Page

Chronique de droit privé

Thomas PIAZZON - Maître de conférences à l'Université Panthéon-Assas (Paris II)

Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2018, n° 59, p. 107

À l'instar d'une actualité législative dominée, en droit privé, par les récentes « ordonnances Macron », la plupart des décisions privatistes rendues par le Conseil constitutionnel au cours du dernier trimestre 2017 concernent le droit du travail, spécialement sous l'angle des relations collectives. Si l'on s'en tient aux dispositifs, cette salve de quatre décisions regroupe une censure sur le fondement du principe d'égalité - phénomène somme toute peu fréquent, au regard du caractère routinier de ce grief - (décision n° 664 QPC), une réserve d'interprétation justifiée par le droit à l'emploi - phénomène, cette fois, franchement exceptionnel  ! - (décision n° 665 QPC) et deux décisions de conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit (nos661 et 662 QPC). Les deux premières s'inscrivent dans le cadre de la négociation collective et les deux dernières concernent les institutions représentatives du personnel, institutions dont le paysage vient précisément d'être remanié en profondeur par les « ordonnances Macron ». Avant d'exposer le détail technique de ces solutions, il est intéressant d'en souligner deux traits communs - que certaines de ces décisions partagent, au reste, avec bien d'autres QPC jugées par le Conseil, en droit du travail comme dans d'autres matières. Ces décisions, d'une part, portent sur des lois récentes, voire très récentes (par exemple la « loi Rebsamen » du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi ou, mieux encore, la « loi El Khomri » du 8 août 2016 relative au travail, qui a déjà eu plusieurs fois les honneurs de cette chronique, sans parler de la « loi Macron » du 6 août 2015, véritable « machine à QPC »  !), de sorte que le contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois n'attend pas, à l'évidence, le nombre des années pour déployer ses effets  ! En pratique, cette situation s'explique par le fait que la conformité à la Constitution de ces lois récentes est souvent critiquée par le biais d'un recours pour excès de pouvoir formé devant le Conseil d'État à l'encontre des décrets pris pour leur application. Faut-il y voir une forme de dévoiement de l'esprit de la QPC  ? En tout état de cause, ce phénomène renforce le caractère abstrait du contrôle opéré par les sages, qui sont souvent confrontés à des textes n'ayant pas encore été appliqués. La manœuvre, qui permet un contrôle quasi- a priori, a au moins le mérite de dissiper rapidement l'incertitude qui peut peser sur la constitutionnalité des lois critiquées, rejoignant ainsi l'une des vertus traditionnelles du contrôle a priori. Certaines de ces décisions, d'autre part, portent sur des dispositions déjà modifiées - bien qu'elles soient récentes... - au jour où le Conseil constitutionnel statue, ce qui peut parfois être un argument, au moins « psychologique », en faveur d'une censure. La QPC met alors en exergue le sentiment de désordre qui domine notre droit, un droit décidément trop mouvant. Face à un législateur qui modifie sans cesse des textes qui sont censés faire notre bonheur, nombreux sont ceux, en particulier parmi les acteurs de la vie économique, qui souhaiteraient un peu plus de malheur constant  !

La première décision, qui est relative aux institutions représentatives du personnel, présente un goût de déjà-vu, puisqu'elle concerne les frais d'une expertise diligentée par le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT)(1). On se souvient en effet que, dans sa décision n° 2015-500 QPC du 27 novembre 2015(2), le Conseil avait censuré certaines dispositions de l'article L. 4614-13 du code du travail, texte dont la chambre sociale de la Cour de cassation avait déduit que l'employeur devait supporter les frais d'expertise quand bien même sa contestation élevée contre la décision prise par le CHSCT d'y recourir triomphait devant le juge judiciaire, dès lors que l'expert avait accompli sa mission. Le Conseil avait alors jugé que «  la combinaison de l'absence d'effet suspensif du recours de l'employeur et de l'absence de délai d'examen de ce recours conduit (...) à ce que l'employeur soit privé de toute protection de son droit de propriété en dépit de l'exercice d'une voie de recours  ; qu'il en résulte que la procédure applicable méconnaît les exigences découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789 [droit à un recours juridictionnel effectif] et prive de garanties légales la protection constitutionnelle du droit de propriété  » (cons. 10). Usant du pouvoir de modulation dans le temps de ses décisions que lui reconnaît l'article 62 de la Constitution, le Conseil avait reporté au 1 er janvier 2017 les effets de cette déclaration d'inconstitutionnalité(3). C'est ainsi que la « loi El Khomri » du 8 août 2016 a réécrit l'article L. 4614-13 du code du travail dans le but de le mettre en conformité avec la jurisprudence des sages. Et c'est la médiocre qualité du résultat obtenu que contestait en l'espèce la société requérante(4), loi médiocre qui débouche sur une décision n° 2017-662 QPC du 13 octobre 2017, Société EDF , elle-même d'assez piètre facture. Techniquement, la loi du 8 août 2016 a institué un mécanisme de contestation de l'expertise en deux temps. Dans un premier temps, le « nouvel » article L. 4614-13 (désormais abrogé par l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017...) prévoit que «  l'employeur qui entend contester la nécessité de l'expertise, la désignation de l'expert, le coût prévisionnel de l'expertise tel qu'il ressort, le cas échéant, du devis, l'étendue ou le délai de l'expertise saisit le juge judiciaire dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du [CHSCT]  ». Cette saisine du juge «  suspend l'exécution de la décision du comité  » et «  le juge statue, en la forme des référés, en premier et dernier ressort, dans les dix jours suivant sa saisine  » (al. 2). Le troisième alinéa du même article poursuit : «  Les frais d'expertise sont à la charge de l'employeur. Toutefois, en cas d'annulation définitive par le juge de la décision du [CHSCT (...)], les sommes perçues par l'expert sont remboursées par ce dernier à l'employeur. Le comité d'entreprise peut, à tout moment, décider de les prendre en charge  ». Sauf dans cette dernière hypothèse, le risque financier résultant d'une annulation de l'expertise pèse donc dorénavant sur l'expert (cela le dissuadera-t-il d'accepter une mission, qui, en pratique, doit souvent être menée rapidement  ?) et non plus sur l'employeur. Dans un second temps, l'article L. 4614-13-1 du code du travail prévoit que «  l'employeur peut contester le coût final de l'expertise devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle l'employeur a été informé de ce coût  ». La société requérante estimait que les premières dispositions (art. L. 4614-13, al. 2), «  en prévoyant que l'employeur doit saisir le juge dans un délai de quinze jours à compter de la délibération du comité décidant l'expertise, sans lui imposer d'en fixer, dans sa délibération, le coût prévisionnel, l'étendue ou le délai, ou de porter à la connaissance de l'employeur ces éléments dans le délai précité  », portaient à nouveau atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif (§ 2). Ce raisonnement n'était pas exempt de logique : comment l'employeur pourrait-il utilement contester le coût prévisionnel de l'expertise - ou ses autres modalités : étendue, délai, choix de l'expert - si, dans sa délibération prescrivant le recours à l'expert, le CHSCT a gardé le silence sur ces éléments - sachant que la loi n'impose pas au comité de les fixer ab initio   ? En somme, le requérant contestait la règle qui retient la date de la délibération du comité comme point de départ du délai de quinze jours pour saisir le juge. Le Conseil fonde le rejet de cette argumentation sur deux éléments, en distinguant le coût de l'expertise de ses autres modalités. Ainsi souligne-t-il, d'abord, qu'«  en vertu de l'article L. 4614-13-1 du code du travail, l'employeur peut contester le coût final de l'expertise décidée par le [CHSCT] devant le juge judiciaire, dans un délai de quinze jours à compter de la date à laquelle il a été informé de ce coût. Dès lors, à la supposer établie, l'impossibilité pour l'employeur de contester le coût prévisionnel de cette expertise ne constitue pas une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif  » (§ 6). La possibilité heureusement prévue par la loi de contester le coût final permet donc de contourner l'obstacle de fait qui peut s'élever contre une contestation utile du coût prévisionnel. C'est dire que cette possibilité de contestation préventive offerte à l'employeur peut en réalité être un leurre, car elle ne sera envisageable que si le CHSCT a procédé à l'évaluation du coût de l'expertise, en fournissant un devis. Bienvenue dans la République du droit approximatif  ! S'agissant, ensuite, des autres modalités de l'expertise, le Conseil décide qu'«  il résulte de l'article L. 4614-13 du code du travail qu'il appartient au [CHSCT], lorsqu'[il] décide de faire appel à un expert agréé, de déterminer par délibération l'étendue et le délai de cette expertise ainsi que le nom de l'expert. Dès lors, en prévoyant que l'employeur dispose d'un délai de quinze jours à compter de la délibération pour contester la nécessité de l'expertise, son étendue, son délai ou l'expert désigné, le législateur n'a pas méconnu le droit à un recours juridictionnel effectif  » (§ 7). Alors même que le Conseil constitutionnel nous promet, depuis près de deux ans, une meilleure motivation de ses décisions, la logique de cette argumentation ne se laisse pas facilement deviner... S'agit-il d'une sorte de réserve obligeant le comité à fixer les modalités de l'expertise dans la délibération même par laquelle il décide d'y recourir  ? Le Conseil veut-il, en ce sens, imposer au CHSCT une obligation non prévue par la loi - et bien difficile à satisfaire en pratique  ? Comme souvent, c'est le commentaire du service juridique du Conseil qui permet d'éclairer la portée de la décision : «  Le Conseil constitutionnel a (...) tenu compte de ce que, en encadrant le recours de l'employeur dans un bref délai, qui court à compter de la délibération du CHSCT, la loi du 8 août 2016 vise à lui donner l'opportunité de contester ces éléments à l'occasion de son recours, que ceux-ci résultent directement de la délibération contestée ou qu'ils soient précisés à l'occasion de ce recours  »(5). Voilà le lecteur correctement instruit : les modalités de l'expertise n'ont pas à être fixées dans la délibération qui la prescrit, dès lors qu'elles peuvent être précisées plus tard, à l'occasion du recours exercé devant le juge. Mais le lecteur n'est pas pour autant convaincu, car, s'il veut préserver ses droits, l'employeur devra forcément contester l'expertise dès qu'elle est décidée, en raison du très court délai dans lequel la loi lui impose d'agir. Si l'employeur attend de connaître les modalités de cette expertise pour agir, il risque en effet d'être prescrit. De sorte que la loi, avec la bénédiction laconique du Conseil - dont la décision paraît bien bancale -, encourage la contestation systématique par l'employeur de la décision prise par le CHSCT. Bienvenue dans la République du droit social crispé  ! Comme le relève M. Mouly, la voie législative la plus juste aurait consisté à reporter le point de départ du délai de prescription de l'action intentée par l'employeur au jour où celui-ci est informé des modalités de l'expertise, car «  il n'est pas possible d'exiger du CHSCT qu'il produise un devis au moment même où il prend sa décision de recourir à l'expertise  »(6). C'est peu ou prou la solution qu'a posée l'une des ordonnances du 22 septembre 2017(7) relativement aux compétences du nouveau comité social et économique(8) (nouveaux art. L. 2315-81-1 et L. 2315-86 C. trav.). En dépit de tous ses défauts, la loi conserve plus de vertus qu'une décision du Conseil pour lutter contre ses propres malfaçons...

Dans une deuxième décision, rendue le même jour ( décision n° 2017-661 QPC du 13 octobre 2017, Syndicat CGT des salariés des hôtels de prestige économique ), le Conseil a jugé conformes à la Constitution les dispositions de l'ancien article L. 2326-2 du code du travail dans leur rédaction résultant de la « loi Rebsamen » du 17 août 2015. Abrogé par les « ordonnances Macron », ce texte excluait que les salariés mis à disposition d'une entreprise puissent être élus à la délégation unique du personnel (DUP) au sein de cette entreprise d'accueil(9) (peu joliment dite «  entreprise utilisatrice  »), dans la mesure où ils n'étaient pas éligibles à son comité d'entreprise (ancien art. L. 2324-17-1 C. trav., auquel renvoyaient les dispositions contestées(10) ). Permettant depuis 1993 une juxtaposition des institutions représentatives du personnel, le code du travail prévoyait en effet, entre 2015 et le 1 er janvier 2018, que, «  dans les entreprises de moins de trois cents salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail  » (ancien article L. 2326-1 C. trav.). Cette mesure « pré-macronienne » offrait ainsi aux petites et moyennes entreprises la possibilité de réaliser une économie de moyens en permettant aux mêmes salariés d'exercer les fonctions dévolues aux délégués du personnel, au comité d'entreprise et au CHSCT. Ces délégués « multitâches » formaient la DUP. Or, la loi du 17 août 2015 avait condamné une jurisprudence de la chambre sociale qui avait admis, dans le silence des textes antérieurs, que les salariés mis à disposition soient éligibles à la DUP de leur entreprise d'accueil(11) et c'est cette règle nouvelle, qui résultait de l'ancien article L. 2326-2 du code du travail, que contestait en l'espèce le syndicat requérant. Deux griefs d'inconstitutionnalité étaient soulevés : d'une part «  une méconnaissance du principe de participation garanti par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946  »(12) et, d'autre part, une violation du «  principe d'égalité devant la loi dans la mesure où les salariés mis à disposition, qui sont éligibles en qualité de délégués du personnel, ne le sont en revanche pas à la [DUP]  » (§ 2). Le premier grief est écarté par les sages pour deux raisons. D'abord, «  les salariés mis à disposition peuvent, en tout état de cause (...) choisir d'exercer leur droit de vote et d'éligibilité aux institutions représentatives du personnel au sein de l'entreprise qui les emploie plutôt qu'au sein de l'entreprise utilisatrice  » (§ 6). Ensuite et surtout, le Conseil relève que «  la [DUP], mise en place à l'initiative du chef d'entreprise ou par accord collectif majoritaire afin de la substituer aux délégués du personnel, au comité d'entreprise et au [CHSCT], exerce, en vertu de l'article L. 2326-3 du code du travail, les attributions dévolues à chacune de ces institutions représentatives du personnel. Ses membres ont donc accès à l'ensemble des informations adressées à ces dernières. En excluant que les salariés mis à disposition soient éligibles à la [DUP] de l'entreprise utilisatrice, le législateur a cherché à éviter que des salariés qui continuent de dépendre d'une autre entreprise puissent avoir accès à certaines informations confidentielles, d'ordre stratégique, adressées à cette délégation unique lorsqu'elle exerce les attributions du comité d'entreprise  » (§ 7) . D'où l'absence de violation du huitième alinéa du Préambule de 1946 qui, comme le rappelle le commentaire du service juridique du Conseil, n'interdit pas que le corps électoral soit limité à certains salariés, mais exige seulement que cette limitation repose sur des critères objectifs et rationnels(13) . Par prolongement, cette motivation conduit également au rejet du second grief : parce que «  les délégués du personnel n'ont pas accès aux mêmes informations confidentielles que les membres de la [DUP], la différence de traitement résultant de ce que les salariés mis à disposition sont éligibles en qualité de délégués du personnel alors qu'ils ne le sont pas (...) à la [DUP], repose sur une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi  » (§ 8). Ainsi le Conseil constitutionnel fait-il sien le raisonnement qui avait conduit la « loi Rebsamen » à condamner la jurisprudence de la Cour de cassation antérieure à 2015(14) : le secret des affaires -- auquel la rue de Montpensier semble décidément de plus en plus sensible(15) - justifie l'inéligibilité des salariés concernés à la DUP de leur entreprise d'accueil. Et peu importe, puisque le Conseil n'en dit mot, que les représentants du personnel soient tenus à une obligation de discrétion, voire de secret professionnel(16) ... Mais avant d'ouvrir à l'encontre du Conseil un procès en libéralisme excessif, on consultera avec profit les deux décisions suivantes qui, en matière de négociation collective, apparaissent plutôt favorables, cette fois, à la protection des salariés et de l'action syndicale.

La première de ces deux décisions ( décision n° 2017-664 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail -- Force ouvrière ) concerne les conditions dans lesquelles les salariés peuvent être consultés sur un accord minoritaire conclu au sein de l'entreprise ou d'un établissement. Sa portée n'est toutefois que relative, dans la mesure où l'une des « ordonnances Macron » du 22 septembre 2017 a modifié les règles contestées dans un sens qui les met (vraisemblablement) en conformité avec la jurisprudence du Conseil. Quoi qu'il en soit, les sages ont censuré, en l'espèce, deux dispositions identiques (l'une contenue dans le code du travail et l'autre dans le code rural) elles-mêmes récentes puisqu'issues de la « loi El Khomri » (encore une fois  !) du 8 août 2016. Depuis cette loi, l'article L. 2232-12 du code du travail dispose que, dans les entreprises pourvues d'un ou de plusieurs délégués syndicaux(17), «  la validité d'un accord d'entreprise ou d'établissement est subordonnée à sa signature par, d'une part, l'employeur ou son représentant et, d'autre part, une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli plus de 50 % des suffrages exprimés en faveur d'organisations représentatives au premier tour des dernières élections des titulaires au comité d'entreprise ou de la délégation unique du personnel ou, à défaut, des délégués du personnel, quel que soit le nombre de votants  » (al. 1 er , non modifié en 2017(18)). Le deuxième alinéa du même article permet cependant, brevitatis causa , de déroger à la règle majoritaire dans l'hypothèse où l'accord a été signé par des organisations syndicales ayant obtenu plus de 30 % des suffrages exprimés, chacune de celles-ci pouvant alors demander une consultation des salariés en vue de valider cet accord(19). Selon une logique reprise et amplifiée par les ordonnances du 22 septembre 2017, la règle majoritaire est donc à la fois renforcée et marginalisée (du point de vue des syndicats), puisqu'elle peut céder devant la consultation directe des salariés, la volonté de promouvoir le référendum d'entreprise -- parangon de la « démocratie sociale »  ? -- étant partagée par ces récentes réformes. La présente QPC ne portait toutefois pas sur le principe même de cette consultation des salariés(20) , mais sur ses modalités, qui se veulent elles-mêmes démocratiques(21). Ainsi, selon le quatrième alinéa de l'ancien article L. 2232-12 (modifié en 2017  ; cf. infra ), «  la consultation des salariés, qui peut être organisée par voie électronique, se déroule dans le respect des principes généraux du droit électoral et selon les modalités prévues par un protocole spécifique conclu entre l'employeur et les organisations signataires  »(22). Le requérant contestait le fait que seuls les syndicats signataires de l'accord à valider soient ainsi associés à la négociation et à la conclusion du protocole électoral précisant les modalités de la consultation des salariés. Plusieurs griefs étaient soulevés par le syndicat CGT -- FO (liberté syndicale, droit de participer à la détermination collective des conditions de travail, principe d'égalité  ; § 5), mais le Conseil n'en retient qu'un, qui suffit à justifier la censure. Les sages relèvent d'abord qu'«  il était loisible au législateur, d'une part, de renvoyer à la négociation collective la définition des modalités d'organisation de la consultation et, d'autre part, d'instituer des règles visant à éviter que des organisations syndicales non signataires de l'accord puissent faire échec à toute demande de consultation formulée par d'autres organisations  » (§ 10). Tel était en effet l'argument pratique invoqué par le Gouvernement dans ses observations : en excluant du processus de conclusion du protocole électoral les syndicats non signataires de l'accord à valider, «  le législateur avait voulu éviter le blocage du processus par ces syndicats  »(23). Malgré sa force concrète non négligeable, cette logique n'a pas fait pencher la balance constitutionnelle du côté de la loi. Ainsi, selon le Conseil, «  les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui ne repose ni sur une différence de situation ni sur un motif d'intérêt général en rapport direct avec l'objet de la loi. Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, le quatrième alinéa de l'article L. 2232-12 du code du travail [doit (...)] donc être déclar[é] contrair[e] à la Constitution  » (§ 10). On peine une nouvelle fois à déceler les efforts de motivation promis par le Conseil... Les syndicats non signataires de l'accord que le référendum a pour objet de valider sont-ils véritablement dans la même situation que ceux qui l'ont signé  ? N'est-il pas logique, en cas de réponse négative, d'exclure les premiers de la conclusion du protocole électoral  ? En vérité, la censure repose plutôt, on le sent bien, sur l'exigence d'un «  rapport direct avec l'objet de la loi  », et c'est ce que confirme le service juridique du Conseil -- toujours prompt à motiver les décisions qui ne le sont pas : qu'elles soient on non signataires de l'accord, «  toutes les organisations syndicales sont intéressées par la définition [des modalités d'organisation de la consultation] qui vont s'appliquer dans le cadre de l'adoption d'un accord qui vaudra ensuite pour tous les salariées [sic  !] de l'entreprise ou de l'établissement  »(24). Les sages ont donc fait le choix de l'égalité entre les syndicats au détriment potentiel de l'aboutissement de la négociation. Mettant fin à la discrimination ici condamnée par le Conseil, l'ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 prévoit désormais que le protocole électoral doit être conclu, non avec les seuls syndicats signataires de l'accord, mais avec «  une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés  » lors des élections des représentants du personnel (nouvel art. L. 2232-12, al. 4)(25). À lire le commentaire du service juridique du Conseil, qui se réfère à «  toutes les organisations syndicales  » (v. ci-dessus), ne se pourrait-il pas que cette voie moyenne retenue par l'ordonnance soit à son tour condamnée  ? L'« audience électorale » des syndicats, critère de leur représentativité, peut-elle servir de base adéquate pour la conclusion du protocole électoral  ? Les QPC sur les « ordonnances Macron », c'est sans doute pour bientôt  ! Mais il faut relever, en vérité, que la nouvelle rédaction du texte a le mérite d'inclure dans la négociation du protocole électoral les organisations syndicales qui n'ont pas signé l'accord devant être soumis à la consultation des salariés(26), et de les associer à sa conclusion, solution qui devrait suffire à faire échapper ce nouveau texte à une censure telle que celle laconiquement prononcée par la décision n° 664 QPC. On notera, enfin, que la présente décision a au contraire écarté les griefs qui étaient soulevés contre d'autres dispositions du code du travail (issues de la « loi Rebsamen » de 2015, pour les premières, et de la loi du 20 août 2008 -- une antiquité du droit social  ! -- pour les secondes) qui s'appliquent, en matière de négociation collective, au sein des entreprises dépourvues de délégué syndical (dispositions modifiées par les « ordonnances Macron » qui, sur la question discutée, retiennent toutefois une logique identique(27)). Dans ce cas, la loi prévoit que l'accord signé avec les représentants du personnel(28) «  doit avoir été approuvé par les salariés à la majorité des suffrages exprimés, dans des conditions déterminées par décret et dans le respect des principes généraux du droit électoral  » (ancien art. L. 2232-21-1 C. trav.  ; rappr. ancien art. L. 2232-27 C. trav.). Le Conseil constitutionnel a notamment jugé qu'en renvoyant ainsi au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les modalités d'organisation de la consultation des salariés, «  le législateur n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant le principe de participation des travailleurs  » (§ 16  ; pas d'incompétence négative)(29). Il en résulte que «  les modalités de consultation des salariés aux fins de validation d'un accord collectif ne particip[ent] pas en tant que telle[s] des principes fondamentaux du droit du travail que la Constitution [art. 34] range dans le domaine de la loi  »(30). Voguera donc la « démocratie sociale », au moins, peut-être, jusqu'à de prochaines et probables QPC.

La seconde décision relative à la négociation collective -- qui constituera la dernière touche de cette fresque travailliste -- concerne la possibilité offerte par la loi à l'employeur de licencier les salariés qui refusent la modification de leur contrat de travail résultant d'un accord de préservation ou de développement de l'emploi (APDE) ( décision n° 2017-665 QPC du 20 octobre 2017, Confédération générale du travail -- Force ouvrière ). Ce type d'accord collectif, créé par la « loi El Khomri » (et modifié par les « ordonnances Macron », qui le conservent), vise expressément à renforcer la compétitivité des entreprises(31) en leur permettant d'obtenir des aménagements de la durée du travail, de ses modalités d'organisation et de répartition ou encore des aménagements de la rémunération ou des conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise (art. L. 2254-2 C. trav.(32)), sans qu'il soit exigé que l'entreprise connaisse de «  graves difficultés économiques  » -- ce qui, aux temps « anciens » de la « loi El Khomri » (8 août 2016  !) distinguait l'APDE des accords de maintien de l'emploi (anciens articles L. 5125-1 et s. C. trav.). Dans sa rédaction en l'espèce contestée (c'est-à-dire celle de 2016), l'article L. 2254-2 prévoyait, en son premier alinéa, que les stipulations de l'APDE «  se substitu[aient] de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail  »(33). L'accord collectif pouvant nuire à la situation du salarié, la loi ajoutait (et ajoute toujours) que celui-ci «  peut refuser la modification de son contrat de travail résultant de l'application de l'accord  ». Dans ce cas, l'ancien article L. 2254-2 disposait (et, sous réserve de quelques retouches, dispose toujours) que le salarié peut être licencié et que «  ce licenciement repose sur un motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse et est soumis aux seules modalités et conditions définies aux articles L. 1233-11 à L. 1233-15 applicables au licenciement individuel pour motif économique [règles de procédure] ainsi qu'aux articles L. 1234-1 à L. 1234-20 [conséquences du licenciement] . La lettre de licenciement comporte l'énoncé du motif spécifique sur lequel repose le licenciement  » (§ II, al. 2). Telle était la principale disposition contestée par la présente QPC(34). Le syndicat requérant soutenait d'abord que «  ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi en ce qu'elles permettraient à l'employeur de choisir discrétionnairement quels salariés licencier parmi ceux ayant refusé la modification de leur contrat de travail résultant de l'application d'un [APDE]  » (§ 2). Constituant en effet une cause de licenciement spécifique, le licenciement fondé sur l'article L. 2254-2 ne soumet pas l'employeur à l'obligation de respecter un ordre des licenciements, contrairement aux règles applicables au licenciement pour motif économique. Mais au regard de l'approche abstraite du principe d'égalité qui est celle du Conseil, ce grief est rejeté sans grande surprise : «  En permettant à un employeur de licencier un salarié ayant refusé la modification de son contrat de travail résultant de l'application d'un [APDE], le législateur a placé dans la même situation juridique l'ensemble des salariés refusant cette modification. Il n'a donc pas établi de différence de traitement entre eux  » (§ 15). La différence de traitement n'est en effet sanctionnée par le Conseil constitutionnel que lorsqu'elle résulte de la loi elle-même(35), ce qui n'est pas le cas ici. Un syndicat dont l'intervention avait été admise par le Conseil (CGT) estimait ensuite que les dispositions en cause étaient contraires au droit à l'emploi protégé par le 5 e alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, notamment parce que l'article L. 2254-2 ne prévoit pas d'obligation de reclassement des salariés. S'il n'est pas rare que le droit à l'emploi soit invoqué devant le juge constitutionnel, il est en revanche rarissime, voire franchement inouï, que celui-ci fasse mouche(36) -- sauf peut-être, sur un mode mineur, pour valider des obligations mises par la loi à la charge des employeurs, au détriment de la liberté d'entreprendre(37), ou pour rejeter les griefs dirigés contre des textes qui, dans le but de favoriser l'emploi, restreignent les droits de certains salariés. C'est par exemple dans cet esprit que le Conseil valida jadis le fameux «  contrat première embauche  »(38), dont un ancien président de la République annonça aux Français stupéfaits, mais majoritairement satisfaits, qu'il serait retiré de l'ordonnancement juridique le jour même où la loi qui le créait était publiée au Journal officiel ... C'est dire que le contrôle opéré par les sages sur le fondement du droit à l'emploi est loin de terrifier les Parlementaires. Et pourtant  ! Si la décision n° 665 QPC commence sur un ton modeste et prudent («  le Conseil constitutionnel ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement  », etc.  ; § 8) et se poursuit par l'énumération des «  garanties  » prévues par la loi au profit des salariés licenciés dans le cadre d'un APDE (entretien préalable, notification, préavis et indemnités, possibilité d'une contestation devant le juge  ; § 9 et 10(39)), le Conseil n'en a pas moins trouvé dans les entrailles de ce mécanisme, en creux, une faille suffisamment grande pour qu'il décide de l'exploiter, sous la forme d'une réserve d'interprétation : «  Si le législateur n'a pas fixé de délai à l'employeur pour décider du licenciement du salarié qui l'a averti de son refus de modification de son contrat de travail, un licenciement fondé sur ce motif spécifique ne saurait, sans méconnaître le droit à l'emploi, intervenir au-delà d'un délai raisonnable à compter de ce refus  » (§ 12). Sous cette remarquable condition (peut-être plus remarquable en théorie qu'en pratique), le Conseil a décidé que «  le législateur a opéré une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du droit d'obtenir un emploi et de la liberté d'entreprendre  » (§ 13). La réserve, qui fait appel au standard du raisonnable, ne sera sans doute pas facile à mettre en œuvre, encore que le juge judiciaire se soit désormais largement converti, sous l'influence d'autres juridictions, à la « politique du proportionnel » et du « raisonnable » (qui ne sied sans doute pas très bien à un droit du travail classiquement très « réglementaire »). En somme, l'employeur ne devra pas trop tarder à licencier ceux qui refusent la modification de leur contrat de travail, si tant est qu'il puisse être tenté de prendre son temps... Il ne faudrait pas pourtant négliger la portée potentielle de cette réserve, car elle permettra de sanctionner l'attitude d'un employeur qui utiliserait l'APDE comme un outil d'adaptation permanente de ses effectifs pendant toute la durée de l'accord. De ce point de vue, la réserve revêt une véritable portée et elle apparaît bienvenue : la régression de la protection des salariés connaît bien certaines limites constitutionnelles, même feutrées. Et dans la mesure où le Conseil a expressément et logiquement jugé que la validation par ses soins de la loi du 15 septembre 2017 habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnances le code du travail n'exonère pas les dispositions adoptées par celles-ci du respect des droits et principes constitutionnels(40) -- y compris un droit à l'emploi ici revigoré --, il ne fait aucun doute que les dispositions des « ordonnances Macron » seront rapidement soumises à la sagacité des sages. Dans le même temps, la censure et la réserve résultant des décisions n os 664 et 665 QPC ne remettent pas en cause les récentes et importantes inflexions que connaît notre droit du travail (renforcement de la négociation collective, affaiblissement du contrat individuel, place du référendum d'entreprise...). Ce n'est donc probablement ni dans leur esprit ni dans leurs choix fondamentaux ou leurs options techniques essentielles que les réformes de 2016 et 2017 encourent des risques constitutionnels, mais plutôt sur des points plus accessoires (qui ne sont parfois que malfaçons législatives), tels que ceux en cause dans ces décisions. Le diablotin constitutionnel se cachera donc dans les détails -- des « détails » qui peuvent cependant avoir de l'importance pour le respect des droits fondamentaux des salariés ou des syndicats, comme ces deux QPC le prouvent.

Avant que cette chronique privatiste ne se réduise définitivement à un panorama de droit du travail, on signalera quelques décisions relevant d'autres domaines. Au croisement du droit pénal et du droit des personnes, en premier lieu, deux décisions récentes conduisent à la censure de dispositions législatives sur le fondement du droit au respect de la vie privée qu'implique, selon le Conseil, la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration de 1789(41). Dans sa décision n° 2017-670 QPC du 27 octobre 2017, M. Mikhail P. (42) , le Conseil a d'abord censuré le premier alinéa de l'article 230-8 du code de procédure pénale (dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016), disposition relative à l'effacement des données à caractère personnel inscrites dans les fichiers de traitement d'antécédents judiciaires. Reprenant une méthode de raisonnement désormais éprouvée(43), les sages se sont fondés sur un faisceau d'indices concordants pour juger que ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, en ce qu'elles privent «  les personnes mises en cause dans une procédure pénale, autres que celles ayant fait l'objet d'une décision d'acquittement, de relaxe, de non-lieu ou de classement sans suite, de toute possibilité d'obtenir l'effacement de leurs données personnelles inscrites dans le fichier  » (§ 14). Les indices retenus en l'espèce sont les suivants : caractère «  sensible  » des données (état civil des intéressés, profession et situation de famille, photographie permettant une reconnaissance faciale  ; § 10), grand nombre de personnes concernées («  toutes les personnes mises en cause pour un crime, un délit et certaines contraventions de la cinquième classe  »  ; § 11), pas de durée légale maximum de conservation des informations enregistrées (§ 12), consultation du fichier possible non seulement aux fins de constatation des infractions à la loi pénale, mais encore à d'autres fins de police administrative (§ 13). C'est donc au regard du contenu de ce fichier, de ses finalités et de ses modalités que les règles d'effacement des données, parce que trop restrictives, sont censurées (avec effet différé au 1 er mai 2018). Le respect de la vie privée l'emporte ainsi, en l'espèce, sur «  les objectifs de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions et de prévention des atteintes à l'ordre public  » (§ 9 in fine ). De manière intéressante, le commentaire du service juridique entend préciser qu'il ne faudrait pas déduire de cette censure la consécration d'un «  droit à l'effacement(44). Dans le processus de gestation constitutionnelle, ce nouveau « droit à » du troisième millénaire ne serait donc pas même embryonnaire. Affaire à suivre, tout de même, dans la mesure où cette décision semble bien durcir les positions du Conseil, sinon dans la formulation de sa doctrine (stable depuis 2012), du moins dans la sévérité avec laquelle il en fait application, dans le domaine très significatif, au regard de la protection nécessaire de l'ordre public, des fichiers de police. Le moins que l'on puisse dire, en effet, est que cette nouvelle solution tranche avec celle -- fort timide -- que les sages avaient retenue dans leur décision de 2010 relative au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG)(45). Ensuite, dans sa décision n° 2017-677 QPC du 1er décembre 2017, Ligue des droits de l'Homme , le Conseil constitutionnel a déclaré contraire au droit au respect de la vie privée ainsi qu'à la liberté d'aller et de venir (fondée sur les art. 2 et 4 de la DDHC) l'article 8-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans la rédaction que lui a donnée une loi encore une fois très récente(46). Cette nouvelle censure apparaît encore plus significative que la précédente, car son domaine, l'état d'urgence -- donc la lutte contre le terrorisme -- est encore plus sensible. Les dispositions ici condamnées par les sages concernaient les zones dans lesquelles l'état d'urgence avait été déclaré et permettaient au préfet d'autoriser les forces de police et de gendarmerie, par décision motivée, à procéder à des contrôles d'identité, à l'inspection visuelle et à la fouille des bagages ainsi qu'à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public. Le Conseil a relevé qu'en dépit de certaines garanties(47), ce texte permettait de «  procéd[er] à ces opérations, dans les lieux désignés par la décision du préfet, à l'encontre de toute personne, quel que soit son comportement et sans son consentement  », ce qui entraîne la chute du couperet constitutionnel : «  S'il est loisible au législateur de prévoir que les opérations mises en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liées au comportement de la personne, la pratique de ces opérations de manière généralisée et discrétionnaire serait incompatible avec la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée. Or, en prévoyant que ces opérations peuvent être autorisées en tout lieu dans les zones où s'applique l'état d'urgence, le législateur a permis leur mise en œuvre sans que celles-ci soient nécessairement justifiées par des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public dans les lieux en cause  » (§ 6). Selon la même logique que dans la précédente décision, le Conseil en déduit que «  le législateur n'a pas assuré une conciliation équilibrée entre, d'une part, l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, et, d'autre part, la liberté d'aller et de venir et le droit au respect de la vie privée  » (§ 7  ; effets de la censure reportés au 30 juin 2018  ; § 9). Immédiatement, on songe à la fameuse et préhistorique décision n° 76-75 DC relative à la fouille des véhicules(48), censure jadis fondée sur la liberté individuelle mais qui constitue aujourd'hui, rétrospectivement, les prémices d'un droit au respect de la vie privée qui deviendra autonome bien des années plus tard, sur le fondement déjà signalé de l'article 2 de la Déclaration de 1789(49). Depuis ces lointaines époques, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts (qu'on songe, par exemple, au développement tous azimuts des pouvoirs de l'administration, dont témoigne encore la présente décision, au détriment de l'autorité judiciaire...) et l'histoire s'est accélérée et dramatisée avec l'avènement de l'état d'urgence en 2015. Et c'est tout à l'honneur du Conseil constitutionnel que d'avoir su adapter sa jurisprudence à cette nouvelle donne en exigeant que ces mesures exceptionnelles soient fondées sur «  une motivation spécifique tenant compte des circonstances de l'espèce  »(50), exigence qui a conduit à un certain nombre de censures dont d'autres chroniques, spécialement en droit pénal et procédure pénale, se sont faites l'écho. Dans le domaine de la lutte contre le terrorisme (hors état d'urgence), nous avions récemment signalé, dans le même sens, la décision n° 2017-648 QPC qui a censuré certaines dispositions du code de la sécurité intérieure(51) qui étaient issues de la même loi que celles condamnées dans l'affaire n° 677 QPC (21 juillet 2016). La question était alors celle de l'accès administratif en temps réel aux données de connexion et le Conseil a jugé qu'une limitation quantitative de la mesure s'imposait, dès lors que le lien des personnes concernées avec la menace terroriste devenait trop lâche(52). C'est encore le droit au respect de la vie privée qui justifiait cette censure, toutes ces décisions témoignant du regain d'efficacité que le Conseil donne à ce droit depuis quelques mois. Et ce qui est vrai en matière d'espionnage administratif, de fouille des véhicules ou de fichiers de police l'est aussi, plus prosaïquement, sur d'autres plans moins patinés de droit pénal(53). Dans cette dernière matière, le Conseil constitutionnel vient donc brider certaines ambitions sécuritaires du législateur en exigeant que les mesures attentatoires à la vie privée soient justifiées (de manière plus ou moins exigeante, en fonction de leur gravité et des garanties mises en place) par l'existence d'un lien suffisamment caractérisé avec la menace pourchassée, ou par d'autres risques particuliers. C'est dans le même esprit, sinon sur le même fondement, qu'une autre décision récente ( décision n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017, M. David P. )(54) a censuré(55) le délit de consultation habituelle de «  sites internet terroristes  », cette fois au nom de la liberté de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 : «  Si le législateur a ajouté à la consultation, comme élément constitutif de l'infraction, la manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur ces services [de communication au public en ligne], cette consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes  » (§ 14). L'insuffisante caractérisation législative du risque a donc justifié une nouvelle censure.

Pour achever, en second lieu, ce tour d'horizon trimestriel, trois décisions du Conseil seront brièvement signalées. Dans la première ( décision n° 2017-680 QPC du 8 décembre 2017, Union syndicale des magistrats ), certes très importante mais tellement prévisible, les sages ont jugé que la règle selon laquelle «  les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice  » (art. 5 de l'ordonnance du 22 décembre 1958(56)) «  assur[e] une conciliation équilibrée entre le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire [art. 64 de la Constitution] et les prérogatives que le Gouvernement tient de l'article 20 de la Constitution [détermination et conduite de la politique de la Nation] . Elles ne méconnaissent pas non plus la séparation des pouvoirs [art. 16 de la DDHC] » (§ 14). Pour souligner toute la difficulté du problème, source d'interminables débats -- et toute l'ambiguïté de la solution que lui apporte le Conseil (pour la première fois) --, il suffit d'isoler, pour les mettre en évidence, ces quelques mots du § 9 qui, à la suite de la longue énumération des règles constitutionnelles applicables, décident qu'«  il résulte de l'ensemble de ces dispositions que la Constitution consacre l'indépendance des magistrats du parquet (...)  »(57). Drôle d'indépendance, pourtant, que celle qui accepte que soit mis entre les mains de l'exécutif le pouvoir de nommer et de sanctionner ces magistrats, avec la seule exigence d'un avis simple du Conseil supérieur de la magistrature... Car si le Conseil constitutionnel énumère par ailleurs les «  garanties  » de cette indépendance prétendue (pas d'instruction dans les affaires individuelles(58), liberté des observations orales, libre décision de l'opportunité d'engager des poursuites, notamment  ; § 12), ce sont bien essentiellement les règles de nomination et de sanction qui font difficulté(59) -- bien plus que le pouvoir du ministre de donner des instructions générales, pouvoir que l'article 20 de la Constitution peut en effet justifier, parce qu'il «  concerne les domaines d'action du ministère public  », en particulier la politique pénale, comme le juge le Conseil (§ 5)(60). Celui-ci aura donc du mal à convaincre les requérants déçus, comme bien d'autres juristes, qu'il n'a pas fait usage, en l'espèce, d'une technique de motivation bien pratique : celle qui consiste à mettre la lumière sur l'arbre qui cache la forêt. Mais il est vrai que la solution pourrait jaillir (bientôt  ?) d'une réforme de la Constitution promise par l'actuel président de la République. On lui souhaite un meilleur vent qu'à toutes celles qui ont échoué depuis les préconisations du rapport de la « commission Truche », en 1997...

Enfin, dans deux dernières décisions, le Conseil constitutionnel a, d'une part, censuré des dispositions du code des transport(61) relatives à l'Autorité de contrôle des nuisances aéroportuaires, sur le fondement parfaitement rôdé, s'agissant de son application aux autorités administratives indépendantes, du principe d'impartialité (déduit de l'art. 16 de la DDHC et rappelé au § 7), vu l'absence totale de séparation entre les fonctions de poursuite et celles de jugement ( décision n° 2017-675 QPC du 24 novembre 2017, Société Queen Air ) et, d'autre part, rejeté les griefs qui étaient dirigés contre certaines dispositions du code de l'urbanisme, modifiées par la « loi Macron » du 6 août 2015, au sujet de l'action en démolition d'un ouvrage qui a été édifié en conformité avec un permis de construire subséquemment annulé par le juge administratif ( décision n° 2017-672 QPC du 10 novembre 2017, Association Entre Seine et Brotonne et autre ). Selon l'article L. 480-13, 1 °, du code de l'urbanisme, la démolition n'est possible, en cas de méconnaissance des règles d'urbanisme ou des servitudes d'utilité publique, que dans les cas qu'il énumère limitativement (mais très longuement). Rejetant les arguments de plusieurs associations de protection de l'environnement, les sages ont jugé que ces dispositions, en raison de leur économie d'ensemble (§ 7 à 12), «  ne portent pas d'atteinte disproportionnée aux droits des victimes d'obtenir réparation de leur préjudice [principe de responsabilité] , ni d'atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif [sous l'angle du droit d'obtenir l'exécution des décisions juridictionnelles] » (§ 13). Pour parvenir à ce résultat, le Conseil a décidé, en particulier, que «  le législateur a entendu réduire l'incertitude juridique pesant sur les projets de construction et prévenir les recours abusifs susceptibles de décourager les investissements [  ; il a] ainsi poursuivi un objectif d'intérêt général  » (§ 8), but qui l'emporte donc, ici, sur le respect le plus strict de la légalité. Le Conseil a pareillement rejeté les griefs fondés sur les articles 1er, 2 et 4 de la Charte de l'environnement, au motif que «  le législateur a veillé à ce que l'action en démolition demeure possible dans les zones présentant une importance particulière pour la protection de l'environnement  » (§ 17).

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

30 septembre 2016

2016-572 QPC

M. Gilles M. et autre [Cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public]

  • Stasiak Frédéric. « Cumul répressif et diffusion d’informations fausses ou trompeuses ». In « Chronique de jurisprudence – Infractions boursières », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juillet-septembre 2017, n° 3, p. 536-540.

13 octobre 2016

2016-582 QPC

Société Goodyear Dunlop Tires France SA [Indémnité à la charge de l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse]

  • Gadhoun Pierre-Yves. « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel (première partie) », Le Droit Ouvrier, octobre 2017, ° 831, p. 625-630.

16 mars 2017

2016-619 QPC

Société Segula Matra Automotive [Remboursement des fonds de formation professionnelle continueen cas d'inexécution]

  • Gahdoun Pierre-Yves, « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel (première partie) », Le Droit Ouvrier, octobre 2017, n° 831, p. 625-630

2017-748 DC

Loi relative à la lutte contre l'accaparement des terres agricoles et au développement du biocontrôle

  • « Le Conseil constitutionnel censure partiellement une loi prévoyant la mise en œuvre du droit de préemption détenu par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural », Concurrences : revue des droits de la concurrence, novembre 2017, n° 2017-4, p. 181-182.

30 mars 2017

2016-621 QPC

EARL Clos Teddi et autre [Cumul des sanctions : contribution spéciale et sanction pénale en cas d'emploi illégal d'un travailleur]

  • Catelan Nicolas. « Requiem pour ne bis in idem ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 745-747.

6 avril 2017

2017-623 QPC

Conseil national des barreaux [Secret professionel et obligation de discrétion du défenseur syndical]

  • Gahdoun Pierre-Yves, « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel (2e partie). (Cass. soc., 31 mai 2017, n° 16-16949) », Le Droit Ouvrier, novembre 2017, n° 832, p.689-692.

2 juin 2017

2017-632 QPC

Union nationale des associationsde familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés [Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d'arrêt des traitements d'une personne hors d'état d'exprimer sa volonté]

  • Bioy Xavier, « Le Conseil constitutionnel et l'arrêt des traitements médicaux : Les sophistes face à la mort de Socrate », Actualités juridiques. Droit administratif, 9 octobre 2017, n° 33, p. 1908-1911.
  • Szulman Marc. « L'acharnement procédural au secours de la fin de vie », Constitutions, juillet-septembre 2017, n° 2017-3, p. 460-468.

4 août 2017

2017-649 QPC

Société civile des producteurs phonographiques et autres [Extension de la licence légale aux services de radio par internet]

  • « Le Conseil constitutionnel déclare conforme à la Constitution une disposition législative qui prévoit la possibilité pour les services de radio exerçant sur internet d'utiliserdes phonogrammes publiés à des fins de commerce sans le consentement des artistes-interprètes ni des producteurs », Concurrences : Revue des droits de la concurrence, novembre 2017, n° 2017-4, p. 183-184.
  • Azzi Tristan. « L’extension aux “webradios” de la licence légale relative aux phonogrammes du commerce est conforme à la Constitution », Dalloz IP/IT, novembre 2017, n° 11, p. 591-595.

Droit social

  • Gahdoun Pierre-Yves. « Jurisprudence sociale du Conseil constitutionnel (2e partie). (Cass. soc., 31 mai 2017, n° 16-16949) », Le Droit ouvrier, novembre 2017, n° 832, p. 689-692.
  • Lahalle Thibault. « Quelques suggestions anachroniques sur le droit de grève... Quoique », Droit social, novembre 2017, n° 11, p. 960-970.
  • Morin Marie-Laure. « Derrière “le pragmatisme” des ordonnances, la perversion des droits fondamentaux du travail », Le Droit ouvrier, octobre 2017, n° 831, p. 590-597.

(1) Rappelons que le CHSCT peut notamment faire appel à un expert agréé « lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement » ou « en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8-1 » (ancien art. L. 4614-12 C. trav.).
(2) Société Foot Locker France SAS. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2016, n° 51, p. 142.
(3) On notera que la Cour de cassation a prescrit le maintien de sa solution antérieure, condamnée par le Conseil, jusqu’à la date fixée par celui-ci pour l’application de ses effets. Contrairement au raisonnement qu’elle avait suivi dans un autre domaine (pour la garde à vue, en 2010), la Cour a en effet écarté l’application de la Convention européenne des droits de l’homme dont l’article 6 § 1 (« droit au juge ») aurait pu conduire à une condamnation immédiate de la disposition censurée seulement de manière différée par les sages. Plus précisément, la chambre sociale a réglé un conflit entre droits fondamentaux en estimant, un peu pompeusement, que « l’atteinte ainsi portée au droit de propriété et au droit au recours effectif pour une durée limitée dans le temps est nécessaire et proportionnée au but poursuivi par les articles 2 et 8 de la [Convention EDH] protégeant la santé et la vie des salariés en raison des risques liés à leur domaine d’activité professionnelle ou à leurs conditions matérielles de travail » (Cass. soc., 31 mai 2017, n° 16-16.949 : Dr. social, 2017, p. 784, obs. J. Mouly  ; Dr. ouvrier, 2017, p. 692, note P.-Y. Gahdoun). Sur l’ensemble de l’affaire, voir O. Dutheillet de Lamothe, « L’effet dans le temps des décisions rendues en matière de QPC. Les enseignements de l’affaire Foot Locker », JCP G, 2018, 89
(4) Sur la décision de renvoi (Cass. soc., 13 juillet 2017, n° 16-28.561), voir J. Mouly, obs. in Dr. social, 2017, p. 988.
(5) Site Internet du Conseil, p. 12.
(6) J. Mouly, obs. préc. sous Cass. soc., 13 juillet 2017, p. 990.
(7) Ord. n° 2017-1386, art. 1er.
(8) Qui remplace l’ancien comité d’entreprise en le fusionnant avec le CHSCT.
(9) Quand bien même ils rempliraient, par ailleurs et par hypothèse, certaines conditions posées par la loi pour être électeurs ou éligibles. Voir ancien article L. 2314-18-1 du code du travail pour les élections des délégués du personnel (temps de présence dans l’entreprise utilisatrice).
(10) Lesquelles prévoyaient précisément que « la [DUP] est composée des représentants du personnel élus dans les conditions prévues à la section 2 du chapitre IV du présent titre ».
(11) Voir Cass. soc., 5 décembre 2012, n° 12-13.828.
(12) Sur ce point, le Conseil reprend (plus ou moins) son paragraphe de principe relatif à cet alinéa (§ 3). Il rappelle ainsi que le principe de participation « a pour bénéficiaires, non la totalité des travailleurs employés à un moment donné dans une entreprise, mais tous ceux qui sont intégrés de façon étroite et permanente à la communauté de travail qu’elle constitue, même s’ils n’en sont pas les salariés ». Voir, en premier lieu, Cons. const., déc. n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, cons. 29. Les lecteurs pointilleux auront noté que l’expression « sinon la totalité des travailleurs (…), du moins tous ceux (…) », employée en 2006, devient pour la première fois, dans la présente décision, « non la totalité des travailleurs (…), mais tous ceux (…) ». Or, ces deux expressions n’ont pas exactement la même coloration, puisque la seconde peut être jugée plus restrictive que la première.
(13) Site Internet du Conseil, p. 7.
(14) Voir les travaux parlementaires cités dans le commentaire préc., p. 3.
(15) De ce point de vue, la présente décision peut être rapprochée d’une autre, qui concerne la « loi Sapin 2 » relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : Cons. const., déc. n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, spéc. § 103, au sujet du « reporting fiscal », condamné par le Conseil en raison d’une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre. Comp., dans un autre domaine, Cons. const., déc. n° 2017-750 DC du 23 mars 2017, Loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, § 15 à 19.
(16) Règles dont le Conseil a indirectement eu à connaître voilà six mois, au sujet des défenseurs syndicaux (Cons. const., déc. n° 2017-623 QPC du 7 avril 2017, Conseil national des barreaux). Sur le secret professionnel et l’obligation de discrétion des membres du nouveau comité social et économique, créé par les ordonnances de 2017, voir art. L. 2315-3 C. trav.
(17) Une coquille se glisse à ce sujet dans le § 1 de la décision du Conseil.
(18) Sauf pour substituer le nouveau conseil social et économique à l’ancien comité d’entreprise.
(19) Ancien art. L. 2232-12, al. 2 : « Si cette condition [de majorité] n’est pas remplie et si l’accord a été signé à la fois par l’employeur et par des organisations syndicales représentatives ayant recueilli plus de 30 % des suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des élections mentionnées au premier alinéa, quel que soit le nombre de votants, une ou plusieurs de ces organisations ayant recueilli plus de 30 % des suffrages disposent d’un délai d’un mois à compter de la signature de l’accord pour indiquer qu’elles souhaitent une consultation des salariés visant à valider l’accord ». Selon l’alinéa 3 du même article, « si, à l’issue d’un délai de huit jours à compter de cette demande, les éventuelles signatures d’autres organisations syndicales représentatives n’ont pas permis d’atteindre le taux de 50 % mentionné au premier alinéa et si les conditions mentionnées au deuxième alinéa sont toujours remplies, cette consultation est organisée dans un délai de deux mois ».
(20) Question qui aurait renvoyé à celle de la place attribuée par la loi aux syndicats en matière de négociation collective. Voir, à ce sujet, le commentaire de la décision n° 664 QPC par le service juridique du Conseil, site Internet du Conseil, p. 9 à 11.
(21) Un dernier alinéa de l’article L. 2232-12 ajoutait qu’« un décret définit les conditions de la consultation des salariés organisée en application du présent article ». C’est à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir formé contre ce décret (n° 2016-1797 du 20 décembre 2016) que la présente QPC a été transmise au Conseil constitutionnel par le Conseil d’État (CE, 19 juillet 2017, n° 408221).
(22) Rappr. art. L. 514-3-1, II, al. 5, du code rural et de la pêche maritime (accords conclus au sein des établissements du réseau des chambres d’agriculture), également contesté et censuré par le Conseil dans la présente décision – et également modifié par les « ordonnances Macron ».
(23) Commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 14.
(24) Commentaire préc., p. 15.
(25) L’ordonnance prévoit aussi, désormais, que « l’employeur peut demander l’organisation de cette consultation, en l’absence d’opposition de l’ensemble de ces organisations [syndicats signataires de l’accord] » (nouvel art. L. 2232-12, al. 2). Mais c’est là une autre histoire, qui a beaucoup fait débat  !
(26) Le seuil de 30 % correspondant à celui fixé par le deuxième alinéa du même article pour la conclusion de l’accord collectif (cf supra, spéc. note 19). La règle devrait ainsi avoir pour mérite d’éviter les blocages redoutés par le Gouvernement.
(27) Voir nouveaux art. L. 2232-21, al. 3, L. 2232-23-1, II, al. 2 et L. 2232-24, al. 3, C. trav.
(28) Sont visés : « Un représentant élu du personnel au comité d’entreprise ou à la délégation unique du personnel ou, à défaut, (…) un délégué du personnel mandaté ».
(29) Est également rejeté le grief tiré d’une atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif (§ 17).
(30) Commentaire préc. du service juridique, p. 16.
(31) La loi, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1385 du 22 septembre 2017 (qui n’est pas la version contestée dans cette QPC), vise de manière très compréhensive les « nécessités liées au fonctionnement de l’entreprise » (art. L. 2254-2, al. 1er, C. trav.).
(32) Cette liste est celle prévue par la loi, encore une fois dans sa rédaction résultant de l’ordonnance du 22 septembre 2017.
(33) Une règle similaire est désormais posée par le premier alinéa du III du même article. Dans sa version de 2016, la loi prévoyait toutefois que l’APDE « ne [pouvait] avoir pour effet de diminuer la rémunération mensuelle du salarié »  ; dans sa version de 2017, il est simplement prévu que la rémunération peut être aménagée par l’APDE « dans le respect du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des salaires minimas [sic] conventionnels mentionnés au 1 ° du I de l’article L. 2253-1 [conventions de branche] », ce qui n’est pas tout à fait la même chose… On ne s’appesantira pas sur les « contraintes » (les guillemets s’imposent) mises à la charge de l’employeur en contrepartie des sacrifices exigés de la part des salariés (voir, dans la version de 2017, art. L. 2254-2, II). Sur les APDE (version 2016), voir notamment D. Baugard et L. Graton, « Les accords de préservation ou de développement de l’emploi, premier regard conventionnel et constitutionnel », Dr. social, 2016, p. 745  ; M. Morand, « L’accord de préservation ou de développement de l’emploi », RJS, 2016, p. 655.
(34) Était également contesté le dernier alinéa du § III du même article en ce qu’il renvoyait à un décret le soin de définir la notion de « rémunération mensuelle ». Ce grief d’incompétence négative a été écarté par le Conseil (§ 16 et 17).
(35) Voir commentaire du service juridique, site Internet du Conseil, p. 14.
(36) Voir les nombreuses références citées par le commentaire (préc.) du service juridique du Conseil, p. 9 à 13. La plus pertinente, au regard de la présente QPC, est sans doute sa décision n° 2006-545 DC du 28 décembre 2006, Loi pour le développement de la participation et de l’actionnariat salarié et portant diverses dispositions d’ordre économique et social, spéc. cons. 10 et s., au sujet du congé de mobilité (pour lequel s’appliquaient les garanties prévues en cas de licenciement pour motif économique  ; voir cons. 15).
(37) Voir Cons. const., déc. n° 2014-692 DC du 27 mars 2014, Loi visant à reconquérir l’économie réelle (« décision Florange »), au sujet de l’obligation de rechercher un repreneur en cas de projet de fermeture d’un établissement.
(38) Voir Cons. const., déc. n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 18 et s.
(39) À cet égard, le Conseil a estimé qu’en mettant à l’écart l’obligation de reclassement, « dont la mise en œuvre peut impliquer une modification du contrat de travail de l’intéressé identique à celle qu’il a refusée, le législateur a tenu compte des difficultés qu’une telle obligation serait susceptible de présenter » (§ 11).
(40) Cons. const., déc. n° 2017-751 DC du 7 septembre 2017, Loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social. Voir cette chronique in Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2018, n° 58, p. 97. On relèvera que les modifications à venir de l’article L. 2254-2 du code du travail, relatif aux APDE, étaient alors expressément pointées du doigt par les Parlementaires requérants (§ 11 et s.).
(41) Sur ce thème en général, voir Dossier « Le Conseil constitutionnel et la vie privée », Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2015, n° 48, p. 7 et s., et spéc. V. Mazeaud, « La constitutionnalisation du droit au respect de la vie privée », p. 7.
(42) JCP éd. G, 2018, 110, note N. Jacquinot.
(43) Voir principalement Cons. const., déc. n° 2012-652 DC du 22 mars 2012, Loi relative à la protection de l’identité, qui pose notamment le principe suivant : « La collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (cons. 8, repris au § 7 de la décision n° 670 QPC). Dans le strict domaine du droit privé, ce principe a aussi été appliqué au « fichier positif » des crédits à la consommation qu’avait voulu instaurer la « loi Hamon » du 17 mars 2014. Voir Cons. const., déc. n° 2014-690 DC du 13 mars 2014, Loi relative à la consommation, cons. 51 (Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2014, n° 44, p. 120).
(44) « Puisqu’il reviendra à l’autorité judiciaire d’apprécier le bien-fondé de cette demande, selon des critères définis par le législateur » (site Internet du Conseil, p. 19).
(45) Cons. const., déc. n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C. Sur le FNAEG, on sait que la Cour européenne des droits de l’homme a récemment fait preuve de plus de sévérité, en jugeant que « le régime actuel de conservation des profils ADN dans le FNAEG, auquel le requérant s’est opposé en refusant le prélèvement, n’offre pas, en raison tant de sa durée que de l’absence de possibilité d’effacement, une protection suffisante à l’intéressé. Elle ne traduit donc pas un juste équilibre entre les intérêts publics et privés concurrents en jeu » (CEDH, 22 juin 2017, n° 8806/12, Aycaguer c/ France § 45). La décision n° 670 QPC se rapproche certainement de ces exigences.
(46) Loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste.
(47) Voir § 5 de la décision : désignation précise, par le préfet, des lieux concernés et de la durée de ces opérations, qui ne peut excéder vingt-quatre heures, application de certaines garanties prévues par le « droit commun » (c’est-à-dire applicables dans un cadre judiciaire) en matière de visite des véhicules et de fouille des bagages (art. 78-2-2 du code de procédure pénale).
(48) Déc. du 12 janvier 1977, Loi autorisant la visite des véhicules en vue de la recherche et de la prévention des infractions pénales.
(49) Voir Cons. const., déc. n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 45.
(50) Commentaire du service juridique, déc. n° 677 QPC, site Internet du Conseil, p. 10.
(51) Déc. du 4 août 2017, La Quadrature du Net et autres (Les Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel, 2018, n° 58, p. 108).
(52) Rappr., en matière de perquisitions administratives, Cons. const., déc. n° 2016-536 QPC du 19 février 2016, Ligue des droits de l’homme, § 14 (violation du droit au respect de la vie privée).
(53) On pense en particulier à la censure, au nom du droit au respect de la vie privée, des règles relatives au registre public des trusts. Voir Cons. const., déc. n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, Mme Helen S.
(54) D., 2018, p. 97, note Y. Mayaud  ; JCP éd. G, 2018, 109, note A. Gogorza et B. de Lamy.
(55) Censuré à nouveau, puisque c’est une nouvelle rédaction de la même infraction, déjà condamnée par le Conseil (voir déc. n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P.) qui lui était ici soumise.
(56) La contestation de cette emblématique disposition a été rendue possible par un recours formé contre un décret du 25 avril 2017 dont un article concerne l’action du ministère public en matière de protection de l’enfance. Voir CE, 27 septembre 2017, n° 410403 (décision de renvoi). Les voies de la QPC sont parfois étonnantes  !
(57) La formule tranche nettement avec celle que retient la Cour européenne des droits de l’homme. Voir par exemple, CEDH, 23 novembre 2010, n° 37104/06, Moulin c/ France, spéc. § 57.
(58) Loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des Sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique (art. 30, al. 3, du code de procédure pénale).
(59) Et peu importe évidemment, en droit constitutionnel, que « le Procureur général près la Cour de cassation, M. Jean-Claude Marin, [ait] récemment souligné [que l’avis du CSN] était suivi depuis sept ans par les cinq derniers gardes des sceaux », comme le souligne néanmoins le service juridique du Conseil (commentaire, site Internet du Conseil, p. 3).
(60) Voir déjà Cons. const., déc. n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 98.
(61) Art. L. 6361-14, al. 2 et al. 5 à 9 (effets de la décision reportés au 30 juin 2018).