Page

Le Conseil constitutionnel et la Charte de l'environnement

Renaud DENOIX DE SAINT MARC - colloque AJCP sur le thème « La Charte de l'environnement au prisme du contentieux », Cour administrative d'appel de Paris, 15 juin 2012


Article publié dans la revue Environnement et dév. durable, n° 12 décembre 2012, dossier 24. Reproduit avec l'aimable autorisation des éditions LexisNexis

Je ne vais pas me livrer à une savante exégèse synthétique des décisions du Conseil constitutionnel faisant application de la Charte pour la simple raison qu'elles sont peu nombreuses, je crois qu'elles sont au nombre de 7, presque autant que les arrêts rendus par la Cour administrative d'appel de Paris, sur ce même sujet.

Ces décisions sont intervenues dans des domaines très différents, le Conseil constitutionnel y a statué comme juge du contentieux préélectoral, il y a statué dans le cadre des saisines de l'article 61 - c'est-à-dire par l'opposition au Parlement – et y a également statué dans le cadre de l'article 61-1 de la Constitution.

Ce petit nombre de décisions et la nature des normes sur lesquelles a porté son contrôle, ne permettent donc pas de faire une synthèse mais conduit à en faire une analyse.

Le Conseil constitutionnel a d'abord statué la première fois comme juge des consultations du corps électoral dans une décision du 24 mars 2005 Hauchemaille et Meyet[1]. Personne ne remerciera assez MM. Hauchemaille et Meyet d'avoir fait progresser le contentieux de droit public, qu'il soit administratif ou constitutionnel.

Ces deux personnes avaient attaqué le décret du 9 mars 2005 et le décret du 17 mars 2005 relatifs à la soumission au référendum du projet de loi autorisant la ratification du traité établissant une Constitution pour l'Europe. Le décret organisait les opérations de référendum.

Cette requête se place dans le contentieux contre les actes administratifs préparatoires à des consultations nationales. Mais ce contentieux qui est probablement un contentieux de l'excès de pouvoir sans le dire, devant le Conseil constitutionnel, aussi contestable soit la compétence du Conseil constitutionnel, est né d'une malencontreuse décision du Conseil d'Etat Delmas[2] par lequel le Conseil d'Etat a refusé d'exercer une compétence qui devait lui revenir de droit.

Dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a jugé « em>qu'en tout état de cause, le traité établissant une Constitution pour l'Europe n'est pas contraire à la Charte de l'environnement de 2004 » [3]. Par conséquent, le Conseil constitutionnel a accepté de confronter le Traité établissant une Constitution pour l'Europe à la Charte de l'environnement. Il a donc admis la valeur constitutionnelle de la Charte de l'environnement.

Je n'étais pas membre du Conseil constitutionnel, je n'ai pas le sentiment que le Conseil constitutionnel ait eu beaucoup d'état d'âme pour admettre que la Charte faisait partie du bloc de constitutionnalité. Le « en tout état de cause » s'explique par le fait que le Conseil constitutionnel a eu un doute sur le point de savoir si un citoyen requérant devant le Conseil constitutionnel, dans les conditions tout à fait particulières du contentieux préalable à une consultation électorale, pouvait demander au Conseil constitutionnel de confronter précisément un traité international à la Constitution dès lors que la Constitution réserve à certaines autorités le soin de saisir le Conseil constitutionnel de la conformité d'un traité à la Constitution. Voilà pourquoi il y a « en tout état de cause » dans cette décision.

Le 2ème cas est une décision du 28 avril 2005[4], assez rapidement après l'affaire Hauchemaille et Meyet. C'est la loi relative à la création du registre international français, c'est-à-dire la loi qui permet aux armateurs de recruter sur leurs navires des personnes échappant à l'application du droit du travail national. C'est le principal intérêt, sinon l'intérêt exclusif, du registre international français.

Le Conseil constitutionnel avait été saisi dans le cadre de l'article 61 à la fois par l'opposition à l'Assemblée nationale et l'opposition au Sénat. Et les requérants invoquaient de façon assez laborieuse la violation de l'article 6 de la Charte qui dit : « les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social » .

L'argumentation était très laborieuse et très lointaine par rapport à ce principe, consistant à dire en permettant d'engager des marins à des conditions sociales très inférieures à celles qui résulteraient de l'application de la législation nationale du travail sur les navires, les armateurs vont recruter des clochards, des unijambistes et par conséquent, la sécurité maritime sera affectée d'où méconnaissance de l'article 6. Effectivement cela ne valait pas grand-chose et le Conseil constitutionnel a répondu cependant au fond à cette argumentation ; par conséquent il a estimé à l'époque, implicitement mais nécessairement, que l'article 6 de la Charte de l'environnement s'appliquait même si cet article 6 laisse au législateur une très large marge d'appréciation dans la conciliation de la protection et la mise en valeur de l'environnement, du développement économique et du progrès social. Effectivement, le législateur doit être normalement à peu près à l'aise dans cette conciliation et ne pas craindre de façon trop sérieuse la censure du Conseil constitutionnel.

Le 3ème cas, c'est encore une saisine sur la base de l'article 61. Etait en cause la loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique. C'est une décision du Conseil constitutionnel du 7 juillet 2005[5]qui a réglé cette affaire.

Le même article 6 de la Charte a été invoqué contre un article 58 de cette loi qui réglait les conditions de la concurrence intercommunautaire dans le marché de l'électricité.

Le Conseil constitutionnel a répondu très brièvement à cette argumentation qui était à la limite de la pertinence. Par conséquent, il n'y a pas grand-chose à tirer de la décision du 7 juillet 2005 sauf que le Conseil constitutionnel a admis que l'article 6 avait une valeur constitutionnelle.

Nous en arrivons maintenant à des décisions que je connais mieux parce qu'elles ont été rendues depuis l'époque où j'appartiens à cette estimable institution.

D'abord, la décision du 19 juin 2008[6] à propos de la loi relative aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Là on était dans le cœur d'un problème environnemental très différent des précédentes décisions où l'applicabilité de la Charte était tout de même marginale. La Charte a été invoquée dans son article 5, le principe de précaution, et dans son article 7, qui prévoit le droit de toute personne à l'information et à la participation.

Sur la violation du principe de précaution, le Conseil constitutionnel s'est livré – je vous invite à vous référer à cette décision – à une très longue réfutation de l'argumentation. Vous les trouverez dans les considérants 17 à 22 de cette décision.

S'agissant de l'article 7, le Conseil constitutionnel a été amené à y répondre en deux points différents de sa décision. Sur l'article 7 de la loi, aux considérants 48 et 49 de cette décision, le Conseil constitutionnel contemple les dispositions de la loi relative à l'accès à l'information et considère que le législateur, à propos des organismes génétiquement modifiés, n'a pas dénaturé le principe d'accès à l'information.

Le deuxième point, qui est traité dans les considérants 56 et 57, a trait à l'étendue de la compétence du législateur dans ce domaine. Le Conseil constitutionnel a censuré le renvoi général au pouvoir règlementaire opéré par la loi pour fixer la liste des informations qui ne pouvaient en aucun cas rester confidentielles. Le Conseil constitutionnel a considéré que ce renvoi général au décret méconnaissait tant l'article 7 de la Charte, qui fait référence à la loi, qu'à l'article 34 de la Constitution, modifié par la même révision de la Constitution, qui a introduit les principes relatifs au droit de l'environnement dans les principes fondamentaux dont la détermination relève de la compétence du législateur.

Voila donc une décision relativement importante, qui a été d'un examen difficile et délicat par le Conseil constitutionnel, d'abord parce que la matière est extrêmement technique, deuxièmement parce que c'est un domaine dans lequel il y'a des passions qui s'exacerbent dans les deux sens, en faveur des OGM comme à l'encontre des OGM, ce qui d'ailleurs avait amené le Conseil constitutionnel, à titre officieux, à entendre deux membres de l'académie des sciences pour obtenir leur point de vue sur la dangerosité des OGM ou la pertinence, à leurs yeux, de la loi que le Parlement venait de voter. C'est une affaire dont j'ai conservé un certain souvenir pour bien des raisons.

Le 5ème cas, où le Conseil constitutionnel s'est référé à la Charte de l'environnement, c'est sa décision du 29 décembre 2009 [7] à propos de la loi de finances pour 2010, à propos de la contribution carbone. Mais, dans cette décision qui a connu un certain éclat, compte tenu de la censure de cette contribution carbone, le Conseil constitutionnel l'a citée un peu pour « faire joli » parce que sa censure n'est pas fondée sur la Charte de l'environnement mais sur la violation du principe d'égalité compte tenu de l'ensemble des dérogations et des exemptions dans l'assiette de la contribution carbone.

Il reste encore à évoquer deux réponses à des questions prioritaires de constitutionnalité : ce sont les décisions du 8 avril [8] et du 14 octobre 2011[9].

Et je vous signale qu'est en préparation une autre réponse à une QPC très voisine de celle qui a fait l'objet de la décision du 14 octobre 2011 puisqu'elle a trait également à la législation sur les établissements classés et cette décision sera rendue dans une quinzaine de jours.

Dans le cadre de la QPC, le Conseil constitutionnel a considéré que la Charte de l'environnement, instituait des droits et libertés que la Constitution garantit.

La décision du 8 avril 2011 a été rendue à propos de la loi et de la jurisprudence judiciaire à propos des troubles de voisinage. C'est l'article L. 112-16 du Code de la construction et de l'habitation qui limite le droit d'agir en justice sur le fondement du trouble de voisinage aux personnes qui se sont installées avant que l'activité qui est à l'origine des troubles ait elle même commencé à être exercée. Autrement dit, la loi et la jurisprudence de la Cour de cassation appliquent, comme la théorie des dommages de travaux publics, la règle de l'antériorité de l'installation. Le Conseil constitutionnel a considéré, à la grande fureur d'un certain nombre d'ayatollahs du droit de l'environnement, que cette législation n'était pas contrainre aux principes énoncés par la Charte de l'environnement. Cette décision est relativement intéressante parce que le Conseil constitutionnel a fait bloc de l'article 1 er et de l'article 2 pour en tirer une sorte de devoir de vigilance générale de toute personne à l'égard de l'environnement. Il n'est pas exclut de penser que le Conseil constitutionnel a considéré que l'article 1er à lui tout seul énonçait une règle dont l'applicabilité était un peu difficile à admettre, chacun a le droit de vivre dans « un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

Le Conseil constitutionnel a préféré faire bloc de l'article 1er et de l'article 2, le droit de vivre et le devoir de prendre part à la préservation de l‘environnement, pour en tirer une idée d'un devoir général de préservation de l'environnement. C'est comme cela que s'explique à mes yeux le considérant du Conseil constitutionnel.

Je crois que c'est son principal intérêt. La solution, personnellement, me paraît évidente mais je suis peut-être mal placé pour juger de son évidence.

La 2ème décision, c'est une décision du 14 octobre 2011 à propos des projets de nomenclature des installations classées et des prescriptions générales applicables à celles de ces installations classées qui sont soumises à enregistrement.

Le droit des installations classées est une police spéciale qui repose sur le classement des activités dangereuses en 3 classes : autorisation, enregistrement, déclaration. Dans chacune de ces classes, le ministre est autorisé à prendre des arrêtés généraux qui ont pour objet de prévenir les risques applicables à la catégorie et des mesures particulières à chaque autorisation, enregistrement ou déclaration.

La question qui se posait était de savoir si ces normes de police entraient dans le champ d'application de l'article 7. Le Conseil constitutionnel a répondu par l'affirmative ; qu'il s'agissait bien de décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Elles ont tellement d'incidence sur l'environnement qu'elles ont pour objet de le protéger.

La seconde question concernait l'étendue du droit d'accès à l'information et du droit de participer à l'élaboration de la décision.

Sur l'information, aujourd'hui, le système est à peu près bien mis en œuvre par le ministère chargé de l'environnement, c'est-à-dire que les projets d'arrêtés sont publiés sur un site dédié à cet effet et tous les particuliers y ont accès pour vérifier que les projets d'arrêtés sont publiés. Le principe de participation, au moins dans le droit en vigueur à la date à laquelle le Conseil constitutionnel a statué, n'était pas du tout mis en œuvre. Toutes les personnes n'étaient pas placées dans la possibilité de faire valoir leur avis sur la règlementation envisagée avant que le Conseil supérieur de prévention des risques technologiques ne donne son avis. Par conséquent, dans cette affaire, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions législatives dont il était saisi. Et l'affaire qui va venir dans 15 jours pose une question analogue.

Le Conseil constitutionnel n'a eu aucune espèce d'état d'âme pour admettre la nature constitutionnelle mais également la portée juridique des dispositions contenues dans la Charte.

Il y'a encore des questions qui ne sont pas réglées. Concernant le préambule de la Charte, je pense que pour l'essentiel, c'est un verbiage philosophico-scientiste qui n'a pas beaucoup d'intérêt sauf peut-être les deux derniers considérants. Mme HEDARY se référait tout à l'heure à l'avant-dernier considérant. Peut-être un jour les deux derniers considérants du préambule auront à trouver application. Quant aux articles 8, 9 et 10, leur portée normative est tout de même sujette à caution.

Voilà très brièvement ce que je voulais dire de façon très analytique pour que nous comprenions le sens et la portée des sept décisions rendues par le Conseil constitutionnel.


[1] Décision n° 2005-31 REF

[2] CE, 3 juin 1981, Delmas et autres, rec. Lebon, p. 244

[3] Considérant n° 7

[4] Décision n° 2005-514 DC

[5] Décision n° 2005-516 DC

[6] Décision n° 2008-564 DC

[7] Décision n° 2009-599 DC

[8] Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011, M. Michel Z. et autre

[9] Décision n° 2011-183/184 QPC du 14 octobre 2011