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Décision n° 99-425 DC du 29 décembre 1999 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances rectificative pour 1999
Conformité

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil Constitutionnel la loi de finances rectificative pour 1999, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 22 décembre 1999.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil Constitutionnel de décider notamment que les articles 25 et 48 ne sont pas conformes à la Constitution, notamment pour les motifs développés ci-dessous, ainsi que de se saisir de tout autre article dont il lui paraîtrait opportun de soulever d'office la conformité la Constitution.
Article 25
Cet article propose deux validations législatives qu'il est demandé au Conseil Constitutionnel de censurer.
La première validation concerne les informations qui doivent être contenues dans l'avis de mise en recouvrement. Jusqu'à présent, l'administration fiscale n'a pas respecté les dispositions de l'article R.256-1 du livre des procédures fiscales qui l'obligent à indiquer les éléments de calcul et la nature des impositions mises en recouvrement. Afin d'éviter que les avis de mise en recouvrement émis avant le 1er janvier 2000 soient censurés par les juridictions administratives, le présent article propose la validation de ces avis de mise en recouvrement.
La seconde validation concerne la compétence territoriale du comptable chargé de la mise en recouvrement. Pour pouvoir recouvrer plus facilement les impôts impayés de contribuables ayant changé de domicile, l'administration fiscale avait élaboré une instruction qui autorisait le comptable du nouveau domicile à assurer le recouvrement, à condition que le transfert de domicile soit antérieur à la prise en charge du recouvrement.
Or, la Cour d'appel de Paris a estimé, dans un arrêt du 19 janvier 1999, « que seul est compétent pour mettre en recouvrement des rappels de taxe sur la valeur ajoutée dus par un contribuable et lui adresser un avis à cet effet, le comptable qui avait compétence pour recevoir les déclarations afférentes à cette taxe ».
Il est donc proposé de valider les avis de mise en recouvrement effectués avant le 1er janvier 2000 qui pourraient être déclarés irréguliers en raison de l'incompétence territoriale de l'agent qui les a émis.
Dans sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, le Conseil Constitutionnel a reconnu la conformité de principe des lois de validation à la Constitution, qui (sauf en matière pénale), permettent que le législateur prenne des mesures rétroactives et cela, notamment, « afin de régler, comme lui seul peut le faire, les situations nées de l'annulation » d'un acte administratif.
L'exercice du pouvoir de validation doit, toutefois, satisfaire à des exigences constitutionnelles.
D'une part, le législateur doit respecter les exigences du principe de séparation des pouvoirs et s'abstenir, tant de valider les actes mêmes qui ont été annulés que de faire obstacle à l'exécution des actes annulés par des décisions juridictionnelles, « passées en force de chose jugée ».
D'autre part, la validation doit être justifiée par des raisons d'intérêt général. A cet égard, le Conseil Constitutionnel a estimé dans sa décision du 28 décembre 1995 n° 95-369 DC sur la loi de finances pour 1996, que « la seule considération d'un intérêt financier » n'a pas pu donner à la validation un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice.
A cet égard, il convient de noter que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel a évolué et se montre beaucoup plus exigeante en ce qui concerne les arguments d'intérêt général avancés en faveur des validations législatives.
Dans sa décision n° 96-375 DC du 9 avril 1996, le Conseil Constitutionnel avait estimé ne pas disposer d'un pouvoir d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement et s'était, en conséquence, limité à vérifier qu'il n'y avait pas d'erreur manifeste d'appréciation sur l'importance des risques encourus.
Dans sa décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, au contraire, il a strictement encadré la possibilité, pour le législateur, de procéder à des validations législatives.
Il a considéré « que, si le législateur peut, comme lui seul est habilité à le faire, valider un acte administratif dans un but d'intérêt général, c'est sous réserve du respect des décisions de justice ayant force de chose jugée et du principe de non-rétroactivité des peines et sanctions ; qu'en outre, l'acte validé ne doit contrevenir à aucune règle, ni à aucun principe de valeur constitutionnelle, sauf à ce que le but d'intérêt général visé par la validation soit lui-même de valeur constitutionnelle ; qu'il appartient en pareil cas au législateur, le cas échéant sous le contrôle du Conseil Constitutionnel, de concilier entre elles les différentes exigences constitutionnelles en cause ; que c'est à la lumière de ces principes que doit être appréciée la conformité à la constitution des dispositions soumises à l'examen du Conseil constitutionnel ».
En l'espèce, le présent article précise bien que les validations proposées s'appliquent sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée.
En revanche, on peut s'interroger sur l'intérêt général qui justifierait ces validations.
En ce qui concerne la validation des avis de mise en recouvrement qui ne comportent pas les indications nécessaires à l'information du contribuable, le Gouvernement annonce que la plupart des avis de mise en recouvrement émis suite à une procédure de contrôle fiscal sont susceptibles d'être déclarés irréguliers dans la mesure où ils ne respectent pas les dispositions de l'article R.256-1 du livre des procédures fiscales et que le montant des droits mis en recouvrement est presque toujours inférieur à celui figurant sur les notifications de redressement. L'administration fiscale évalue le montant des redressements mis en recouvrement à 25 milliards de francs. Ce chiffre doit cependant être relativisé dans la mesure où il est théorique.
Quant à la seconde validation, le Gouvernement n'a donné aucune information sur les montants financiers en jeu. Il convient de rappeler que le Conseil d'Etat ne s'est pas encore prononcé. Cette précipitation peut être interprétée comme la confirmation de l'attitude de l'administration fiscale qui n'admet pas de pouvoir être contredite par une décision de justice. Il apparaît urgent de mettre un terme à cette dérive.
Chaque année, le Gouvernement se sert de la loi de finances rectificative pour proposer la validation d'actes ou d'interprétations des règles fiscales qui ont été censurés par les juridictions. Cette utilisation abusive des validations législatives dénature ces dernières, qui ne devraient intervenir que de manière exceptionnelle, lorsque l'intérêt général l'exige de manière impérieuse.
La banalisation des validations législatives tend à faire de ces dernières un mode de gestion pour l'administration fiscale, qui cherche systématiquement à contrer les décisions de justice qui lui ont été défavorables. Cette tendance, qui remet en cause l'autorité des juridictions, constitue une réelle menace pour l'Etat de droit et s'apparente à un détournement de procédure en raison du caractère systématique des validations qui sont devenues un véritable moyen de gestion.
Article 48
Cet article fixe les modalités d'indemnisation des porteurs d'emprunts russes.
Les dispositions choisies vont à l'encontre du principe d'égalité devant la loi, puisque la répartition des sommes par titre n'est pas égale, alors que chaque titre ouvre à son propriétaire des droits identiques à l'indemnisation.
La plupart des titres recensés ont été cotés à la bourse de Paris jusqu'à la veille de la signature d'un mémorandum d'accord entre la France et la Russie annonçant le règlement définitif de la question des emprunts russes, le 26 novembre 1996. Dès lors, ces titres se sont vus appliquer le droit des valeurs mobilières et constituent des valeurs mobilières. L'accord entre la France et la Russie règle de manière définitive les demandes concernant les créances réciproques entre la France et la Russie. Les sommes versées ne peuvent donc avoir le caractère juridique de dommage et intérêt, et toutes modalités de répartition de cette somme en contradiction avec le droit des valeurs mobilières est contraire au principe de valeur constitutionnelle d'égalité devant la loi.