à propos de laquelle la loi de 2016 est source d’incertitude(30). Enfin, les sages relèvent que « conformément à l’article 373‑2-13 du code civil, dans sa rédaction résultant de l’article 50 de la loi déférée, le juge aux affaires familiales peut être saisi, après le divorce, des dispositions de cette convention relatives à l’exercice de l’autorité parentale », ce qui est plus convaincant, quoique seulement éventuel. Le Conseil estime in fine que, « compte tenu des garanties ainsi apportées à la procédure conventionnelle de divorce par consentement mutuel qu’il a instaurée, le législateur n’a méconnu ni le dixième alinéa du Préambule de 1946, ni l’étendue de sa compétence » (§ 52). En guise d’imprécision, il y aurait pourtant à redire à la lecture de l’article 50 de la loi du 18 décembre 2016, qui crée de redoutables difficultés d’interprétation que devra trancher le juge judiciaire. La convention sera-t‑elle par exemple susceptible d’être annulée pour vice du consentement ? Cette annulation remettra-t‑elle en cause le divorce décidé par les époux ? Quid s’ils se sont remariés ? Seront-ils rétroactivement bigames ? Évoquant ces questions – et d’autres encore –, M. Fulchiron conclut qu’« en toute hypothèse l’imprévision législative risque non seulement de susciter un important contentieux, mais aussi de conduire les avocats à conseiller aux époux d’emprunter d’autres voies »(31). Il s’agirait du moindre mal que pourrait causer cette loi défectueuse.

Après avoir consacré le divorce « sans juge », c’est dans la même précipitation improvisée que la loi du 18 novembre 2016 vient autoriser « la modification de la mention du sexe à l’état civil » (art. 56, II)(32). Contrairement à la jurisprudence de la Cour de cassation, le législateur ne subordonne plus ce changement à la preuve du syndrome de transsexualisme et il n’exige plus que soit rapportée la preuve du caractère irréversible de la transformation de son apparence par l’intéressé(33). Ainsi, selon le nouvel article 61‑5 du code civil, « toute personne majeure ou mineure émancipée qui démontre par une réunion suffisante de faits que la mention relative à son sexe dans les actes de l’état civil ne correspond pas à celui dans lequel elle se présente et dans lequel elle est connue peut en obtenir la modification », la loi se contentant ensuite, de manière très permissive, d’énumérer « les principaux de ces faits, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens » : la personne « se présente publiquement comme appartenant au sexe revendiqué ; (…) elle est connue sous le sexe revendiqué de son entourage familial, amical ou professionnel ; (…) elle a obtenu le changement de son prénom afin qu’il corresponde au sexe revendiqué ». Rompant avec les principes civilistes de l’indisponibilité et de l’immutabilité de l’état des personnes, la loi de 2016 marque le triomphe de la volonté des individus sur la détermination de leur état civil, « dans la logique de la possession d’état »(34). À l’encontre de ces dispositions, les parlementaires invoquaient notamment une méconnaissance de l’article 66, al. 2, de la Constitution : « Dès lors que cette matière relève de la liberté individuelle », les demandes de changement de sexe ne pouvaient être, selon eux, attribuées à la compétence de l’officier d’état civil (§ 61). Cet argument était évidemment incompréhensible, puisque la compétence appartient en vérité, selon l’article 61‑6 du code civil, au tribunal de grande instance… Au lieu de relever cette erreur – qui en dit décidément long sur la qualité du travail de nos députés, jusque dans leurs saisines constitutionnelles – le Conseil a préféré juger le grief inopérant, au motif que « la modification de la mention du sexe à l’état civil n’entre pas dans le champ de l’article 66 de la Constitution » (§ 65). Ainsi prend fin la mascarade. Le second grief, à peine moins désolant que le premier, en appelait à la dignité humaine : « L’abandon de l’exigence d’une attestation médicale démontrant la perte totale ou partielle des caractères de son sexe d’origine pour obtenir un changement de sexe à l’état civil porte atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » (§ 61). La réponse du Conseil apparaît pleinement justifiée, l’argument des députés pouvant à l’évidence être retourné en faveur des solutions posées par la loi : « En permettant à une personne d’obtenir la modification de la mention de son sexe à l’état civil sans lui imposer des traitements médicaux, des interventions chirurgicales ou une stérilisation, les dispositions ne portent aucune atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine » (§ 67). Finalement, la saisine mal ficelée des députés passait à côté d’un défaut de la loi qui pourtant saute aux yeux, à savoir son incomplétude. En autorisant en effet le changement de la mention du sexe à l’état civil sans autre condition que celles évoquées, la loi du 18 novembre 2016 démédicalise cette procédure, le nouvel article 61‑6 du code civil prévoyant expressément que « le fait de ne pas avoir subi des traitements médicaux, une opération chirurgicale ou une stérilisation ne peut motiver le refus de faire droit à la demande ». Devançant une possible condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme, cette solution peut se comprendre. Mais le législateur ne pouvait alors se désintéresser des conséquences qu’implique en droit de la famille cette liberté nouvelle. Comme le relève en effet Mme Marais, « il n’est pas exclu [désormais] que le transsexuel, après avoir obtenu son changement juridique de sexe, procrée dans son sexe d’origine. En contradiction avec son identité sexuelle, un homme pourrait être enceint… »(35). Face à un droit civil qui distingue entre filiation maternelle et filiation paternelle, faudra-t‑il appliquer à l’intéressé les règles relatives à l’accouchement, qui désigne la mère, ou la présomption de paternité, qui en mariage désigne le père ? En d’autres termes,_ « faudra-t‑il appliquer les règles de la filiation maternelle à un homme, en se fondant sur l’accouchement, ou, au contraire, celles de la filiation paternelle, malgré cet accouchement ? »(36)_. Si le mariage homosexuel permet de couper court à une autre difficulté potentielle, le droit de la filiation est le grand oublié de la réforme(37)… Du divorce à la filiation, le droit de la famille « du xxie siècle », pour reprendre l’expression pompeuse du législateur, apparaît plus que jamais comme un champ de ruines au sein duquel doit se débattre le juge judiciaire, à qui l’on souhaite bon courage.

On achèvera ce rapide tour d’horizon de la décision n° 2016‑739 DC relative à la loi de modernisation de la justice du xxie siècle en signalant quelques autres points épars. Le Conseil a ainsi jugé conformes à la Constitution les articles 48 et 56, I, de la loi qui transfèrent certaines compétences qui appartenaient jusqu’alors au juge vers l’officier de l’état civil (§ 27 à 33). Le premier article concerne l’enregistrement des conclusions, modifications et dissolutions de pactes civils de solidarité – dont la conclusion se rapproche de celle du mariage, à mesure que la rupture du mariage se rapproche de celle du Pacs… (cf. supra, à propos du divorce « sans juge ») et le second est relatif aux demandes de changement de prénom (nouvel art. 60 C. civ.)(38). L’argument des parlementaires, qui contestaient ces transferts de compétence sans compensation financière au profit des communes, a été écarté par les sages (pas de violation du principe de libre administration des collectivités territoriales). Pour des raisons procédurales tirées de l’article 45 de la Constitution, le Conseil a au contraire censuré l’article 51, 5 °, de la loi de modernisation de la justice qui modifiait l’article 61 du code civil pour prévoir qu’une demande de changement de nom pouvait être justifiée par la volonté exprimée par un enfant majeur d’adjoindre le nom de l’un ou l’autre de ses parents à son nom de naissance (§ 55 à 58). Dans un tout autre domaine, ont cette fois été écartés les griefs dirigés contre la suppression de l’homologation judiciaire nécessaire au caractère exécutoire de certaines décisions des commissions de surendettement prévues par le code de la consommation. S’il est un champ juridique où la déjudiciarisation – leitmotiv de la loi du 18 novembre 2016 – bat son plein depuis plus de vingt ans, à grands coups de lois successives, c’est bien celui des procédures de surendettement(39). Il aurait donc été étonnant qu’à peine recodifiée depuis huit mois (ordonnance n° 2016‑301 du 14 mars 2016), cette matière échappât à la vaste tentative de sauvetage de nos finances publiques par mise à l’écart du juge. Bien sûr, il s’est trouvé au moins soixante sénateurs pour s’émouvoir à l’idée qu’une commission administrative puisse, en dehors de toute décision judiciaire, réduire le montant de la fraction d’un prêt restant due, ou imposer un effacement partiel des créances, ou encore effacer toutes les dettes non-professionnelles d’une personne par la grâce de la procédure de rétablissement personnel sans liquidation judiciaire (§ 69 et s.). Mais que l’on se rassure, le « droit de propriété des créanciers » est sauf, puisque le législateur a poursuivi « un motif d’intérêt général de règlement des situations de surendettement » (§ 75) et que tout cela est parfaitement proportionné à l’objectif poursuivi, en raison des « garanties » instituées par le législateur. Parmi celles-ci (gravité de la situation financière du débiteur, pas de rééchelonnement ou d’effacement des dettes alimentaires, etc.), l’une d’entre elles retient l’attention, dans le contexte particulier de la loi du 18 novembre 2016 : « Ces mesures ne s’imposent qu’en l’absence de contestation par l’une des parties devant le juge du tribunal d’instance » (§ 78). Pour fixer ce délai de contestation, le code de la consommation s’en remet au pouvoir réglementaire. En l’état du droit positif, ce délai est de quinze jours (art. R. 733‑6 C. consom.). Voilà à quoi tient le pari de la déjudiciarisation, qui conduit à autoriser une simple commission administrative à porter de si graves atteintes à la force obligatoire des contrats. Que les consommateurs soucieux de divorcer « sans juge » soient en tout cas rassurés : il leur faudra bien deux avocats, ce qui coûte cher ; mais ils pourront toujours se rendre ensuite à la Banque de France pour faire effacer leurs dettes ! Avant de refermer cette indigeste boîte de chocolat « du XXIe siècle », dont cette chronique ne saurait croquer tous les morceaux, on signalera enfin que le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le socle procédural commun applicable à l’ensemble des actions de groupe exercées devant le juge judiciaire (§ 80 et s.), décidant en particulier que ces dispositions ne sont ni dépourvues de portée normative ni entachées d’incompétence négative (§ 84).

Les développements tous azimuts de la QPC, alliés à l’activisme du législateur, faisant obstacle à toute recherche de construction élégante, le temps est venu d’évoquer sans transition la censure la plus intéressante de cette livraison trimestrielle. Cette décision n° 2016‑591 QPC du 21 octobre 2016, Mme Helen S.(40), concerne le registre public des trusts mis en place par la loi n° 2013‑1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière (art. 1649 AB, al. 2, du code général des impôts). Le droit français définit le trust comme « l’ensemble des relations juridiques créées dans le droit d’un État autre que la France par une personne qui a la qualité de constituant, par acte entre vifs ou à cause de mort, en vue d’y placer des biens ou droits, sous le contrôle d’un administrateur, dans l’intérêt d’un ou de plusieurs bénéficiaires ou pour la réalisation d’un objectif déterminé ». Cette définition est posée par l’article 792‑0 bis, I, du CGI, lequel soumet par ailleurs les transmissions à titre gratuit réalisées par la voie de trusts aux droits de mutation à titre gratuit dans un certain nombre d’hypothèses où le trust présente un lien avec la France (constituant ayant son domicile fiscal en France, bénéficiaire domicilié en France, biens ou droits composant le trust situés en France). Utilisé à des fins très variées, notamment successorales, le trust est fréquent dans les pays anglo-saxons, tandis que le droit interne français, qui ne connaît pas cette institution, y voit volontiers un instrument d’évasion fiscale – sport moderne contre lequel il est de bon ton politique de montrer que l’on entend lutter. C’est à cette fin que le CGI astreint depuis 2011 l’administrateur d’un trust à diverses obligations déclaratives. Ainsi l’administrateur a-t‑il notamment l’obligation de déclarer la constitution, la modification ou l’extinction du trust, ainsi que le contenu de ses termes (art. 1649 AB, al. 1er, CGI). Allongeant la liste des informations à déclarer, la loi du 6 décembre 2013 a également entendu créer, dans un but de transparence qui dissimule mal une véritable aversion pour cet instrument, un registre des trusts accessible au public. Ainsi, selon la disposition du CGI contestée en l’espèce, « il est institué un registre public des trusts. Il recense nécessairement les trusts déclarés, le nom de l’administrateur, le nom du constituant, le nom des bénéficiaires et la date de constitution du trust ». Un décret du 10 mai 2016 (finalement tué dans l’oeuf) allait permettre à ce registre de devenir applicable en précisant ses modalités de fonctionnement. Il prévoyait, entre autres dispositions, que toute personne pouvait obtenir, par voie électronique, la délivrance des informations contenues dans le registre (dénomination, dates de constitution et d’extinction du trust, nom, prénom, date et lieu de naissance du constituant, du bénéficiaire et de l’administrateur).Mais « Mme Helen S., ressortissante américaine domiciliée en France, [qui] a constitué divers trusts aux États-Unis »(41), ne l’entendait pas de cette oreille, car elle tenait à conserver secrètes ses dispositions de dernière volonté que ces trusts mettaient en place. Aussi a-t‑elle demandé au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner la suspension de l’exécution du décret du 10 mai 2016. C’est à l’occasion de ce contentieux que la présente QPC a été transmise au Conseil constitutionnel, pour la première fois dans le cadre d’un référé-suspension devant le Conseil d’État(42) – figure qui fera sans aucun doute les délices des spécialistes du contentieux administratif et constitutionnel. Selon la requérante, les dispositions de l’article 1649 AB, al. 2, du CGI « méconnaissent le droit au respect de la vie privée et sont entachées d’incompétence négative dans des conditions portant atteinte à ce droit dès lors qu’elles donnent au public un accès entièrement libre et non encadré à des données confidentielles relatives à la constitution d’un trust » (§ 2). Le Conseil énonce la norme applicable (« la liberté proclamée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée ») et reprend le paragraphe de principe qui en fait une application particulière en matière de fichiers et registres : « Par suite, la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (§ 3). Issu d’une décision du 22 mars 2012 relative au fichier biométrique(43), ce principe a déjà fait l’objet de plusieurs applications, conduisant tantôt à rejeter les griefs des requérants (en matière de fichier recensant les contrats d’assurance-vie(44) ou pour la création d’un site internet public visant à prévenir les conflits d’intérêts dans le secteur de la santé(45)), tantôt à prononcer la censure des dispositions contestées (au sujet du fichier biométrique(46) ou pour le fichier, dit « positif », recensant les crédits à la consommation que la « loi Hamon » du 17 mars 2014 avait initialement mis en place(47)). On aura compris que la validité de ces fichiers et registres dépend des circonstances : nature plus ou moins sensible des données enregistrées, volume de celles-ci, ampleur de leur traitement, conditions de leur consultation, usage des informations recensées, etc. En l’espèce, le Conseil constitutionnel a d’abord estimé qu’« en favorisant, par les dispositions contestées, la transparence sur les trusts, le législateur a entendu éviter leur utilisation à des fins d’évasion fiscale et de blanchiment des capitaux. Il a ainsi poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales » (§ 5). Les sages ont ensuite relevé que « la mention, dans un registre accessible au public, des noms du constituant, des bénéficiaires et de l’administrateur d’un trust fournit des informations sur la manière dont une personne entend disposer de son patrimoine. Il en résulte une atteinte au droit au respect de la vie privée » (§ 6). Cette intégration des informations patrimoniales dans le giron de la vie privée n’a rien d’inédit dans la jurisprudence du Conseil(48) – qui ne rejoint que plus ou moins, sur un tout autre plan, la position retenue par le juge judiciaire pour l’application de l’article 9 du code civil, selon lequel « chacun a droit au respect de sa vie privée », la Cour de cassation devant combiner cette protection avec le droit à l’information que promeut la cour de Strasbourg, ce qui débouche sur une jurisprudence aussi nuancée qu’imprévisible. Enfin, s’agissant du contrôle de proportionnalité entre l’intérêt général poursuivi et l’atteinte qui en résulte pour la vie privée, le Conseil conclut que « le législateur, qui n’a pas précisé la qualité ni les motifs justifiant la consultation du registre, n’a pas limité le cercle des personnes ayant accès aux données de ce registre, placé sous la responsabilité de l’administration fiscale. Dès lors, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (§ 6). L’article 1649 AB, al. 2, du CGI est par conséquent déclaré contraire à la Constitution sans qu’aucun motif ne justifie de reporter dans le temps les effets de cette déclaration (§ 8), de sorte que Mme Helen S. pourra dormir sur ses deux oreilles. Il n’est bien sûr pas interdit d’être surpris par cette sévérité, à première vue, si on la compare à toutes les atteintes à la vie privée que le Conseil a laissé passer dans sa décision du 23 juillet 2015 relative à la loi sur le renseignement(49). Il n’en reste pas moins que les objectifs sont très différents dans un cas et dans l’autre : lutte contre le terrorisme hier, lutte contre l’évasion fiscale aujourd’hui. En tout état de cause, les largesses constitutionnelles passées ne doivent pas être un motif pour critiquer une décision qui nous semble, ici, plutôt justifiée. Contrairement au récent fichier relatif aux contrats d’assurance-vie, il s’agissait en effet de rendre le registre des trusts accessible à tous, y compris aux héritiers présomptifs des constituants… En soi, comme le relève justement un auteur, l’obligation de déclaration des trusts devrait d’ailleurs suffire à lutter contre la fraude fiscale, preuve que l’ambition du législateur se situait probablement ailleurs : « L’objectif réellement recherché consistait à permettre aux citoyens ou aux ONG – qui étaient nombreuses à saluer comme une avancée cette mesure – de procéder eux-mêmes à des vérifications et de suppléer ainsi l’administration », au risque d’inciter les intéressés à frauder plus efficacement encore en ne déclarant pas leurs trusts(50). À l’heure des « Panama papers » et autres « Football leaks », le tout sur fond d’« affaire Cahuzac », le législateur avait sans doute trouvé tentant de livrer les trusts en pâture à l’opinion publique. Le Conseil constitutionnel a opportunément refusé cette manoeuvre.

Signe des temps, la « loi Sapin 2 » avait institué une procédure similaire qui a pareillement subi les foudres du Conseil dans sa décision n° 2016‑741 DC du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Cette loi imposait en effet, à l’article L. 225‑102‑4 du code de commerce, une obligation déclarative publique pour certaines sociétés en matière d’impôt sur les bénéfices. Elle prévoyait qu’un certain nombre d’informations – dont beaucoup, il est vrai, sont déjà accessibles sans grande difficulté – figurent dans un rapport annuel accessible à tous gratuitement sur internet, pour chacun des États membres de l’Union européenne dans lesquels ces sociétés exercent leur activité (nombre de salariés,chiffre d’affaires net, montant du résultat avant impôt, impôt sur les bénéfices dus, entre autres informations). Le Conseil a estimé qu’en créant ces obligations, « le législateur a entendu, par une mesure de transparence, éviter la délocalisation des bases taxables afin de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales. Il a ainsi poursuivi un objectif de valeur constitutionnelle » (§ 102). Alors même que son contrôle est censé être plus restreint dans ce cas, il n’en a pas moins censuré ces obligations, non pas sur le fondement du respect de la vie privée – qui, comme le dit la Cour de cassation, ne semble pas pouvoir profiter aux personnes morales(51) –, mais sur le fondement de la liberté d’entreprendre : « L’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité pays par pays, est de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi » (§ 103). Les sages s’élèvent donc contre le « reporting fiscal public » (comme disent les poètes de la chose économique), tout comme ils se sont élevés contre le fait de livrer les trusts au châtiment populaire. Au reste, le commentaire du service juridique présente cette nouvelle décision comme un « prolongement » de celle relative au trust(52). Prudence ou timidité excessive ? Il est tout de même permis de douter de la pertinence du parallèle, qui fait plutôt figure, ici, de raccourci. Là où la loi de 2013 rendait accessible à tous la situation patrimoniale d’une personne physique (et potentiellement des dispositions de dernière volonté, comme dans l’affaire ayant donné lieu à la QPC tranchée), la « loi Sapin 2 » rendait accessible à tous la situation fiscale des sociétés dont le chiffre d’affaires consolidé excédait 750 millions d’euros, ce qui n’est quand même pas tout à fait la même chose… On voit mal, de plus, quels « éléments essentiels de [la] stratégie industrielle et commerciale » de ces sociétés risquaient de véritablement souffrir de la diffusion au public des informations concernées. Cela ne fait que renforcer la position visiblement très affirmée du Conseil – qui a déjà fait l’objet d’une très sévère critique(53).

Bien d’autres aspects de la décision n° 741 DC relative à la « loi Sapin 2 », deuxième monstre législatif du trimestre, mériteraient d’être développés dans cette chronique. On se bornera à en mentionner quelques-uns. Pour « parer aux risques, pour les épargnants et pour le système financier dans son ensemble, qui résulteraient d’une décollecte massive des fonds placés dans le cadre de contrats d’assurance-vie » (§ 56, objectif d’intérêt général), le Conseil admet par exemple que le Haut conseil de stabilité financière puisse temporairement priver les assurés de la possibilité de retirer tout ou partie des capitaux accumulés au titre de leur contrat d’assurance-vie, au maximum pendant six mois consécutifs. Le Conseil écarte en effet les griefs fondés sur une atteinte au droit de propriété et à la liberté contractuelle (§ 51 à 60)(54). Le grief d’atteinte au « droit de propriété des créanciers » est également écarté par les sages dans l’hypothèse très particulière relative aux conditions dans lesquelles des mesures de contrainte peuvent être mises en oeuvre à l’encontre des États étrangers, « figurant sur la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement », détenteurs de biens situés en France, à l’initiative des créanciers de ces États (§ 61 à 74). L’autorisation préalable d’un juge, instituée par de nouvelles dispositions du code des procédures civiles d’exécution (art. L. 111‑1-1 et s.) n’est pas jugée disproportionnée. À cette occasion, le Conseil rappelle un principe intéressant pour le droit civil des obligations : « Il appartient au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, de définir les modalités selon lesquelles, pour permettre le paiement des obligations civiles et commerciales, les droits patrimoniaux des créanciers et des débiteurs doivent être conciliés. L’exécution forcée sur les biens du débiteur est au nombre des mesures qui tendent à assurer cette conciliation » (§ 67). On ajoutera, pêlemêle, que le Conseil rejette l’argument des sénateurs selon lequel l’expression « groupe de sociétés », utilisée par le législateur pour la mise en place de mesures internes de prévention et de détection de faits de corruption ou de trafic d’influence, ne correspondrait pas à une notion juridiquement définie (§ 10 à 15) – ce qui rassurera les commercialistes ! –, mais qu’il censure au contraire un transfert de compétence judiciaire (en faveur du procureur de la République financier et des juridictions d’instruction et de jugement de Paris), au nom de l’objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, au motif que le législateur n’a pas prévu « de dispositions transitoires de nature à prévenir les irrégularités procédurales susceptibles de résulter de ce transfert de compétence » (§ 20) – solution qui excitera peut-être l’imagination des processualistes, à l’heure de la grande vague de modernisation de la justice ! Ont en revanche été écartés les griefs, il est vrai peu sérieux, dirigés contre l’article 161 de la loi qui instaure un dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants de sociétés cotées (§ 108 à 113). Enfin, l’argument tiré de la liberté d’entreprendre, invoqué contre la réglementation de l’activité des représentants d’intérêts auprès des pouvoirs publics (assemblées parlementaires, autorités gouvernementales et administratives, collectivités territoriales), n’a pas trouvé grâce aux yeux du Conseil qui lui a préféré l’objectif de transparence poursuivi par la loi (§ 42 et s.). Il s’agissait, pour le législateur, de rendre public le montant annuel des dépenses consacrées aux actions relatives à la représentation d’intérêts(55). Dans une motivation nuancée, et donc assez protectrice, semble-t‑il, du secret des affaires, le Conseil a jugé que « ces dispositions n’ont ni pour objet, ni pour effet de contraindre le représentant d’intérêts à préciser chacune des actions qu’il met en oeuvre et chacune des dépenses correspondantes. En imposant seulement la communication de données d’ensemble et de montants globaux relatifs à l’année écoulée, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre » (§ 45). Où l’on voit que la « loi Sapin 2 » est beaucoup plus prudente dans sa mise en oeuvre de l’objectif de transparence quand celui-ci concerne indirectement les autorités publiques… On relèvera que le secret des affaires était aussi invoqué dans une autre décision a priori du Conseil (décision n° 2016‑742 DC du 22 décembre 2016, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017) à propos de la distribution des produits pharmaceutiques. Tout en rejetant une nouvelle fois le grief fondé sur la liberté d’entreprendre, le Conseil constitutionnel se montre à nouveau sensible à la protection du « secret commercial et industriel »(§ 64). Dans cette même décision, les sages ont été conduits à envisager sous plusieurs angles le principe de la liberté contractuelle dans le domaine particulier du financement de la sécurité sociale. Deux points présentent un intérêt particulier.Le Conseil a d’abord estimé qu’une incitation législative à conclure une convention ne doit pas être confondue avec une obligation de contracter pour l’application du principe de liberté contractuelle (§ 55 à 57). Ensuite et surtout, il a censuré sur le fondement de ce même principe une atteinte à la liberté de négociation des parties (§ 29)(56). On signalera également que le Conseil a censuré, une nouvelle fois pour des raisons de procédure (cavalier législatif) les dispositions de la LFSS qui, en matière de prévoyance, entendaient restaurer, dans une logique constitutionnellement acceptable, le mécanisme des clauses de désignation que le Conseil avait censuré avec retentissement, au nom de la liberté contractuelle, dans sa décision n° 2013‑672 DC du 13 juin 2013(57) (§ 30 à 32).

Le droit du travail, représenté par deux QPC à la portée pratique bien différente, conclura cette chronique. La première décision est spécifique, qui concerne la détermination des critères de représentativité syndicale à la Caisse des dépôts et consignations (CDC), structure sui generis mêlant, notamment par le biais de filiales multiples, agents publics et salariés de droit privé (décision n° 2016‑579 QPC du 5 octobre 2016, Caisse des dépôts et consignations). En résumé, certaines règles applicables à la représentativité syndicale au sein de la CDC ne prenaient pas en compte la réforme de cette matière opérée par l’importante loi du 20 août 2008, laquelle a en particulier abandonné la présomption irréfragable de représentativité dont jouissaient les cinq centrales syndicales historiques. Or, à la CDC, la loi n° 96‑452 du 28 mai 1996, en son article 34 issu de la « loi NRE » du 15 mai 2011, habilitait la Caisse à conclure des accords collectifs dérogatoires aux règles de désignation et de compétence des délégués syndicaux communs aux agents publics et privés du groupe, accords qui ne tenaient pas compte (du moins jusqu’en juillet 2014) des nouvelles règles applicables à la représentativité syndicale posées par la loi de 2008. L’espèce, aussi particulière soit-elle, donne au Conseil l’occasion de rappeler un principe général important en ce domaine : sur le fondement du 8e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (participation des travailleurs) et de l’article 34 de la Constitution (compétence législative pour déterminer les principes fondamentaux du droit du travail), « il est loisible au législateur, après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions et aux relations de travail, de laisser aux employeurs et aux salariés, ou à leurs organisations représentatives, le soin de préciser, notamment par la voie de la négociation collective, les modalités concrètes d’application des normes qu’il édicte. Toutefois, lorsque le législateur autorise un accord collectif à déroger à une règle qu’il a lui-même édictée et à laquelle il a entendu conférer un caractère d’ordre public, il doit définir d’une façon précise l’objet et les conditions de cette dérogation »(58) (§ 7). Faisant application de ce principe, le Conseil décide qu’au mépris de sa propre compétence, « le législateur n’a pas défini de façon suffisamment précise l’objet et les conditions de la dérogation qu’il a entendu apporter aux règles d’ordre public qu’il avait établies en matière de représentativité syndicale et de négociation collective » (§ 9). À noter que l’abrogation des dispositions contestées est reportée au 31 décembre 2017, afin d’éviter une suppression immédiate de la représentation syndicale ici en cause.

Bien moins anecdotique est enfin la décision n° 2016‑582 QPC du 13 octobre 2016, Société Goodyear Dunlop Tires France SA qui concerne l’indemnité à charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse(59). Selon l’article L. 1235‑3, al. 1er, du code du travail, « si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis ». Le second alinéa du même texte, contesté en l’espèce, ajoute que « si l’une ou l’autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l’employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l’indemnité de licenciement prévue à l’article L. 1234‑9 ». Il était reproché à cette disposition – ou plutôt, à dire vrai, à l’article L. 1235‑5, 2 °, mais le Conseil contourne habilement cet obstacle(60) – de porter atteinte au principe d’égalité devant la loi dans la mesure où un texte dérogatoire à la règle générale posée par l’article L. 1235‑3, al. 2, prévoit que l’indemnité minimale égale aux salaires des six derniers mois n’est due que par les entreprises employant habituellement au moins onze salariés. La société requérante critiquait cet effet de seuil, fondé sur l’effectif de l’entreprise, pour tenter d’échapper au plancher d’indemnisation. Ayant admis qu’un texte d’exception puisse être contrôlé par le truchement d’une QPC portant sur le texte posant le principe corrélatif, le Conseil devait encore surmonter un autre obstacle, tiré du fait qu’il avait déclaré l’article L. 1235‑3 conforme à la Constitution dans sa décision n° 2007‑561 DC du 17 janvier 2008 (cons. 9 et 10). La chose sera faite grâce à une technique déjà éprouvée dans le contentieux des QPC : « Depuis cette déclaration de conformité, dans la décision du 5 août 2015 [n° 2015‑715 DC relative à la « loi Macron], le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution des dispositions faisant varier le montant de l’indemnité octroyée par le juge au salarié licencié sans cause réelle et sérieuse en fonction des effectifs de l’entreprise, au motif qu’elles méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi(61). Cette décision constitue un changement des circonstances de droit justifiant, en l’espèce, le réexamen des dispositions contestées » (§ 4). Restait à voir, sur le fond, s’il devait en aller du plancher (en l’espèce) comme du plafond (au sujet de la « loi Macron »). La réponse du Conseil est nettement négative. Si les sages constatent d’abord que « les entreprises, quelle que soit leur taille, et leurs salariés ne sont pas placés dans une situation différente » au regard des règles applicables à l’indemnisation du préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse (§ 7), le législateur n’en a pas moins poursuivi un but d’intérêt général en voulant « éviter de faire peser une charge trop lourde sur les entreprises qu’il a estimées économiquement plus fragiles » (§ 8). Et la mise à l’écart du plancher, pour ces petites entreprises, entretient bien un rapport direct avec l’objet de la loi : « Si pour les entreprises d’au moins onze salariés cette indemnité minimale a pour objet d’éviter les licenciements injustifiés, pour les entreprises de moins de onze salariés, l’indemnité correspondant au seul préjudice subi, fixée sans montant minimal, apparaît en elle-même suffisamment dissuasive » (§ 9). Le Conseil ajoute que « les dispositions contestées ne restreignent pas le droit à réparation des salariés » et là réside toute la différence entre un plancher et un plafond. Alors que le préjudice des salariés licenciés est indépendant de la taille de l’entreprise (condamnation du plafond, faute de rapport direct entre la différence de traitement et l’objet de la loi qui l’établit), il existe bien, au contraire, un rapport direct entre la taille de l’entreprise et l’instauration d’un plancher dissuasif (protection des petites entreprises, qui échappent à ce plancher). Intellectuellement, la divergence des solutions s’explique donc parfaitement au regard des exigences constitutionnelles. La société requérante contestait également l’article L. 1235‑3, al. 2, du code du travail sur le fondement de la liberté d’entreprendre. Estimant que « les dispositions contestées mettent en oeuvre le droit de chacun d’obtenir un emploi découlant du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 »(62), le Conseil juge que l’indemnité minimale correspondant à six mois de salaire ne porte pas à cette liberté une atteinte disproportionnée (§ 11). Il décide aussi qu’« en permettant au juge d’accorder une indemnité d’un montant supérieur aux salaires des six derniers mois en fonction du préjudice subi, le législateur a mis en oeuvre le principe de responsabilité, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789 » (§ 12), ce qui permet de revenir au principe posé par l’article L. 1235‑3 du code du travail. La règle des six mois de salaires n’est qu’un plancher qui n’exclut pas la réparation intégrale du préjudice, sans que la liberté d’entreprendre ne soit méconnue. Les espoirs qu’avait fait naître en 2002, dans l’esprit de certains employeurs, la censure d’une définition trop stricte du licenciement économique, au nom de la liberté d’entreprendre(63) – espoirs qui avaient été relancés par la décision du 27 mars 2014 relative à la « loi Florange »(64) – paraissent bel et bien s’évanouir.

Janvier – mars 2017

Dans le domaine du « droit privé constitutionnel », le premier trimestre de l’année 2017 n’a pas été marqué par une forte activité contentieuse, que l’on raisonne en termes quantitatifs ou qualitatifs. Sous le premier angle, seules huit décisions du Conseil seront ici examinées ou signalées, en braconnant un peu sur les terres du droit pénal ou du droit administratif. L’unique originalité de ce stock réside dans une égale répartition entre les QPC et les décisions de contrôle a priori, le nombre élevé de celles-ci étant le signe qu’une législature s’achève – en vidant manifestement ses fonds de tiroir, ce qui n’est pas un bon présage de qualité normative, comme notre précédente chronique l’avait déjà montré. Sur le fond, aucune grande décision n’a été rendue par les sages sur cette période et le commentateur peine à trouver quelques fils directeurs au sein de ce maigre corpus, au surplus très diversifié. Non sans une petite dose d’artifice doctrinal, trois thèmes peuvent néanmoins retenir l’attention. Le premier, déjà entrevu, porte sur la qualité de la loi – à dire vrai, comme l’on s’en doute, sur son manque de qualité – qui est malheureusement au coeur de la plupart des décisions a priori rendues ce trimestre. Le deuxième thème concerne le contrôle constitutionnel des sanctions au regard des exigences posées par la Déclaration de 1789 ou déduites par le Conseil de la Déclaration. Quatre décisions méritent à cet égard un bref coup d’oeil. Enfin, le dernier thème se rapporte aux deux droits vedettes de cette chronique depuis quatre ans, le droit de propriété et la liberté d’entreprendre.

Les lecteurs assidus des décisions du Conseil savent que l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi – parfois accoudé aux principes de clarté de la loi ou de légalité des délits et des peines, ses cousins du droit pénal – est devenu un grief de style dans la bouche des parlementaires. Même s’il conduit rarement à une censure, ce grief ne constitue pas pour autant une simple rengaine généralement creuse et toujours vaine. Trois décisions récentes en témoignent. La première, qui est aussi la plus longue, concerne la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, dernier texte fourre-tout de la 14e législature (avant que la prochaine ne prenne sans doute le relais). Cette loi a permis au Conseil d’examiner sous plusieurs angles les nombreux défauts de la législation contemporaine, dans sa décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017(65). D’un point de vue procédural, d’abord, les sages ont décidé d’exprimer ouvertement les regrets que leur inspire l’attitude du législateur, au sein même de leur décision – ce qui, à notre connaissance, n’est pas habituel ! La disposition en cause était très technique (modification des conditions d’obtention d’un abattement en matière de taxe foncière) et avait pour originalité d’avoir été supprimée en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale alors même qu’elle avait été votée conforme par les deux chambres en première lecture… Tout en jugeant ce genre inédit de suppression contraire à la Constitution (§ 8), le Conseil aestimé qu’il « ne tient pas des articles 61 et 62 de la Constitution le pouvoir de rétablir un article irrégulièrement supprimé au cours des débats parlementaires. Il lui revient, en revanche, de s’assurer que l’irrégularité constatée n’a pas rendu la procédure législative contraire à la Constitution » (§ 5). La question était dès lors de savoir si – conformément à la jurisprudence du Conseil – la loi devait être intégralement censurée au nom du respect des exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires, exigences déduites des articles 6 de la Déclaration de 1789 (« La loi est l’expression de la volonté générale (…) ») et 3 de la Constitution (« La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants (…) »). La réponse est négative, mais le Conseil en profite pour faire la leçon au législateur : « Pour regrettable qu’elle soit, cette suppression n’a pas eu pour effet de porter une atteinte inconstitutionnelle aux exigences de clarté et de sincérité des débats parlementaires » (§ 8). Le coup est passé près, mais le chapeau du législateur n’est pas tombé. Son cheval, en revanche, a dû faire un remarquable écart en arrière au titre de la censure des cavaliers législatifs, seconde exigence procédurale au centre de la décision n° 745 DC. Comme le souligne le commentaire du service juridique, « le projet de loi [relatif à l’égalité et à la citoyenneté] initial comportait 41 articles. La loi adoptée en comptait 224 » (p. 1). Caramba ! En matière de fonds de tiroir, ceux de la 14e législature étaient profonds ! Au terme d’une vaste opération de toilettage constitutionnel, cette loi très cochonne est un peu moins fourre-tout : 36 articles (dont 29 d’office) sont censurés parce qu’introduits par amendement en première lecture sans présenter de lien, même indirect, avec le projet de loi initial ; à quoi il faut ajouter sept dispositions censurées comme introduites en nouvelle lecture au mépris de la règle dite de l’« entonnoir ». Quelques règles intéressant le droit privé ont été victimes de cet élagage printanier, comme cet article 222 qui, en matière d’autorité parentale, précisait que le respect dû à la personne de l’enfant (art. 371-1 C. civ.) excluait « tout traitement cruel, dégradant ou humiliant, y compris tout recours aux violences corporelles » (§ 154 et 155)(66). Voulant faire plaisir à quelques associations ou juridictions supranationales, « la ministre des Familles », selon son appellation officielle, en aura été pour une bonne fessée de la part des sages ! Après la procédure, le fond de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté était ensuite contesté à plusieurs égards. Au nom du principe de légalité des délits et des peines, les sénateurs reprochaient à trois dispositions de la loi (art. 170, 171 et 207) de modifier la définition de certaines infractions (prohibant notamment les discriminations) en substituant la notion à la mode d’« identité de genre » à celle plus classique, mais semble-t-il obscure, selon certains spécialistes des sciences sociales, d’« identité sexuelle ». Pour les sénateurs requérants, l’« identité de genre » ferait l’objet de controverses et serait une notion imprécise (§ 87). Le Conseil rappelle d’abord que « le législateur tient de l’article 34 de la Constitution, ainsi que du principe de légalité des délits et des peines qui résulte de l’article 8 de la Déclaration de 1789, l’obligation de fixer lui-même le champ d’application de la loi pénale et de définir les crimes et délits en termes suffisamment clairs et précis pour exclure l’arbitraire » (§ 88). Relevant que l’expression « identité de genre » est déjà utilisée dans certains textes juridiques(67) et se fondant sur les travaux parlementaires qui éclairent d’après lui cette notion(68), le Conseil en déduit que « les termes (…) utilisés par le législateur sont suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité » (§ 89). Dont acte. Quelques paragraphes plus loin, le Conseil n’en censure pas moins une autre référence à l’« identité de genre » que l’article 179 de la loi entendait introduire dans le texte du code du travail prohibant les discriminations (art. L. 1132-1 C. trav.). La chose est si saugrenue que le lecteur peine à en croire ses yeux… Visiblement, le législateur du 22 décembre 2016 avait oublié que le texte en question avait été modifié par ses soins un mois plus tôt, dans la « loi justice » du 18 novembre 2016. Procédant, comme il est péniblement d’usage, par ajout d’un membre de phrase au texte existant, l’article 179 de la « _ loi égalité » disposait ainsi qu’« après le mot “orientation”, la fin de l’article L. 1132-1 est ainsi rédigée : “sexuelle, de son identité de genre (…)” ». Sans doute a-t-il bien cherché, mais il n’a pas trouvé ; aussi le Conseil a dû constater que « l’article L. 1132-1 du code du travail, dans saversion en vigueur résultant de la loi du 18 novembre 2016 mentionnée ci-dessus, ne comporte pas le mot “orientation”. Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner le grief, les dispositions du 1 ° de l’article 179 sont inintelligibles » (§ 121). Comment imaginer plus beau témoignage de la médiocrité législative contemporaine ? Cette décision du Conseil constitutionnel – qui refuse très logiquement de réécrire une loi imparfaite sur la foi des intentions réelles du Parlement – ne peut que réjouir ceux qui s’éreintent à mettre à jour des textes de loi ressemblant de plus en plus à d’informes codes informatiques. Dans le même sens, il faut ensuite relever que la « loi égalité » a donné au Conseil l’opportunité de censurer (encore d’office) une nouvelle disposition dénuée de portée normative. Il ne s’agit que de la troisième censure prononcée sur ce fondement depuis la décision inaugurale du 21 avril 2005(69), mais elle suit de quelques semaines seulement la deuxième, qui concernait la « loi Sapin 2 » du 9 décembre 2016(70). Est censuré, en l’espèce, l’article 68 de la « loi égalité » aux termes duquel « la Nation reconnaît le droit de chaque jeune atteignant à compter de 2020 l’âge de dix-huit ans à bénéficier, avant ses vingt-cinq ans, d’une expérience professionnelle ou associative à l’étranger ». Toujours au sujet de la qualité de la loi, il convient enfin de signaler une grande nouveauté dans la jurisprudence du Conseil. Pour la première fois,en effet, les sages ont jugé qu’une habilitation donnée au Gouvernement pour modifier par ordonnance des règles législatives était contraire à la Constitution, car trop imprécise. Cette censure porte sur l’article 39 de la « loi égalité » qui donnait compétence au Gouvernement pour modifier les conditions et modalités d’ouverture des établissements privés d’enseignement scolaire(71). Selon cette disposition, l’objectif de l’habilitation était notamment « de remplacer les régimes de déclaration d’ouverture préalable en vigueur par un régime d’autorisation [et] de préciser les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d’autoriser l’ouverture ». Rappelant sa jurisprudence constante relative à l’article 38 de la Constitution(72) – jusqu’à aujourd’hui platonique –, le Conseil a ici estimé qu’« eu égard à l’atteinte susceptible d’être portée à la liberté de l’enseignement par la mise en place d’un régime d’autorisation administrative, en confiant au Gouvernement, sans autre indication, le soin de préciser “les motifs pour lesquels les autorités compétentes peuvent refuser d’autoriser l’ouverture” de tels établissements, le législateur a insuffisamment précisé les finalités des mesures susceptibles d’être prises par voie d’ordonnance »_ (§ 13) ; « par suite, cette habilitation méconnaît les exigences qui résultent de l’article 38 de la Constitution » (§ 14). Le Conseil réitère par ailleurs sa jurisprudence selon laquelle « la liberté de l’enseignement constitue l’un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le Préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère le Préambule de la Constitution de 1958 » (§ 11) et prend appui sur ce principe pour censurer une habilitation conçue en termes vagues qui laissaient au pouvoir exécutif une trop grande marge d’appréciation. Comme le souligne à juste titre le commentaire du service juridique, « compte tenu de la rédaction retenue, le Gouvernement aurait en effet tout autant pu limiter le régime d’autorisation préalable à la vérification du respect des conditions actuelles d’hygiène ou de respect des bonnes moeurs, que l’étendre à la vérification de la qualité de l’enseignement délivré, voire, à son contenu ou aux programmes retenus » (p. 9). Le lecteur serait bien tenté d’applaudir, s’il ne gardait en mémoire le douloureux souvenir d’autres habilitations qui, en leur temps, passèrent par la rue de Montpensier comme une lettre à la poste du Louvre… Que l’on songe, par exemple, à celle qui confia au Gouvernement le soin de modifier notre saint droit des contrats, c’est-à-dire l’âme du droit civil – l’âme du droit tout court(73). Mais, après tout, pourquoi faire la fine bouche et ne pas saluer plutôt ce renforcement de l’application des exigences constitutionnelles qui conduira peut-être le Parlement, demain, à n’abdiquer sa compétence qu’à meilleur escient ou, tout du moins, à ne pas signer de chèque normatif en blanc au Gouvernement. Deux circonstances pourraient cependant refroidir l’enthousiasme. D’une part, le Conseil semble attacher une importance particulière à la liberté de l’enseignement qui était ici indirectement(74) en cause ; d’autre part, le service juridique prend bien soin de rappeler que la solution « ne remet (…) pas en cause la jurisprudence bien établie et récemment réaffirmée par le Conseil selon laquelle il n’incombe pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation »(75). Il en résulte que les sages s’accordent une marge de manoeuvre importante pour trancher entre affichage des finalités (qui doit être suffisamment précis) et teneur des mesures à adopter (qui n’a pas à être exposée). Pour tordre définitivement le coup à la « loi égalité », on se plaira aussi à signaler que le Conseil a censuré son article 217 au nom du… principe d’égalité ! La disposition concernait la création d’un fonds de participation au financement de l’action de groupe et prévoyait que lorsqu’une telle action « est exercée devant une juridiction répressive, la peine d’amende prononcée (…) peut faire l’objet d’une majoration, dans la limite de 20 % du montant prévu par la loi (…) », cette majoration étant destinée à alimenter le fonds par ailleurs institué. Le Conseil a jugé qu’« en faisant ainsi dépendre la sanction encourue du choix de la partie civile de porter son action devant le juge pénal plutôt que devant le juge civil, les dispositions contestées créent, entre les défendeurs, une différence de traitement injustifiée » (§ 113) – et une différence d’autant plus surprenante qu’en l’état du droit positif, une action de groupe ne peut être intentée que devant le juge civil…

Deux autres décisions, portant sur des lois plus brèves, illustrent les désagréables spasmes juridiques dans lesquels s’éteint la présente législature. La première portesur la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse (décision n° 2017-747 DC du 16 mars 2017). Par cette loi au retentissement médiatique important, l’Assemblée nationale a souhaité faire entrer dansle giron de l’entrave à l’IVG, pénalement sanctionnée, le fait pour certains sites Internet hostiles à cette pratique, d’organiser « la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » (art. L. 2223-2 du code de la santé publique, tel que modifié par la loi contestée). Nombreux sont ceux qui s’étaient émus, au cours des débats parlementaires, d’une possible atteinte à la liberté d’opinion, d’expression et de communication – pour reprendre les griefs finalement invoqués par les députés et sénateurs requérants (§ 3). Marchant sur des oeufs, le législateur a fait évoluer la rédaction du texte en vue de rendre celui-ci compatible avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel(76). Mais il n’y est parvenu qu’au prix d’un résultat très alambiqué que les auteurs de la saisine contestaient donc également au nom de l’objectif à valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, dénonçant la « rédaction floue et confuse » du texte adopté par l’Assemblée nationale en lecture définitive, après l’échec de la commission mixte paritaire. Brevitatis causa, la question posée au Conseil était, sous cet angle, de savoir si « la diffusion ou la transmission d’allégations ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif, sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse » suffisait à constituer l’infraction d’entrave ou s’il convenait, comme la suite de l’article L. 2223-2 du CSP l’exige, que ces faits aient conduit à des « pressions, menaces ou actes d’intimidation »(77). Pour le Conseil, il ne fait pas de doute que la seconde interprétation « ressort de la lettre des dispositions contestées comme des travaux parlementaires » (§ 7), ce qui est sans doute vrai, la difficulté résultant d’un affichage politique et médiatique parfois en inadéquation avec le contenu final du texte dont, à première lecture, le sens n’est tout de même pas si évident, comme le prouve au reste la suite de la décision du Conseil. Car il restait à trancher la question d’une éventuelle atteinte à la liberté d’expression et de communication garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789 selon lequel « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Le Conseil rappelle à cet égard son long paragraphe de principe qui s’achève sur cette exigence bien rodée : « Les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi » (§ 9). En l’espèce, l’objectif poursuivi consiste à « prévenir des atteintes susceptibles d’être portées au droit de recourir à une interruption volontaire de grossesse dans les conditions prévues par le livre II de la deuxième partie du code de la santé publique. L’objet des dispositions contestées est ainsi de garantir la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789 » (§ 10). On notera que ce rattachement de l’IVG à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (ou de la femme et de la citoyenne, comme diraient les esprits modernes, non sans raison ici) n’a rien d’inédit dans la jurisprudence des sages(78). Dans ce conflit de libertés, aucune ne l’emporte sur l’autre au terme de la décision du Conseil, lequel paraît au contraire soucieux de ménager entre elles un certain équilibre. Aussi la libertéde la femme ne l’emporte-t-elle sur la liberté d’expression et de communication que sous deux longues réserves d’interprétation qui concernent l’hypothèse dans laquelle « les dispositions contestées répriment les pressions morales et psychologiques, menaces et actes d’intimidation exercés à l’encontre de toute personne cherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, quels que soient l’interlocuteur sollicité, le lieu de délivrance de cette information et son support » (§ 13)(79). Dans sa première réserve, le Conseil décide que « la seule diffusion d’informations à destination d’un public indéterminé sur tout support, notamment sur un site de communication au public en ligne, ne saurait être regardée comme constitutive de pressions, menaces ou actes d’intimidation au sens des dispositions contestées, sauf à méconnaître la liberté d’expression et de communication. Ces dispositions ne peuvent donc permettre que la répression d’actes ayant pour but d’empêcher ou de tenter d’empêcher une ou plusieurs personnes déterminées de s’informer sur une interruption volontaire de grossesse ou d’y recourir » (§ 14). Tel était finalement l’objectif du législateur, qui transparaît très mal dans la rédaction nouvelle de l’article L. 2223-2 du CSP : en elle-même, l’information, même tendancieuse, ne suffit pas à caractériser le délit d’entrave à l’IVG tel que redéfini par la loi. Comme le souligne le commentaire du service juridique du Conseil, « dans le cas d’une personne cherchant à s’informer sur l’IVG en consultant un site internet, le délit d’entrave ne sera ainsi constitué que si, à la suite de cette consultation, cette personne a fait l’objet de pressions, de menaces ou d’actes d’intimidation la visant directement » (p. 17) – même en dehors des établissements pratiquant l’avortement, ce qui semble constituer, au final, le réel apport de la loi déférée. Le commentaire fait référence à certaines illustrations mises en avant lors des débats parlementaires, comme le harcèlement par SMS ou courriers électroniques pour dissuader les femmes d’avoir recours à l’avortement. Rapprochée du grief d’imprécision de la loi, cette réserve d’interprétation fondée sur la liberté d’expression paraît un peu étonnante : si le texte contesté était si intelligible que cela, était-il nécessaire, pour le Conseil, de poser cette réserve ? En d’autres termes, le cloisonnement des griefs (intelligibilité d’un côté, liberté d’expression de l’autre) est-il véritablement pertinent ? Le lecteur a le sentiment que si la loi contestée n’est pas inintelligible, c’est bien parce que les sages acceptent ici de l’interpréter – réserve d’interprétation qui, au reste, rend le texte difficilement accessible d’un point de vue matériel… Cela est d’autant plus vrai que le Conseil ajoute une seconde réserve, très constructive, conduisant àencadrer davantage les contours du délit qui, au nom de la liberté d’expression, « ne saurait être constitué qu’à deux conditions : que soit sollicitée une information, et non une opinion ; que cette information porte sur les conditions dans lesquelles une interruption volontaire de grossesse est pratiquée ou sur ses conséquences et qu’elle soit donnée par une personne détenant ou prétendant détenir une compétence en la matière » (§ 15). « Ainsi circonscrites, explique le commentaire de la décision, les dispositions contestées ne permettront pas de sanctionner, par exemple, les propos tenus dans un cercle familial, amical ou privé, alors que des opinions trop fermement exprimées dans un tel cadre auraient éventuellement pu, sans cette réserve d’interprétation, être qualifiées de “pressions” » (p. 19). Au bout du compte, toute cette aventure nous semble très inquiétante : à un texte de loi tarabiscoté vient se superposer une décision du Conseil très sophistiquée et agrémentée d’importantes réserves. On peut légitimement se demander si une censure, à supposer qu’elle ait pu être politiquement assumée par le Conseil sur un sujet si sensible, n’aurait pas été préférable.

La censure, tel est le sort que le Conseil a cette fois réservé, dans sa décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017 à certaines dispositions trop imprécises de la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Comme la loi relative à l’extension du délit d’entrave à l’IVG, ce nouveau texte est issu d’une proposition de loi, ici déposée voilà deux ans sur le bureau de l’Assemblée nationale à la suite d’événements dramatiques qui se déroulèrent dans des ateliers de confection situés au Bangladesh. Pour tenter d’éviter qu’une telle tragédie ne se reproduise, la loi déférée impose à certaines grandes sociétés d’établir un plan comportant des « mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle au sens du II de l’article L. 233- 16, directement ou indirectement, ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, lorsque ces activités sont rattachées à cette relation » (nouvel art. L. 225-102-4, I, al. 3, du code de commerce). Le II du même texte sanctionnait ces obligations par la condamnation au paiement d’une amende civile d’un montant maximal de dix millions d’euros. Le Conseil constitutionnel a estimé que cette sanction, bien que civile, revêtait le caractère d’une punition et qu’elle était dès lors justiciable de l’article 8 de la Déclaration de 1789 (§ 7). Il revenait par conséquent au législateur, poursuit le Conseil, « de définir [les obligations qu’il posait] en termes suffisamment clairs et précis » (§ 8). Or, pour toute une série de raisons (§ 9 et s.), les sages ont estimé que tel n’était pas le cas : « Compte tenu de la généralité des termes qu’il a employés, du caractère large et indéterminé de la mention des “droits humains” et des “libertés fondamentales” et du périmètre des sociétés, entreprises et activités entrant dans le champ du plan de vigilance qu’il instituait, le législateur ne pouvait, sans méconnaître les exigences découlant de l’article 8 de la Déclaration de 1789 et en dépit de l’objectif d’intérêt général poursuivi par la loi déférée, retenir que peut être soumise au paiement d’une amende d’un montant pouvant atteindre dix millions d’euros la société qui aurait commis un manquement défini en des termes aussi insuffisamment clairs et précis » (§ 13). Pour rentrer davantage dans le détail de ces critiques, quatre d’entre elles peuvent être approfondies, en se conformant à la présentation que retient de cette décision le service juridique du Conseil. Celui-ci, en premier lieu, reproche à la loi sa généralité excessive en ce qu’elle vise « des “mesures de vigilance raisonnable” qui doivent en particulier prendre la forme d’“actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves” » (§ 9). S’il est vrai que la suite du I de l’article L. 225-102-4 précise quatre autres types de mesures pouvant être adoptées(80), le tout n’en reste pas moins très vague. Il a par ailleurs manifestement déplu au Conseil qu’« un décret en Conseil d’État [puisse], au surplus, “compléter” [ces mesures] » et donc participer à la définition des contours de l’obligation posée et lourdement sanctionnée (§ 10). En deuxième lieu – et là est sans doute le plus intéressant –, les sages estiment que la référence aux « “droits humains” » et autres « “libertés fondamentales” » est excessivement diffuse (§ 10). Pour reprendre l’affreuse expression des sénateurs requérants (que les guillemets sont impuissants à adoucir), « le “référentiel normatif” au regard duquel doivent être appréciés les risques à identifier et les atteintes graves à prévenir [est] imprécis » (§ 5). À première vue, on serait facilement tenté de rire au nez du Conseil constitutionnel en soulignant que c’est là tout le mystère de son terrible office : tenter de faire du Droit avec des droits et libertés souvent insaisissables ! Mais en vérité, on comprend bien que la notion – chère à ce type de juridiction – de _« normes de référence » _est censée renvoyer à un corpus de droits et libertés énumérés par des textes (dont la généralité cache elle-même très mal, il est vrai, la grande latitude qui en résulte pour les juges ; tout cela est bien connu). En deux mots, le Conseil aurait souhaité que le législateur énumère les sources normatives des droits et libertés auxquels il entendait faire référence. Au reste, c’est ainsi qu’il a procédé en d’autres domaines, comme dans l’article L. 113-1 du Code de la consommation relatif aux conditions sociales de fabrication des produits(81), thème qui n’est pas très éloigné de celui développé à l’article L. 225-102-4 du Code de commerce et que l’on peut plus ou moins désigner sous les termes en vogue de responsabilité sociale des entreprises (« RSE », comme disent les économistes et les managers séduits par le potentiel commercial des droits de l’homme). Dans ses observations, le Gouvernement semblait, sans trop y croire (et peut-être même pour plaisanter ?), vouloir rattraper le coup en faisant une vague référence à « un certain nombre de recommandations d’instances internationales, comme les principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits humains de l’ONU ou les principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE ». Il va de soi que cela ne pouvait combler les lacunes d’un texte dont l’impréparation saute aux yeux du point de vue des exigences constitutionnelles. En troisième lieu, le Conseil juge imprécis « le périmètre des partenaires économiques de la société soumise à l’obligation d’établir un plan de vigilance délimité par les dispositions contestées [qui] inclut l’ensemble des sociétés contrôlées directement ou indirectement par cette société ainsi que tous les sous-traitants et les fournisseurs avec lesquels elles entretiennent une relation commerciale établie, quels que soient la nature des activités de ces entreprises, leurs effectifs, leur poids économique ou le lieu d’établissement de leurs activités » (§ 11). En quatrième et dernier lieu, le Conseil constate que « le législateur n’a pas précisé si la sanction est encourue pour chaque manquement à l’obligation qu’il a définie ou une seule fois quel que soit le nombre de manquements » (§ 12), passant ainsi sous silence la question cruciale du cumul éventuel de l’amende civile. Au terme de ce florilège de critiques, la censure de l’amende civile sur le fondement de l’article 8 de la Déclaration de 1789 ne faisait guère de doute et semble tout à fait justifiée. Le résultat est que ces dispositions relatives au « plan de vigilance » demeurent dans le code de commerce sans être réellement sanctionnées(82). Elles ne seront dès lors vouées qu’à renforcer l’enflure d’un code qui n’en avait guère besoin, surtout en matière de sociétés anonymes… Car une dernière mauvaise nouvelle doit en effet être signalée : le Conseil a décidé que l’imprécision de la sanction du plan de vigilance ne devait pas rejaillir sur l’obligation de dresser un plan : « Si certaines des notions employées par le législateur sont, pour les motifs énoncés plus haut, insuffisamment précises pour permettre de définir un manquement de nature à justifier une sanction ayant le caractère d’une punition, celles-ci ne présentent toutefois pas un caractère inintelligible. (…) Dans ces conditions, le législateur n’a pas méconnu l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi » (§ 22). Dans la théorie pure du droit constitutionnel, on peut certes comprendre que l’exigence de clarté ou de précision de la loi doive être plus forte en droit pénal (ou ici « para-pénal ») que dans les autres matières(83) ; en pratique, il n’en résulte pas moins un certain malaise. Sombre printemps 2017, décidément, pour l’art législatif.

À côté de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative aux sanctions constitue le deuxième thème fort de ce trimestre. Il sera abordé beaucoup plus brièvement, en recensant quatre décisions du Conseil – essentiellement des QPC – et un arrêt de la Cour de cassation. La première décision est celle que l’on vient d’évoquer au sujet de la loi relative au devoir de vigilance (décision n° 2017-750 DC du 23 mars 2017). Comme nous l’avons vu, le Conseil décide d’appliquer l’article 8 de la Déclaration de 1789 à une sanction civile au motif que celle-ci revêt le caractère d’une punition – d’où l’application du principe de légalité des délits et des peines, plus exigeant que l’objectif d’intelligibilité de la loi. Cette solution n’est pas surprenante au regard des critères pragmatiques posés par le Conseil, même s’il est assez rare, en définitive, qu’une sanction civile soit ainsi qualifiée, en dépit des nombreuses tentatives des requérants. Un précédent célèbre concernait la sanction du déséquilibre significatif dans les relations commerciales de l’article L. 442-6 du code de commerce(84). Bien plus souvent, en matière civile, la qualification est au contraire rejetée et ce rejet est logique dans la mesure où l’un des critères essentiels mis en oeuvre par le Conseil tient compte de la finalité de la mesure instituée par le législateur. Ainsi, pour que la qualification de punition soit retenue, il ne suffit pas que la mesure revête un caractère normatif ; encore faut-il qu’elle présente un caractère punitif.Or, le droit civil (au sens large) a pour objet de régler les rapports fondamentaux qui se nouent entre personnes privées, de sorte que son essence n’est point tournée prioritairement vers la punition. Ce n’est donc que de manière exceptionnelle qu’une sanction civile peut être examinée au regard de l’article 8 de la Déclaration de 1789, ce qui donne un intérêt particulier à la décision n° 750 DC. En matière de responsabilité civile, au contraire, le Conseil a souvent eu l’occasion d’écarter l’argumentation des plaideurs au motif que l’objectif premier poursuivi par le législateur consiste dans la réparation du dommage subi par la victime. C’est ainsi que le grief d’une atteinte à l’article 8 a pu être écarté, par exemple, au sujet de l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre du dirigeant d’une personne morale placée en redressement ou en liquidation judiciaire(85) ou, dans le même domaine, à propos de la responsabilité pour insuffisance d’actif(86). Telle est encore la solution retenue par la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt récent portant sur l’indemnité forfaitaire de rupture injustifiée d’un contrat de travail à durée déterminée, prévue par l’article L. 1243-4 du code du travail (Cass. soc., 8 février 2017, n° 16-40.246, publié). Comme l’explique M. Mouly, « il apparaît ainsi qu’une indemnité, bien que présentant un aspect sanctionnateur en raison de son caractère forfaitaire, ne constitue pas une peine dès lors que ce caractère peut s’expliquer par une autre raison », en l’occurrence non seulement réparer un dommage, mais encore « compenser la précarité d’emploi des salariés en CDD »(87).

Toujours au sujet des sanctions, mais sur un autre plan, la décision n° 2016-618 QPC du 16 mars 2017, Mme Michelle Theresa B., prononce la censure partielle de certaines dispositions du code général des impôts relatives à l’amende qui peut être due en cas de défaut de déclaration d’un trust (art. 1736, IV bis du CGI). Laissant passer l’amende forfaitaire de 10 000 ou 20 000 euros (en fonction la date de commission des faits ; § 10 à 12), le Conseil juge au contraire disproportionné, au regard de l’article 8 de la Déclaration de 1789, le montant (retenu s’il est plus élevé que celui de l’amende forfaitaire) égal à 5 ou 12,5 % des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés(88). Même si le législateur « a ainsi poursuivi l’objectif à valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude et l’évasion fiscales » (§ 7), « en prévoyant une amende dont le montant, non plafonné, est fixé en proportion des biens ou droits placés dans le trust ainsi que des produits qui y sont capitalisés, pour un simple manquement à une obligation déclarative, même lorsque les biens et droits placés dans le trust n’ont pas été soustraits à l’impôt, le législateur a instauré une sanction manifestement disproportionnée à la gravité des faits qu’il a entendu réprimer » (§ 8). La censure intervient sans report dans le temps, le Conseil précisant néanmoins, au probable soulagement de l’administration fiscale, qu’« elle ne peut être invoquée dans les instances jugées définitivement à cette date » et qu’« elle ne saurait davantage être invoquée pour remettre en cause des transactions devenues définitives » (§ 20). En matière fiscale, il va de soi que l’application de l’article 8 de la Déclaration de 1789 (ici sous l’angle de la proportionnalité des peines) est usuelle – mais non systématique(89). Si la décision intéresse cette chronique, c’est surtout parce qu’elle constitue la seconde censure en cinq mois au sujet du régime juridique applicable au trust. Dans leur décision n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, Mme Helen S., les sages avaient en effet jugé contraire au respect de la vie privée l’instauration d’un registre public des trusts(90). Même s’il se montre sensible au risque de fraude fiscale qui résulte de cet instrument(91), étranger à notre tradition juridique comme à notre droit positif interne, le Conseil ne partage donc visiblement pas l’aversion du législateur à son égard. Les sanctions sont encore au coeur de la brève décision n° 2016-621 QPC du 30 mars 2017, Société Clos Teddi et autre, sous un angle qui nourrit abondamment la jurisprudence du Conseil, surtout en matière économique et fiscale, depuis quelques mois : celui du cumul des poursuites, ici appliqué aux poursuites pénales et administratives en cas d’emploi illégal d’un travailleur étranger. Était en l’espèce contesté l’article L. 8252-1 du code du travail qui instaure une « contribution spéciale » due par l’employeur dans une telle hypothèse. Les requérants soutenaient que « ces dispositions, qui n’excluent pas leur application cumulative avec celles de l’article L. 8256-2 du code du travail [réprimant les mêmes faits de cinq ans d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende] et permettent ainsi qu’un employeur soit poursuivi et sanctionné deux fois pour les mêmes faits, sont contraires aux principes de nécessité et de proportionnalité des délits et des peines » (§ 2). Reprenant un paragraphe de principe récemment affiné (§ 4)(92), le Conseil a jugé que les sanctions prévues par ces textes étant différentes, le grief devait être rejeté (§ 7). Enfin, dans sa décision n° 2016-616/617 QPC du 9 mars 2017, Société Barnes et autre, le Conseil fait une nouvelle application de sa jurisprudence relative aux principes d’indépendance et d’impartialité des juridictions découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789. L’affaire portait sur la commission nationale des sanctions instituée par le code monétaire et financier pour lutter contre les risques de blanchiment des capitaux et de financement du terrorisme dans certains secteurs biens précis (agences immobilières, opérateurs de jeux ou paris, entreprises de domiciliation). En l’espèce, le Conseil reproche aux articles L. 561-41 et L. 561-42 du CMF de ne pas voir distingué la phase de poursuite de celle de jugement, au mépris des principes énoncés (§ 9 et 10)(93). Une nouvelle fois, l’exigence d’impartialité est donc appliquée aux autorités administratives exerçant un pouvoir de sanction : commission bancaire en 2011(94), autorité de la concurrence en 2012(95), autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP)(96) et conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)(97) en 2013, conseil de la concurrence en 2015(98). La liste s’allonge sans que les exigences constitutionnelles ne varient. Le service juridique du Conseil les résume en ces termes : « Quand le législateur crée des organes sanctionnateurs pouvant présenter les apparences d’un fonctionnement juridictionnel, il est nécessaire que la personne poursuivie n’ait pas le sentiment, comme cela avait été indiqué dans le commentaire de la décision n° 2012-280 QPC, que son affaire est “jouée d’avance” »(99). Pour le Conseil, tel n’était pas le cas ici, faute de séparation au sein de la commission nationale des sanctions entre les fonctions de poursuite et d’instruction des éventuels manquements et les fonctions de jugement de ces mêmes manquements, d’où la censure, comme naguère au sujet de la commission bancaire.

Que serait, pour terminer, une chronique de droit privé constitutionnel sans sa dose habituelle de liberté d’entreprendre ? Pour ce trimestre, trois décisions en font des applications classiques débouchant sur deux rejets du grief et une censure. La première concerne l’obligation de reprise des déchets mise à la charge de certains distributeurs de matériaux par l’article L. 541-10-9 du code de l’environnement (décision n° 2016-605 QPC du 17 janvier 2017, Confédération française du commerce de gros et du commerce international). Ces dispositions, bien que contraignantes pour les professionnels du bâtiment et des travaux publics, ne sont pas jugées contraires à la liberté d’entreprendre. La conciliation de celle-ci avec la protection de l’environnement (objectif poursuivi par le législateur) avait pourtant pu conduire à une étonnante censure en 2013, au sujet de l’utilisation d’une quantité minimale de matériaux en bois dans les constructions nouvelles(100). Mais le libéralisme a manifestement ses limites, au Conseil constitutionnel comme ailleurs. La deuxième décision relative à la liberté d’entreprendre est encore une fois la décision n° 750 DC précitée relative au devoir de vigilance des sociétés mères. Parmi les griefs soulevés, les sénateurs estimaient que « l’obligation de publicité du plan de vigilance et du compte rendu de sa mise en oeuvre [exigés par la loi] porterait également une atteinte excessive à la liberté d’entreprendre dès lors que les sociétés soumises aux exigences de la loi déférée seraient contraintes de divulguer des informations relatives à leur stratégie industrielle et commerciale » (§ 15). Le grief tentait de « surfer » sur la censure récente du « reporting fiscal public » prononcée par le Conseil dans sa décision relative à la « loi Sapin 2 »(101). En l’espèce, le Conseil est d’un avis contraire (§ 16 à 19). Enfin, dans sa décision n° 2017-748 DC du 16 mars 2017, Loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle, le Conseil constitutionnel s’en est pris, une nouvelle fois(102), au droit de préemption des SAFER que le législateur entendait élargir. Derrière une loi essentiellement technique (affreusement technique, à dire vrai…) le Conseil constitutionnel a très bien su ramener la question posée à l’essentiel, qui est de savoir si les dispositions en cause « sont de nature à permettre l’installation d’un agriculteur ou même le maintien et la consolidation d’exploitation agricole » (§ 7). Parce que certaines règles posées par la loi nouvelle ne respectaient pas cette finalité essentielle, une censure partielle de la loi a été prononcée au nom d’une atteinte disproportionnée au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre (§ 10). Il s’agissait précisément de l’article 3 de la loi qui permettait aux SAFER de n’exercer leur droit de préemption que sur une partie des parts ou actions d’une société détentrice de biens ou de droits immobiliers agricoles, alors même que cette manoeuvre ne lui permettait pas forcément de remplir l’objectif précité – qui doit être le sien. Le contrôle peut paraître sévère, à tel point que l’on se demande si les SAFER ne jouent pas auprès du Conseil constitutionnel le rôle d’épouvantail que joue le trust pour le législateur !

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

7 janvier 2016
2015-511 QPC
Société Carcassonne Presse Diffusion SAS [Décisions de la commission spécialisée composée d’éditeurs en matière de distribution de presse]

  • Cadou, Éléonore. « La liberté contractuelle au secours des agents de la distribution de la presse », Constitutions, juillet-septembre 2016, n° 2016-3, p. 480- 486.

21 janvier 2016
2015-727 DC
Loi de modernisation de notre système de santé

  • Mirkovic, Aude. « L’apport au droit de la biomédecine de la loi Santé du 26 janvier 2016 », Droit de la famille, octobre 2016, n° 10, p. 34-38.

19 février 2016
2015-522 QPC
Mme Josette B.-M. [Allocation de reconnaissance III]

  • Disant, Mathieu. « La constitutionnalité au prisme du risque (À propos du contentieux constitutionnel des validations législatives) [in Droit et risque n° 8] », Les Petites Affiches, 23 janvier 2017, n° 16, p. 6-8.

2 mars 2016
2015-525 QPC
Société civile immobilière PB 12 [Validation des évaluations de valeur locative par comparaison avec un local détruit ou restructuré]

  • Disant, Mathieu. « La constitutionnalité au prisme du risque (À propos du contentieux constitutionnel des validations législatives) [in Droit et risque n° 8] », Les Petites Affiches, 23 janvier 2017, n° 16, p. 6-8.

10 mai 2016
2016-540 QPC
Société civile Groupement foncier rural Namin et Co [Servitude administrative grevant l’usage des chalets d’alpage et des bâtiments d’estive]

  • Balaguer, Frédéric. « Constitutionnalité d’une servitude de non-utilisation saisonnière des chalets d’alpage et bâtiments d’estive », Droit administratif, décembre 2016, n° 12, p. 57-60.

  • Le Bot, Olivier. « La servitude visant les chalets d’alpage est conforme à la Constitution », Constitutions, juillet-septembre 2016, n° 2016-3, p. 466-468.

18 mai 2016
2016-542 QPC
Société ITM Alimentaire International SAS [Prononcé d’une amende civile à l’encontre d’une personne morale à laquelle une entreprise a été transmise]

  • Barbier, Hugo. « La regrettable distinction entre sanctions pénales et sanctions administratives ou civiles afin d’en déterminer leur transmissibilité en cas de fusion », RTD civ. : Revue trimestrielle de droit civil, juillet-septembre 2016, n° 3, p. 628-630.

1er juillet 2016
2016-548 QPC
Société Famille Michaud Apiculteurs SA et autre [Saisine d’office du président du tribunal de commerce pour ordonner le dépôt des comptes annuels sous astreinte]

  • Reygrobellet, Arnaud. « L’autosaisine validée en matière d’injonction de publication des comptes », Revue des sociétés, Journal des sociétés, janvier 2017, n° 1, p. 15-20.

29 juillet 2016
2016-557 QPC
M. Bruno B. [Prononcé du divorce subordonné à la constitution d’une garantie par l’époux débiteur d’une prestation compensatoire en capital]

  • Binet, Jean-René. « La conformité à la Constitution de l’article 274, 1 ° du Code civil : consécration d’une liberté constitutionnelle de divorcer », Droit de la famille, octobre 2016, n° 10, p. 44-45.
  • Daïmallah, Hakim. « La prestation compensatoire (encore) à l’épreuve de la Constitution », Les Petites Affiches, 1er décembre 2016, n° 240, p. 7-10.

2016-558/559 QPC
M. Joseph L. et autre [Droit individuel à la formation en cas de rupture du contrat de travail provoquée par la faute lourde du salarié]

  • Gahdoun, Pierre-Yves. « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel [Note sous décision n° 2016-558/559 QPC] », Le Droit ouvrier, décembre 2016, n° 821, p. 811-813.

4 août 2016
2016-736 DC
Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

  • Fabre, Alexandre. « L’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise », Constitutions, juillet-septembre 2016, n° 2016-3, p. 446-454.
  • Gahdoun, Pierre-Yves. « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel. [Note sous décision n° 2016-736 DC] », Le Droit ouvrier, décembre 2016, n° 821, p. 813-816.

8 septembre 2016
2016-560 QPC
M. Pierre D. [Date d’effet du changement de régime matrimonial en cas d’homologation judiciaire]

  • Beignier, Bernard. « Incidence du décès de l’un des époux en cours de procédure d’homologation », Droit de la famille, octobre 2016, n° 10, p. 57-58.

29 septembre 2016
2016-570 QPC
M. Pierre M. [Cumul des poursuites pénales pour banqueroute avec la procédure de liquidation judiciaire et cumul des mesures de faillite ou d’interdiction]

  • Matsopoulou, Haritini. « La fin du cumul des mesures de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer », Revue des sociétés, Journal des sociétés, décembre 2016, n° 12, p. 755-761.

2016-573 QPC
M. Lakhdar Y. [Cumul des poursuites pénales pour banqueroute avec la procédure de liquidation judiciaire et cumul des mesures de faillite ou d’interdiction]

  • Matsopoulou, Haritini. « La fin du cumul des mesures de faillite personnelle ou d’interdiction de gérer », Revue des sociétés, Journal des sociétés, décembre 2016, n° 12, p. 755-761.

30 septembre 2016
2016-572 QPC
M. Gilles M. et autres [Cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public]

  • [Note sous décision 2016-572 QPC], Revue de jurisprudence et des conclusions fiscales, janvier 2017, n° 1, p. 57-58.
  • Lasserre Capdeville, Jérôme. « Constitutionnalité du cumul des poursuites pénales et devant l’AMF en matière de diffusion d’informations fausses ou trompeuses », Actualité juridique. Pénal, décembre 2016, n° 12, p. 588-590.
  • Matsopoulou, Haritini. « L’interdiction du cumul des poursuites pour le délit et le manquement de diffusion de fausses informations », Revue des sociétés, Journal des sociétés, février 2017, n° 2, p. 99-103.
  • Robert, Jacques-Henri. « Le Conseil constitutionnel rend une nouvelle décision de règlement à propos du cumul de poursuites contre les abus de marché », La Semaine juridique. Édition générale, 5 décembre 2016, n° 49, p. 2276-2280.

5 octobre 2016
2016-574/575/576/577/578 QPC
Société BNP PARIBAS SA [Extinction des créances pour défaut de déclaration dans les délais en cas d’acceptation de la succession à concurrence de l’actif net]

  • Barbieri, Jean-François. « Créances successorales : le Conseil constitutionnel et la première chambre civile contre le bon sens », Les Petites Affiches, 21 décembre 2016, n° 254, p. 20-23.

13 octobre 2016
2016-583 QPC
Société Goodyear Dunlop Tires France SA [Indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse]

  • « Constitutionnalité du plancher de six mois de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse », Cahiers sociaux du barreau de Paris : jurisprudence sociale, novembre 2016, n° 290, p. 545-546.
  • [Note n° 769 sous décision n° 2016-582 QPC], Revue de jurisprudence sociale, décembre 2016, n° 12, p. 842-843.
  • Mouly, Jean. « Le plancher d’indemnisation des licenciements injustifiés peut varier selon les effectifs de l’entreprise », Droit social, décembre 2016, n° 12, p. 1065-1067.

21 octobre 2016
2016-591 QPC
Mme Helen S. [Registre public des trusts]

  • Bendelac, Esther. « Le registre public des trusts et sa saga législative », Les Petites Affiches, 17 février 2017, n° 35, p. 7-8.
  • Khayat, Michaël ; Pannetier, Stanislas. « Censure du registre public des trusts : vie et mort d’un OVNI juridique », Revue de droit fiscal, 1er décembre 2016, n° 48, p. 84-89.

10 novembre 2016
2016-738 QPC
Loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias

  • Bellescize, Diane de. « La loi du 14 novembre 2016 visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, dite loi Bloche : progrès et déceptions », Constitutions, octobre-décembre 2016, n° 2016-4, p. 662- 670.
  • Derieux, Emmanuel. « Non-conformité à la Constitution des dispositions visant à renforcer la protection des sources d’information des journalistes », La Semaine juridique. Édition générale, 21 novembre 2016, n° 47, p. 2124-2125.

17 novembre 2016
2016-739 DC
Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle

  • Bachschmidt, Philippe. « Nouvelles interrogations sur la “règle de l’entonnoir” devant le Conseil constitutionnel », Constitutions, octobre-décembre 2016, n° 2016-4, p. 591-593.
  • Bergougnous, Georges. « Les enseignements de la décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016 sur le droit d’amendement en première lecture », Constitutions, octobre-décembre 2016, n° 2016-4, p. 589-591.
  • Moron-Puech, Benjamin. « L’homme enceint et le Conseil constitutionnel : une rencontre manquée », Revue des droits et libertés fondamentaux, 1er décembre 2016, Chron. n° 28, 5 p.

22 décembre 2016
2016-742 DC
Loi de financement de la sécurité sociale pour 2017

  • Barthélémy, Jacques. « Annulation par le Conseil constitutionnel du dispositif de la LFSS permettant la codésignation d’assureurs pour gérer seuls un accord collectif de prévoyance de branche », Droit social, février 2017, n° 2, p. 183-184.
  • Perroud, Thomas. « Un choix de société du Conseil constitutionnel : la liberté contractuelle contre la solidarité », JP blog, 20 février 2017.

Articles thématiques

Droit civil

  • Fulchiron, Hugues. « Les paternités forcées : projet parental versus géniteur payeur [Cass. 1re civ., 9 nov. 2016, n° 15-20.547] », Droit de la famille, janvier 2017, n° 1, p. 1-2.

  • Molière, Aurélien. « Dispositions transitoires de la loi du 3 décembre 2001 versus Principe d’égalité devant la loi : drame en trois QPC ! [CA Paris, pôle 3, ch. 1, 19 oct. 2016, n° 16/15254] », Droit de la famille, janvier 2017, n° 1, p. 54-56.

Droit social

  • Gahdoun, Pierre-Yves. « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel », Le Droit ouvrier, octobre 2016, n° 819, p. 657-664.
  • Gay, Laurence. « Constitution et droits sociaux : France », Annuaire international de justice constitutionnelle, 2015, n° XXXI-2015, p. 263-297.
  • Mouly, Jean. « La constitutionnalité du plancher de six mois de salaire de l’article L. 1235-3, alinéa 2, du code du travail à l’épreuve du principe d’égalité [Cass. soc., 16 juillet 2016, n° 16-40209] », Droit social, octobre 2016, n° 10, p. 864-867.
  • Mouly, Jean. « Où l’on voit que l’indemnité forfaitaire de rupture anticipée d’un CDD n’est pas une peine et que le droit du travail demeure un droit de protection du salarié [Cass. soc., 8 février 2017, n° 16-40246] », Droit social, mars 2017, n° 3, p. 272-274.

(1) Cons. const., déc. n° 2016‑741 DC du 8 décembre 2016, § 146.
(2) Déc. préc., § 99, au sujet de l’article 134 de la loi déférée qui complétait l’article L. 225‑18 du code de commerce afin d’indiquer que l’assemblée générale ordinaire d’une société anonyme peut désigner un administrateur chargé du suivi des questions d’innovation et de transformation numérique (§ 96).
(3) Cons. const., déc. n° 2005‑512 DC du 21 avril 2005, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, cons. 16 et s.
(4) Cons. const., déc. n° 2016- 560 QPC du 8 septembre 2016, M. Pierre D.
(5) LPA, 21 décembre 2016, p. 20, note J.-F. Barbièri.
(6) Cons. const., déc. n° 2011‑159 QPC du 5 août 2011, Mme Elke B. et autres : LPA, 27 octobre 2011, p. 18, obs. d’Avout ; Gaz. Pal., 12‑13 octobre 2011, p. 5, note Sénac.
(7)C. civ., art. 787 et s. Voir F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil. Les successions. Les libéralités, Précis Dalloz, 4e éd., 2014, n° 772 et s., p. 690 et s. et n° 972 et s., p. 857 et s. (liquidation du passif).
(8) Cons. const., déc. n° 2010‑607 DC du 10 juin 2010, Loi relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée. Sur cette question, voir V. Mazeaud, « Droit réel, propriété et créance dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel », RTD civ., 2014, p. 29. On notera que la règle qui avait justifié une réserve d’interprétation du Conseil au sujet de l’EIRL (cons. 9), au nom de la protection du droit de propriété des créanciers, a été abandonnée par la « loi Sapin 2 » du 9 décembre 2016 (question de l’opposabilité de la création du patrimoine affecté aux créanciers antérieurs à la déclaration au registre de publicité ; abrogation des alinéas 2 à 5 de l’article L. 526-12 C. com.).
(9) Commentaire de la décision n° 2016‑574/575/576/577/578 QPC, site Internet du Conseil, p. 7‑8. Sur la décision citée, voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2016, n° 51, p. 131.
(10) Voir par exemple A.-M. Leroyer, « Réforme des successions et des libéralités », RTD civ., 2006, p. 612 et s., spéc. p. 614. Le commentaire du service juridique du Conseil cite également les propos tenus par Robert Badinter lors des débats parlementaires relatifs à la loi de 2006 : « Un tel défaut de déclaration ne saurait être sanctionné par une forme de prescription de la créance, qui est, je le rappelle, un droit constitué du vivant du défunt et qu’il n’y a aucune raison de supprimer pour non-accomplissement d’une formalité dans un délai légal » (p. 5).
(11) Ch. Jubault, Droit civil. Les successions. Les libéralités, Montchrestien, 2e éd., 2010, n° 1080, p. 715.
(12) C’est le cas en particulier pour le règlement des dettes « dans un ordre déterminé », puisqu’en guise d’ordre des paiements prévaut tout bonnement le prix de la course, les créanciers déclarants étant payés dans l’ordre où ils se présentent (art. 796 C. civ.). Pour la critique de cette solution, voir F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, ouvrage préc., n° 993, p. 875.
(13) Il a été fixé à quinze mois pour être supérieur à la durée d’un exercice comptable, dans le but d’alerter les créanciers professionnels.
(14) Article 1335 du code de procédure civile.
(15) F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, ouvrage préc., n° 989, p. 871.
(16) J.-F. Barbièri, note préc., n° 6, p. 23. La Cour de cassation a en effet décidé qu’une créance constatée par une décision de justice régulièrement signifiée au notaire chargé de liquider la succession, postérieurement acceptée à concurrence de l’actif net, est éteinte faute d’avoir été déclarée dans le délai de quinze mois. La Cour décide que la signification « ne pouvait valoir déclaration de créance, au sens de l’article 792 du code civil » (Cass. 1re civ., 31 mars 2016, n° 15‑10.799). L’auteur insiste sur les difficultés de preuve de la mauvaise foi et interroge : « L’héritière à laquelle une créance successorale avait été notifiée, via son notaire, avant qu’elle n’accepte la succession à concurrence de l’actif net, devrait-elle être néanmoins réputée de bonne foi parce que le créancier n’a pas réitéré sa notification selon les prescriptions légales ? » (n° 2, p. 22). (17) Voir F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, ouvrage préc., n° 980, p. 864‑865.
(18) Voir Ch. Jubault, ouvrage préc., n° 1080, p. 715.
(19) Depuis la loi du 26 juillet 2005, l’absence de déclaration d’une créance n’est plus sanctionnée par l’extinction de celle-ci, mais par son inopposabilité à la procédure, de sorte que le créancier négligeant est seulement privé du droit de participer aux répartitions (art. L. 622‑26 C. com.). Comp., en matière de procédure de rétablissement personnel avec liquidation judiciaire, art. L. 742‑10 C. consom. (extinction, possibilité d’un relevé de forclusion).
(20) Pour une présentation de ce nouveau cas de divorce, voir notamment H. Fulchiron, « Divorcer sans juge. À propos de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle », JCP G, 2016, 1267 ; C. Lienhard, « Le nouveau divorce par consentement mutuel. Une révolution culturelle », D., 2017, p. 307.
(21) Cons. const., déc. n° 2013‑669 DC du 17 mai 2013, Loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cons. 14.
(22) Cons. const., déc. n° 2015‑560 QPC, préc. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2017, n° 54, p. 133.
(23) F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, ouvrage préc., n° 973, p. 859 et n° 772, p. 690, note 2.
(24) Car « ils ne pourront plus invoquer l’intervention du juge qui jusque là purgeait la convention et leur travail de leurs vices » (H. Fulchiron, note préc.).
(25) Comme il l’avait fait, de manière moins visible, dans sa décision n° 2013‑669 DC relative à la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe (préc., cons. 54, au sujet de la conformité de l’adoption à l’intérêt de l’enfant).
(26) Ce qui renchérit cette nouvelle procédure par rapport à celle du divorce par consentement mutuel « avec juge », dans laquelle les époux peuvent avoir un seul avocat. Les parlementaires y voyaient une « rupture d’égalité entre les couples, pour l’accès à la nouvelle procédure de divorce, selon leur fortune » (§ 37). Ce grief a été rejeté par le Conseil : « En soumettant ainsi à une même obligation tous les époux ayant recours à cette procédure, le législateur, qui leur a d’ailleurs ouvert le bénéfice de l’aide juridictionnelle, n’a pas méconnu le principe d’égalité devant la loi » (§ 40).
(27) Cons. const., déc. n° 2016‑557 QPC du 29 juillet 2016, M. Bruno B.
(28) Car il n’y a pas d’option entre celle-ci et la procédure nouvelle, qui est la seule que les époux peuvent emprunter pour divorcer par consentement mutuel en l’absence de demande des enfants à être entendus par le juge. L’alternative serait un divorce sur demande acceptée.
(29) H. Fulchiron, note préc.
(30) Voir S. Torricelli-Chrifi, « Divorce contractuel : quel(s) acte(s) pour quelle(s) responsabilité(s) », JCP N, 2016, 1193 ; C. Brenner, « Le nouveau divorce par consentement mutuel : retour à l’an II ? », JCP G, 2017, 195.
(31) Note préc.
(32) Voir A. Marais, « Le sexe si que je veux, quand je veux ! », JCP G, 2016, act. 1164 ; F. Vialla, « Loi de modernisation de la justice du xxie siècle : changement de la mention de sexe à l’état civil », D., 2016, p. 2351 ; Ph. Reigné, « Changement d’état civil et possession d’état du sexe dans la loi de modernisation de la justice du xxie siècle. À propos de la loi n° 2016‑1547 du 18 novembre 2016 », JCP G, 2016, 1378.
(33) Voir Cass. 1re civ., 7 juin 2012, deux arrêts, nos 11‑22.490 et 10‑26.947 : Bull. civ. I, n° 124, p. 113, et n° 123, p. 112 ; D., 2012, p. 1648, note F. Vialla ; Dr. famille, 2012, comm. n° 131, note Ph. Reigné.
(34) F. Vialla, article préc., p. 2352.
(35) Article préc. Rapp. B. Moron-Puech, « L’homme enceint et le Conseil constitutionnel : une rencontre manquée », Revue des droits et libertés fondamentaux, 1er décembre 2016, chron. n° 28 (l’auteur montre de manière convaincante qu’une censure du Conseil aurait été politiquement trop incorrecte). Comp. Ph. Reigné, article préc., spéc. 2, A., selon qui la reconnaissance d’enfant permet de régler la question. Pour M. Reigné, la loi ne pose pas de difficulté, « puisque l’enfant aurait bien pour génitrices deux personnes de même sexe »… Il suffisait d’y penser !
(36) A. Marais, article préc.
(37) La loi envisage seulement la question des filiations déjà établies, sur lesquelles le changement de sexe est sans effet (art. 61‑8 C. civ.).
(38) La même déjudiciarisation est prévue pour la procédure de changement de nom des personnes inscrites sur le registre de l’état civil d’un autre État (loi 18 novembre 2016, art. 57, I, 1 °). Le Conseil constitutionnel lui applique la même solution.
(39) À tel point que, dans la décision ici commentée, les sénateurs – dont on peut comprendre l’exaspération – faisaient grief à la loi d’avoir été adoptée « en méconnaissance des exigences de clarté et de sincérité du débat parlementaire dans la mesure où, d’une part, la procédure de surendettement a fait l’objet d’une réforme législative récente et où, d’autre part, une autre loi en cours de discussion aurait également pour effet de la modifier » (§ 70). Moins sentimentaux que nous, les sages ont évidemment écarté ce grief : « La seule circonstance que des dispositions connexes à des dispositions en discussion devant le Parlement aient été modifiées par une loi récemment adoptée ou qu’elles soient en discussion concomitamment dans d’autres projets ou propositions de loi ne constitue pas une atteinte à l’exigence de clarté et de sincérité du débat parlementaire » (§ 71). Sans fin sur le métier peut le législateur remettre son ouvrage ; sans doute en va-t‑il du bonheur du peuple !
(40) M. Khayat et S. Pannetier, « Censure du registre public des trusts : vie et mort d’un OVNI juridique », Revue de droit fiscal, décembre 2016, 620, p. 84 ; JCP N, 2016, 1192, obs. P.-A. Conil.
(41) Commentaire du service juridique du Conseil, déc. n° 2016‑591 QPC, p. 11.
(42) CE, ord. réf., 22 juillet 2016, n° 400913. Voir à ce sujet M. Khayat et S. Pannetier, article préc., 8., p. 87.
(43) Cons. const., déc. n° 2012‑652 DC du 22 mars 2012, Loi relative à la protection de l’identité, cons. 8.
(44) Cons. const., déc. n° 2013‑684 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances rectificative pour 2013, cons. 10 et s.
(45) Cons. const., déc. n° 2015‑727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, cons. 87 et s.
(46) Cons. const., déc. n° 2012‑652 DC, préc.
(47) Cons. const., déc. n° 2014‑690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, cons. 51 et s. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2014, n° 44, p. 120.
(48) Voir Cons. const., déc. n° 2013‑675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique, cons. 6 : « Le dépôt de déclarations de situation patrimoniale qui contiennent des données à caractère personnel relevant de la vie privée, ainsi que la publicité dont peuvent faire l’objet ces déclarations, portent atteinte au respect de la vie privée ; que, pour être conformes à la Constitution, ces atteintes doivent être justifiées par un motif d’intérêt général et mises en oeuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Comme des auteurs l’ont relevé, le Conseil « étend ici cette protection aux informations relatives à la manière [de] disposer [du patrimoine], notamment à titre gratuit » (M. Khayat et S. Pannetier, article préc., 9., p. 88).
(49) Cons. const., déc. n° 2015‑713 DC du 23 juillet 2015, Loi relative au renseignement. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2016, n° 50, p. 124.
(50) P.-A. Conil, obs. préc.
(51) Cass. 1re civ., 17 mars 2016, n° 15‑14.072.
(52) Site internet du Conseil, p. 30.
(53) Th. Perroud, « Le Conseil constitutionnel contre la transparence fiscale », JP blog, 3 janvier 2017.
(54) Voir commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 21 et s. (55) Loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, art. 18-3, 3 ° (entrée en vigueur le 1er juillet 2017).
(56) Créant une contribution à la charge des fournisseurs agréés de produits du tabac, la loi de financement de la sécurité sociale avait encadré la répercussion du coût de cette contribution sur les producteurs, dans le but d’éviter des distorsions de compétitivité. Le Conseil décide que « les dispositions contestées limitent la capacité des fournisseurs de produits du tabac à négocier librement leurs prix avec chacun des producteurs avec lesquels ils sont en relation contractuelle. Il en résulte, compte tenu de l’objectif poursuivi, une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle » (§ 29).
(57) Loi relative à la sécurisation de l’emploi. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2013, n° 41, p. 285.
(58) Sur les nombreux précédents du Conseil distinguant entre, d’une part, les conditions et les garanties de la mise en oeuvre du principe de participation des travailleurs (compétence législative) et, d’autre part, les modalités concrètes de leur mise en oeuvre (renvoi possible aux accords collectifs), voir commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 11‑12.
(59) Dr. social, 2016, p. 1065, note J. Mouly.
(60) Voir commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 5‑6.
(61) Sur cette censure, voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2016, n° 50, p. 123.
(62) Texte déjà convoqué par le Conseil dans le passé en matière de protection contre le licenciement. Voir Cons. const., déc. n° 2004‑509 DC du 13 janvier 2005, Loi de programmation pour la cohésion sociale, cons. 23. Pour d’autres références, voir commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 12‑13.
(63) Cons. const., déc. n° 2001‑455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 43 et s.
(64) Cons. const., déc. n° 2014‑692 DC, Loi visant à reconquérir l’économie réelle. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2014, n° 44, p. 126.
(65) Pour une présentation d’ensemble, voir F. Chaltiel, « La loi relative à l’égalité et à la citoyenneté devant le juge constitutionnel. Loi-balai, lisibilité du droit et exigences constitutionnelles », LPA, 24 mars 2017, p. 6.
(66) « La fessée n’est pas anticonstitutionnelle », s’amuse un auteur (J. Couard, Dr. famille, 2017, veille 19) qui souligne à juste titre que les violences faites aux enfants sont déjà interdites et sanctionnées par l’article 222-13 du code pénal.
(67) Article 225-1 du code pénal dans sa version issue de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du xxie siècle (art. 86), convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 12 avril, 2011, ratifiée par la France le 4 juillet 2014 (définition posée à l’art. 3, c, de la convention), directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.
(68) « Le législateur a entendu viser le genre auquel s’identifie une personne, qu’il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l’état-civil ou aux différentes expressions de l’appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin » (§ 89).
(69) Cons const., déc. n° 2005-512 DC, Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école, cons. 16 et s.
(70) Cons. const., déc. n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, § 99.
(71) Voir C. Dounot, « La guerre scolaire n’aura pas (encore) lieu. Remarques sur la censure de l’article 39 de la loi Égalité et citoyenneté », LPA, 28 mars 2017, p. 7.
(72) « Cette disposition fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention » (§ 12).
(73) Cons. const., déc. n° 2015-710 DC du 12 février, 2015, Loi relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.
(74) Il faut en effet bien comprendre, comme le souligne le service juridique du Conseil, que « _ dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel ne s’est pas prononcé sur la constitutionnalité du passage d’un régime déclaratif à un régime d’autorisation préalable d’ouverture d’établissements privés d’enseignement. (…) son contrôle s’est exercé en amont, sur les conditions de l’habilitation conférée au Gouvernement par le législateur »_ (p. 8).
(75) Commentaire préc., p. 9.
(76) Sur ces évolutions et le résultat final, voir le commentaire du service juridique du Conseil, p. 4 et s.
(77) Cette condition résulte du 2 ° de l’article L. 2223-2 du CSP selon lequel, dans la rédaction issue de la loi déférée, le délit d’entrave à l’IVG suppose que son auteur ait exercé « des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d’intimidation à l’encontre des personnescherchant à s’informer sur une interruption volontaire de grossesse, des personnels médicaux et non médicaux travaillant dans les établissements mentionnés au même article L. 2212-2, des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l’entourage de ces dernières » (la référence aux personnes cherchant à s’informer sur une IVG est un ajout de la loi examinée par le Conseil). Le 1 ° du même article prévoit pour sa part que le délit est aussi constitué lorsque l’auteur de l’infraction perturbe « de quelque manière que ce soit l’accès aux établissements mentionnés à l’article L. 2212-2, la libre circulation des personnes à l’intérieur de ces établissements ou les conditions de travail des personnels médicaux et non médicaux ».
(78) Le Conseil avait déjà donné une assise constitutionnelle à l’IVG. Voir, en dernier lieu, déc. n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, cons. 43.
(79) La décision – très perfectionnée… – laisse donc de côté deux hypothèses dans lesquelles la liberté de recourir à l’IVG l’emporte sans contestation possible. La première est celle dans laquelle les dispositions contestées répriment « les expressions et manifestations perturbant l’accès ou le fonctionnement des établissements pratiquant l’interruption volontaire de grossesse » (§ 11, qui renvoie au 1 ° de l’article L. 2223-2 du CSP ; cf. supra, note 77). La seconde concerne la répression des « pressions morales et psychologiques, menaces et actes d’intimidation exercés à l’encontre des personnels des établissements habilités, des femmes venues y recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de leur entourage, ainsi que des personnes venues s’y informer. Dans la mesure où elles se limitent à réprimer certains abus de la liberté d’expression et de communication commis dans les établissements pratiquant l’interruption volontaire de grossesse ou à l’encontre de leur personnel, les dispositions contestées ne portent pas à cette liberté une atteinte disproportionnée à l’objectif poursuivi » (§ 12 ; nous soulignons).
(80) « 1 ° Une cartographie des risques destinée à leur identification, leur analyse et leur hiérarchisation ; « 2 ° Des procédures d’évaluation régulière de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie, au regard de la cartographie des risques ; « 3 ° Des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves ; « 4 ° Un mécanisme d’alerte et de recueil des signalements relatifs à l’existence ou à la réalisation des risques, établi en concertation avec les organisations syndicales représentatives dans ladite société ; « 5 ° Un dispositif de suivi des mesures mises en oeuvre et d’évaluation de leur efficacité. »
(81) Ce texte dispose que « le fabricant, le producteur ou le distributeur d’un bien commercialisé en France transmet au consommateur qui en fait la demande et qui a connaissance d’éléments sérieux mettant en doute le fait que ce bien a été fabriqué dans des conditions respectueuses des conventions internationales relatives aux droits humains fondamentaux, toute information dont il dispose (…) » (al. 1er). Son 3e alinéa ajoute que « la liste des conventions mentionnées au premier alinéa est précisée par décret » (voir art. D. 113-1 C. consom.). C’est sans doute ainsi qu’aurait dû procéder la loi soumise en l’espèce au Conseil.
(82) Le II de l’article L. 225-102-4 prévoit seulement, désormais, qu’une société qui méconnaît les obligations lui incombant au titre du plan de vigilance peut être enjointe de les respecter après mise en demeure. Il faut cependant ajouter que l’article L. 225-102-5, issu de l’article 2 de la loi déférée, permet d’engager la responsabilité civile de la société qui manque à ses obligations en matière de plan de vigilance. Mais, selon les termes du texte, cette responsabilité est retenue aux « conditions prévues aux articles 1240 et 1241 du code civil », donc selon les règles du droit commun. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Conseil a par ailleurs rejeté le grief d’atteinte au principe de responsabilité qui était dirigé par les parlementaires contre cette loi (§ 24 et s.). Les sages ont notamment jugé, sur ce point, que « les dispositions contestées n’instaurent (…) pas un régime de responsabilité du fait d’autrui » (§ 27).
(83) Ce que souligne le commentaire du service juridique : « Ainsi, l’exigence de précision qui, en application du principe de légalité des délits et des peines, s’attache au manquement réprimé par une sanction ayant le caractère d’une punition se distingue des exigences résultant de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, qui en l’espèce s’appliquaient à la seule définition d’une obligation civile » (p. 10-11).
(84) Cons. const., déc. n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, Établissements Darty et Fils, cons. 3.
(85) Cons. const., déc. n° 2015-487 QPC du 7 octobre 2015, M. Patoarii R.
(86) Cons. const., déc. n° 2014-415 QPC du 26 septembre 2014, M. François F.
(87) Dr. social, mars 2017, p. 272 et s., spéc. p. 273. L’auteur donne d’autres exemples tirés de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et de la Cour de cassation dans le domaine du droit du travail.
(88) Au titre de l’activisme législatif, on signalera que l’amende proportionnelle ici jugée inconstitutionnelle par le Conseil a été supprimée par la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.
(89) Voir le commentaire du service juridique, p. 6 et s.
(90) Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2017, n° 55.
(91) Voir spéc. § 10, au sujet de l’amende forfaitaire.
(92) Qui prévoit en particulier que « le principe de nécessité des délits et des peines ne fait pas obstacle à ce que les mêmes faits commis par une même personne puissent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions de nature différente en application de corps de règles distincts ».
(93) Il faut relever que ces textes ont été modifiés, par rapport à ceux ici jugés par le Conseil, dans l’ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, dans le sens d’une meilleure séparation des fonctions.
(94) Cons. const., déc. n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011, Banque populaire Côte d’Azur.
(95) Cons. const., déc. n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société Groupe Canal Plus et autre.
(96) Cons. const., déc. n° 2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Société Numéricâble SAS et autre.
(97) Cons. const., déc. n° 2013-359 QPC du 13 décembre 2013, Société Sud Radio Services et autre.
(98) Cons. const., déc. n° 2015-489 QPC du 14 octobre 2015, Société Grands Moulins de Strasbourg SA et autre.
(99) Commentaire de la décision n° 2016-616/617 QPC, site Internet du Conseil, p. 15.
(100) Cons. const., déc. n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013, Syndicat français de l’industrie cimentière et autre.
(101) Cons. const., déc. n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, cons. 103.
(102) Voir déjà, en effet, Cons. const., déc. n° 2014-701 DC du 9 octobre 2014, Loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2015, n° 47, p. 174.