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Contrôle de constitutionnalité et droit de l'Union Européenne

Allocution de Hubert HAENEL lors d'une Journée de travail à la Cour de justice de l'Union européenne, 7 février 2011

1 – La Constitution est au sommet de la hiérarchie des normes

À l'occasion de l'examen du traité établissant une Constitution pour l'Europe, le Conseil constitutionnel a indiqué la « place, au sommet de l'ordre juridique interne, de la Constitution française » (n° 2004-505 DC du 19 novembre 2004). Il a repris cette formulation dans sa décision sur le traité de Lisbonne (n° 2007-560 DC du 20 décembre 2007). C'est en effet la Constitution qui autorise les pouvoirs publics à signer et ratifier des accords internationaux et qui donne à ces derniers une force supérieure à la loi.

Le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter cette place première de la Constitution. Il a ainsi à connaître, dans le cadre de l'article 54 de la Constitution, des traités internationaux et européens qui peuvent inclure des dispositions non conformes à la Constitution. Il apprécie, a priori, dans le cadre de l'article 61, et a posteriori, dans le cadre de l'article 61-1 et de la question prioritaire de constitutionnalité, la conformité des lois à la Constitution.

Ainsi le Conseil s'est prononcé sur divers traités européens : en 1992 (traité de Maastricht)[1], 1997 (traité d'Amsterdam) [2] ; 2004 (traité établissant une Constitution pour l'Europe) [3] ; et 2007 (traité de Lisbonne)[4]. Chaque fois, la Constitution a été modifiée.

2 – Le Conseil constitutionnel n'est pas juge de la conformité des lois au droit de l'Union européenne

Depuis 1975, le Conseil constitutionnel juge que, dans le cadre de sa mission de contrôle de la constitutionnalité des lois, il ne lui appartient pas d'examiner la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux et européens de la France[5].

L'article 55 de la Constitution constitue une règle de conflit de normes dans un système français moniste. Il appartient à tout juge chargé de l'application de la loi de faire respecter cette règle de conflit qui conduit à écarter la loi nationale lorsqu'elle vient en conflit avec un engagement international ou européen en vigueur. La hiérarchie posée par l'article 55 ne constitue donc pas une règle de validité constitutionnelle des lois.

Le Conseil constitutionnel a fait une application constante de sa jurisprudence IVG pour le droit de l'Union européenne [6].

3 – Le Conseil constitutionnel fait respecter l'exigence constitutionnelle de transposition des directives.

L'article 88-1 de la Constitution dispose :

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

Le Conseil constitutionnel a tiré de l'article 88-1 de la Constitution que :« La transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle » [7]. Dans le cadre de l'article 61 de la Constitution, le Conseil contrôle qu'une loi de transposition ne contredit de façon manifeste ni les dispositions ni l'objectif général de la directive qu'elle a pour objet de transposer [8].

Le Conseil a posé une limite à ce contrôle de la loi de transposition d'une directive : la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. Le Conseil n'a jamais appliqué ce concept.

4 – L'introduction de la question prioritaire de constitutionnalité confirme cet état du droit

Avec la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le nouvel article 61-1 de la Constitution reconnaît à tout justiciable le droit nouveau de poser une question de constitutionnalité à l'encontre d'une disposition législative. La loi organique (cinquième alinéa de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 et deuxième alinéa de son article 23-5) a instauré une règle procédurale de priorité d'examen des moyens de constitutionnalité sur les moyens de conventionnalité, imposant aux juges d'examiner s'il y a lieu de transmettre la question de constitutionnalité même si, par ailleurs, il est saisi d'un moyen de conventionnalité qui pourrait, s'il était accueilli, permettre de trancher le litige.

Le choix du législateur de distinguer entre les moyens de conventionnalité et les questions de constitutionnalité a pour conséquence d'interdire la confusion des deux. Le législateur organique français a écarté la possibilité que les contrôles de conventionnalité et de constitutionnalité soient associés et symétriques comme c'est le cas dans certains États européens.

Cette distinction a également pour conséquence que les décisions rendues par le Conseil constitutionnel tant dans le contrôle a priori que dans le contrôle a posteriori, n'ont d'autorité qu'en ce qui concerne la constitutionnalité des lois. La compétence des juges pour exercer le contrôle de conventionnalité n'est pas affectée par une éventuelle décision du Conseil constitutionnel déclarant la loi conforme à la Constitution.

À la suite du Parlement, le Conseil constitutionnel a réaffirmé sa jurisprudence IVG dans sa décision n° 2009-605 DC du 12 mai 2010 sur la loi dite « Jeux en ligne ». Soulignant le rôle de juge de la conformité au droit de l'Union des deux ordres de juridiction, il a rappelé trois points :

– En premier lieu, à l'occasion de l'examen d'une QPC, il appartient aux juges administratifs et judiciaires de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher qu'une disposition incompatible avec le droit de l'Union européenne produise des effets.

– En deuxième lieu, le Conseil a précisé que les dispositions sur la QPC ne privent aucunement le juge de son pouvoir de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, y compris lorsqu'il transmet une question prioritaire de constitutionnalité.

– L'exigence constitutionnelle de transposition des directives ne figure pas au nombre des « droits et libertés que la Constitution garantit » au sens de l'article 61-1 de la Constitution. Cette exigence n'est pas invocable par les justiciables dans le cadre de la QPC.

La CJUE a utilisé, dans sa décision Melki du 22 juin 2010, le même raisonnement et les mêmes trois points. En outre elle a également invoqué le cas particulier où le Conseil d'État ou la Cour de cassation adresserait simultanément au Conseil constitutionnel une QPC et à la CJUE une question préjudicielle. La Cour de Luxembourg a alors posé le principe selon, dans cette hypothèse, tant la « question » de la validité de la directive que la réponse de la Cour doivent être préalables à la réponse au contrôle de constitutionnalité.

Dans cette hypothèse de double question, le Conseil constitutionnel pourrait, dans un premier temps, attendre que la CJUE se soit prononcée sur la question préjudicielle avant, au besoin en ayant sursis à statuer, de le faire sur la QPC. Dans un second temps, il statuerait au fond au vu de l'arrêt de la Cour.

Une telle orientation finaliserait le « dialogue des juges » noué entre la Cour de Luxembourg et le Conseil constitutionnel. Elle interdit toutefois au Conseil de juger une disposition législative transposant des dispositions inconditionnelles et précises d'une directive comme conformes à la Constitution. Le Conseil doit alors se borner à constater que lesdites dispositions législatives ne portent atteinte à aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. C'est ce que le Conseil constitutionnel a fait dans sa décision M. Kamel D. n° 2010-79 QPC du 17 décembre 2010. Il a prononcé un non-lieu pour réserver l'hypothèse où la CJUE censurerait la directive dont est issue la disposition législative contestée.


[1] N° 92-308 DC du 9 avril 1992 et n° 92-312 DC du 2 septembre 1992,

[2] N°97-394 DC du 31 décembre 1997,

[3] N° 2004-505 DC du 19 novembre 2004,

[4] N° 2007-56 DC du 20 décembre 1997.

[5] Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse, cons. 2 à 7.

[6] Décisions n°s 91-293 DC du 23 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, cons. 4 et 5 ; 91-298 DC du 24 juillet 1991, Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, cons. 20 et 21 ; 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons. 13 et 16.

[7] Décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, cons. 7 et six décisions ultérieures.

[8] Décision n° 2006-543 DC du 30 novembre 2006, Loi relative au secteur de l'énergie.