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Chronique de droit économique et fiscal

Stéphane AUSTRY - Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre, professeur associé à l'École de Droit de la Sorbonne

Nouveaux Cahiers du Conseil constitutionnel n° 43 - avril 2014

Comme chaque fin d’année, l’actualité au dernier trimestre de l’année 2013 a été très riche sur le plan fiscal : aux décisions traditionnelles relatives à la loi de finances pour 2014, à la loi de finances rectificative pour 2013 et à la loi de financement pour la sécurité sociale pour 2014 s’est ajoutée cette année une importante décision sur la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. De manière générale, le Conseil constitutionnel a été amené à apporter d’intéressantes précisions sur les limites fixées au législateur en matière de lutte contre l’évasion fiscale.

En matière de QPC, l’actualité a été moins florissante mais le Conseil constitutionnel a précisé les effets en matière fiscale de ses déclarations d’inconstitutionnalité tandis que le Conseil d’État prenait position sur une question inédite relative à la notion de dispositions applicables au litige, en lien avec la controverse sur le plafonnement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en présence de contrats d’assurance-vie qui a par ailleurs donné l’occasion au Conseil constitutionnel de réaffirmer l’autorité de ses décisions.


Droits et Libertés

Principes de droit pénal et de procédure pénale

Principe de légalité des délits et des peines, exercice par le législateur de sa compétence en matière d’impositions de toute nature et lutte contre l’évasion fiscale (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 82 à 92 et cons. 112 à 119)

Les dispositions des articles 96 et 100 de la loi de finances pour 2014, qui résultaient tout deux d’amendements parlementaires votés en dépit de l’opposition du Gouvernement, procédaient de la même volonté d’accroître les moyens dont dispose l’administration fiscale pour lutter contre la fraude et l’évasion fiscale. L’article 96 avait pour objet d’instituer une obligation de déclaration des schémas d’optimisation fiscale, à laquelle étaient soumis aussi bien les contribuables que leurs conseils, tandis que l’article 100 avait pour objet d’étendre le champ d’application de la procédure d’abus de droit prévue à l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (LPF) en permettant à l’administration d’avoir recours à cette procédure, assortie d’une majoration de 80 % des droits dus, lorsque l’opération mise en œuvre par le contribuable a pour objectif principal, et non exclusif, d’échapper à l’impôt.

Dans les deux cas de figure, ces deux dispositions vont être censurées au regard de l’exigence traditionnelle selon laquelle il incombe au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie, notamment en matière d’impositions de toute nature, l’article 34 de la Constitution, ce qui lui impose, pour se conformer à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, « d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n’a été confiée par la Constitution qu’à la loi ».

En ce qui concerne l’article 96, le Conseil constitutionnel estime que le législateur ne pouvait, eu égard à ces exigences, retenir une définition aussi générale et imprécise de la notion de « schéma d’optimisation fiscale » qui figurait dans le texte adopté. Il est intéressant de noter que cette censure prend appui à la fois sur la méconnaissance des exigences relatives à l’exercice de sa compétence par le législateur en matière fiscale, mais aussi sur les restrictions apportées par les dispositions contestées à la liberté d’entreprendre « et, en particulier, aux conditions d’exercice de l’activité de conseil juridique et fiscal ». Cette reconnaissance de la nécessité pour le législateur, lorsqu’il institue des mesures de lutte contre l’évasion fiscale, de préserver un équilibre entre l’objectif constitutionnel de lutte contre la fraude fiscale et les conditions d’exercice de la liberté d’entreprendre constitue une précision inédite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui retient bien sûr tout particulièrement l’intérêt des praticiens du droit fiscal.

La nécessité de respecter le principe de légalité des délits et des peines ne semble pas absente de la censure de l’article 96, puisque le Conseil constitutionnel se réfère à la circonstance que la méconnaissance de l’obligation de déclaration des schémas est sanctionnée par une lourde amende, mais elle apparaît beaucoup plus explicitement dans la censure de l’article 100. Le Conseil constitutionnel relève en effet que la modification des dispositions de l’article L. 64 du LPF pour prévoir que sont constitutifs d’un abus de droit, non plus les actes qui « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d’éluder ou d’atténuer » l’impôt que l’intéressé aurait dû supporter « si ces actes n’avaient pas été passés ou réalisés », mais les actes qui « ont pour motif principal » d’éluder ou d’atténuer l’impôt aurait eu « pour effet de conférer une importante marge d’appréciation à l’administration fiscale ». Il en déduit que, compte tenu des lourdes sanctions applicables en cas de mise en œuvre de la procédure d’abus de droit, l’article 100 méconnaît aussi bien les exigences de l’article 34 de la Constitution que celles de l’article 8 de la Déclaration de 1789.

Ce rappel des limites de la notion d’abus de droit, qui n’avait jusqu’à maintenant jamais été soumise au Conseil constitutionnel(1), pourrait conduire le juge de l’impôt à accroître son niveau d’exigence quant à la démonstration du caractère exclusivement fiscal de l’opération que l’administration entend remettre en cause sur le fondement de ces dispositions. Le commentaire de la décision du Conseil constitutionnel rappelle certes que le Conseil d’État a déjà admis qu’un avantage non fiscal minime n’était pas de nature à faire obstacle au caractère exclusivement fiscal de l’opération(2), mais la démonstration du caractère prépondérant du motif fiscal ne devrait pas permettre à l’administration d’ignorer des motifs non fiscaux significatifs sans retenir une interprétation de l’article L. 64 du LPF contraire aux exigences rappelées par le Conseil constitutionnel.

Principe de nécessité et de proportionnalité des peines (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons. 93 à 111 ; décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, cons. 7 à 10 et cons. 41 à 44)

À l’occasion du contrôle de plusieurs dispositions instituant des sanctions pénales (article 3 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale) ou fiscales (article 44 de la même loi et articles 97 et 99 de la loi de finances pour 2014), le Conseil constitutionnel a précisé les conditions auxquelles sont soumises les amendes déterminées en fonction du chiffre d’affaires. La jurisprudence du Conseil constitutionnel apprécie en effet le caractère proportionné de la peine à l’infraction qu’elle a pour objet de sanctionner en recherchant « l’absence de disproportion manifeste entre l’infraction et la peine encourue »(3).

Le Conseil constitutionnel a déjà jugé à de nombreuses reprises que des pénalités fiscales déterminées en fonction du montant d’une facture fictive(4), du montant d’un avantage fiscal indu(5) ou encore du montant de l’impôt éludé(6) n’étaient pas en principe contraires au principe de proportionnalité des peines et n’avait jusqu’à maintenant jamais eu l’occasion de se prononcer sur le respect de ces exigences pour des amendes fiscales, qui sont soumises comme on le sait aux mêmes principes qu’elles soient prononcées par un juge ou par l’administration. Il avait en revanche déjà eu l’occasion d’admettre, en ce qui concerne les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence en cas d’atteinte au droit de la concurrence, que des amendes déterminées en fonction du chiffre d’affaires puissent être conformes à la Constitution(7).

Mais cette solution se justifiait précisément parce que, en cas d’atteinte au droit de la concurrence, l’infraction a notamment pour objet ou pour effet d’augmenter le chiffre d’affaires de l’entreprise. Rien de tel en matière fiscale, puisque la méconnaissance par les contribuables de leurs obligations fiscales a généralement pour objet d’éluder l’impôt et non d’augmenter le chiffre d’affaires. Le Conseil constitutionnel a donc considéré que, tant pour une amende dont l’objet était de sanctionner les crimes et délits pour lesquels les personnes morales étaient poursuivies (article 3 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale), que pour des sanctions fiscales dont l’objet était de sanctionner la méconnaissance par les contribuables de certaines de leurs obligations vis-à-vis de l’administration (qu’il s’agisse de l’obligation de communiquer des copies de documents, des éléments relatifs à la comptabilité analytique, des fichiers d’écritures comptables ou une documentation relative aux prix de transfert), la détermination du montant de la sanction en fonction du chiffre d’affaires était contraire au principe de proportionnalité des peines.

Liberté Individuelle

Protection de la liberté individuelle et perquisitions en matière fiscale (décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, cons. 29 à 40)

Les articles 38 et 40 de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale avaient pour objet de faire échec à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui, pour l’application de l’article L. 16 B du LPF en vertu duquel le juge de la liberté et de la détention peut autoriser l’administration fiscale à procéder à des visites et des saisies en cas de suspicion de fraude fiscale, avait considéré que ces dispositions ne pouvaient être mises en œuvre lorsque les soupçons dont fait état l’administration sont fondés sur des pièces d’origine illicite(8). Ces dispositions auraient permis au juge chargé d’autoriser les procédures de visites et de saisies de prendre en considération toutes pièces présentées par l’administration, « quelle que soit leur origine ».

Rappelant sa jurisprudence traditionnelle en vertu de laquelle la liberté individuelle proclamée à l’article 2 de la Déclaration de 1789 implique le droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile, principe auquel il a déjà eu plusieurs fois l’occasion de confronter les dispositions de l’article L. 16 B du LPF(9), le Conseil constitutionnel a estimé qu’en permettant que le juge autorise l’administration à procéder à des visites domiciliaires sur le fondement de documents, pièces ou informations de quelque origine que ce soit, y compris illégale, le législateur avait privé de garanties légales les exigences du droit au respect de la vie privée et, en particulier, de l’inviolabilité du domicile. Il a donc censuré ces dispositions.

Le Conseil constitutionnel a retenu une solution toutefois différente lorsqu’il s’est prononcé sur les articles 37 et 39 de la même loi dont l’objet était de prévoir de manière similaire que les documents que l’administration fiscale utilise ne peuvent être écartés au seul motif de leur origine, dès lors qu’ils lui ont été communiqués de manière régulière. Cette disposition faisait prévaloir les principes posés par la jurisprudence du Conseil d’État en vertu de laquelle, dès lors que l’administration fiscale a obtenu régulièrement communication de pièces détenues par l’autorité judiciaire dans le cadre d’une procédure pénale, « la circonstance que ces pièces auraient été ultérieurement annulées par le juge pénal n’a pas pour effet de priver l’administration du droit de s’en prévaloir pour établir les impositions »(10), sur ceux retenus par la Cour de cassation qui a, au contraire, jugé que l’exercice du droit de communication ne fait pas disparaître une irrégularité antérieure, même extérieure à la procédure en cause(11).

Le Conseil constitutionnel a estimé que lorsque des documents sont communiqués à l’administration fiscale de manière régulière, dans l’exercice normal de son droit de communication prévu par le LPF, le législateur avait pu prévoir sans porter atteinte à la Constitution et en particulier à l’article 16 de la Déclaration de 1789 que la circonstance que l’autorité nationale ou étrangère qui lui a communiqué ces documents les auraient obtenus de manière irrégulière ne pouvait faire échec à l’utilisation de ces documents par l’administration fiscale dans l’exercice de son pouvoir de rectification. En revanche, il a formulé une réserve d’interprétation dans l’hypothèse particulière où les documents communiqués à l’administration fiscale auraient été obtenus dans le cadre d’une procédure déclarée ultérieurement irrégulière par le juge. Dans ce cas le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions critiquées « ne sauraient, sans porter atteinte aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, permettre aux services fiscaux de se prévaloir de pièces ou documents obtenus par une autorité administrative ou judiciaire dans des conditions déclarées ultérieurement illégales par le juge ».

L’autorité dont est revêtue cette réserve d’interprétation fait donc désormais obstacle à ce que, à compter de l’entrée en vigueur des dispositions issues des articles 37 et 39 de la loi, l’administration puisse se prévaloir de pièces ultérieurement déclarées illégales par un juge, alors même qu’elle les aurait obtenues dans le cadre de l’exercice régulier de son droit de communication. La jurisprudence du Conseil d’État se trouve donc clairement remise en cause pour l’avenir, tandis que celle de la Cour de cassation est confortée. La décision du Conseil constitutionnel n’a toutefois pas juridiquement autorité s’agissant de procédures qui auraient été engagées avant l’entrée en vigueur de ces nouvelles dispositions, mais on peut penser que, compte tenu de la motivation retenue par la décision commentée, le Conseil d’État devrait, s’il en a l’occasion, revenir sur la jurisprudence Navon.

Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC)

Portée des décisions dans le temps

Effets produits par la décision abrogée : limitation des effets aux impositions contestées (décision n° 2013-351 QPC du 25 octobre 2013)

Moins d’un an après la décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 qui avait déclaré contraire à la Constitution pour la même raison la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), le Conseil constitutionnel a de nouveau censuré une imposition, ici la taxe locale sur la publicité extérieure (TLPE) introduite par l’article 171 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, en raison de l’omission par le législateur de la définition des modalités de recouvrement de cette imposition, en méconnaissance des exigences de l’article 34 de la Constitution. Comme pour la taxe additionnelle à la CVAE, les effets de l’omission par le législateur de la détermination des modalités de recouvrement de la TLPE sont très radicaux, puisque cette inconstitutionnalité affecte le principe même de la taxe, si bien que ce ne sont pas seulement les dispositions relatives au recouvrement de la taxe qui sont déclarées inconstitutionnelles mais l’ensemble des dispositions qui avaient institué la taxe. La TLPE se trouve donc privée de base légale et, en toute rigueur, tous les contribuables qui avaient acquitté cette taxe auraient dû pouvoir en obtenir la restitution, pour autant que les délais de réclamation n’étaient pas expirés. Toutefois, la décision du Conseil constitutionnel introduit deux limitations importantes aux possibilités de restitution de la TLPE.

La première résulte de ce que les dispositions relatives au recouvrement de la TLPE qui avaient été instituées par le texte censuré par le Conseil constitutionnel ont été modifiées à la fin de l’année 2011. L’article 75 de la loi de finances rectificative pour 2011, applicable depuis le 1er janvier 2012, prévoit ainsi que la TLPE « est payable, sur la base d’un titre de recette établi au vu d’une déclaration annuelle ou d’une déclaration complémentaire de l’exploitant du support publicitaire, à la commune ». Le Conseil constitutionnel semble avoir considéré que cette nouvelle rédaction était suffisante au regard de l’article 34 de la Constitution, puisqu’il est expressément précisé au considérant 18 de la décision que « les dispositions déclarées contraires à la Constitution le sont dans leur rédaction antérieure à leur modification par l’article 75 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011 ». L’inconstitutionnalité censurée par le Conseil constitutionnel ne peut donc être invoquée que pour obtenir la restitution de la TLPE due depuis l’entrée en vigueur des dispositions instituant cette taxe à compter du 1er janvier 2009 jusqu’au 31 décembre 2011, pour autant qu’une contestation ait été introduite dans le délai de réclamation, c’est-à-dire, s’agissant ici d’une contribution indirecte pour laquelle le délai de réclamation est déterminé par l’article R. 196-1 du livre des procédures fiscales (LPF), avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit la mise en recouvrement de cette taxe.

La seconde limitation tient aux restrictions des effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité telles qu’elles résultent de la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Rappelons en effet que le deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution distingue en effet les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité suivant qu’il s’agit d’envisager l’application de la disposition législative déclarée inconstitutionnelle pour l’avenir, cas dans lequel il est prévu que la disposition déclarée inconstitutionnelle est « abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision » ou de déterminer les conséquences de cette déclaration sur les effets que la disposition a produits dans le passé, cas dans lequel il appartient au Conseil constitutionnel de déterminer « les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause ».

Le Conseil constitutionnel a précisé la portée de ces dispositions en estimant qu’« en principe la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel » (décisions n° 2010-108 QPC et n° 2010-110 QPC du 25 mars 2011). La plupart des décisions du Conseil constitutionnel limitent ainsi les effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité aux seules « instances en cours » à la date de la décision du Conseil constitutionnel, ce qui signifie que pour les justiciables qui n’auraient pas introduit d’instance avant cette date, il ne sera plus possible de se prévaloir de la déclaration d’inconstitutionnalité, alors même qu’aucune prescription ou forclusion ne serait opposable à la recevabilité d’une instance introduite après la décision.

Le point de savoir ce que constitue une « instance en cours » se présente de manière particulière en matière fiscale en raison du statut spécifique de la réclamation contentieuse qui doit nécessairement précéder toute saisine du juge, et qui constitue, selon une jurisprudence constante du Conseil d’État, une « instance ressortissant à la juridiction contentieuse », si bien qu’elle est assimilée à une instance devant les juridictions. Mais, dans sa décision du 25 octobre 2013, le Conseil constitutionnel n’a pas eu recours à cette notion d’instance en cours, puisqu’il a précisé que l’inconstitutionnalité de la loi ne pourra être invoquée qu’à l’encontre des « impositions contestées » avant le 25 octobre 2013, date de la décision du Conseil constitutionnel. Cette référence à la notion de contestation des impositions constitue une précision inédite dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a eu précisément pour objet de tenir compte de la spécificité de la matière fiscale, puisqu’il s’en déduit nécessairement que dès lors qu’une réclamation aura été formée avant le 25 octobre 2013, le cachet de la poste faisant foi, l’imposition devra être regardée comme ayant été contestée avant cette date si bien que l’inconstitutionnalité de la TLPE pourra être utilement invoquée.

A contrario, il s’en déduit également que les redevables de la TLPE qui n’auraient pas introduit de réclamation avant le 25 octobre 2013 ne pourront pas utilement se prévaloir de l’inconstitutionnalité de cette taxe, alors même que les délais de réclamation ne sont pas expirés et qu’il aurait ainsi encore été possible, par exemple, de demander la restitution de la TLPE acquittée en 2011 jusqu’au 31 décembre 2013. La limitation des effets pour le passé des déclarations d’inconstitutionnalité d’une taxe qu’illustre la décision du 25 octobre 2013 souligne ainsi encore la nécessité pour les contribuables de suivre avec vigilance les affaires renvoyées devant le Conseil constitutionnel à l’occasion de QPC en matière fiscale.

Critères de transmission ou de renvoi de la question au Conseil constitutionnel

Notion de disposition applicable au litige (Conseil d’État, 20 décembre 2013, n° 371157, SA Axa France Vie et autres)

Par une instruction du 14 juin 2013, l’administration a commenté les dispositions relatives au plafonnement de l’ISF prévu à l’article 885 V bis du CGI issu de l’article 13 de la loi de finances pour 2013. Alors que, dans sa rédaction issue de la discussion parlementaire, cet article mentionnait que devaient être regardés comme des revenus réalisés pris en compte pour le dénominateur servant au calcul du plafonnement « la variation de la valeur de rachat des bons ou contrats de capitalisation, des placements de même nature, notamment des contrats d’assurance-vie nettes des versements et des rachats opérés » au cours de la même année, dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 sur la loi de finances pour 2013, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition pour méconnaissance des facultés contributives à raison de l’intégration dans le revenu du contribuable, pour le calcul du plafonnement de l’ISF, « des sommes qui ne correspondent pas à des bénéfices ou revenus que le contribuable a réalisés ou dont il a disposé ».

En dépit de cette décision, l’administration avait cru, par son instruction du 14 juin 2013, pouvoir imposer de prendre en compte pour le calcul du plafonnement de l’ISF les revenus des bons ou contrats de capitalisation, tels les contrats dits « mono-support » en euros et les produits des compartiments en euros des contrats dits « multisupports », à raison du montant retenu pour l’assiette des prélèvements sociaux en application de l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l’article 22 de la loi de finances pour 2011 en date du 29 décembre 2010, qui a modifié cet article pour étendre le principe de l’assujettissement « au fil de l’eau » des produits inscrits en compte de tels contrats au compartiment en euros des contrats « multisupports ».

Par sa décision du 20 décembre 2013, le Conseil d’État a annulé cette instruction, qui avait été immédiatement attaquée par de nombreux redevables de l’ISF par la voie d’un recours pour excès de pouvoir. Une QPC avait été formée à l’appui de l’un de ces recours contre les dispositions de l’article 22 de la loi de finances pour 2011. Alors que son rapporteur public Nathalie Escaut avait proposé de considérer que ces dispositions étaient applicables au litige et de les renvoyer, compte tenu du caractère sérieux de la question, au Conseil constitutionnel, le Conseil d’État a au contraire jugé que le seul fait que l’instruction attaquée se référait aux dispositions de l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, dans leur rédaction issue du I de l’article 22 de la loi de finances pour 2011 ne suffisait pas à considérer que ces dispositions puissent être regardées comme applicables au litige, au sens du 1 ° de l’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

Cette solution conduit donc à limiter la jurisprudence en vertu de laquelle une QPC peut être formée à l’occasion d’un recours pour excès de pouvoir contre l’instruction par laquelle l’administration fiscale commente une disposition législative(12) à la seule mise en cause, au regard des droits et libertés garantis par la Constitution, de la disposition législative ainsi commentée. Ici seules les dispositions de l’article 885 V bis du CGI, que l’instruction avait pour objet d’interpréter, pouvaient être regardées comme applicables au litige, mais non celles de l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale, alors même que l’instruction y faisait référence, dès lors que l’objet de cette instruction n’était pas d’interpréter ces dernières dispositions.

Autorité des décisions du Conseil constitutionnel

Autorité de la chose jugée

Chose jugée par une précédente décision portant sur des dispositions ayant un objet analogue (décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, cons.7 à 12)

À la suite de la controverse dont avait fait l’objet l’instruction du 14 juin 2013 qui avait pour objet de prendre en compte pour le calcul du plafonnement de l’ISF les revenus des bons ou contrats de capitalisation à raison du montant retenu pour l’assiette des prélèvements sociaux, et sans doute conscient de la fragilité juridique de l’interprétation ainsi donnée des dispositions de l’article 885 V bis du CGI telles qu’elles résultaient de la censure par le Conseil constitutionnel de l’article 13 de la loi de finances pour 2013 par la décision n° 2012-662 DC, le législateur a décidé, par l’article 13 cette fois de la loi de finances pour 2014, d’ajouter à l’article 885 V bis la précision selon laquelle, pour le calcul du plafonnement de l’ISF, « sont également considérés comme des revenus réalisés au cours de la même année en France ou hors de France les revenus des bons ou contrats de capitalisation et des placements de même nature, notamment des contrats d’assurance-vie, souscrits auprès d’entreprises d’assurance établies en France ou à l’étranger, pour leur montant retenu au titre du 3 ° du II de l’article L. 136-7 du code de la sécurité sociale », reprenant ainsi dans la loi elle-même la formulation retenue par l’administration fiscale dans son instruction.

Saisi de la question de la conformité à la Constitution de cette disposition, le Conseil constitutionnel l’a censuré mais non pour méconnaissance du principe d’égalité devant les charges publiques qui avait fondé la censure des dispositions analogues que comportait l’article 13 de la loi de finances pour 2013. Le Conseil constitutionnel a en effet plus radicalement considéré que les dispositions en cause portaient atteinte à l’autorité de la chose jugée en méconnaissance de l’article 62 de la Constitution. Après avoir rappelé sa jurisprudence constante selon laquelle(13) « si l’autorité attachée à une décision du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnelles des dispositions d’une loi ne peut en principe être utilement invoquée à l’encontre d’une autre loi conçue en termes distincts, il n’en va pas ainsi lorsque les dispositions de cette loi, bien que rédigées sous une forme différente, ont, en substance, un objet analogue à celui des dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution », il a estimé que les dispositions de l’article 13 de la loi de finances pour 2014 avaient un objet analogue à celles qu’il avait censurées par sa décision n° 2012-662 DC et portaient donc atteinte à l’autorité dont cette décision est revêtue en application de l’article 62 de la Constitution.

Revue doctrinale

Articles relatifs aux décisions du Conseil constitutionnel

28 mars 2013 - 2012-298 QPC - SARL Majestic Champagne [Taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises - Modalités de recouvrement]

– La Mardière, Christophe de. « Incompétence négative : une porte étroite ouverte sur la QPC », Constitutions. Revue de droit constitutionnel appliqué, juillet-septembre 2013, n° 2013-3, p. 430-432.

– Pelletier, Marc. « [Note sous Décision n° 2012-298 QPC du 28 mars 2013 SARL Majestic Champagne, Taxe additionnelle à la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises - Modalités de recouvrement] », Revue française de droit constitutionnel, octobre 2013, n° 96, p. 1009-1012.

11 avril 2013 - 2013-666 DC - Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes

– Krolik, Christophe. « Un prélude en demi-teinte : à propos de la décision n° 2013-666 DC – Loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre », Revue juridique de l’environnement, septembre 2013, n° 3-2013, p. 425-432.

– Nicinski, Sophie. « Les économies de consommation d’énergie devant le Conseil constitutionnel », Revue juridique de l’économie publique, novembre 2013, n° 713, p. 20-27.

– Ravella, David. « Égalité devant l’impôt et écotaxe : le couple ne fait pas bon ménage », Revue française de droit constitutionnel, octobre 2013, n° 96, p. 1002-1009.

23 mai 2013 - 2013-670 DC - Loi portant diverses dispositions en matière d’infrastructures et de services de transports

– Sée, Arnaud. « Le Conseil constitutionnel mobilise la liberté d’entreprendre pour protéger la libre concurrence », Concurrences : revue des droits de la concurrence, décembre 2013, n° 2013-4, p. 177-178.

7 juin 2013 - 2013-319 QPC - M. Philippe B. [Exception de vérité des faits diffamatoires constituant une infraction amnistiée ou prescrite, ou ayant donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision]

– Conte, Philippe. « Loi du 29 juillet 1881 sur la presse ; exceptio veritatis : abrogation par le Conseil constitutionnel du c) de l’article 35 », Revue pénitentiaire et de droit pénal, juillet-septembre 2013, n° 3, p. 648-650.

– Francillon, Jacques. « Preuve de la vérité de faits diffamatoires effacés par amnistie, prescription, réhabilitation ou révision. (QPC) [Chronique de jurisprudence : infractions relevant du droit de l’information et de la communication] », Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, juillet-septembre 2013, n° 3, p. 574-576.

– Mallet-Poujol, Nathalie. « Diffamation et amnistie : l’étrange sacrifice du filtre de la bonne foi : (Cass. civ. 1 °, 16 mai 2013, n° 12-19783) », Légipresse, octobre 2013, n° 309, p. 531-537.

– Picard, Kelly. « Nouvelle étape vers une dépénalisation de la diffamation », Revue française de droit constitutionnel, octobre 2013, n° 96, p. 982-986.

20 septembre 2013 - 2013-340 QPC - M. Alain G. [Assujettissement à l’impôt sur le revenu des indemnités de licenciement ou de mise à la retraite]

– La Mardière, Christophe de. « Licenciements : l’indemnité issue d’une transaction peut être exonérée », Revue de droit fiscal, 24 octobre 2013, n° 43, p. 28-30.

25 octobre 2013 - 2013-351 QPC - Société Boulanger [Taxe locale sur la publicité extérieure II]

– Moritz, Marcel. « La taxe locale sur la publicité extérieure examinée par le Conseil constitutionnel : une censure aux effets limités », La Semaine juridique. Administrations et collectivités territoriales, 16 décembre 2013, n° 51, p. 23-27.

4 décembre 2013 - 2013-679 DC - Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

– Aguila, Yann ; Dezeuze, Éric. « Le Conseil constitutionnel valide la création du procureur de la République financier », La Gazette du Palais, 13 et 14 décembre 2013, n° 347-348, p. 15-21.

– La Mardière, Christophe de. « Introduction et décision du Conseil constitutionnel », Revue de droit fiscal, 19 décembre 2013, n° 51-52, p. 14-21.

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Droit des affaires

– Roussille, Myriam. « Remise en cause du pouvoir disciplinaire de l’ACP : les QPC ne passeront pas ! [CE, 25 juillet 2013, n° 366640] », La Gazette du Palais, 8 et 9 novembre 2013, n° 312-313, p. 34-35.

– Synvet, Hervé. « Questions prioritaires de constitutionnalité. [Panorama droit bancaire] [CE, 25 juillet 2013, n° 366640] », Recueil Dalloz, 24 octobre 2013, n° 36, p. 2422-2423.

Droit fiscal / Finances publiques

– Aguila, Yann ; Froger, Guillaume ; Gayral, Julien. « La réforme de l’abus de droit au prisme de la Constitution », Bulletin fiscal (Francis Lefebvre), 28 novembre 2013, p. 13-15.

– Bokdam-Tognetti, Émilie. « QPC et contentieux fiscal : bientôt quatre années d’enrichissement mutuel et d’évolution sans révolution », Revue de jurisprudence fiscale, décembre 2013, n° 12, p. 979-988.

– Lasserre Capdeville, Jérôme. « Pas de renvoi au Conseil constitutionnel d’une QPC fondée sur l’article L. 153-1, alinéa 2 du code monétaire et financier. [Cass. civ., 11 juillet 2013, n° 13-40036] », Les Petites Affiches, 19 novembre 2013, n° 231, p. 13-15.

– Legras, Claire. « Conformité à la Constitution de la taxe annuelle sur les véhicules de tourisme (CGI, art. 1010) [Conclusions sous CE, 23 septembre 2013, n° 369684, Sté Visiocom] », Revue de droit fiscal, 14 novembre 2013, n° 46, p. 45-48.

– Michalletz, Marlie. « Cotisation de solidarité pour le financement des régimes des travailleurs non-salariés agricoles : un dispositif conforme à la Constitution. [Cass., 13 juin 2013, n° 13-40019] », La Semaine juridique. Social, 19 novembre 2013, n° 47, p. 32-34.

(1) Le Conseil d’État ayant refusé de transmettre l’unique QPC dont il avait été saisi sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article L. 64 du LPF : CE, 29 septembre 2010, n° 341065, Sté SNERR Théâtre de Paris.

(2) Conseil d’État, 17 juillet 2013, n° 360706, Ministre délégué chargé du budget c/ SARL Choiseul Holding.

(3) Cons. const., déc. n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, cons. 7 et n° 2010-604 DC du 25 février 2010, cons. 14.

(4) Cons. const., déc. n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, cons. 40.

(5) Cons. const., déc. n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, cons. 8 à 13.

(6) Cons. const., déc. n° 2012-225 QPC du 30 mars 2012, cons. 7.

(7) Cons. const., déc. n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012.

(8) Cass. com., 31 janvier 2012, n° 11-13097 (n° 141 FS-PB).

(9) Cons. const., déc. n° 83-184 DC du 29 décembre 1983, n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, n° 89-268 DC du 29 décembre 1989.

(10) CE, Section, 6 décembre 1995, n° 90914, Navon.

(11) Cass. com., 4 juin 1996, n° 1080 P, Prodhomme.

(12) CE, 9 juillet 2010, n° 339081, Matthieu.

(13) Décisions nos 89-258 DC du 8 juillet 1989, 96-373 DC du 9 avril 1996, 97-394 DC du 31 décembre 1997, 2004-500 DC du 29 juillet 2004, 2006-538 DC du 13 juillet 2006, 2007-559 DC du 6 décembre 2007.