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Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000
Non conformité partielle

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 3 décembre 1999.
I. Sur l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale :
Les sénateurs soussignés estiment que l'ensemble de la loi de financement de la sécurité sociale a été adopté aux termes d'une procédure non conforme aux dispositions de l'article L.O. 111-7 du code de la sécurité sociale.
Cet article de la loi organique prévoit en effet que :
« Le Sénat doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de quinze jours après avoir été saisi. » (deuxième alinéa de l'article L.O. 111-7)
et que :
« Si le Sénat n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai imparti, le Gouvernement saisit à nouveau l'Assemblée nationale du texte soumis au Sénat modifié, le cas échéant, par les amendements votés par le Sénat et acceptés par lui » (quatrième alinéa de l'article L.O. 111-7)
Ces dispositions sont claires et impératives, l'article L.O. 111-7 fixant à la fois un délai et la procédure que devra suivre le Gouvernement en cas de dépassement dudit délai (Si le Conseil en jugeait autrement, estimant que les délais et les procédures prévus par l'article L.O. 111-7 ne présentent pas un caractère impératif, il serait utile que sa décision précise à l'intention du législateur organique en quels termes autres que l'indicatif présent il doit s'exprimer lorsqu'il entend instituer des délais et des procédures impératives).
Elles valent dans tous les cas, que l'Assemblée nationale ait ou n'ait pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet de loi de financement de la sécurité sociale dans le délai prévu à l'article 47-1 de la Constitution, soit vingt jours.
Or, ces dispositions n'ont pas été respectées par le Gouvernement, le Sénat ayant été saisi le 2 novembre et ayant procédé au vote sur l'ensemble du projet le 18 novembre.
Ne sauraient être retenus, pour atténuer la portée des dispositions de l'article L.O. 111-7, les arguments suivants :
1/ Premier argument : le Sénat serait mal fondé à souligner l'inconstitutionnalité d'une procédure législative au motif du non-respect de délais qui protègent l'Assemblée nationale, et non le Sénat.
Cet argument ne saurait être retenu. En effet, le Sénat est, ce faisant, cohérent avec la position qu'il avait exprimée lors des débats sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale. C'est en effet grâce à un amendement de la commission des Lois du Sénat qu'a été retenu le délai de quinze jours, alors que l'Assemblée nationale voulait laisser au Sénat un délai de vingt jours.
Il convient à cet égard de se reporter au rapport n°375 (1995-1996) établi par M. Patrice Gélard au nom de la commission des Lois qui indique :
« Votre commission des Lois est certes très sensible au fait que l'Assemblée nationale ait jugé opportun d'accorder au Sénat le même délai qu'à elle-même. Mais, tout en se félicitant de cette initiative conforme à l'esprit du bicaméralisme, elle constate que ce délai de vingt jours pourrait comporter plus d'inconvénients que d'avantages en risquant de provoquer un chevauchement entre l'examen de la loi de financement et l'examen de la loi de finances ».
2/ Deuxième argument : il se fonde sur votre décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986
Dans votre décision du 3 juillet 1986 sur la loi de finances rectificative pour 1986, vous avez été amené à vous prononcer sur l'éventuelle irrégularité constituée par l'absence de dessaisissement de l'Assemblée nationale qui avait pourtant dépassé le délai imparti en première lecture.
Vous avez ainsi considéré que « le fait pour le Gouvernement de ne pas déférer immédiatement à ces prescriptions et de laisser ainsi l'Assemblée nationale statuer sur un projet dont elle n'a pas été dessaisie ne constitue cependant une irrégularité de nature à vicier la procédure législative que s'il a pour conséquence de réduire le délai dont dispose le Sénat en vertu du deuxième alinéa de l'article 47 de la Constitution pour statuer en première lecture ».
Cette décision ne peut être transposée pour le Sénat et pour les lois de financement.
En effet, il s'agit ici du délai d'examen prévu pour le Sénat, qui est saisi en deuxième lieu après l'Assemblée nationale. Par définition, le non-respect du délai prévu pour le Sénat ne peut jamais avoir pour conséquence de réduire le délai prévu pour l'Assemblée nationale en première lecture, puisqu'elle est saisie avant le Sénat.
Et l'on ne peut pas dire non plus que le délai prévu pour le Sénat « ne sert à rien », aucune conséquence ne pouvant s'attacher à sa violation.
Il convient donc d'apprécier les conséquences du non-respect du délai du Sénat sur la suite de la procédure, qui doit se dérouler dans un délai de quinze jours, c'est-à-dire le reliquat du délai global de cinquante jours après imputation des délais constitutionnels prévus pour les premières lectures à l'Assemblée nationale (vingt jours) et au Sénat (quinze jours).
En ne respectant pas les délais du Sénat, le Gouvernement a réduit le délai dont disposent constitutionnellement l'Assemblée nationale et le Sénat pour procéder dans des conditions satisfaisantes à la réunion de la Commission mixte paritaire, à la nouvelle lecture dans chacune des deux chambres puis au dernier mot à l'Assemblée nationale, ainsi qu'aux réunions des commissions saisies au fond avant chaque lecture dans chaque Assemblée du Parlement.
3/ Troisième argument : le non-respect des délais prévus pour chaque Assemblée du Parlement ne saurait être invoqué dès lors que le délai global de cinquante jours fixé par l'article 47-1 de la Constitution a été respecté :
Cet argument ne saurait, pour trois raisons, être retenu.
D'une part, la loi organique n'a pas prévu que seul le délai global était impératif. Tous les délais, les délais propres à une Assemblée et le délai global, sont assortis d'une procédure impérative que le Gouvernement doit mettre en oeuvre s'ils ne sont pas respectés.
D'autre part, les délais propres à chaque Assemblée ont notamment été fixés pour permettre le respect du délai global : on ne sait qu'a posteriori que le délai global a été respecté, et il ne serait pas bon que chaque Assemblée déborde ses propres délais en espérant que la suite de la procédure permettra d'accélérer l'examen du projet de loi, au besoin en « rognant » sur les délais de l'autre Assemblée. Il ne serait pas bon non plus que le Gouvernement soit libre de choisir entre les deux Assemblées celle à laquelle il laissera le plus de temps, quitte à accélérer ensuite la procédure législative.
Enfin, la fixation de délais impératifs pour l'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale a eu pour but, non seulement de protéger chacune des Assemblées et de garantir le respect du délai global de cinquante jours, mais aussi de permettre la discussion concomitante des projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, selon la formule employée par M. Jacques Toubon, Garde des Sceaux, ministre de la Justice, lors de la réforme organique : « dépôt décalé, discussion intercalée, adoption quasi simultanée ».
De fait, toute la discussion du projet de loi organique, en 1996, a été centrée sur la nécessité de permettre cet examen concomitant des deux textes, qu'il s'agisse de déterminer la date de dépôt du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou les délais propres à chaque Assemblée.
Ce souci de permettre un examen concomitant du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale ne s'explique pas seulement, ni par le souci d'offrir au Parlement des conditions confortables d'examen, ni par les exigences propres à chacun de ces deux textes (nécessité de voter les dépenses et les recettes avant le début de l'année suivante), mais parce que ces deux projets de loi ne sont pas sans lien.
Votre Haute juridiction l'a d'ailleurs affirmé dans sa décision n° 97-395 DC du 30 décembre 1997, qui considère :
« qu'il résulte (...) des termes mêmes des articles L.O. 111-6 et L.O. 111-7 du code de la sécurité sociale, que le législateur organique a entendu mettre le Parlement en mesure de tenir compte, au cours de l'examen du projet de loi de finances, des incidences économiques et fiscales des mesures figurant dans la loi de financement de la sécurité sociale ; (...) »
4/ Quatrième argument : le non-respect des délais fixés par la loi organique ne saurait être invoqué dès lors qu'aucun parlementaire, ni au Sénat, ni à l'Assemblée nationale, n'a souligné ce point à l'occasion de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale :
En effet, les termes de l'article 47-1 de la Constitution comme ceux de l'article L.O. 111-7 confient au Gouvernement, et non au Parlement, le soin de veiller au respect des délais qu'ils fixent.
Le Gouvernement, maître des dépôts et des transmissions comme de l'ordre du jour prioritaire du Parlement, est d'ailleurs le seul à pouvoir accomplir cette mission constitutionnelle.
Ainsi, c'est lors de la Conférence des présidents du Sénat du 26 octobre 1999 que le Gouvernement a fixé, dans le cadre de l'ordre du jour prioritaire, les dates d'examen par le Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000. Aussi ne pouvait-il pas ignorer, en transmettant au Sénat dès le 2 novembre 1999 le projet de loi adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, qu'ensemble, ces deux décisions étaient incompatibles avec le respect des prescriptions de la loi organique.

II. Sur les articles 2, 3 et 4 du projet de loi :
Les sénateurs auteurs de la saisine considèrent que l'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 est étranger au domaine des lois de financement de la sécurité sociale et contraire à l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. Il est en outre contraire aux articles 6, 16 et 18 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances. Il en est de même des articles 3 et 4 de la loi qui sont intrinsèquement liés à cet article 2.
1/ L'article 2 n'affecte pas l'équilibre financier des régimes obligatoires de base :
En effet, l'article L. 131-7 du code de la sécurité sociale, issu de la loi du 25 juillet 1994, dispose que « toute mesure d'exonération totale ou partielle, de cotisations de sécurité sociale (...) donne lieu à compensation intégrale aux régimes concernés par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son application ».
L'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, institue un « fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale ». Il prévoit que la mission de ce fonds est « de compenser le coût pour la sécurité sociale des exonérations de cotisations patronales aux régimes de base de sécurité sociale (...) ».
L'article 2 dispose par ailleurs (art. L. 131-9 du code de la sécurité sociale) que « les versements du fonds de financement se substituent à la compensation par le Budget de l'Etat prévue à l'article L. 131-7 sous réserve que cette compensation soit intégrale ».
Ledit fonds se substitue donc au budget de l'Etat pour assurer la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales.
En l'absence de l'article 2, cette compensation serait de droit et les crédits nécessaires inscrits au budget général. En quelque sorte, du point de vue de la sécurité sociale et des équilibres de la loi de financement de la sécurité sociale, les montages financiers et l'origine des fonds assurant cette compensation importent peu dès lors que cette compensation est effective et intégrale en application de la loi précitée du 25 juillet 1994.
L'absence ou la suppression de l'article 2 n'aurait donc aucune incidence sur les équilibres de la loi de financement.
Et, dès lors qu'il n'est pas dérogé au principe de la compensation intégrale des exonérations de charges, la présence de cet article 2 n'affecte pas davantage directement et même indirectement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base.
Or, l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale précise bien que les lois de financement de la sécurité sociale « ne peuvent comporter que des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, dans son texte initial, avait d'ailleurs inclus, dans les prévisions des recettes de l'article 6, sur la ligne « cotisations effectives », la compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales sans s'interroger sur l'origine de cette compensation, qu'elle soit constituée par les dépenses du fonds de financement créé à l'article 2 ou par un reliquat de crédits du budget général.
2/ L'article 2 n'améliore pas davantage le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale :
En 1999, la compensation des exonérations de cotisations sociales était regroupée sur une seule ligne des prévisions de recettes en loi de financement de la sécurité sociale et était parfaitement identifiée sous la forme de dépenses budgétaires au chapitre 44-77 du budget de l'emploi et de la solidarité. Ce n'est plus le cas pour 2000 puisque cette compensation disparaît, dans sa quasi-totalité, du budget de l'Etat et se trouve désormais intégrée dans trois lignes différentes des prévisions de recettes en loi de financement de la sécurité sociale.
En première lecture, l'Assemblée nationale a cru bon, en effet, de modifier la présentation des différentes catégories de recettes pour inscrire sur la ligne « impôts et taxes affectés » de l'article 6, les impositions figurant en ressources du fonds de financement (droits sur les tabacs, taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), contribution sociale sur les bénéfices, taxation des heures supplémentaires) et sur la ligne « contributions publiques » la contribution de l'Etat à ce fonds.
Ces modifications n'ont toutefois pas concerné les droits sur les alcools précédemment inscrits sur cette ligne « impôts et taxes affectés » au titre du Fonds de solidarité vieillesse.
En outre, demeure, sur la ligne « cotisations effectives », la compensation des exonérations de cotisations encore financée sur crédits budgétaires.
A l'évidence, la présence du fonds de financement dans la loi de financement de la sécurité sociale ne contribue donc pas à l'amélioration du contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
Et la confusion et la complexité de la présentation législative de la compensation des exonérations de cotisations sociales ne sauraient en aucun cas être compensées par la présence de membres du Parlement dans l'organisme extra-parlementaire que constitue le conseil d'administration du fonds de financement.
3/ L'article 2 est contraire aux dispositions de l'article 18 de l'ordonnance organique sur les lois de finances :
Il apparaît, en outre, clairement que les dépenses de ce fonds constituent un élément déterminant de la politique de l'emploi de l'Etat et qu'elles relèvent des charges permanentes de l'Etat telles que définies par l'article 6 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances. La majorité de ces dépenses était inscrite en 1999 au chapitre 44-77, article 30, du budget de l'emploi et de la solidarité. Par ailleurs, la contribution de l'Etat au fonds de financement figure encore à ce budget pour 2000, au chapitre 44-77, article 10, sous le libellé « exonération de cotisations sociales au titre de l'incitation à la réduction du temps de travail (loi du 13 juin 1998) ».
En outre, si l'affectation au fonds de financement de la taxe générale sur les activités polluantes et d'une fraction du produit du droit de consommation visé à l'article 575 du code général des impôts fait l'objet, en application de l'article 18 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances, d'une disposition spécifique du projet de loi de finances pour 2000, il n'en est pas de même pour la modification de l'affectation d'une partie du produit du droit de consommation visé à l'article 403 du code général des impôts. Ce produit a été affecté au fonds de solidarité vieillesse par l'article 43 de la loi n° 93-1352 de finances pour 1994, toujours en vigueur.
La modification de cette affectation, pour en faire bénéficier le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale, a été décidée, à tort, par l'article 2 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
Elle aurait dû, à l'évidence, figurer dans le projet de loi de finances pour 2000, conformément à l'article 18 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances.
L'article 2 est donc contraire audit article 18 en tant qu'il modifie une affectation qui relève de la loi de finances.
Plus généralement, ledit article 18 souligne que l'« affectation est exceptionnelle » et qu'« aucune affectation n'est possible si les dépenses résultent d'un droit permanent reconnu par la loi ».
Ce droit permanent à une compensation intégrale des exonérations de cotisations sociales décidée par l'Etat a bien été reconnu par la loi du 25 juillet 1994 et ce droit n'est désormais pas contesté.
Dès lors, le principe même du fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale est contestable quand bien même cette affectation aurait été décidée en loi de finances.
L'article 2 de la loi de financement doit donc être déclaré contraire à la Constitution, de même que les articles 3 et 4 qui lui sont intrinsèquement liés.

III. sur l'article 10 de la loi :
En nouvelle lecture, l'Assemblée nationale prenant acte de la déclaration du directeur général de la Caisse des dépôts et consignations selon laquelle l'Etablissement entendait spontanément contribuer, à hauteur de 3 milliards de francs, au fonds de réserve pour les retraites mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 135-1 du code de la sécurité sociale, a complété l'article 10 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 afin de prévoir le versement de cette somme.
Or, la contribution de la Caisse sur le résultat net de son activité pour compte propre constitue une recette non fiscale du budget général inscrite à la ligne n° 0110 (« produits des participations de l'Etat dans des entreprises financières ») de l'état A annexé à l'article d'équilibre, doté de 3,01 milliards de francs pour 2000.
L'affectation d'une partie de cette recette non fiscale au fonds de réserve pour les retraites, par le paragraphe V de l'article 10 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, est donc contraire à l'article 18 de l'ordonnance organique relative aux lois de finances car elle aurait dû être prévue dans la loi de finances pour 2000.

IV. Sur l'article 17 du projet de loi :
1/ Sur le mécanisme des « lettres-clés-flottantes » institué par l'article 17 :
Le mécanisme des « lettres-clés flottantes » institué pour tous les professionnels de santé exerçant en ville par l'article 17 de la loi de financement de la sécurité sociale apparaît aux sénateurs auteurs de la saisine non conforme à la Constitution.
Certes, il est constant, dans le droit de la sécurité sociale, que la fixation des tarifs des professionnels conventionnés relève du pouvoir réglementaire.
Les sénateurs soussignés ne contestent pas ce point, et approuvent le système conventionnel mis en place depuis 1971 qui prévoit l'approbation par des mesures réglementaires des tarifs fixés par les conventions conclues entre l'assurance maladie et les professionnels.
Ils observent cependant que l'article 17, en établissant un lien automatique et général entre des fluctuations conjoncturelles à la hausse des dépenses d'assurance maladie et la fluctuation à la baisse des tarifs des professionnels de santé, confère à ces baisses de tarifs la caractère de sanctions collectives.
Ces sanctions sont à la charge de l'ensemble des professionnels, quel qu'ait été leur comportement individuel en cours d'année. Ainsi, en adoptant l'article 17, le législateur n'a pas fondé, comme le Conseil lui en avait grief une première fois l'an dernier, « son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la modération des dépenses qu'il s'était assigné ».
Le mécanisme prévu par l'article 17 méconnaît les principes de nécessité, de proportionnalité et de personnalité des peines : il doit donc être déclaré non conforme à la Constitution.
2/ Sur les « accords conventionnels de substitution » prévus par le paragraphe XII bis de l'article 17 :
En cas d'absence de convention pour les médecins spécialistes, ou en cas de désaccord entre les partenaires conventionnels pour conclure une annexe à la convention, le paragraphe XII bis prévoit la possibilité d'« accords conventionnels de substitution », qualifiés de « protocoles », mais qui, pour les spécialistes, semblent avoir le même effet, dans le même domaine, que les accords conventionnels (encore que la loi ne prévoie aucun mécanisme d'approbation, et se contente d'affirmer que les protocoles sont « relatifs aux éléments de l'annexe mentionnée au I de l'article L. 162-15-2 »).
Ces protocoles peuvent être conclus par spécialité ou par groupe de spécialités avec « au moins une organisation syndicale nationale de médecins de la spécialité ou du groupe de spécialités adhérente d'une organisation syndicale représentative pour l'ensemble du territoire des médecins spécialistes. »
Il n'apparaît pas conforme à la Constitution que des organisations de médecins non reconnues comme représentatives puissent, pour les médecins de la ou des spécialités qu'ils prétendent représenter, conclure ainsi des accords conventionnels.

V. Sur l'article 21 du projet de loi :
Les sénateurs soussignés estiment que l'article 21 du projet de loi, qui modifie pour la seule année 2000 l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale, est contraire aux dispositions de l'article L.O.111-3 du code de la sécurité sociale.
Cet article constitue la conséquence pratique de l'opération qualifiée par Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité de « rebasage » du calcul de l'ONDAM pour 2000 (cf. commentaires dans le rapport n° 58 (1999-2000) présenté par M. Charles Descours, Equilibres financiers généraux et assurance maladie, tome I, p. 135).
Le tome IV de ce rapport (Examen des articles) a ainsi retracé la position de la Commission, qui a été suivie par le Sénat (commentaire sous l'article 21) :
« Votre commission estime que cet article est contraire aux dispositions de l'article L.O. 111-3, tel qu'il est issu de la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996.
« En effet, aux termes de cet article :
« Chaque année, la loi de financement de la sécurité sociale :
« 1 ° approuve les orientations de la politique de santé et de sécurité sociale et les objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale ;
« 2 ° prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement ;
« 3 ° fixe, par branche, les objectifs de dépenses de l'ensemble des régimes obligatoires de base comptant plus de 20.000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres ;
« 4 ° fixe, pour l'ensemble des régimes obligatoires de base, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie ;
« 5 ° fixe, pour chacun des régimes obligatoires de base visés au 3 ° ou des organismes ayant pour mission de concourir à leur financement qui peuvent légalement recourir à des ressources non permanentes, les limites dans lesquelles ces besoins de trésorerie peuvent être couverts par de telles ressources. »
« Certes, ces dispositions ne sont pas limitatives, les lois de financement pouvant comporter, aux termes du paragraphe III de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, « des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale ».
« On pourrait soutenir qu'en définissant un objectif national de dépenses pharmaceutiques de 2 % pour 2000, le présent article constitue une disposition « affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base » : une telle assertion ne pourrait être contestée, la fixation d'un taux spécifique de 2 % pour le médicament au lieu des 4,5 % retenus par l'article 28 du projet de loi devant même avoir un impact positif sur les finances sociales.
« Cependant, la fixation d'un objectif spécifique de dépenses est contraire aux dispositions du 4 ° de l'article L.O. 111-3, qui ne prévoit qu'un « objectif national de dépenses d'assurance maladie pour l'ensemble des régimes de base ».
« Et votre commission estime qu'est inopérante l'argumentation relative à l'impact sur l'équilibre financier.
« En effet, ce n'est pas parce que, par exemple la prévision de recettes par catégories pour chacun des régimes de base (au lieu de l'ensemble des régimes) améliorerait l'information du Parlement, qu'elle serait conforme aux dispositions du 2 ° de l'article L.O. 111-3.
« Ce n'est pas, non plus, parce qu'elle aurait un impact sur l'équilibre financier de la sécurité sociale, que la fixation d'objectifs de dépenses par prestation (au lieu de par branche) serait conforme aux dispositions du 3 ° de l'article L.O. 111-3.
« Ce n'est donc pas non plus parce qu'elle a un impact sur l'équilibre que la fixation d'un « ONDAM - médicament » est conforme aux dispositions du 4 ° de l'article L.O. 111-3.
« Si le présent article 21 du projet de loi est contraire à la lettre de la loi organique, c'est parce que, dans la motivation de son article 28, le Gouvernement s'est écarté de l'esprit de la réforme constitutionnelle et organique instituant les lois de financement de la sécurité sociale, avec le « rebasage » du calcul du taux de progression de l'ONDAM.
« Lors des débats parlementaires sur le projet de loi organique, il avait été discuté, essentiellement d'ailleurs à l'Assemblée nationale, de la question de la présentation de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie. Cet objectif devait-il être exprimé comme un volume de dépenses, ou sous la forme d'un taux de progression ? C'est la notion de volume de dépenses qui a été retenue. Pourtant, l'expérience des débats sur les projets de loi de financement a montré qu'en pratique, si un volume de dépenses est voté, le taux de progression est toujours cité dans les exposés des motifs. Un taux de progression « parle » plus qu'un volume de dépenses, et surtout un taux de progression global peut être comparé aux taux de progression sectoriels (ville, hospitalisation, médico-social et, cette année... médicament) qui ont été dévoilés, cette année, par un communiqué à la presse du ministère de l'emploi et de la solidarité publié avant la discussion du présent projet de loi à l'Assemblée nationale.
« Votre commission comprend l'intérêt de l'engagement politique que traduit, pour le Gouvernement, la publication de taux sectoriels. Mais elle estime que l'opportunité du vote de ces taux sectoriels doit être discutée par le législateur organique et ne saurait donc être décidée presque « en catimini », pour un seul secteur et une seule année, dans le cadre d'une loi « ordinaire », fut-elle de financement de la sécurité sociale. »
Si cette argumentation sur la fixation d'un « ONDAM médicament » pour 2000 n'était pas retenue par votre Haute juridiction, elle pourrait se fonder aussi sur les dispositions de l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale. Celui-ci dispose, dans son premier alinéa, que la taxe est due par les entreprises pharmaceutiques lorsque leur chiffre d'affaires hors taxes « s'est accru, par rapport au chiffre d'affaires réalisé l'année précédente (...), d'un pourcentage excédant le taux de progression de l'objectif de dépenses d'assurance maladie tel qu'il résulte du rapprochement des lois de financement de la sécurité sociale de l'année et de l'année précédente compte tenu, le cas échéant, des lois de financement rectificatives ». C'est ce taux, dénommé « K », qui figure dans le tableau inscrit au deuxième alinéa de l'article L. 138-10 précité, qui est modifié pour 2000 par l'article 21 du projet de loi.
Ce premier alinéa n'a pas été abrogé par la loi de financement pour 2000, et demeure donc en vigueur.
En conséquence, l'article 21 de la loi de financement pour 2000 aboutit à modifier l'ONDAM 1999 tel qu'il a été fixé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Or, seule une loi de financement rectificative aurait pu, aux termes du paragraphe II de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale, procéder à une telle révision de l'ONDAM 1999.

VI. Sur l'article 22 bis du projet de loi :
Les auteurs de la saisine estiment que l'article 22 bis de la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas conforme aux dispositions de l'article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. Cet article, qui permet à l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé de délivrer une autorisation de mise sur le marché à un médicament générique avant l'expiration de la protection du médicament princeps, s'il aura un impact sur la répartition des parts de marché entre laboratoires producteurs de médicaments génériques, n'affectera pas l'équilibre financier des régimes obligatoires d'assurance maladie.
En outre, l'article 22 bis n'est pas conforme aux engagements internationaux de la France, engagements signés par la Commission européenne et transposés en droit français par la loi n° 96-1106 du 18 décembre 1996 modifiant le code de la propriété intellectuelle en application de l'accord instituant l'organisation mondiale du commerce.
Cette absence de conformité est directement révélée par les termes de la plainte déposée le 17 décembre 1997 devant l'Organe de Règlement des différends de l'OMC par la Commission européenne contre le Canada, au motif que ce dernier avait adopté une disposition similaire au présent article 22 bis dans sa législation nationale.
Cette plainte relève ainsi -texte officiel en anglais- que :
« Under Canadian patent legislation, however, a third party may, without the consent of the patent holder, use a patented invention to :
« - carry out experiments and tests required (proof of safety and bio-equivalence) to obtain marketing approval of the copy of an innovative medecine before the expiration of the relevant patent in order to ensure market access immediately following the patent expiry ».
(Sous le régime de la législation canadienne des brevets, un tiers peut, sans l'accord du titulaire du brevet, utiliser une invention protégée pour : réaliser des expérimentations et des essais requis (en vue d'établir la preuve de l'innocuité et de bio-équivalence) pour la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché d'une copie d'un médicament protégé avant l'expiration du brevet correspondant afin de permettre la mise sur le marché dès l'expiration des droits).
La Commission poursuit en estimant que :
« In the view of the European Communities and their Member States, Canada's patent legislation is not compatible with Canada's obligations under the TRIPs Agreement, since it does not provide for the full protection of patented pharmaceutical inventions for the entire duration of the term of protection as foreseen under Articles 27.1, 28 and 33 of the TRIPs Agreement. »
(Les Communautés européennes et leurs Etats membres considèrent que la législation canadienne n'est pas compatible avec les engagements du Canada dans le cadre des accords ADPIC (Accords sur les aspects des Droits de Propriété Intellectuelle qui touchent au Commerce- Trade Related Aspects of Intellectual Property Rights) car elle n'assure pas une protection complète aux inventions brevetées dans le domaine pharmaceutique pour l'intégralité de la durée de protection, au sens des. articles 27.1, 28 et 33 de l'accord ADPIC).

VII. Sur l'article 24, paragraphe X, du projet de loi :
Les auteurs de la saisine soutiennent qu'un éventuel intérêt financier -qui n'a d'ailleurs pas été précisé, ni par l'exposé des motifs (« Le IX et le X ont pour objet de valider les actes pris en application de l'arrêté du 28 avril 1999 qui fixe le dispositif de régulation »), ni par le Gouvernement au cours de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale- ne constitue pas un motif d'intérêt général suffisant pour faire obstacle aux possibles effets d'une décision de justice à venir.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 95-396 DC du 28 décembre 1995 n'a pas dit autre chose lorsqu'il a jugé que « la seule considération d'un intérêt financier (...) ne constituait pas un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, à intervenir ».
La jurisprudence de votre Haute juridiction devrait être précisée, dans l'intérêt du législateur, qui ne souhaite pas exposer la France à un éventuel futur désavoeu de la Cour européenne des droits de l'homme.
En effet, celle-ci a jugé, dans un arrêt du 28 octobre 1999, qu'un « risque financier » ne permet pas « en soi, que le législateur se substitue aux juges pour régler le litige » et, dans l'affaire soumise à son appréciation, elle s'est appuyée sur la considération que l'intervention de la loi de validation « rendait vaine la continuation de la procédure » pour conclure à une « ingérence » du législateur dans le fonctionnement de la justice contraire à l'article 6-1 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En effet, « si en principe le pouvoir législatif n'est pas empêché de réglementer en matière civile, par de nouvelles dispositions à portée rétroactive, des droits découlant de lois en vigueur, le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable consacré par l'article 6-1 s'opposent, sauf pour d'impérieux motifs d'intérêt général, à l'ingérence du pouvoir législatif dans l'administration de la justice dans le but d'influer sur le dénouement judiciaire du litige ».
Peut-on considérer que la validation opérée par le paragraphe X de l'article 24 constitue un « impérieux motif d'intérêt général » ?
La réponse à cette question a été donnée par Mme la ministre de l'Emploi et de la Solidarité en réponse à une question de M. Charles Descours, rapporteur pour les équilibres financiers et l'assurance maladie, en séance publique, lors de l'examen du projet de loi en première lecture.
Cette réponse a été la suivante (JO Débats Sénat du vendredi 19 novembre, séance du 18 novembre , p. 6105) ; elle ne met pas en évidence, selon les sénateurs auteurs de la saisine, d' « impérieux motifs d'intérêt général » :
« S'agissant des raisons particulières qui plaident pour une validation législative de cet arrêté, sans naturellement préjuger les décisions qui seront rendues le moment venu par le Conseil d'Etat, je souhaite vous indiquer que l'arrêté du 28 avril a été conçu sans mettre en oeuvre les montants régionalisés opposables prévus par la loi.
« En effet, il était techniquement impossible de définir des montants régionaux des versements de l'assurance maladie aux établissements privés totalement exhaustifs et fondant une régulation régionale. Or, il se trouve que ce moyen fait partie des moyens invoqués par les requérants à l'appui des recours déposés contre cet arrêté.
« De même, nous ne voulions pas que cet arrêté soit l'occasion de bousculer les règles fixées par les accords annuels successifs qui se sont peu à peu écartés de la loi. Nous souhaitions le faire au contraire dans le cadre d'une réforme d'ensemble, que nous vous présentons aujourd'hui.
« Soucieux des conséquences d'une éventuelle annulation sur le respect de l'ONDAM, le Gouvernement a souhaité prévoir une disposition de validation législative ».
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever d'office, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 et notamment ses articles 2, 3, 4, 17, 21, 22 bis et 24, paragraphe X.