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Chronique de droit pénal et de procédure pénale

Évelyne BONIS - Professeur Université de Bordeaux Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4633)

Virginie PELTIER - Professeur Université de Bordeaux Institut de sciences criminelles et de la justice (EA 4633)

Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel 2018, n° 59, p. 87

I – Droit Pénal Spécial

Délit de consultation de sites terroristes (Cons. const., 15 déc. 2017, n° 2017-682 QPC). À peine après avoir été abrogé par le Conseil constitutionnel le 17 février 2017 (Cons. const., 17 févr. 2017, n° 2016-611 QPC : JCP G 2017, 343, note A. Gogorza et B. de Lamy), l’article 421-2-5-2 du code pénal renaissait de ses cendres pour se présenter sous une version légèrement modifiée, avec toujours pour leitmotiv d’incriminer la consultation habituelle de sites internet terroriste afin d’endiguer un danger nouveau : l’auto-radicalisation sur internet. La nouvelle version du texte, issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 incriminait, par conséquent, « le fait de consulter habituellement et sans motif légitime un service de communication au public en ligne mettant à disposition des messages, images ou représentations soit provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme, soit faisant l’apologie de ces actes lorsque, à cette fin, ce service comporte des images ou représentations montrant la commission de tels actes consistant en des atteintes volontaires à la vie lorsque cette consultation s’accompagne d’une manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée sur ce service », le punissant de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

La Cour de cassation en fut rapidement saisie et transmit l’encombrant article au Conseil constitutionnel par un arrêt du 4 octobre 2017 (Cass. crim., 4 oct. 2017, n° 17-90017). Elle isola trois problèmes témoignant du caractère sérieux de la question et justifiant l’appréciation du Conseil : la réintroduction de cette incrimination était-elle nécessaire, adaptée et proportionnée eu égard à la liberté de communication reconnue à tout citoyen  ? Que fallait-il entendre par « motif légitime » dans la mesure où cette notion n’était explicitée que par des exemples  ? Quid enfin de cette référence à la manifestation de l’adhésion par l’agent à l’idéologie véhiculée par le site  ? En plus de ces trois griefs, l’auteur de la question invoquait, quant à lui, une atteinte à la liberté de communication et au principe d’égalité et l’instauration d’une présomption de mauvaise foi du fait de la seule consultation habituelle des sites litigieux.

Une nouvelle fois, le Conseil va invalider le texte. La justification est la même : l’atteinte portée par les dispositions contestées à l’exercice de la libre communication n’est pas nécessaire, adaptée ni proportionnée.

Tout d’abord, l’atteinte n’est pas nécessaire car, ainsi qu’il le soulignait déjà dans sa première décision d’abrogation, le droit pénal substantiel comme la procédure qui le sous-tend sont déjà à même d’appréhender et de punir celui qui choisit de se radicaliser derrière l’écran de son ordinateur. Il existe ainsi, d’une part, tout un volet d’incriminations qui a vocation à prévenir la commission d’actes de terrorisme : l’article 421-2-1 du code pénal (participation à une entente ou à un groupement en vue de participer à un acte terroriste), l’article 421-2-4, (provocation à la participation à une entente ou un groupement ou à un acte terroriste), l’article 421-2-5 (provocation à un acte de terrorisme ou apologie d’un tel acte) ou l’article 421-2-6 (préparation de la commission d’un acte terroriste), ce dernier texte visant d’ailleurs expressément la préparation de l’acte par la consultation habituelle d’un ou de plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie. D’autre part, la procédure pénale est déjà pourvue de nombreux dispositifs de surveillance et de captation (interception de correspondances émises par voie de communication électronique, de recueil des données techniques de connexion, de sonorisation, de fixation d’images et de captation de données informatiques), les magistrats disposant, en outre de pouvoirs très étendus. Enfin, les services de renseignements complètent le dispositif, l’autorité administrative – déjà pourvue de prérogatives importantes que le Conseil rappelle – ayant encore bénéficié d’un renforcement de ses pouvoirs avec la loi n° 2017-15 10 du 30 octobre 2017 qui a transposé un certain nombre de mesures propres à l’état d’urgence dans le code de la sécurité intérieure – et quelques-unes seulement dans le code de procédure pénale, dans une stratégie d’évitement du juge judiciaire (en ce sens, E. Raschel, « La sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme : entre cadence et décadence » : Dr. pén. 2017, étude 23). Dès lors, le Conseil considère qu’incriminer spécifiquement la consultation – fût-elle habituelle – de sites faisant l’apologie du terrorisme ne se justifie pas dans la mesure où elle remet en cause l’un des principes fondamentaux de toute démocratie : le droit à la liberté d’expression et de communication garanti par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Ensuite, le Conseil s’interroge sur les caractères adaptés et proportionnés de l’atteinte engendrée par l’incrimination de la consultation et deux arguments sont mis en avant par le Conseil pour dénier au texte son brevet de constitutionnalité. En premier lieu, même si le texte exige que la consultation – habituelle – s’accompagne de la manifestation d’une adhésion à l’idéologie exprimée sur le site (par exemple, l’internaute poste un commentaire flatteur sur ce qu’il voit ou approuve les exactions commises), cela ne signifie pas pour autant que l’agent ait l’intention de passer à l’acte (terroriste) : c’est d’ailleurs ce que rappelle le Conseil lorsqu’il souligne que consultation et adhésion n’emportant pas intention de commettre un acte terroriste, et malgré cette référence à l’adhésion de l’agent qui paraît de prime abord justifier qu’il soit sanctionné, c’est bien seulement en définitive la seule consultation d’un site internet qui se trouve réprimée. Par là même, le Conseil refuse donc ici au législateur le bénéfice de la technique de l’infraction-obstacle pour prévenir l’auto-radicalisation.

En second lieu, le Conseil déplore que la portée de la dérogation à l’incrimination pour « motif légitime » ne soit pas plus claire. De fait, l’article spécifie expressément que constitue « notamment » un motif légitime la consultation résultant de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervenant dans le cadre de recherches scientifiques ou réalisée afin de servir de preuve en justice ou le fait que cette consultation s’accompagne d’un signalement des contenus de ce service aux autorités publiques compétentes ». Il n’est donc pas réellement possible de connaître à l’avance les hypothèses dans lesquelles la consultation sera licite ou ne le sera pas. Pour ces deux raisons supplémentaires, le Conseil choisit d’abroger le nouvel article 421-2-5-2 du code pénal.

Pour conclure au sujet de cette décision qui ressemble fort à celle du 17 février 2017, on notera que le Conseil développe ici un mode de raisonnement qui ressemble à s’y méprendre à celui de la Cour européenne des droits de l’homme lorsqu’elle a à s’interroger sur une atteinte potentielle à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Cette juridiction, en tout cas lorsque le droit méconnu est susceptible de restrictions, à l’image de l’article 10 garantissant la liberté de communication par exemple, se demande si l’ingérence étatique est nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi qui peut consister en la protection de la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique ou, entre autres, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime. De la même façon, le Conseil prend bien soin d’expliquer que la liberté d’expression – et l’accès aux nouveaux modes de communication, comme la communication au public en ligne – garantit la libre expression des idées et l’accomplissement de l’idéal démocratique. Il s’agit donc ici aussi d’envisager la nécessité d’une ingérence étatique – constituée par l’incrimination de la consultation de sites terroristes – dans la vie démocratique de la société française, même si celle-ci poursuit un but légitime. Mais, comme le fait la Cour européenne des droits de l’homme, il s’agit d’en vérifier le caractère proportionné et adapté à l’objectif recherché (l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et de prévention des infractions dans lequel prend logiquement place la lutte contre l’incitation et la provocation au terrorisme).

Le refus du Conseil de conclure à la conformité du texte à la Constitution, en lui déniant toute nécessité, exerce donc – quoique l’on pense de la pertinence de sa solution – un contrôle de pure opportunité, à l’image du contrôle exercé par la Cour européenne des droits de l’homme. Mais dans le cadre de ce contrôle, le Conseil se démarque de la juridiction strasbourgeoise. En effet, il statue de façon générale, à propos d’une disposition législative de portée générale et abstraite, qu’il décide d’abroger, alors que le contrôle de la cour européenne n’est exercé que dans une affaire précise, cette dernière se livrant à une appréciation in concreto de l’atteinte alléguée. En d’autres termes, si le contrôle porte sur le même objet – la nécessité de l’ingérence – ses modalités (in abstracto pour le Conseil, in concreto pour la cour européenne) et surtout sa portée diffèrent sensiblement. Quoi que l’on pense de la qualification pénale qui vient d’être abrogée pour la seconde (deuxième  ?) fois, on ne peut que noter que le Conseil a choisi de développer un contrôle d’opportunité – comme, par exemple, en matière de peines ou autres sanctions ayant le caractère d’une punition, en s’érigeant en garant de la nécessité du texte d’incrimination. Mais est-il vraiment légitime dans ce rôle alors que l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen l’a, quant à lui, dévolu au seul législateur  ?

V. P.

II – Procédure pénale

Contrôles d’identité, fouilles de bagages et visites de véhicules dans le cadre de l’état d’urgence. (Cons. const., 1er déc. 2017, n° 2017-677 QPC). Saisi par la Ligue des droits de l’homme à la suite d’un arrêté du préfet de police de Paris, le Conseil constitutionnel a eu à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l’article 8-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et portant mesures de renforcement de la lutte antiterroriste. Plus précisément, il était reproché à ce texte, qui permet aux officiers de police judiciaire, sur autorisation du préfet, de procéder à des contrôles d’identité, des fouilles de bagages et à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public, de porter atteinte à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée, au principe d’égalité devant la loi et au droit à un recours juridictionnel effectif, en ce qu’il permettait aux services de police judiciaire – officiers de police judiciaire, agents de police judiciaire et agents adjoints – de procéder à ces opérations sans que le recours à ces mesures soit subordonné à des circonstances ou des menaces particulières, ni qu’un contrôle juridictionnel effectif puisse s’exercer à leur encontre.

Le Conseil va conclure à l’inconstitutionnalité du texte, après avoir détaillé le régime des opérations litigieuses, au motif que le législateur n’aurait pas assuré une conciliation entre des impératifs contradictoires : d’une part, la sauvegarde de l’ordre public, objectif de valeur constitutionnelle et, d’autre part, la liberté d’aller et venir, composante de la liberté personnelle garantie par les articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (Cons. const., 21 févr. 2008, n° 2008-562 DC) et le droit au respect de la vie privée, qui relève, lui aussi, de l’article 2.

Pourquoi ce déséquilibre  ? Tout simplement parce que le législateur a autorisé les policiers à agir contre toute personne, à condition qu’elle se trouve dans la zone désignée par le préfet, sans exiger que leur intervention soit motivée par un comportement particulier de celle-ci qui laisserait présager un risque d’atteinte à l’ordre public. Ces mesures, instituées dans le cadre de l’état d’urgence, sont à rapprocher des contrôles d’identité, fouilles de bagages et visites de véhicules prévus par l’article 78-2-4 du code de procédure pénale selon lequel, pour prévenir une atteinte grave à la sécurité des personnes et des biens, les officiers de police judiciaire et, sur l’ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et certains agents de police judiciaire adjoints peuvent procéder non seulement aux contrôles d’identité prévus au huitième alinéa de l’article 78-2 (contrôles aux fins de prévenir une atteinte à l’ordre public, à la sécurité des personnes ou des biens) mais aussi, avec l’accord du conducteur ou du propriétaire du bagage ou, à défaut, sur instructions du procureur de la République communiquées par tous moyens, à la visite des véhicules circulant, arrêtés ou stationnant sur la voie publique ou dans des lieux accessibles au public ainsi qu’à l’inspection visuelle des bagages ou leur fouille, à la différence notable que ces dernières opérations ne peuvent ici se dérouler que sous le contrôle du procureur de la République. Or, pour comprendre la portée de la solution du Conseil, il faut tout autant tenir compte de ses précédentes décisions en la matière, c’est-à-dire relatives aux opérations litigieuses, que de ses décisions rendues dans le cadre de l’état d’urgence.

En premier lieu, le Conseil a déjà eu l’occasion de se prononcer sur la conformité de ce type d’opérations, réalisées dans un cadre judiciaire ou administratif et ses décisions révèlent que, même dans les hypothèses où il a conclu à leur validité, il ne les a pas moins enserrées dans certaines limites. Ainsi, tout d’abord, il a eu l’occasion d’évaluer la conformité des contrôles d’identité judiciaires aux fins de recherche des infractions (CPP, art. 78-2 et art. 78-2-2) : sa décision du 24 janvier 2017 révèle effectivement qu’il n’accepte pas un contrôle inconditionné, même s’il s’agit d’établir la commission d’un acte délictueux. Même si ces contrôles ont vocation à viser toute personne, indépendamment de son comportement, le Conseil constitutionnel n’a décelé aucune atteinte à la liberté d’aller et venir dans les dispositions déférées car les contrôles qu’elles organisent sont malgré tout circonscrits par la loi : d’une part, ils ne peuvent avoir lieu que pour rechercher et établir la commission d’une infraction et doivent donc, pour cela, être autorisés par le procureur de la République et, d’autre part, ils ne peuvent pour autant être généralisés, c’est-à-dire qu’ils doivent, en plus, viser des lieux et des périodes spécifiques (Cons. const., 24 janv. 2017, n° 2016-606/607). Dans le même ordre d’idées, le Conseil avait conclu à la conformité des visites de véhicules, toujours pour la recherche d’infractions, dans la mesure où elles étaient circonscrites dans le temps et faisaient l’objet d’une décision motivée (Cons. const., 13 mars 2003, n° 2003-467 DC).

En outre, ensuite, le Conseil avait également eu l’occasion de préciser que si des contrôles administratifs pouvaient s’effectuer sans relation avec le comportement de l’individu, ils ne se révélaient pas pour autant discrétionnaires dans la mesure où ils s’exerçaient dans des zones présentant intrinsèquement des risques particuliers d’infractions et d’atteintes à l’ordre public, liés à la circulation internationale des personnes (Cons. const., 5 août 1993, n° 1993-323 DC). De la même façon, il avait conclu à la non-conformité de textes qui octroyaient aux policiers la possibilité de procéder à des fouilles de véhicules aux fins de police administrative (mais aussi judiciaire) dans des hypothèses très vagues et sans définir l’étendue de leurs prérogatives (Cons. const., 12 janv. 1977, n° 76-75 DC). En d’autres termes, même si les opérations peuvent s’effectuer sans avoir égard au comportement de l’agent, elles ne doivent pas s’exercer de façon discrétionnaire. Or, dans sa décision du 1er décembre 2017, le Conseil relève qu’en prévoyant que ces opérations peuvent se dérouler dans des zones où s’applique l’état d’urgence, le législateur a permis qu’elles puissent être mises en œuvre sans être justifiées par des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public dans les lieux en cause.

En effet, il faut encore, en second lieu, tenir compte du fait que ces mesures auront été décidées dans le cadre de l’état d’urgence, situation de nature à justifier, selon certains, maints infléchissements dans les droits et libertés de chacun puisqu’il s’agit pour le législateur de poursuivre l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Selon le Conseil, si la Constitution ne fait pas obstacle à ce que le gouvernement établisse un régime d’état d’urgence, celui-ci doit obligatoirement concilier, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et, d’autre part, le respect des droits et libertés de chacun et, notamment, la liberté d’aller et venir. Or, il découle des décisions du Conseil que, même dans le cadre de l’état d’urgence, ne peuvent être considérées comme conformes à la Constitution les restrictions aux libertés, qui ne seraient pas expressément motivées par un risque sérieux d’atteinte à l’ordre public (Cons. const., 22 déc. 2015, n° 12015-527 QPC  ; Cons. const., 19 fév. 2016, n° 2016-536 QPC), le Conseil n’hésitant pas à censurer les dispositions qui ne respectent pas cet impératif (Cons. const., 9 juin 2017, n° 2017-635 QPC). Or, l’article 8-1 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 ne contient précisément aucune référence à la nécessité pour le préfet de fonder sa décision sur des circonstances particulières établissant le risque d’atteinte à l’ordre public de sorte qu’il censure logiquement l’article déféré.

V. P

L’indépendance des magistrats du parquet (Cons. const., 8 déc. 2017, déc. n° 20147-680 QPC). Il est des décisions du Conseil constitutionnel plus attendues que d’autres sur un plan politique et au-delà donc de leur seul intérêt juridique. Celle rendue le 8 décembre dernier à la suite du renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité poussée au Conseil d’État par l’Union syndicale des magistrats en fait assurément partie (CE, 6e et 1re ch. réunies, 27 sept. 2017 : déc. n° 410403, inédit au recueil Lebon). Elle trouve en effet sa place dans le débat qui anime nos gouvernants depuis de nombreuses années maintenant au sujet de la réforme du statut de la magistrature et que des magistrats appellent de leurs vœux (D. Boccon-Gibbod, « Pour une vraie réforme statutaire du parquet » : AJ pénal 2017, p. 381).

La question prioritaire de constitutionnalité qui soutenait l’inconstitutionnalité de l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature aux termes duquel : « Les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice. À l’audience, leur parole est libre. » lui faisait grief de violer trois principes à valeur constitutionnelle. Tout d’abord, le principal reproche portait sur la conformité de cet article au principe d’indépendance de l’autorité judiciaire qui découle de l’article 64 de la Constitution, car, selon le requérant ces dispositions placent les magistrats du parquet sous la subordination hiérarchique du garde des Sceaux, alors que ces magistrats appartiennent à l’autorité judiciaire et devraient bénéficier à ce titre, autant que les magistrats du siège, de la garantie constitutionnelle de cette indépendance. Ensuite, il était reproché également à cet article 5 de méconnaître le principe de séparation des pouvoirs, dans des conditions affectant le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire. Enfin, l’un des intervenants à l’instance soutenait que ces dispositions méconnaissent le droit à un procès équitable et les droits de la défense.

Si le Conseil constitutionnel a déjà eu, à plusieurs reprises, l’occasion de se prononcer sur la situation des magistrats du parquet et leur rattachement à l’autorité judiciaire, il adopte dans cette décision une position différente de celle ordinairement retenue. En effet, il ne se prononce pas sur le principe d’indépendance de l’autorité judiciaire en tant que tel. Pour lui, cette indépendance est clairement acquise et résulte des textes qui la consacrent à savoir les articles 16 de la Déclaration de 1789, 20, 64 et 65 de la Constitution. Il s’interroge moins sur l’indépendance elle-même que sur les garanties de celle-ci face au pouvoir exécutif en comparant la situation des magistrats du parquet à celle des magistrats du siège. Or, cette façon de faire est originale car elle le conduit à mettre en exergue les spécificités du parquet par rapport au siège. Or, souligner les spécificités, c’est implicitement, poser la question de la dualité de statuts au sein de la magistrature, dont l’unité est pourtant consacrée, de même que l’indépendance. Si le Conseil tente de nous convaincre de cette unité malgré des différences, il procède plus par affirmation que par réelle démonstration de ce qui permet de dire que, malgré des garanties moindres que celles offertes par le statut des magistrats du siège, les magistrats du parquet sont réellement indépendants du garde des Sceaux.

La méthode retenue par le Conseil pour répondre à cette question prioritaire a ainsi consisté pour lui à exposer les prérogatives du Gouvernement qui pourraient être perçues comme le signe d’une dépendance du parquet par rapport au pouvoir exécutif avant de mettre en exergue des garanties qui permettent, d’une certaine manière, de compenser ce risque de dépendance. De cette confrontation, il énonce que si ces garanties sont différentes de celles prévues pour les magistrats du siège, elles sont suffisantes en ce qu’elles permettent d’assurer une conciliation équilibrée entre le principe de l’indépendance l’autorité judiciaire et les prérogatives que le Gouvernement tient de l’article 20 de la Constitution. Dès lors, le Conseil constitutionnel conclut à la conformité des mots « sous l’autorité du garde des Sceaux, ministre de la Justice » figurant à l’article 5 de l’ordonnance de 1958 à la Constitution.

Le mérite que l’on peut reconnaître à cette décision est d’avoir réuni tous les éléments nécessaires à la discussion. Ainsi, pour exposer les prérogatives du Gouvernement à l’endroit du parquet, le Conseil rappelle la manière dont ces magistrats sont nommés (art. 28 de l’ordonnance du 22 décembre 1958), dont ils peuvent être sanctionnés (art. 66 de la Constitution) ainsi que le pouvoir d’instruction générale du garde des Sceaux en matière de politique pénale (C. proc. pén., art. 30). Au regard des garanties, il reprend un à un les différents articles du code de procédure pénale qui mettent en évidence la liberté du parquet s’agissant de l’action publique : principe de l’opportunité des poursuites et liberté de parole à l’audience. (C. proc. pén., art. 30, 31, 33, 39-3 et 41).

Les limites de cette décision tiennent à la qualité de la motivation car si des arguments sont bien avancés, il est bien difficile de comprendre en quoi les garanties présentées peuvent réellement permettent de compenser un risque évident de dépendance. L’indépendance n’est-elle pas une exigence à ce point fondamentale que toute idée de compensation des atteintes qui pourraient lui être portées est insupportable  ?

E. B.

Droit à un procès équitable. Établissement de documents de synthèse ou d’analyse par des assistants spécialisés (Cass. crim., 5 déc. 2017 : pourvoi n° 81672, à paraître au Bull. crim.). Auprès des pôles de l’instruction (C. proc. pén., art. 52-1), des tribunaux de grande instance spécialisés en matière économique et financière (C. proc. pén., art. 704 et 705) et des tribunaux de grande instance spécialisés en matière d’infractions sanitaires (C. proc. pén., art. 706-2), appel peut être fait, par les magistrats, à des assistants spécialisés qui sont soit des fonctionnaires des catégories A et B soit des personnes engagées sous contrat et réunissant des conditions de diplômes et d’expérience professionnelle (C. proc. pén., art. 706, al. 1er).

Ces assistants participent aux procédures et, comme leur nom l’indique, assistent, aident le magistrat dans l’ensemble de ses tâches sans toutefois pouvoir recevoir délégation de signature. Parmi ces tâches, l’article 706 du code de procédure pénale vise tout particulièrement celle consistant dans l’élaboration de documents de synthèse ou d’analyse qui peuvent être versés au dossier de la procédure (C. proc. pén., art. 706, al. 4, 4 °).

À ce jour, ils n’ont qu’assez peu retenu l’attention de la Cour de cassation (V. Cass. crim., 16 déc. 2014 : pourvoi n° 14-82815, Bull. crim., n° 273 pour une soumission des actes effectués par l’assistant spécialisé au principe de loyauté de la preuve au même titre que tous les actes de procédure). La doctrine, quant à elle, a pu souligner la méconnaissance que l’on peut avoir de leur rôle à l’occasion du procès pénal (v. en ce sens, Gallois, « Des personnages méconnus du procès pénal : les assistants spécialisés » : Procédures 2009, Focus 58). On peut donc à ce titre considérer comme remarquable l’arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 5 décembre dernier, arrêt qui plus est, publié au Bulletin.

En l’occurrence, la cour était saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur la conformité des articles 706 et 706-2 du code de procédure pénale en ce qu’ils porteraient atteinte au principe d’égalité devant la justice et au droit à un procès équitable garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Le requérant qui était une personne condamnée pour des faits d’escroquerie, à une peine de dix-huit mois d’emprisonnement, deux ans d’interdiction des droits civiques, civils et de famille et deux ans d’interdiction professionnelle, ne développait pas davantage ses griefs ce qui pouvait laisser le lecteur embarrassé quant aux craintes exactes que l’on peut avoir à l’endroit de ces assistants.

La Cour de cassation se saisit de la question pour préciser les choses en identifiant deux points qui pourraient poser problème eu égard au droit à un procès équitable à savoir : leur dépendance par rapport à leur administration d’origine (question qui ne concerne en réalité que les assistants engagés alors qu’ils étaient fonctionnaires) et le respect du principe du contradictoire (question qui peut se poser tant pour les assistants issus de la fonction publique que pour les assistants sous contrat).

S’agissant de l’indépendance, elle écarte le grief au motif que l’indépendance des assistants à l’égard de leur administration d’origine est garantie par le règlement auquel la loi renvoie. Il est vrai que lorsque ces assistants sont des fonctionnaires, l’article R 50 quater du code de procédure pénale issu du décret n° 99/75 du 5 février 1999 prévoit que le temps de l’exercice de ces fonctions d’assistant spécialisé, lequel est d’une durée de trois ans renouvelable, ces personnes font l’objet soit d’un détachement soit d’une mise à disposition. L’assistant relève alors, non plus de l’autorité de l’administration d’origine, mais de l’autorité des chefs de la cour d’appel auprès de laquelle il apporte son assistance (C. proc. pén., art. 50 quinquies).

S’agissant du respect du principe du contradictoire, elle retient que les éléments réunis par les assistants spécialisés dans les documents de synthèse ou d’analyse ne sauraient être utilisés au soutien d’une déclaration de culpabilité que s’ils ont été portés à la connaissance du prévenu avant l’audience, de telle sorte qu’il a pu présenter ses observations devant la juridiction de jugement. Cet aspect de la décision est le plus intéressant car il met en évidence le fait que ces documents sont directement versés au dossier de la procédure. Le travail des assistants ne consiste donc pas seulement à faciliter le travail du magistrat qui reprendrait à son compte les synthèses pour verser ses propres documents à la procédure. Les documents et synthèse établis par les assistants sont directement versés au dossier comme le seraient les procès-verbaux et rapports les plus divers notamment ceux des experts. Le juge peut donc se fonder sur eux au soutien de sa décision à la condition toutefois de respecter le principe du contradictoire. Ces assistants sont donc de réels auxiliaires de la justice qui jouent un rôle essentiel à l’avancée des procédures.

On pourrait toutefois mettre en garde le juge face aux limites ou risques inhérents à cette délégation en mettant cette décision en perspective par rapport à une autre décision rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui censura une procédure fondée sur un document de synthèse établi seulement à charge alors que le juge d’instruction a, conformément à l’article 81 du code de procédure pénale, l’obligation d’instruire à charge et à décharge même si, en l’occurrence, le document de synthèse avait été établi par des OPJ agissant sous commission rogatoire du juge d’instruction et non par des assistants spécialisés (Cass. crim. 26 avril 2017 : pourvoi n° 16-86840, à paraître au Bull. crim.).

E. B.

Droit à un recours effectif. Principe d’égalité des justiciables. Géolocalisation (Cass. crim., 14 nov. 2017 : pourvoi n° 17-82435, à paraître au Bull. crime.). L’auteur d’une question prioritaire de constitutionnalité mettait en doute la conformité des articles 230-32 à 230-43 issus de la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation et 171 et 802, relatifs au régime des nullités du code de procédure pénale, telles qu’interprétées de façon constante par la jurisprudence de la chambre criminelle au motif qu’ils n’offrent pas à la personne mise en examen la possibilité de dénoncer la violation des règles applicables en matière de géolocalisation dès lors qu’elle ne dispose d’aucun droit sur l’objet géolocalisé et ainsi portent atteinte au principe d’égalité des justiciables, aux droits de la défense ainsi qu’au droit à un recours effectif devant une juridiction.

Une fois n’est pas coutume, c’est donc moins les textes eux-mêmes que la manière dont ils sont appliqués par les juges qui étaient ici en cause. Cela explique que la chambre criminelle commence par se prononcer sur la recevabilité de la question. Fort classiquement, elle rappelle ainsi que tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition législative y compris lorsque cette disposition a fait l’objet d’une déclaration de conformité à la Constitution par le Conseil constitutionnel lors de l’exercice par celui-ci de son contrôle a priori (ce qui est le cas de la loi n° 2014-372 du 28 mars 2014 relative à la géolocalisation, qui a été soumise au Conseil constitutionnel dans le cadre de son contrôle a priori : Cons. constit., déc. n° 2014-693 D du 25 mars 2014). En l’occurrence, l’interprétation en cause porte sur la question de la recevabilité, revendiquée par une personne, de la demande tendant à contester la régularité d’une géolocalisation mise en œuvre sur un véhicule volé et faussement immatriculé à l’égard duquel elle ne peut se prévaloir d’aucun droit. Or, de façon constante, depuis deux arrêts rendus le 15 octobre 2014, la chambre criminelle de la Cour de cassation écarte les requêtes en nullité souvent fondées sur le moyen tiré de l’atteinte à l’intimité de la vie privée garantie par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme en cas de géolocalisation d’un véhicule volé et faussement immatriculé (Cass. crim., 15 octobre 2014, pourvois n° 12-82.391 et 14-85.056, Bull. crim. 2014, n° 208. V. ultérieurement, Cass. crim., 7 juin 2016 : Bull. crim., n° 174).

Cette question de la recevabilité réglée, la chambre criminelle se prononce sur le renvoi qu’elle refuse en l’absence de caractère sérieux de la question. Pour cela, elle prend appui sur deux séries d’arguments.

D’une part, elle juge qu’en subordonnant la recevabilité d’un moyen de nullité pris de l’irrégularité d’une géolocalisation, à la condition que la personne concernée dispose d’un droit sur le véhicule géolocalisé dans le cas où le véhicule a été volé et faussement immatriculé, et hors le cas où serait démontré le recours par les autorités publiques à un procédé déloyal, les textes et leur interprétation jurisprudentielle constante opèrent une conciliation équilibrée entre, d’une part, les droits de la défense ainsi que le droit à un recours effectif devant une juridiction, d’autre part, les principes de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l’ordre public et de recherche des auteurs d’infractions. La cour reprend ici une méthode classique consistant à mettre en balance les droits et intérêts en présence. Dans ce motif, l’incise par laquelle la Cour de cassation prend le soin d’isoler le cas où serait démontré le recours par les autorités publiques à un procédé déloyal doit être remarquée même si ce n’est pas la première fois qu’elle procède de la sorte (v. déjà en ce sens, Cass. crim., 7 juin 2016, op. cit.). Il faut déduire de cette précision que, a contrario, en cas de recours à un procédé déloyal, la personne recouvre le droit à former un recours en raison de la nécessité de lui donner les moyens de lutter contre ce qui est un excès de pouvoirs de la part des autorités portant atteinte à ses intérêts.

D’autre part, elle répond au moyen fondé sur l’atteinte au principe d’égalité en jugeant, de façon là encore très classique, que ce principe ne s’oppose ni à ce que des règles différentes soient appliquées à des situations différentes, ni à ce qu’il soit dérogé à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Or, pour la cour, il y a bien ici une différence de situation entre la personne qui dispose de droits sur un véhicule volé et faussement immatriculé, tel le propriétaire de celui-ci ou la personne à qui il en aurait conféré l’usage, et celle qui n’en dispose pas. Cette différence de situation justifie la différence de traitement induite par l’interprétation constante que la Cour de cassation fait des articles 230-32 à 230-44 du code de procédure pénale.

On retrouve ainsi dans cette décision de non-lieu à renvoi au Conseil une solution des plus classiques de la Cour de cassation en matière de qualité pour agir en nullité d’un acte de la procédure. Or détournement de procédure (Cass. crim., 31 janv. 2006 : Bull. crim., n° 30) ou procédé déloyal, une personne n’a qualité pour agir que si l’irrégularité prétendue la concerne (v. dans le même sens, en matière de garde à vue : v. par ex. Cass. crim., 14 févr. 2012 : Bull. crim. n° 42 et 43 ou Cass. crim., 10 mai 2012 : Bull crim., n° 116).

E. B.

III - Droit de la peine

Saisine d’office du juge de l’application des peines (Cons. const., 10 nov. 2017, déc. n° 2014-671, QPC). Dans cette décision visant l’article 712-4 du code de procédure pénale définissant le cadre procédural des décisions relatives aux mesures relevant de la compétence du juge de l’application des peines (plus précisément les mots « d’office »), le requérant soutenait que le fait pour le juge de l’application des peines de pouvoir se saisir lui-même, y compris pour prononcer des mesures défavorables au condamné, méconnaissait le principe général de la séparation des organes de poursuite et de jugement et le principe d’impartialité de la juridiction. L’article 712-4 vise en effet non seulement la possibilité pour le juge d’être saisi d’une demande tendant à la modification de la peine qu’il s’agisse d’en revoir les modalités d’exécution ou de l’aménager, dans un sens favorable ou défavorable au condamné mais aussi de se saisir lui-même à ces fins. Se trouvait ainsi posée la question de la conformité de la saisine d’office d’un juge à la Constitution.

Cette question est bien connue dans la jurisprudence du Conseil puisqu’il a déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’en connaître à propos de dispositions du code de commerce qui confient au tribunal de commerce la faculté de se saisir d’office en matière de procédures collectives (Cons. const., 7 déc. 2012, déc. n° 2012-286 QPC, pour une hypothèse de saisine d’office du tribunal de commerce pour l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire. V. au sujet de cette décision, A.-M. Frison-Roche, « Principe d’impartialité et droit d’auto-saisine de celui qui juge » : D. 2013, p. 28 et s.  ; J.-L. Vallens, « La saisine d’office du tribunal ne garantit pas l’impartialité du tribunal » : D. 2013, p. 338 et s. V. aussi, ultérieurement Cons. const., 15 nov. 2013 : déc. n° 2013-352 QPC à propos de la saisine d’office du tribunal de commerce en Polynésie française pour l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire  ; Cons. const., 7 mars 2014 : déc. n° 2013-368 QPC pour une saisine d’office du tribunal de commerce pour l’ouverture de la procédure de liquidation judiciaire ou encore Cons. const., 7 mars 2014 : déc. n° 2014-372 QPC pour une saisine d’office du tribunal de commerce pour la résolution d’un plan de sauvegarde ou de redressement judiciaire). Elle se posait en revanche pour la première fois à lui s’agissant du juge de l’application des peines.

Après avoir fort classiquement rappelé les garanties de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 dont il résulte un principe d’impartialité, indissociable de l’exercice de fonctions juridictionnelles, le Conseil répond à la question prioritaire de constitutionnalité posée en deux temps. Il commence, dans un considérant général par énoncer que si une juridiction ne saurait disposer de la faculté d’introduire spontanément une instance au terme de laquelle elle prononce une décision revêtue de l’autorité de chose jugée, la Constitution ne confère pas à cette interdiction un caractère général et absolu, sauf si la procédure a pour objet le prononcé de sanctions ayant le caractère d’une punition. Déjà présente dans les décisions relatives à la saisine d’office du tribunal de commerce, cette règle prend une signification toute particulière s’agissant du juge de l’application des peines dont les mesures ont déjà donné lieu à un abondant contentieux relatif à leur nature (sanction ayant le caractère d’une punition autonome ou pas de la peine qui leur sert de support) dans le cadre de la vérification de la conformité des textes au principe de la légalité criminelle (v. not. en ce sens, la jurisp. relative au retrait de crédits de réduction de peine : Cons. const., 11 juill. 2014, déc. n° 2014-408 QPC  ; Dr. pénal 2014, n° 134, obs. E. Bonis-Garçon  ; AJ pénal 2014, p. 545, obs. M. Hergoz-Evans  ; D. actualités, 1er août 2014, obs. C. Margaine). En effet, de ce principe posé pour l’appréciation de la conformité à l’exigence d’impartialité, de deux choses l’une : ou bien, la procédure a pour objet le prononcé d’une sanction, et dans ce cas, il est impossible pour un juge de se saisir d’office  ; ou bien, la procédure ne tend pas au prononcé d’une sanction ayant le caractère d’une punition et alors il est possible au juge de se saisir d’office à une double condition que le Conseil précise. Il faut d’une part que la saisine d’office soit fondée sur un motif d’intérêt général et d’autre part, que soient instituées par la loi des garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité.

La manière de raisonner du Conseil se trouve ainsi clairement exposée et il ne restait au Conseil plus qu’à procéder à sa transposition au cas particulier de la saisine d’office du juge. Pour cela, le Conseil se livre à une définition de l’objet de la procédure conduite devant le juge de l’application des peines pour relever que la mission de ce juge consiste à fixer les principales modalités de l’exécution des peines privatives de liberté ou de certaines peines restrictives de liberté, en orientant et en contrôlant les conditions de leur application. Il en déduit que lorsque le juge de l’application des peines se saisit d’office sur le fondement de l’article 712-4, il n’introduit pas une nouvelle instance au sens et pour l’application des exigences constitutionnelles précitées (cons. n° 9), ce qui semble être, d’une manière détournée, un moyen de dire, pour conclure sur la première question envisagée que la procédure suivie devant le juge de l’application des peines ne tend pas au prononcé d’une peine. On regrettera sans doute que le Conseil ne conclut qu’implicitement sur ce point, puisqu’il poursuit le raisonnement en vérifiant tant l’objet que les garanties de cette procédure. Cette étape constituant le second temps de son raisonnement, il faut en déduire qu’il n’existe ici aucune interdiction générale et absolue à la saisine d’office. On aurait toutefois apprécié, sur la méthode, que le Conseil conclue explicitement sur ce point et en ce sens.

Restait alors à savoir si, compte tenu de la manière dont la procédure est conduite, la saisine d’office se justifie et présente des garanties suffisantes. Poursuivant son analyse, le Conseil envisage ainsi les deux éléments complémentaires que sont d’une part, la justification de cette saisine d’office, laquelle doit être fondée sur un motif d’intérêt général et d’autre part, la procédure suivie devant ce juge à savoir l’existence de garanties propres à assurer le respect du principe d’impartialité. Sur la première condition, la décision du Conseil est rapide puisqu’il se borne à indiquer qu’en permettant au juge de l’application des peines de se saisir d’office et de prononcer les mesures adéquates relatives aux modalités d’exécution des peines, le législateur a poursuivi les objectifs de protection de la société et de réinsertion de la personne condamnée. Il a ainsi poursuivi des objectifs d’intérêt général. En revanche, s’agissant de la seconde condition relative aux garanties procédurales, la décision du Conseil est plus riche et doit retenir davantage l’attention en ce qu’elle conduit le Conseil à formuler une réserve d’interprétation. En effet, il prend le temps de décortiquer les garanties présentées par les diverses procédures conduites devant les juridictions de l’application des peines pour relever que certaines donnent lieu à l’adoption d’une décision à l’issue d’un débat contradictoire alors que d’autres pourtant défavorables au condamné, sont rendues sans débat contradictoire.

Sans critiquer ces différences selon les procédures et sans aller jusqu’à prôner l’organisation systématique d’un débat contradictoire lequel serait souvent contre-productif, certaines demandes d’aménagements de peine nécessitant une réponse rapide telle la demande tendant à l’octroi d’une permission de sortir (par exemple pour assister aux obsèques d’un proche), le Conseil attire l’attention sur le fait que le juge de l’application des peines ne saurait, sans méconnaître le principe d’impartialité, prononcer une mesure défavorable dans le cadre d’une saisine d’office sans que la personne condamnée ait été mise en mesure de présenter ses observations.

Dans la présente affaire, le Conseil conclut à la conformité de l’article 712-4 du code de procédure pénale à la Constitution, la décision en cause étant certes une décision défavorable au condamné puisqu’elle consistait en la révocation d’un sursis avec mise à l’épreuve, mais prise à l’issue d’un débat contradictoire tenu en chambre du Conseil, au cours duquel le juge de l’application des peines entend les réquisitions du ministère public et les observations du condamné ainsi que, le cas échéant, celles de son avocat conformément à l’article 712-6 du code. Toutefois, la prudence semble devoir être de mise s’agissant de l’appréciation de la portée de cette déclaration de conformité à la Constitution et deux enseignements majeurs doivent pouvoir être tirés de cette décision. D’une part, la question du respect du principe d’impartialité pourra être de nouveau posée s’agissant d’autres contentieux pour lesquels la personne condamnée n’est pas mise en mesure de présenter ses observations, spécialement lors de procédures prises en application de l’article 712-7 car les ordonnances qui en résultent sont rendues sans débat contradictoire, sauf si le procureur de la République le demande. De la même manière, la question pourrait de nouveau se poser en application de l’article 712-5 du même code puisque, sauf en cas d’urgence, les ordonnances concernant les réductions de peine, les autorisations de sortie sous escortes et les permissions de sortir sont prises sans débat contradictoire après le seul avis de la commission de l’application des peines. D’autre part, même dans les procédures présentant les garanties énoncées par le Conseil, il importera également, nous semble-il, que les juges du fond s’assurent, au cas par cas, in concreto, que le condamné a été effectivement en mesure de présenter ses observations même si, légalement, la procédure organise une contradiction orale ou écrite. L’exigence d’impartialité du juge doit en effet être une exigence concrète et effective et non une exigence théorique et illusoire comme aime à le rappeler la Cour européenne des droits de l’homme pour le droit à un procès équitable (CEDH, 17 janv. 1970, Delcourt c/ Belgique, § 25, Série A, n° 11).

E. B.

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

30 septembre 2016

2016-572 QPC

M. Gilles M. et autre [Cumul des poursuites pénales pour le délit de diffusion de fausses informations avec des poursuites devant la commission des sanctions de l’AMF pour manquement à la bonne information du public]

  • Stasiak Frédéric. « Cumul répressif et diffusion d’informations fausses ou trompeuses ». In « Chronique de jurisprudence – Infractions boursières », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juillet-septembre 2017, n° 3, p. 536-540.

14 octobre 2016

2016-583/584/585/586 QPC

Société FINESTIM et autres [Saisie spéciale des biens ou droits mobiliers incorporels]

  • Perrier Jean-Baptiste. « Droit à un recours juridictionnel effectif et validé des saisies conservatoires ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 734-737.

4 novembre 2016

2016-594 QPC

Mme Sylvie T. [Absence de nullité en cas d’audition réalisée sous serment au cours d’une garde à vue]

  • Perrier Jean-Baptiste. « Le serment face au droit du silence du suspect » in « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p.732-734.

9 décembre 2016

2016-601 QPC

M. Ibrahim B. [Exécution provisoire des décisions prononcées à l’encontre des mineurs]

  • Perrier Jean-Baptiste. « Tous les particularismes ne se valent pas ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p.742-744.

2016-602 QPC

M. Patrick H. [Incarcération lors de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen]

  • Catelan Nicolas. « MAE, incarcération et réserves normatives ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 738-740.

24 janvier 2017

2016-606/607 QPC

M. Ahmed M. et autre [Contrôles d’identité sur réquisitions du procureur de la République]

  • Catelan Nicolas. « Contrôle abstrait des contrôles d’identitié ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 730-732.

2016-608 QPC

Mme Audrey J. [Délit de communication irrégulière avec un détenu]

  • Perrier Jean-Baptiste. « L’exigence de légalité rappelée, la nécessité oubliée ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 724-726.

26 janvier 2017

2016-745 DC

Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté

  • Hutier Sophie  ; Michel Pierre. « Et après les regrets  ? », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p.714-723.

10 février 2017

2016-611 QPC

M. David P. [Délit de consultation habituelle de sites internet terroristes]

  • Catelan Nicolas. « Consultation, sans necessité ni proportionnalité. In : Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 726-730.

16 mars 2017

2016-618 QPC

Mme Michelle Theresa B. [Amende pour défaut de déclaration de trusts ouverts, utilisés ou clos à l’étranger]

  • « Le Conseil constitutionnel censure une disposition instituant une amende proportionnelle prévue au paragraphe IV bis de l’article 1736 de Code général des impôts en raison de son caractère disproportionné au regard de la gravité de l’infraction fiscale concernée », Concurrences : revue des droits de la concurrence, novembre 2017, n° 2017-4, p. 179-181.
  • Catelan Nicolas. « Trust et amende fiscale proportionnelle... disproportionnée ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 744-745.

30 mars 2017

2016-621 QPC

EARL Clos Teddi et autre [Cumul des sanctions : contribution spéciale et sanction pénale en cas d’emploi illégal d’un travailleur étranger]

  • Catelan Nicolas. « Requiem pour ne bis in idem ». In « Chronique de jurisprudence en matière pénale », Revue française de droit constitutionnel, septembre 2017, n° 111, p. 745-747.

2 juin 2017

2016-634 QPC

M. Jacques R. et autres [Sanction par l’AMF de tout manquement aux obligations visant à protéger les investisseurs ou le bon fonctionnement du marché]

  • Brigant Jean-Marie. « Sanctions prononcées par l’AMF : tout est conforme ». In « Chronique de jurisprudence – Infractions boursières », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juillet-septembre 2017, n° 3, p. 540-543.

8 septembre 2017

2017-752 DC

Loi pour la confiance dans la vie politique

  • Bachschmidt Philippe. « À chaque pouvoir sa conception de la séparation des pouvoirs... », Constitutions, juillet-septembre 2017, n° 2017-3, p. 399-401.

2017-753 DC

Loi organique pour la confiance dans la vie politique

  • Bachschmidt Philippe. « À chaque pouvoir sa conception de la séparation des pouvoirs... », Constitutions, juillet-septembre 2017, n° 2017-3, p. 399-401.

27 octobre 2017

2017-640 QPC

M. Mikhail P. [Effacement anticipé des données à caractère personnel inscrites dans un fichier de traitement d’antécédents judiciaires]

  • Oudoul Audrey. « Fichier TAJ : inconstitutionnalité des règles relatives à l’effacement », Actualité juridique. Pénal, décembre 2017, n° 12, p. 546-547.

10 novembre 2017

2017-671 QPC

M. Antoine L. [Saisine d’office du juge de l’application des peines]

  • Evans Martine. « Quel avenir pour les procédures quasi juridictionnelles  ? », Actualité juridique. Pénal, décembre 2017, n° 12, p. 538-540.
  • Tzutzuiano Catherine. « Saisine d’office du juge de l’application des peines et respect du contradictoire », Recueil Dalloz, 14 décembre 2017, n° 43, p. 2523-2527.

8 décembre 2017

2017-680 QPC

Union syndicale des magistrats [Indépendance des magistrats du parquet]

  • Dufour, Olivia. « L’indépendance du parquet : les syndicats de magistrats ont perdu devant le Conseil constitutionnel », Les Petites Affiches, 9 janvier 2018, n° 7, p. 3-4.

Droit pénal

– Beignier Bernard. « Le bon grain et l’ivraie : le négationnisme, contrefaçon de l’histoire », La Semaine juridique. Édition générale, 13 novembre 2017, n° 46, p. 2050-2054.

– Chifflot Nicolas. « Procédure disciplinaire et procédure pénale. Quelle est l’autonomie de la répression administrative en cas de jugement pénal  ? », Procédures, décembre 2017, n° 12, p. 2-3.

– Dezeuze Éric. « La proportionnalité des sanctions administratives en matière économique et financière ». Dossier : « La proportionnalité en matière pénale », La Gazette du Palais, 24 octobre 2017, n° 36, p. 82-86.

– Dreyer Emmanuel. « L’opportunité des incriminations dans la jurisprudence constitutionnelle ». Dossier : « La proportionnalité en matière pénale », La Gazette du Palais, 24 octobre 2017, n° 36, p. 68-69.

– Meyer Laurence. « La modulation pro futuro des décisions constitutionnelles de non-conformité en France et en Allemagne : l’exemple du droit pénal et le problème de la légalité des délits et des peines », Revue française de droit constitutionnel, décembre 2017, n° 112, p. 919-940.

– Saenko Laurent. « De la proportionnalité de la peine encourue ». Dossier « La proportionnalité en matière pénale », La Gazette du Palais, 24 octobre 2017, n° 36, p. 73-76.