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12 questions-réponses sur la question prioritaire de constitutionnalité

Cahier du Conseil constitutionnel n° 29 - octobre 2010

La question prioritaire de constitutionnalité est le droit reconnu à toute personne qui est partie à un procès ou une instance de soutenir qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit. Si les conditions de recevabilité de la question sont réunies, il appartient au Conseil constitutionnel, saisi sur renvoi par le Conseil d'État ou la Cour de cassation de se prononcer et, le cas échéant, d'abroger la disposition législative. La question prioritaire de constitutionnalité a été instauré par la réforme constitu­tionnelle du 23 juillet 2008. Avant la réforme, il n'était pas possible de contester la conformité à la Constitution d'une loi déjà entrée en vigueur. Désormais, les justiciables jouissent de ce droit nouveau en application de l'article 61-1, de la Constitution.

1 - Qu'entend-on par « disposition législative » ?

Il s'agit d'un texte adopté par l'autorité détenant le pouvoir législatif. C'est donc essentiellement un texte voté par le Parlement (loi, loi organique ou ordonnance ratifiée par le Parlement). Ce peut-être aussi une loi du pays de Nouvelle-Calédonie.
Les ordonnances qui n'ont pas été ratifiées, les décrets, les arrêtés ou les décisions individuelles ne peuvent donc pas faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité (ce sont des actes administratifs dont le contrôle relève de la compétence des juridictions administratives).

2 - Qu'entend-on par « droits et libertés que la Constitution garantit » ?

Les droits et libertés garantis par la Constitution sont les droits et libertés qui figurent dans :

  • La Constitution du 4 octobre 1958 telle que modifiée à plusieurs reprises ; par exemple l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle (article 66) ;

- les textes auxquels renvoie le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958, à savoir :

3 - Pourquoi la question est-elle qualifiée de « prioritaire » ?

La loi organique du 10 décembre 2009, relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution a qualifié la question de constitutionnalité de « prioritaire ».
Cela signifie d'une part que, lorsqu'elle est posée devant une juridiction de première instance ou une cour d'appel, la question doit être examinée sans délai. Le temps d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité doit s'imputer sur le temps de la procédure et ne doit pas la retarder.
D'autre part, lorsque la juridiction est saisie de moyens qui contestent à la fois la constitutionnalité de la loi (question de constitutionnalité) et le défaut de conformité de cette loi aux traités et accords internationaux (exception d'inconventionnalité) la juridiction doit d'abord examiner la question de constitutionnalité.

4 - Faut-il prendre un avocat pour poser une question prioritaire de constitutionnalité ?

Les règles de représentation, pour poser la question prioritaire de constitutionnalité, obéissent aux règles applicables devant la juridiction saisie de l'instance : devant une juridiction où la représentation par avocat est obligatoire, la question prioritaire de constitutionnalité ne peut être posée que par avocat.
En revanche, devant les juridictions où une partie peut assurer elle-même sa défense, il est possible de déposer directement une question prioritaire de constitutionnalité.
Attention : la question prioritaire de constitutionnalité doit toujours faire l'objet d'un écrit distinct et motivé (même devant les juridictions où la procédure est orale).

5 - Quand peut-on poser une question prioritaire de constitutionnalité ?

La question prioritaire de constitutionnalité peut être posée au cours de toute instance devant une juridiction de l'ordre administratif (relevant du Conseil d'État) ou judiciaire (relevant de la Cour de cassation).
La question peut être posée, en première instance, en appel, ou en cassation.

6 - À quelles conditions peut-on poser une question prioritaire de constitutionnalité ?

Toute juridiction relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation peut être saisie d'une question prioritaire de constitutionnalité. Seule la cour d'assises ne peut en être saisie. Toutefois, en matière criminelle, la question peut être posée soit avant, devant le juge d'instruction, soit après, à l'occasion d'un appel ou d'un pourvoi en cassation.
La question prioritaire de constitutionnalité doit être soulevée par écrit. L'écrit doit être motivé. Il doit toujours être distinct des autres conclusions qui sont produites dans l'instance.

7 - Le justiciable peut-il saisir directement le Conseil constitutionnel ?

Non : la question prioritaire de constitutionnalité doit être posée au cours d'une instance.
C'est la juridiction saisie de l'instance qui procède sans délai à un premier examen. La juridiction examine si la question est recevable et les critères fixés par la loi organique sont remplis.
Si ces conditions sont réunies, la juridiction saisie transmet la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation.
Le Conseil d'État ou la Cour de cassation procède à un examen plus approfondi de la question prioritaire de constitutionnalité et décide de saisir ou non le Conseil constitutionnel.

8 - Quels sont les critères pour que le Conseil constitutionnel soit saisi ?

Les critères pour que le Conseil constitutionnel soit saisi de la question prioritaire de constitutionnalité sont détaillés par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'article 61-1 de la Constitution. Ils sont au nombre de trois :

  • la disposition législative critiquée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
  • la disposition législative critiquée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;
  • la question est nouvelle ou présente un caractère sérieux.

9 - Peut-on contester le refus de saisir le Conseil constitutionnel ?

- Le refus, par la juridiction de première instance ou la cour d'appel, de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours (appel ou pourvoi en cassation) visant la décision rendue au fond par la juridiction saisie.
- Le refus, par le Conseil d'État ou la Cour de cassation, de saisir le Conseil constitutionnel n'est susceptible d'aucun recours.

10 – Comment se déroule la procédure devant le Conseil constitutionnel ?

- Le Conseil constitutionnel doit juger la question prioritaire de constitutionnalité dans un délai de trois mois. Pour garantir un échange contradictoire dans ce délai court, les notifications et les échanges se feront par la voie électronique. Les parties devront déclarer une adresse électronique avec laquelle ils communiqueront avec le Conseil constitutionnel. Pour gagner du temps, les parties peuvent faire figurer cette adresse électronique dans la question prioritaire de constitutionnalité déposée devant la juridiction du fond ou dans les mémoires qui sont échangés devant le Conseil d'État ou la Cour de cassation.
- Après un échange contradictoire entre les parties, l'affaire sera appelée à une audience publique où les avocats pourront formuler des observations orales. La décision sera rendue quelques jours après.

11 - Quelles sont les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel ?

- Si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est conforme à la Constitution, cette disposition conserve sa place dans l'ordre juridique interne. La juridiction doit l'appliquer, à moins qu'elle ne la juge incompatible avec une disposition d'un traité international ou du droit de l'Union européenne.
- Si le Conseil constitutionnel déclare que la disposition législative contestée est contraire à la Constitution, la décision du Conseil constitutionnel a pour effet d'abroger cette disposition. Elle disparaît de l'ordre juridique français.

12 - Quand la réforme entre-t-elle en vigueur ?

La réforme entre en vigueur le 1er mars 2010.
Elle sera applicable aux instances en cours. Toutefois, seules les questions prioritaires de constitutionnalité présentées à compter du 1er mars 2010 dans un écrit ou un mémoire distinct et motivé seront recevables.