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Chronique de droit pénal et procédure pénale

Virginie PELTIER et Évelyne BONIS-GARCON

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 53 - octobre 2016

I - PROCÉDURE PÉNALE

Règles relatives à la composition des juridictions dans les territoires non métropolitains. (Cons. const., 1er avril 2016, déc. n° 2016-532 QPC ; 3 juin 2016, déc. n° 2016-544, QPC). Sur la période de référence (avril-juin 2016), le Conseil constitutionnel a été à deux reprises conduit à statuer sur la conformité à la Constitution de règles dérogatoires concernant les juridictions ayant vocation à connaître des infractions pénales dans les territoires d'outre-mer. Si, par une décision rendue le 3 juin 2016, il déclare non conforme à la Constitution les articles 877, 885 et 888 du code de procédure pénale qui dérogent au droit commun en ce qui concerne à la fois la formation du jury de la cour d'assises, les conditions pour remplir les fonctions d'assesseur-juré, la récusation des jurés, la composition de la cour d'assises et les règles de majorité lors de la délibération de la cour d'assises pour la cour d'assises de Mayotte (Cons. const., 3 juin 2016, déc. n° 2016-544, QPC), notre attention sera surtout portée vers une autre décision concernant les îles de Wallis-et-Futuna rendue le 1er avril 2016.

En l'occurrence, une société condamnée par le tribunal correctionnel de Mata-Utu, juridiction compétente sur le territoire de Wallis-et-Futuna des chefs d'escroquerie et tentatives d'escroquerie en bande organisée et dont la décision de première instance avait été confirmée en appel par la cour d'appel de Nouméa contestait à l'occasion de son pourvoi en cassation la conformité au principe d'égalité devant la justice, au principe d'impartialité des juridictions ainsi qu'aux exigences de l'article 66 de la Constitution, la composition de la formation collégiale du tribunal correctionnel du territoire des îles de Wallis-et-Futuna telle qu'elle résulte de la lecture combinée des articles 836 du code de procédure pénale et L. 532-8 du code de l'organisation judiciaire.

Saisi sur renvoi de la chambre criminelle de la Cour de cassation par arrêt du 6 janvier 2016 (Cass. crim., 6 janvier 2016, pourvoi n° 15-82384), le Conseil constitutionnel commence par préciser le champ de son contrôle en le limitant au seul alinéa 2 de l'article 836 du code de procédure pénale et non à l'article dans son ensemble tel qu'il avait été visé par la question prioritaire de constitutionnalité (consid. n° 4). En effet, seul ce second alinéa concerne le litige puisqu'il définit en ces termes la composition du tribunal correctionnel du territoire des îles de Wallis-et-Futuna : « Dans le territoire des îles Wallis-et-Futuna, le tribunal correctionnel statuant en formation collégiale est composé d'un magistrat du siège et de deux assesseurs, dans les conditions prévues au code de l'organisation judiciaire ». L'alinéa 1er quant à lui porte sur la composition du tribunal correctionnel statuant en formation collégiale en Nouvelle-Calédonie, lequel est complété par deux assesseurs désignés dans les conditions prévues au code de l'organisation judiciaire. En outre, le Conseil constitutionnel associe à sa réflexion, comme le faisaient d'ailleurs les requérants, l'article L. 532-8 du code de l'organisation judiciaire qui, dans sa rédaction actuellement en vigueur et résultant d'une ordonnance du 8 juin 2006 prévoit que lorsqu'il statue en formation collégiale, le tribunal de première instance des îles de Wallis-et-Futuna est composé « d'un magistrat du siège, président du tribunal, et d'assesseurs choisis, pour une durée de deux ans, parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité ».

Pour invalider l'alinéa 2 de cet article, le Conseil se livre à une application classique de sa solution en la matière, rappelant, au visa de l'article 66 de la Constitution que si ces dispositions s'opposent à ce que le pouvoir de prononcer des mesures privatives de liberté soit confié à une juridiction qui ne serait composée que de juges non professionnels, elles n'interdisent pas, par elles-mêmes, que ce pouvoir soit exercé par une juridiction pénale de droit commun au sein de laquelle siègent de tels juges à la condition que, s'agissant des formations correctionnelles de droit commun, la proportion des juges non professionnels reste minoritaire. Il s'attache alors pour la mise en application de la règle ainsi consacrée à vérifier, que la compétence du tribunal correctionnel relève bien du champ pénal avant de s'intéresser à la composition de la formation.

En premier lieu, s'agissant de la compétence du tribunal, le Conseil constitutionnel procède à un travail de qualification de la juridiction : juridiction de droit commun ou juridiction spécialisée. Il observe ainsi qu'il résulte des articles 381 et 382 du code de procédure pénale que ce tribunal statuant en formation collégiale est compétent pour connaître des délits commis sur le territoire des îles ou lorsque le prévenu y réside, y a été arrêté ou y est détenu. En conséquence, il en déduit que ce tribunal est une formation correctionnelle de droit commun compétente pour prononcer une peine privative de liberté. On retrouve ainsi dans cette décision deux éléments essentiels à l'appréciation de la validité de la composition d'une juridiction. D'une part, il est important de rechercher si la juridiction est à même de prononcer une peine privative de liberté puisque, depuis une décision du 21 février 1992, l'ensemble de la jurisprudence du Conseil relative à l'exercice de fonctions judiciaires par des juges non professionnels bâtie à partir des articles 64 et suivants de la Constitution admet la possibilité pour le législateur de prévoir la présence de juges non professionnels au sein des formations à la double condition que ces personnes n'exercent là qu'« une part limitée » des fonctions dévolues ordinairement aux magistrats professionnels et d'autre part qu'elles présentent des « garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance qui est indissociable de l'exercice des fonctions judiciaires» (Cons. const., 21 février 1992, déc. n° 92-305 DC). La référence à cette part limitée d'activité donne lieu à une appréciation très pragmatique de la part du Conseil (Cons. const., 20 janvier 2005, déc. n° 2004-510 DC). D'autre part, et à supposer qu'il s'agisse bien d'une juridiction pénale, encore faut-il qu'elle soit une juridiction de droit commun. On retrouve là une solution qui avait déjà été posée par le Conseil pour valider la composition du tribunal correctionnel avec jurés citoyens (Cons. const., 4 août 2011, déc. n° 2011-635 DC) ou encore à propos de la présence de juges de proximité au sein du tribunal correctionnel de droit commun (Cons. const., 20 janv. 2005, déc. n° 2004-510 DC). À l'inverse, le Conseil a eu l'occasion de déclarer conforme à la Constitution la composition de juridictions composées de façon majoritaire de magistrats non professionnels dès lors qu'il s'agit de formations correctionnelles spécifiques et non de formation de droit commun. Ainsi, il a jugé que le tribunal pour enfants compétent pour connaître des délits et des contraventions commis par les mineurs ainsi que des crimes commis par les mineurs de seize ans est valablement composé alors même qu'au sein de cette juridiction pénale spécialisée siègent, en nombre majoritaire, des assesseurs non professionnels (Cons. const., 8 juillet 2011, déc. n° 20116147 QPC, consid. n° 6).

À partir du moment où la juridiction est ainsi qualifiée de tribunal pénal de droit commun, le Conseil s'attache à vérifier, en second lieu, la composition de cette juridiction en rappelant qu'elle doit être majoritairement constituée de juges de carrière. Dès lors, constatant que le tribunal correctionnel en formation collégiale de Wallis-et-Futuna comprend un magistrat professionnel et deux assesseurs non professionnels, le Conseil ne pouvait qu'invalider l'article 836 du code de procédure pénale.

On remarquera que cette décision ne s'est attachée qu'à cette question numéraire sans apprécier, la nécessité pour les juges non professionnels de présenter des garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance indissociable de l'exercice des fonctions judiciaires ainsi qu'aux exigences de capacité qui découlent de l'article 6 de la Déclaration de 1789 comme il avait pu le faire dans la décision rendue à propos des juges de proximité le 20 janvier 2005 (op. cit.). Néanmoins, il ne faut nullement en déduire qu'il s'est départi de cette exigence. Il prend simplement ici acte du fait que l'article L 532-8 du code de l'organisation judiciaire prévoit que les assesseurs sont choisis, pour une durée de deux ans, parmi les personnes de nationalité française, âgées de plus de vingt-trois ans, jouissant des droits civiques, civils et de famille et présentant des garanties de compétence et d'impartialité. D'une certaine manière, cette décision rendue le 1er avril 2016 peut être analysée comme étant tout à fait complémentaire de celle rendue par le Conseil le 2 juillet 2010 à propos des tribunaux maritimes commerciaux qui sont amenés à prononcer des peines privatives de liberté pour des délits spécifiques et au sein desquels siègent, de façon majoritaire des magistrats non professionnels (Cons. const., 2 juillet 2010, déc. n° 2010-10 QPC). Dans cette dernière, le Conseil avait en effet invalidé cette composition en ce qu'aucune « disposition législative applicable à cette juridiction n'institue les garanties appropriées permettant de satisfaire au principe d'indépendance », sans s'attacher à la question du nombre des juges non professionnels.

Pour finir, le Conseil s'attache aux effets de l'inconstitutionnalité en ne reportant pas dans le temps les effets de sa décision ; l'inconstitutionnalité vaut en effet à compter de la date de publication de la décision et elle s'applique à toutes les infractions non jugées définitivement à cette date (consid. n° 10). (E. B.-G.)

Correctionnalisation judiciaire (Cass. crim., 13 avril 2016, pourvoi n° 16-80373). L'arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 13 avril 2016 est l'occasion de rappeler les règles relatives à l'appel d'une ordonnance de renvoi disqualifiante. En l'occurrence, une personne mise en examen des chefs de vol avec arme en bande organisée, association de malfaiteurs et recel avait été renvoyée devant le tribunal correctionnel après requalification partielle des faits en vols aggravés, association de malfaiteurs et recel. La juridiction d'instruction avait ainsi procédé à une correctionnalisation des faits comme les textes l'y autorisent depuis la loi du 9 mars 2004 et cela nonobstant le caractère d'ordre public des règles de compétence matérielle des juridictions pénales (sur l'apport de ce texte, v. A. Darsonville, « Légalisation de la correctionnalisation judiciaire », Dr. pénal 2007, étude n° 4). En effet, depuis cette loi, l'article 186-3 du code de procédure pénale dispose que la personne mise en examen et la partie civile peuvent former un appel de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel des faits susceptibles de recevoir une qualification criminelle prévue par le premier alinéa de l'article 179 du même code. Conformément à ce texte, le prévenu saisissait alors la chambre de l'instruction sur le fondement de l'article 186-3 du code de procédure pénale en demandant à titre principal à bénéficier d'un non-lieu et, à titre subsidiaire, à être renvoyé devant la cour d'assises après rétablissement de la qualification criminelle des faits. Le mis en cause ayant pris la précaution de fonder explicitement son appel sur l'article 186-3 du code, l'appel était assurément recevable, son objet étant parfaitement identifiable (voir sur les fluctuations de la jurisprudence de la chambre criminelle qui exigeait que le fondement soit mentionné à peine d'irrecevabilité de l'appel : Cass. crim., 15 mars 2006 : Bull. crim. n° 79 puis, à la suite d'un revirement de jurisprudence, estima ensuite que cette mention n'était pas nécessaire dans la mesure où seul cet article peut fonder l'appel : Cass. crim., 10 décembre 2008 : Bull. crim. n° 252 avant de revenir nous semble-t-il à l'exigence initiale : Cass. crim., 1er juin 2016 : Inédit, pourvoi n° 16-80375). Cependant, à l'occasion de l'instance devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, il soulevait une question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée : « L'article 186-3 du code de procédure pénale, qui interdit à la personne renvoyée en correctionnelle pour des faits de nature criminelle de demander à la chambre de l'instruction de se prononcer sur le point de savoir si les charges retenues sont suffisantes pour justifier le renvoi devant la cour d'assises, méconnaît-il le principe de l'égalité devant la loi, le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense, tels qu'ils sont garantis par les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».

Se trouvait ainsi posée la question de la validité de la délimitation de l'objet du recours puisque si l'article 186-3 du code de procédure pénale permet à la personne mise en examen et à la partie civile d'interjeter appel de la décision c'est uniquement pour contester la correctionnalisation des faits et demander le renvoi devant la cour d'assises et nullement pour demander à cette juridiction de se livrer à une nouvelle appréciation des charges.

La chambre criminelle refuse ainsi de transmettre la question au Conseil en raison du caractère non sérieux de la question. Selon l'arrêt, il ne saurait en effet être reproché à ce texte de méconnaître tout d'abord le principe d'égalité devant la loi dans la mesure où cette voie de recours est ouverte tant à la personne mise en examen qu'à la partie civile. Ensuite, elle rejette également l'argument pris de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif dans la mesure où les contestations qui porteraient non pas sur le principe de la correctionnalisation mais sur l'appréciation des charges retenues peuvent être élevées devant la juridiction de jugement. Autrement dit, si l'article 186-3 du code de procédure pénale exclut une demande de ce type devant la chambre de l'instruction, il ne prive pas pour autant les parties de toute possibilité de contester la pertinence des charges retenues puisque la juridiction de jugement saisie, à savoir le tribunal correctionnel, est en mesure de procéder à cette appréciation (voir d'ailleurs en ce sens Cass. crim., 16 mars 2016 : pourvoi n° 15-87554). En effet, s'il a été jugé qu'en application des dispositions combinées des articles 186-3 et 469 du code de procédure pénale, les parties privées n'ont plus la faculté de soulever devant le tribunal son incompétence lorsqu'il est saisi par une ordonnance de renvoi disqualifiante en arguant de la qualification criminelle des faits poursuivis (Cass. crim., 23 mai 2006 : Bull. crim. n° 143 et 21 juin 2011, pourvoi n° 10-85671 : Bull. crim. n° 145), cette juridiction de jugement demeure compétente pour apprécier la pertinence des charges retenues.

Enfin, la chambre criminelle relève qu'aucune limitation particulière n'est apportée aux droits de la défense de telle sorte que la question n'a pas à être transmise au Conseil constitutionnel. (E. B.-G.)

Interceptions judiciaires. Écoutes téléphoniques de l'avocat. Écoutes incidentes (Cass. crim., 6 avril 2016, n° 15-86043). La Cour de cassation a refusé de renvoyer au Conseil constitutionnel deux questions prioritaires de constitutionnalité relatives, d'après leurs auteurs, au peu de garanties entourant les interceptions judiciaires des correspondances de l'avocat en violation du droit au respect de la vie privée, du droit au secret des correspondances, du droit à un procès équitable et du respect des droits de la défense. La première déplorait que les articles 100 et 100-7, alinéa 2 du code de procédure pénale ne posent aucune limite de fond ni ne prévoient aucune protection spécifique du secret professionnel, tandis que la seconde faisait grief aux articles 100 et 100-5 alinéas 1 et 3 du même code d'autoriser la transcription et le versement des écoutes de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction sans prévoir de garanties spécifiques protectrices du secret professionnel permettant un contrôle préalable des transcriptions envisagées, en sus du contrôle du magistrat ayant décidé de la mesure.

La cour conclut à un défaut de caractère sérieux pour deux raisons. Tout d'abord, elle rappelle que les interceptions sont contrôlées par le juge judiciaire qui est aussi le gardien de la liberté individuelle aux termes de l'article 66 de la Constitution. Ensuite, elle rappelle que le pouvoir du magistrat est néanmoins borné par le nécessaire respect des droits de la défense de sorte qu'en cas d'interception « inopinée » de la correspondance d'un avocat et de son client, à partir d'une ligne dont le premier n'est pas titulaire, la transcription de l'interception ne peut avoir lieu qu'à titre exceptionnel, s'il existe contre lui des indices de participation à une infraction.

Cette décision est conforme à la position classique de la chambre criminelle -- la seconde question faisait d'ailleurs référence à son interprétation constante des textes déférés -- puisque, par principe, les correspondances de l'avocat avec son client ne peuvent être interceptées (Cass. crim., 8 nov. 2000, Bull. crim. n° 335) sauf si elles sont de nature à faire présumer la participation de l'avocat à une infraction (Cass. crim., 23 mai 2001, n° 01-81567 ; 14 nov. 2001, Bull. crim. n° 238 ; 21 mai 2003, n° 02-86819). Tel n'est pas le cas si la conversation, suspecte parce que codée, ne révèle pas l'implication de l'avocat (Cass. crim., 8 nov. 2000, préc.). Peu importe que les propos surpris soient étrangers à la saisine du juge d'instruction (Cass. crim., 1er oct. 2003 : Bull. crim. n° 117). Mais, quelle que soit la situation, les droits de la défense ne doivent pas être remis en cause. Ainsi, doivent être annulés les actes subséquents à la transcription irrégulière de la conversation (interpellation, placement en garde à vue, auditions) lorsque celle-ci a permis la localisation du prévenu et son arrestation, car la transcription du contenu de l'interception constitue le support des actes précités (Cass. crim., 17 sept. 2008 : Bull. crim. n° 191, AJ pénal 2008, p. 467, note S. Lavric).

La solution est la même en cas d'écoute incidente, c'est-à-dire lorsqu'est interceptée incidemment -- à partir de la ligne d'un tiers -- la conversation d'un avocat, soit avec ce tiers, soit éventuellement avec son client, la cour évoquant l'interception « inopinée » des propos de l'avocat à l'occasion de l'écoute d'une ligne dont il n'est pas titulaire. Trois arrêts en date du 22 mars 2016 sont d'ailleurs venus le confirmer expressément par le même motif : « aucune disposition légale ou conventionnelle ne fait obstacle à la captation, à l'enregistrement et à la transcription des propos d'un avocat intervenant sur la ligne téléphonique d'un tiers régulièrement placée sous écoute dès lors que, comme en l'espèce, en premier lieu, cet avocat n'assure pas la défense de la personne placée sous surveillance, qui n'est ni mise en examen ou témoin assisté ni même n'a été placée en garde à vue dans la procédure en cause. En second lieu, ses propos, seraient-ils échangés avec un client habituel, dont le contenu est étranger à tout exercice des droits de la défense dans ladite procédure ou dans toute autre, révèlent des indices de sa participation à des faits susceptibles de qualification pénale » (Cass. crim., 22 mars 2016, n° 15-83.207, n° 15-83.205, n° 15-83.206, à paraître au Bull.). On relèvera l'incise de la chambre criminelle qui précise que l'avocat n'était pas chargé de la défense de la personne mise sur surveillance, condition sine qua non pour qu'interception et transcription soient valables. Ainsi, la cour a-t-elle cassé l'arrêt d'une chambre de l'instruction qui s'était contentée de prononcer la nullité (partielle) de la transcription d'une communication téléphonique d'un avocat avec son client mis en examen, mais pas celle des conversations de cet avocat avec les deux autres mis en examen alors pourtant qu'il était le Conseil de l'un des deux (Cass. crim., 12 mars 2013, n° 12-86.592), ou celui d'une autre cour d'appel qui avait validé la transcription de conversations échangées entre le père du prévenu et l'avocat de ce dernier qui était en même temps le défenseur du premier (Cass. crim., 18 janv. 2006, Bull. crim., n° 22 ; JCP G 2006, II, 10085, note R. Martin). C'est d'ailleurs à ce rappel de procédure qu'elle procède in fine dans l'arrêt du 6 avril 2016, jugeant par conséquent suffisantes les garanties offertes par la possibilité d'annuler les actes de transcription effectués en violation de ces principes. (V. P.)

Détention provisoire. Permis de visite. Autorisation de téléphoner (Cons. const., 24 mai 2016, n° 2016-543 QPC). Le Conseil constitutionnel a été saisi par la section française de l'observatoire international des prisons d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les règles régissant les permis de visite ainsi que les autorisations de téléphoner des personnes placées en détention provisoire, à savoir les articles 35 et 39 de la loi du 24 novembre 2009 ainsi que les articles 145-4 et 715 du code de procédure pénale. Les deux premiers sont respectivement relatifs aux conditions d'accès au téléphone et aux permis de visite des détenus, y compris en détention provisoire, tandis que le troisième contient des dispositions procédurales relatives à la délivrance des permis de visite pour les personnes placées en détention provisoire. Enfin, l'article 715 du code de procédure pénale dispose que « le juge d'instruction, le président de la chambre de l'instruction et le président de la cour d'assises, ainsi que le procureur de la République et le procureur général, peuvent donner tous les ordres nécessaires soit pour l'instruction, soit pour le jugement, et, qui devront être exécutés dans les maisons d'arrêt ».

En premier lieu, il leur était grief de priver de voie de recours les personnes n'appartenant pas à la famille de la personne placée en détention provisoire contre les refus d'octroyer, d'une part, un permis de visite et, d'autre part, contre les décisions refusant l'accès au téléphone aux personnes placées en détention. En second lieu, l'observatoire leur reprochait de ne pas imposer au juge d'instruction un délai pour répondre aux demandes de permis de visite, privant les personnes appartenant à la famille de la personne placée en détention provisoire de leur droit à un recours effectif.

Ainsi, même si le Conseil va conclure à la violation du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale, il va surtout étudier la question sous l'angle du droit au recours juridictionnel effectif -- sous-tendu, de façon pour le moins absconse, par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen aux termes duquel toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution... -- après avoir préalablement circonscrit le domaine de son étude aux troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale et à la portion de phrase suivante du deuxième alinéa de l'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 : « et, en ce qui concerne les prévenus, aux nécessités de l'information ». En effet, seules ces dispositions concernent les personnes placées en détention provisoire.

En premier lieu, le Conseil examine l'absence de voie de recours contre les décisions relatives au permis de visite et à l'autorisation de téléphoner d'une personne placée en détention provisoire. De fait, dans la mesure où les troisième et quatrième alinéas de l'article 145-4 du code de procédure pénale n'instaurent une possibilité de recours qu'au bénéfice de la famille de la personne placée en détention provisoire, ils excluent de leur champ d'application la contestation d'une décision portant refus d'un permis de visite demandé, d'une part, au cours de l'instruction par des personnes extérieures à la famille, ou, d'autre part, en l'absence d'instruction ou après la clôture de celle-ci. L'article 39 de la loi du 24 novembre 2009 est encore plus radical puisqu'il ne prévoit aucun recours contre les décisions refusant l'accès au téléphone aux personnes placées en détention provisoire. Il n'en fallait pas plus au Conseil constitutionnel pour qu'il en conclue à la violation de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (outre, on l'a dit, du droit au respect de la vie privée et du droit de mener une vie familiale normale). En second lieu, le Conseil procède au même constat de violation à propos de l'absence de délai imparti au juge d'instruction par les troisième et quatrième alinéa de l'article 145-4 du code de procédure pénale pour se prononcer sur une demande de permis de visite. En l'absence de délai imposé, le défaut de réponse du magistrat instructeur ne peut ouvrir la voie à un quelconque recours, ce qui, là aussi, méconnaît l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Reste alors au Conseil à régler les effets de sa déclaration d'inconstitutionnalité car l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu pour effet de priver des personnes placées en détention provisoire de la possibilité d'exercer un recours contre certaines décisions de refus d'octroi d'un permis de visite, se retournant par conséquent contre ceux qu'elle entendait protéger. Le Conseil retarde alors l'entrée en vigueur de sa décision à l'entrée en vigueur de nouvelles dispositions législatives ou, au plus tard, au 31 décembre 2016. Or, la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale a réécrit l'article 145-4 du code de procédure pénale (L. n° 2016-731, 3 juin 2016, art. 63). Les nouvelles dispositions, qui entreront en vigueur le 15 novembre 2016, prévoient désormais que toute personne placée en détention provisoire peut, avec l'autorisation du juge d'instruction, recevoir des visites sur son lieu de détention, mais aussi téléphoner à un tiers sous les limites énoncées au premier alinéa (CPP, art. 145-4, al. 2 mod). Les alinéas 3 et 4 prévoient désormais qu'à l'expiration d'un délai d'un mois à compter du placement en détention provisoire, le juge d'instruction ne peut refuser de délivrer un permis de visite ou d'autoriser l'usage du téléphone que par une décision écrite et spécialement motivée. Sa décision, notifiée sans délai et par tout moyen au demandeur, peut être contestée par l'intéressé devant le président de la chambre de l'instruction qui statue dans un délai de cinq jours par une décision écrite et motivée non susceptible de recours. S'il infirme la décision du juge d'instruction, il délivre lui-même le permis de visite ou l'autorisation de téléphoner. Le législateur a, en définitive, légèrement modifié les dispositions existantes, en ajoutant au régime juridique déjà prévu pour les permis de visite les autorisations de téléphoner, même s'il a élargi les motifs du refus de délivrance du permis de visite ou de l'autorisation de téléphoner (qui doit être motivé au regard des nécessités de l'instruction, mais aussi dorénavant, du maintien du bon ordre et de la sécurité ou de la prévention des infractions).

En revanche, il complète les règles existantes par un alinéa 5 selon lequel, après la clôture de l'instruction, les attributions du juge d'instruction sont exercées par le procureur de la République selon les formes et conditions prévues par le texte. Il en est de même dans tous les autres cas où une personne est placée en détention provisoire. À défaut de réponse du juge d'instruction ou du procureur de la République à la demande de permis de visite ou de téléphoner dans un délai de vingt jours, la personne peut également saisir le président de la chambre de l'instruction (on notera cette juridictionnalisation d'une décision du procureur de la République). (V. P.)

II - DROIT PÉNAL

DÉLIT D'OUTRAGE À MAGISTRAT. Propos non directement adressés au magistrat (Cass. crim., 10 mai 2016, n° 15-86.600). Cette décision permet de rappeler la jurisprudence en matière d'outrage, infraction réprimée par l'article 433-5 du code pénal, quand il s'adresse à une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, et par l'article 434-24 quand il vise plus spécifiquement un magistrat, un juré ou toute personne siégeant dans une formation juridictionnelle, dans l'exercice de ses fonctions ou à l'occasion de cet exercice, l'acte devant en outre porter atteinte à sa dignité ou au respect dû à la fonction dont il est investi.

En l'espèce, l'auteur de la question avait été condamné pour un outrage commis, envers un magistrat, par la voie audiovisuelle. Ceci semblait créer un conflit entre la qualification du code pénal et les délits de diffamation et d'injure, punis respectivement par les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 quand ils sont commis, « à raison de leurs fonctions ou de leur qualité, envers le Président de la République, un ou plusieurs membres du ministère, un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre Chambre, un fonctionnaire public, un dépositaire ou agent de l'autorité publique, un ministre de l'un des cultes salariés par l'État, un citoyen chargé d'un service ou d'un mandat public temporaire ou permanent, un juré ou un témoin, à raison de sa déposition », par l'un des moyens énumérés à l'article 23 de la loi, à savoir «* soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l'écrit, de la parole ou de l'image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique* ». En effet, le concours naît du fait que l'outrage réprimé à l'article 434-24 peut également être commis par « paroles, gestes ou menaces, par écrits ou images de toute nature non rendus public », ce qui rend complexe la délimitation des domaines d'application respectifs des délits d'outrage, d'une part, et d'injures et diffamation, d'autre part, lorsque le prévenu a eu recours à l'un des moyens énumérés à l'article 23 de la loi de 1881 (sur la question, J.-Cl. pénal, art. 433-5 et 434-24, fasc. 20, n° 5, par J.-H. Robert).

La question prioritaire de constitutionnalité s'interrogeait donc sur la conformité du texte aux principes de nécessité des incriminations et d'égalité et au droit à la liberté d'expression, en ce qu'il inclut dans son champ d'application les paroles rendues publiques ou non alors qu'il en exclut les écrits ou dessins rendus publics. Pour mieux comprendre son sens, qui peut paraître pour le moins abscons au non-pénaliste, il faut rappeler que la Cour de cassation, dans un très vieil arrêt, a interprété l'article 222 de l'ancien code pénal -- prédécesseur de l'article 434-24 de l'actuel code -- comme faisant relever de l'outrage les paroles, publiques ou privées, et les écrits et dessins, s'ils n'ont pas été rendus publics (Cass. crim., 15 mars 1883, de Buor de la Voye : S. 1883, 1, p. 425, rapp. Saint-Luc-Courbourieu ; sur la question, J.-H. Robert, préc.). La question mettait donc en exergue la différence de régime entre les paroles et les écrits, les premières constituant un outrage même lorsqu'elles sont publiques, à l'inverse des dessins ou écrits (Cass. crim., 29 mars 2011, n° 10-87.254).

Mais la chambre criminelle déplace fort logiquement la discussion du caractère public des paroles vers la perception que doit en avoir eu leur destinataire. En effet, pour être constitué, le délit d'outrage suppose que l'auteur des propos litigieux se soit directement adressé à la victime, sinon, ils doivent être réprimés sur le fondement des articles 31 et 33 de la loi de 1881 (Cass. crim., 1er mars 2016, n° 15-82.824, à paraître au Bull., à propos de la diffusion d'un texte sur un site internet et par voie d'affichage. Rapp. Cass. crim., 8 sept. 2015, n° 14-84.380). Or, précisément, dans l'arrêt du 10 mai 2016, il apparaît que le prévenu s'était servi d'un moyen de communication audiovisuelle pour critiquer le magistrat, de sorte que, n'étant pas directement à l'adresse du magistrat, son acte ne constituait pas un outrage mais des propos injurieux ou diffamatoires punis par les articles 31 et 33 de la loi du 29 juillet 1881. C'est en substance ce que confirme la Cour de cassation, en faisant d'ailleurs rappel de sa jurisprudence, par le motif suivant : « les expressions diffamatoires ou injurieuses proférées publiquement par l'un des moyens énoncés à l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, comme tel est le cas en l'espèce, contre un magistrat de l'ordre administratif ou judiciaire en raison de ses fonctions ou à l'occasion de leur exercice, sans être directement adressées à l'intéressé, n'entrent pas dans les prévisions de l'article 434-24 du code pénal incriminant l'outrage à magistrat, et ne peuvent être poursuivies et réprimées que sur le fondement des articles 31 et 33 de ladite loi (Crim., 1er mars 2016, n° 15-82.824) ». En conséquence, la cour refuse toute transmission au Conseil constitutionnel car, du fait de cette solution qui conduit à l'inapplication du texte à l'espèce, la question n'est plus applicable au litige (voir, en outre, également rejetée, la question prioritaire de constitutionnalité posée dans la même affaire par des parties civiles déclarées irrecevables : Cass. crim., 26 janv. 2016, n° 15-86.600). (V. P.)

PEINES. Fraude fiscale. Non-cumul de sanctions (Cons. const., 24 juin 2016, n° 2016-545 QPC ; n° 2016-546 QPC).

Le Conseil a rendu deux nouvelles décisions en matière de cumul de sanctions administrative et pénale, le 24 juin 2016, dans les affaires Cahuzac et Wildenstein. Ces derniers étaient poursuivis, respectivement, pour, d'une part, fraude fiscale et blanchiment, blanchiment aggravé et déclaration mensongère ou incomplète de patrimoine par un membre du gouvernement et, d'autre part, fraude fiscale et complicité, blanchiment aggravé et complicité. Les deux doutaient de la conformité aux principes constitutionnels de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité (découlant de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen) de l'application combinée « des articles 1729 et 1741 du code général des impôts, dans leurs versions applicables lors de la période de prévention, en ce qu'ils autorisent, à l'encontre de la même personne et en raison des mêmes faits, le cumul de procédures ou de sanctions pénales et fiscales ».

Le Conseil, par deux décisions à la construction comme au raisonnement identiques, se prononce pour la conformité desdits articles -- plus précisément, de l'article 1729 en son entier et de la phrase « soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt » figurant dans la première phrase du premier alinéa de l'article 1741 -- après avoir, au préalable, examiné la recevabilité des questions. En effet, dans une décision du 17 mars 2011, le Conseil avait conclu à la conformité du passage de l'article 1729 « de 40 % si la mauvaise foi de l'intéressé est établie » figurant au 1 de l'article 1729 du code général des impôts (Cons. const., 17 mars 2011, n° 2010-103 QPC). Mais la disposition a été ensuite modifiée par l'ordonnance du 7 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, pour donner la version attaquée de sorte que le Conseil considère que, cette modification législative, à laquelle s'ajoute la décision du 18 mars 2015 organisant les cumuls de sanctions, constitue un changement de circonstances de droit justifiant le réexamen de la conformité de l'article 1729 (Cons. const., 18 mars 2015, n° 2014-434/454 QPC, n° 2015-462 QPC).

Du point de vue du fond, le Conseil choisit d'abord d'examiner la conformité à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen des deux textes pris isolément pour en déduire, à chaque fois de façon lapidaire, que les sanctions prévues ne sont pas manifestement disproportionnées. Il introduit, malgré tout, une réserve d'interprétation de l'article 1741 du code général des impôts qui ne saurait, sans méconnaître le principe de nécessité des délits, permettre qu'un contribuable qui a été déchargé de l'impôt par une décision juridictionnelle devenue définitive pour un motif de fond puisse être condamné pour fraude fiscale. Il revient en cela sur la jurisprudence de la Cour de cassation qui, jusque-là, considérait que les procédures pénale et administrative étaient, par leur nature et leur objet, différentes et indépendantes l'une de l'autre, de sorte que la décision de la juridiction administrative ne pouvait avoir, au pénal, l'autorité de la chose jugée (Cass. crim., 13 juin 2012, n° 11-84.092).

Puis, le Conseil conclut à la validité de l'application combinée des articles soumis à son contrôle, sans répondre toutefois aux questions pourtant clairement posées par la chambre criminelle dans les deux arrêts de renvoi (Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.005, à paraître au bull. ; n° 16-90.001, à paraître au bull.). En effet, celle-ci s'interrogeait sur l'un des critères tirés de la décision du 18 mars 2015, à savoir l'identité de nature des sanctions pénale et administrative encourues par les auteurs des deux questions, -- qui s'apprécie en fonction de leur gravité respective (si les sanctions sont d'une sévérité équivalente, elles sont de nature identique... : v. Cons. const., 14 janv. 2016, n° 2015-513/514/526 QPC). De fait, le critère de l'unicité d'ordre des juridictions compétentes, censé exclure la matière fiscale de la prohibition des cumuls de sanctions, faisait défaut en l'espèce, la chambre criminelle ayant souligné que si le contentieux de l'impôt est, pour une large part, de la compétence du juge administratif, qui dépend d'un ordre de juridiction distinct de celui du juge répressif, en l'espèce, la sanction pénale encourue par l'auteur d'une fraude fiscale et la pénalité fiscale prévue en cas de manquement délibéré ou de manœuvres frauduleuses relèvent bien des juridictions de l'ordre judiciaire. En d'autres termes, l'ensemble des critères mis au jour le 18 mars 2015 par le Conseil pour exclure un cumul de sanctions pénale et administrative semblaient réunis et auraient dû conduire, en conséquence, au succès des deux questions prioritaires de constitutionnalité présentées (sous réserve de l'appréciation de la nature des sanctions encourues).

Las ! Le Conseil, dont on sait qu'il a introduit le critère de l'identité d'ordre de juridiction, au mépris des jurisprudences européennes, pour exclure le contentieux fiscal de la prohibition des cumuls de sanctions cassation (v. J.-H. Robert, JCP G 2015, 369), ne lève pas les doutes de la Cour. Évitant de reprendre un à un les critères qu'il a pourtant lui-même mis au jour, il se contente, tout d'abord, de souligner que, dans la mesure où il découle de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen que la lutte contre la fraude fiscale est un objectif de valeur constitutionnelle, les textes litigieux permettent d'assurer ensemble la protection des intérêts financiers de l'État ainsi que l'égalité devant l'impôt, en poursuivant des finalités communes, à la fois dissuasive et répressive. Selon lui « aux contrôles à l'issue desquels l'administration fiscale applique des sanctions pécuniaires peuvent ainsi s'ajouter des poursuites pénales dans des conditions et selon des procédures organisées par la loi », pour les cas les plus graves de dissimulation frauduleuse de sommes soumises à l'impôt. Il ne lui reste plus qu'à conclure que l'application combinée des articles 1729 et 1741 dudit code ne méconnaît donc pas la nécessité des peines, le principe de proportionnalité venant ensuite brider l'éventuel cumul de sanctions qui pourrait en résulter, en application d'une position bien assise (Cons. const., 28 juill. 1989, n° 89-260 DC ; 30 déc. 1997, n° 97-935 DC ; 27 sept. 2013, déc. n° 2013-341 QPC ; 13 mars 2014, n° 2014-690 DC).

On ne peut que s'interroger sur la rectitude juridique de cette décision pour le moins surprenante. Tout d'abord, le Conseil admet le cumul de sanctions pour les cas de fraude les plus graves, sans que l'on sache véritablement les modalités d'évaluation de ladite gravité. De fait, même s'il indique qu'il faudra avoir égard au montant des droits fraudés, à la nature des agissements de la personne poursuivie ou aux circonstances de la dissimulation, il reste que ces éléments -- on ne peut plus vagues -- seront difficiles à évaluer et propices, par conséquent, à des solutions subjectives, pour ne pas dire arbitraires et, en tout cas, imprévisibles, à l'image la problématique appréciation du critère de la sévérité des sanctions mis au jour le 18 mars 2015 (voir encore les interrogations de la chambre criminelle dans les deux arrêts de renvoi des présentes questions prioritaires de constitutionnalité : Cass. crim., 30 mars 2016, n° 16-90.005, n° 16-90.001, préc.)...

Ensuite, en affirmant que les procédures fiscale et pénale sont des procédures complémentaires et non distinctes pour éviter d'avoir à appliquer les critères qu'il a lui-même mis au jour, le 18 mars 2015, le Conseil, pour des raisons de pure opportunité, va, là encore, à l'encontre de l'objectif de prévisibilité du Droit. Il est donc désormais totalement impossible de déterminer à l'avance si des sanctions pénales et extra-pénales, peuvent ou non se cumuler puisque les décisions du Conseil constitutionnel sont prises en toute opportunité (comment déterminer si des procédures sont complémentaires ou non ?). Il est vrai que le Conseil a un modèle en la matière et non des moindres (v. CEDH, 21 oct. 2013, Del rio Prada c. Espagne, no 42750/09). (V. P.)

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

9 octobre 2014

2014-420/421 QPC

M. Maurice L. et autre [Prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour des faits d'escroquerie en bande organisée]

  • Botton, Antoine. « Les aspects procéduraux du blanchiment : une infraction formellement dépendante », Actualité juridique. Pénal, avril 2016, n° 4, p. 190-191.

18 mars 2015

2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC

M. John L. et autres [Cumul des poursuites pour délit d'initié et des poursuites pour manquement d'initié]

  • Le Fur, Anne-Valérie. « La rationalisation des sanctions, une exigence démocratique en faveur de leur efficacité », Recueil Dalloz, 26 mai 2016, n° 19, p. 1091-1101.

24 avril 2015

2015-461 QPC

Mme Christine M., épouse C. [Mise en mouvement de l'action publique en cas d'infraction militaire en temps de paix]

  • Perrier, Jean-Baptiste. « Limites acceptées s'agissant du déclenchement de l'action publique par la victime », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 165-167.

7 mai 2015

2015-467 QPC

M. Mohamed D. [Réclamation contre l'amende forfaitaire majorée]

  • Fucini, Sébastien. « Amende forfaitaire : irrecevabilité de la réclamation et droit à un recours juridictionnel effectif », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 170-172.

31 juillet 2015

2015-477 QPC

M. Jismy R. [Incrimination de la création de nouveaux gallodromes]

  • Perrier, Jean-Baptiste. « Gallodromes : là où la loi distingue, il y a lieu de distinguer », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 161-163.

  • Sermet, Laurent. « La QPC, source d'une protection constitutionnelle de basse intensité », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 150-159.

16 octobre 2015

2015-492 QPC

Association Communauté rwandaise de France [Associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité]

  • Perrier, Jean-Baptiste. « Limites refusées s'agissant de l'exercice de l'action civile par l'association », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 168-170.

2015-493 QPC

M. Abdullah N. [Peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons]

  • Bonis-Garçon, Évelyne. « Légalité des peines : conformité à l'article 8 DDHC de la peine de fermeture d'un débit de boissons », Revue pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n° 4, p. 974-981.

  • Perrier, Jean-Baptiste. « Une individualisation a minima reste une individualisation », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 172-174.

2015-494 QPC

Consorts R. [Procédure de restitution des objets placés sous main de justice au cours de l'information judiciaire]

  • Anane, Sofian. « Demande de restitution de biens placés sous main de justice : l'effectivité, condition de l'utilité », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 163-165.

4 décembre 2015

2015-506 QPC

M. Gilbert A. [Respect du secret professionnel et des droits de la défense lors d'une saisie de pièces à l'occasion d'une perquisition]

  • Perrier, Jean-Baptiste. « Perquisitions et protection du secret du délibéré », Actualité juridique. Pénal, mai 2016, n° 5, p. 276-277.

11 décembre 2015

2015-508 QPC

M. Amir F. [Prolongation exceptionnelle de la garde à vue pour des faits de blanchiment, de recel et d'association de malfaiteurs en lien avec des faits d'escroquerie en bande organisée]

  • Botton, Antoine. « Inconstitutionnalité du régime dérogatoire de garde à vue en matière de blanchiment, de recel et d'association de malfaiteurs en lien avec des faits d'escroquerie en bande organisée », Revue pénitentiaire et de droit pénal, octobre-décembre 2015, n° 4, p. 931-934.

8 janvier 2016

2015-512 QPC

M. Vincent R. [Délit de contestation de l'existence de certains crimes contre l'humanité]

  • Droin, Nathalie. « La conformité de l'article 24 bis de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 à la Constitution : fin de partie ? », Revue française de droit constitutionnel, juin 2016, n° 106, p. 501-513.

  • Francillon, Jacques. « La conformité à la Constitution du délit de contestation de l'existence de crimes contre l'humanité » in Chroniques de jurisprudence. Infractions relevant du droit de l'information et de la communication, Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, janvier-mars 2016, n° 1, p. 81-86.

  • Hochmann, Thomas. « Négationnisme : le Conseil constitutionnel entre ange et démon », Revue des droits et libertés fondamentaux, 26 janvier 2016, chron. n° 03, 7 p.

  • Roux-Demare, François-Xavier. « Constitutionnalité du délit de »négationnisme" », Actualité juridique. Pénal, avril 2016, n° 4, p. 205-206.

14 janvier 2016

2015-513/514/526 QPC

M. Alain D. et autres [Cumul des poursuites pénales pour délit d'initié avec des poursuites devant la commission des sanctions de l'AMF pour manquement d'initié -- II]

  • Bonis-Garçon, Évelyne ; Peltier, Virginie. « Validation constitutionnelle de l'article L. 621-15 du Code monétaire et financier relatif au manquement d'initié dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2006 », Droit pénal, mars 2016, n° 3, p. 46-47.

  • Décima, Olivier. « Tombeau de ne bis in idem », Recueil Dalloz, 28 avril 2016, n° 16, p. 931-934.

  • Dezeuze, Éric ; Pellegrin, Guillaume. « Bis (in idem) repetita placent... Fortunes et infortunes juridiques de la double poursuite des infractions d'initié », Revue des sociétés, Journal des sociétés, avril 2016, n° 4, p. 246-253.

21 janvier 2016

2015-727 DC

Loi de modernisation de notre système de santé

  • Marino, Laure. « Le paquet neutre fait un tabac au Conseil constitutionnel », La Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 31-32.

24 juin 2016

2016-545 QPC

M. Alec W. et autre [Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale]

  • Dufour, Olivia. « La révolution ne bis n'aura pas lieu (tout de suite) en matière fiscale », La Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 6-7.

2016-546 QPC

M. Jérôme C. [Pénalités fiscales pour insuffisance de déclaration et sanctions pénales pour fraude fiscale]

  • Dufour, Olivia. « La révolution ne bis n'aura pas lieu (tout de suite) en matière fiscale », La Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 6-7.

Articles thématiques

Droit pénal

  • Alix, Julie. « Politique criminelle : les ultimes leçons d'un Conseil constitutionnel », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, janvier-mars 2016, n° 1, p. 163-179.

  • Bonis-Garçon, Évelyne ; Peltier, Virginie. « Typologie des peines. In : Un an de droit de la peine », Droit pénal, mars 2016, n° 3, p. 23-27.

  • Mascala, Corinne. « La contagion de la remise en cause de la constitutionnalité des doubles poursuites pénales et administratives : affaire Wildenstein » in « Chroniques de jurisprudence. Infractions contre l'État, la Nation et la paix publique. [T. corr. Paris, 6 janvier 2016] », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, janvier-mars 2016, n° 1, p. 75-79.

  • Mésa, Rodolphe. « La conformité à la Constitution du régime des perquisitions dans l'enquête de flagrance. [Cass. crim, 24 mai 2016, n° 16-9007] », La Gazette du Palais, 28 juin 2016, n° 24, p. 19-22.

  • Perrier, Jean-Baptiste (Dir.). « Chronique de jurisprudence QPC en matière pénale (1er avril 2015 -- 31 octobre 2015) », Revue française de droit constitutionnel, mars 2016, n° 105, p. 159-181.