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Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 1999
Non conformité partielle

Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi de finances pour 1999, définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 18 décembre 1998.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider notamment que les articles 15, 38, 41, 52, 64 et état A, 77, 99, 107, 136 et 51 de la loi précitée ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous, ainsi que tout autre article dont il paraîtrait opportun de soulever d'office la conformité à la Constitution.
Article 15
L'article 15 du projet de loi de finances pour 1999, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture, vise à insérer dans le code général des impôts un article 885 G bis et à inverser, à compter du 1er janvier 1999, les règles relatives à la taxation à l'impôt de solidarité sur la fortune des biens ou droits dont la propriété est démembrée.
En vertu de la législation en vigueur, il existe une présomption irréfragable de propriété posée par l'article 885 G du code général des impôts. Lorsqu'il y a démembrement des biens ou des droits, ces derniers sont incorporés dans le patrimoine de l'usufruitier ou de la personne disposant du droit d'usage ou d'habitation pour leur valeur en pleine propriété. Cette règle posée en 1981 au moment de la création de l'impôt sur les grandes fortunes, et conservée lors du rétablissement de cet impôt sous la dénomination d'impôt de la solidarité sur la fortune, a été considérée comme conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981 : le juge a en effet considéré que cet impôt a pour objet « de frapper la capacité contributive que confère la détention d'un ensemble de biens et qui résulte des revenus en espèces ou en nature procurés par ces biens ». Le même considérant indique qu'« une telle capacité contributive se trouve entre les mains non du nu-propriétaire mais de ceux qui bénéficient des revenus ou avantages afférents aux biens dont la propriété est démembrée ».
Le texte adopté par l'Assemblée nationale en dernière lecture vise à inverser, à compter du 1er janvier 1999, le principe posé en 1981 et à comprendre les biens ou droits dont la propriété est démembrée dans le patrimoine de l'auteur du démembrement, qu'il soit par la suite usufrutier ou nu-propriétaire. Certes, le texte nouveau permettrait de maintenir un certain nombre d'exceptions afin de porter remède aux effets pervers d'une assimilation excessive, mais le principe de droit commun serait à l'opposé de la règle en vigueur depuis 1981.
Néanmoins, il convient d'insister sur l'interprétation très explicite donnée par le Conseil constitutionnel en 1981 de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme aux termes duquel la contribution commune (les impôts) « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». De manière parfaitement logique, le Conseil constitutionnel a considéré qu'il convenait de lier la perception des revenus procurés par un bien et leur assujettissement à un impôt sur la fortune. De manière non contestable, le Conseil constitutionnel a donc établi une connexité entre le bénéfice des revenus ou des avantages procurés par les biens et le paiement de l'impôt.
En établissant le principe inverse, c'est-à-dire la prise en compte en pleine propriété dans le patrimoine de celui qui a constitué sur des biens un usufruit, un droit d'usage ou d'habitation, en laissant par conséquent à d'autres les revenus y afférents, le législateur a violé la règle constitutionnelle affirmée en 1981 selon laquelle l'impôt suit le revenu.
Dans ces conditions, le Conseil constitutionnel ne peut que censurer cet article.
Article 38
La taxe sur les bureaux en Ile-de-France est étendue par cet article aux locaux commerciaux et aux locaux de stockage. Son produit est affecté à un compte spécial du Trésor créé « pour résoudre les problèmes liés à la concentration urbaine de cette région ». Comme le Gouvernement l'a clairement indiqué à la tribune du Sénat (JO, Débats Sénat, p 5007) :
« La justification est claire : je l'ai déjà exposée, mais peut-être dois-je le répéter ! : elle constitue à faire en sorte que les bénéficiaires des infrastructures de transport participent au financement de celles-ci. Il est évident que les commerces, les bureaux et d'autres activités bénéficient des facilités de circulation tant des biens que des personnes J'estime simplement normal qu'en Ile-de-France chacun contribue, à raison de ses facultés, au bon fonctionnement de cette région L'objectif du Gouvernement n'est pas de frapper la région d'Ile-de-France. Il est de parvenir à une juste contribution de ses activités économiques à la modernisation de ses transports. »
L'extension de l'assiette de cette taxe, dans les modalités adoptées par l'Assemblée nationale en dernière lecture, n'est pas conforme à la Constitution.
En effet, eu égard au fait que toutes les activités économiques sans exception tirent bénéfice d'un réseau de transport moderne, il apparaît une inégalité flagrante devant l'impôt puisque certaines entreprises en demeurent exonérées soit en fonction de leur secteur d'activité, soit à raison de leur forme juridique, soit à cause de leur taille. De surcroît, il n'existe aucune proportionnalité entre la taxe exigée des redevables et leurs facultés contributives, puisque celle-là est calculée en fonction de la superficie d'un local. Si ce critère peut suffire pour un bureau, il est manifestement inopérant pour les autres secteurs d'activité. Ces deux raisons suffisent pour juger inconstitutionnelle l'extension de la taxe sur les bureaux en Ile-de-France.
S'il advenait qu'il fût reconnu conforme à la Constitution dans son principe, l'article 38 ne peut être considéré comme tel dans ses modalités, au regard en particulier de la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 à propos de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions (JO, 31 juillet 1998, p 11710).
Dans son analyse de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par la loi qui lui a été soumise, le Conseil constitutionnel a estimé qu'une telle taxe, assimilable à un impôt, quelle que soit la dénomination, ne saurait concerner « des logements qui ne pourraient être rendus habitables qu'au prix de travaux importants et dont la charge incomberait nécessairement à leur détenteur ». De même, le juge constitutionnel a considéré que devaient être exclus de la taxe « des logements dont la vacance est imputable à une cause étrangère à la volonté du bailleur faisant obstacle à leur occupation durable à titre onéreux ou gratuit ou dans des conditions normales d'habitation ou s'opposant à leur occupation à titre onéreux dans des conditions normales de rémunération du bailleur ». Cette jurisprudence trouve un fondement rationnel dans le fait qu'assujettir à une taxe des bailleurs qui, pour des raisons indépendantes de leur volonté, ne peuvent tirer une rémunération de leurs biens, serait contraire non seulement aux principes d'égalité, mais au droit de propriété, droit dont le caractère constitutionnel a été maintes fois affirmé par le Conseil constitutionnel.
Un raisonnement du même type doit désormais être transporté à propos de l'article 38 pour la totalité du champ qu'il recouvre dans la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale.
Il convient donc que le Conseil constitutionnel déclare contraire à la Constitution la totalité de l'article 38 non pas, dans cette hypothèse, au motif qu'il serait en lui-même de nature inconstitutionnelle, mais parce qu'il n'a pas prévu les causes d'exonération de la taxe dans les hypohèses énoncées précédemment, c'est-à-dire des locaux inutilisables en l'état ou vacants pour une cause étrangère à la volonté du bailleur.
Pour les deux motifs évoqués ci-dessus, l'article 38 doit faire l'objet d'une censure de la part du Conseil constitutionnel.
Article 41
Cet article introduit, sans aucune justification, une discrimination entre les sociétés, selon qu'elles peuvent apporter la preuve que leurs actionnaires sont ou non des personnes physiques.
Cet article institue en effet un double taux d'avoir fiscal : le taux demeurerait fixé à 50 % pour les actionnaires personnes physiques mais serait diminué de 10 % pour les actionnaires personnes morales (à l'exception des sociétés placées sous le régime mère-fille et des sociétés dites « transparentes »).
Toutefois, en contrepartie d'un crédit d'impôt de 45 %, les sociétés distributrices dont les résultats distribués n'ont pas subi l'impôt au taux de droit commun sont autorisées à limiter le précompte qu'elles doivent alors acquitter à 45 %. Cependant, pour bénéficier de cette mesure la société distributrice doit être en mesure de justifier de l'utilisation potentielle de cet avoir fiscal, c'est-à-dire de démontrer que l'actionnaire susceptible d'utiliser l'avoir fiscal à 45 % n'est pas une personne physique. Une telle condition est impossible à remplir pour les sociétés cotées dont l'actionnariat est, par définition, mouvant. Elles subiront donc le précompte au taux de 50 % alors que l'avoir fiscal qui sera octroyé aux actionnaires ne sera que de 45 %. Il en résultera une surtaxation de leurs résultats distribués de 5 %.
Le présent article, qui porte atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, doit donc être reconnu non conforme à la Constitution.
Article 52
Le Conseil constitutionnel a eu à connaître de la régularité constitutionnelle de « prélèvements » opérés au profit du budget de l'Etat sur divers organismes. Il en a admis la régularité au motif que ces prélèvements devaient contribuer à l'équilibre du budget et ne menaçaient pas en fait la réalisation des objectifs de valeur constitutionnelle poursuivis par l'organisme redevable.
Mais ces décisions concernaient essentiellement des prélèvements opérés sur des organismes publics dont le patrimoine, même en tenant compte de la personnalité morale de ces organismes, pouvait être regardé de façon réaliste, comme un patrimoine de l'administration.
Or, les fonds sur lesquels les prélèvements seraient opérés aux termes de l'article 52 de la loi présentement déférée au Conseil constitutionnel ne sont pas des fonds publics, de même que les caisses d'épargne demeurent des organismes privés, depuis la jurisprudence plus que séculaire qui leur dénie la qualité d'établissements publics.
Les fonds des caisses d'épargne et les caisses elles-mêmes ne sont en effet nullement la « propriété de l'Etat », au regard même du libellé des textes instituant ces caisses. De surcroît, le Gouvernement le reconnaît lui-même puisqu'il arguë du fait que les fonds propres des caisses appartiennent à la Nation, et non à l'Etat, pour affecter le produit de la mise en vente de parts représentatives du capital des caisses au fonds de réserve pour les retraites et non au compte spécial du Trésor destiné à recevoir le produit des privatisations (projet de loi n° 1244, Assemblée nationale, onzième législature).
Pour justifier ce prélèvement, on ne saurait davantage retenir l'allégation selon laquelle il correspondrait au remboursement d'un prêt. Le rapport de l'Assemblée nationale (n° 1111, onzième législature, p 691) est très hésitant et conclut, de manière paradoxale, à la reconnaissance d'un titre de propriété de l'Etat, mais sans en tirer les conséquences immédiates sur l'affectation du produit du placement des parts au compte spécial du Trésor n° 902-24 :
« Cela étant, quand bien même la propriété des caisses d'épargne sur leurs fonds propres serait discutable, quand bien même leur contribution à l'alimentation du fonds commun de réserve et de garantie (FCRG) dans lequel a été puisée la dotation initiale de 3 milliards de francs versée en 1984 serait admise, cela n'emporterait pas l'interdiction pour l'Etat d'exercer, au nom de la Nation, reconnue propriétaire des caisses d'épargne, un droit de propriété sur celle-ci. »
Le rapport du Sénat (n° 66, p 401) conclut sans ambiguïtés, quant à lui, au caractère non remboursable de la dotation de 3 milliards de francs allouée en 1983. Cette dotation doit donc être juridiquement considérée comme la compensation par l'Etat de charges nouvelles pesant sur le réseau des caisses d'épargne et non comme une subvention remboursable.
S'il n'en était pas ainsi, et comme la mise sur le marché de parts représentatives de capital des caisses doit avoir lieu au second semestre 1999, la loi de finances ne serait pas sincère.
Par conséquent, ce prélèvement ne peut être considéré que comme une « imposition de toute nature ». A cet égard, il ne répond à aucune des exigences constitutionnelles qu'il devrait respecter.
Tout d'abord, il frappe un contribuable et une activité non pas en raison de leur nature mais en raison de la commodité de la taxation.
Si des différences de situation peuvent justifier des différences de traitement, ces différences n'ont de caractère justificatif qu'autant qu'elles sont en rapport avec l'objet même de la loi fiscale qui serait de répartir les sacrifices selon des critères non arbitraires.
On est loin du compte.
Dans le même sens va la règle posée par l'article 13 de la Déclaration de 1789 selon lequel la « contribution commune » « doit être également répartie entre tous les citoyens en raison de leurs facultés ». Pour que cette égalité soit réalisée, et, le cas échéant, contrôlée il ne peut s'agir d'impositions singulières n'obéissant pas à des règles communes d'assiette et de taux. Il ne peut pas être question d'une fiscalité juste au coup par coup.
De même : et c'est un autre aspect de la règle de l'égalité - l'article 13 que l'on vient de citer prévoit la « généralité » de l'impôt. Le Conseil constitutionnel a admis que ce principe pouvait subir des aménagements mais limités et donc excluant de faire peser sur une catégorie de redevables une charge importante qui normalement doit être partagée (CC, 16 janvier 1986, n° 85-200 DC).
Au total, les dispositions de l'article de la loi déférée n'établissent pas une imposition obéissant aux règles constitutionnelles applicables aux impositions, mais, s'agissant d'un redevable n'ayant pas la qualité d'organisme public, ledit article institue une véritable confiscation qui n'a pas sa place hors du droit pénal.
Cet article doit donc être déclaré non conforme à la Constitution.
Article 64 et état A et article 77
Ces articles concernent respectivement l'équilibre de la loi de finances, compte tenu des évaluations de recettes mentionnées à l'état A, et les ouvertures de crédits des comptes d'affectation spéciale.
Ces deux articles sont entachés d'insincérité budgétaire en particulier parce qu'ils contreviennent au principe d'universalité budgétaire, règle qualifiée de fondamentale par le Conseil constitutionnel.
En effet, les estimations de recettes et de charges du compte 902-24 (compte de cessions de titres publics) sont délibérément sous-évaluées.
En effet, non seulement elles ignorent l'impact budgétaire de la cession pourtant annoncée d'une fraction du capital de l'entreprise Aérospatiale, mais encore elles excluent les produits de cession du Crédit lyonnais et l'emploi qui sera fait de ces ressources.
Cette décision, reconnue par M le secrétaire d'Etat au budget, lors de la séance du dimanche 6 décembre du Sénat au cours de laquelle furent examinées les opérations relatives aux comptes spéciaux du Trésor, et justifiée par lui comme de nature à satisfaire nos engagements européens, ne saurait être admise en l'état compte tenu de la valeur de nos principes constitutionnels qui, dans la hiérarchie des normes juridiques, demeurent supérieurs à des engagements européens dont la portée devrait être au demeurant vérifiée.
Article 99
Adopté par l'Assemblée nationale malgré le peu d'enthousiasme du Gouvernement, le secrétaire d'Etat chargé du budget indiquant que « le Gouvernement reste un peu dubitatif sur l'intérêt de multiplier les taxes sur des activités difficiles à saisir » et dont « le recouvrement sera difficile », cet article n'est pas conforme à la Constitution.
L'assiette de la taxe est particulièrement floue.
En retenant la surface « du local ou de l'emplacement », cet article ignore la nature de l'activité de nombreux commerces saisonniers, qui les conduit parfois à changer d'emplacement quotidiennement, voire à alterner entre la vente ambulante et la station immobile. De plus, le choix entre la taxation forfaitaire et la taxation à la surface ne repose sur aucun critère précis et laisse la place à l'arbitraire.
Le législateur, en l'occurrence l'Assemblée nationale, n'a donc manifestement pas épuisé la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution pour ce qui concerne l'assiette de l'impôt.
Cette taxe méconnaît en outre le principe constitutionnel de l'égalité devant l'impôt car il ne saurait exister de relation convaincante entre la superficie d'un local et les facultés contributives du redevable, qu'il s'agisse du chiffre d'affaires ou du résultat net.
Cet article introduit également la possibilité de poursuivre solidairement le propriétaire du local ou du terrain où le redevable exerce son activité, en cas de non-paiement de la taxe. La généralité de la formulation retenue, alors même que le propriétaire du terrain peut être dans l'ignorance absolue qu'il est utilisé par un vendeur ambulant ou « à la sauvette », est manifestement contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Enfin, cet article ne définit pas avec la précision indispensable les modalités de recouvrement en tant que la taxe est censée être « due pour l'année de création de l'établissement ».
S'agissant des commerçants qui reviennent chaque année dans la même commune, le texte ne permet pas de déterminer s'ils doivent acquitter la taxe chaque année ou seulement la première.
Article 107
L'article 107 a été introduit en première lecture à l'Assemblée nationale sous forme d'un amendement d'origine parlementaire assorti d'un sous-amendement présenté par le Gouvernement établissant une communication du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques entre les administrations fiscales et les organismes chargés de la gestion du régime obligatoire de la sécurité sociale.
Cet article a été supprimé au Sénat au double motif qu'il n'apparaissait pas indispensable à la lutte contre la fraude fiscale et que de surcroît il était susceptible de porter atteinte à la liberté individuelle, liberté dont la protection fondamentale relève de la Constitution. Cet article a été rétabli après modification, en nouvelle lecture, puis en dernière lecture par l'Assemblée nationale.
Indépendamment des motifs d'opportunité qui peuvent conduire à émettre des jugements différents sur la portée d'un tel amendement dans la lutte contre la fraude fiscale, dont chacun reconnaît qu'il s'agit d'un objectif de valeur constitutionnelle, l'article 107 mérite un examen très attentif de sa conformité à la Constitution. Il intervient par nature dans un domaine très sensible du point de vue des libertés individuelles, celui de la protection des données personnelles. Tel qu'il a été définitivement adopté par l'Assemblée nationale, cet article encourt deux motifs sérieux d'inconstitutionnalité. D'une part, il n'assure pas une protection suffisante des données personnelles ; d'autre part, le législateur n'a pas épuisé sa compétence obligatoire en ce qui concerne la mise en oeuvre du dispositif.
Il n'est plus discuté que les principes de base de la législation sur les données personnelles font l'objet d'une protection de nature constitutionnelle. Même si la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés n'a pas fait l'objet d'un examen par le juge constitutionnel, plusieurs décisions ultérieures ont nettement établi le principe de la valeur constitutionnelle des règles de base relatives à la protection de la liberté individuelle.
Dans sa décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 relative à la lutte contre la corruption, le Conseil constitutionnel a insisté sur le fait que dans le cas d'espèce « le législateur n'a pas entendu déroger aux dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ». Cette décision fondamentale permet véritablement de considérer que la matière des données personnelles doit faire l'objet d'un examen particulièrement attentif au regard de la liberté individuelle et que les dispositions protectrices instituées par la loi du 6 janvier 1978 constituent un cadre auquel le législateur ne peut plus déroger même lorsqu'il vise à atteindre d'autres objectifs de valeur constitutionnelle.
L'état le plus récent de la jurisprudence et de son interprétation doctrinale a été effectué dans le rapport préparé sous la présidence de M Guy Braibant « Données personnelles et société de l'information » à propos de la transposition en droit français de la directive communautaire 95/46 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement de données à caractère personnel et de la libre circulation de ces données (La Documentation française, 1998).
Dans le bilan qu'il dresse des normes protectrices applicables en France, le président Braibant conclut : « Ainsi le Conseil constitutionnel reconnaît-il une protection constitutionnelle du droit à la vie privée par le rattachement de ce droit à la liberté individuelle dont relèvent les dispositions de la loi du 6 janvier 1978. »
Il résulte de cette situation l'obligation d'examiner la conformité de l'article 107 par rapport au principe de valeur constitutionnelle relatif à la liberté individuelle.
La formulation trop générale de l'article 107 conduira donc le Conseil constitutionnel à estimer qu'en l'état cet article n'offre pas des garanties suffisantes au regard du principe constitutionnel de la liberté individuelle.
Comme il a été rappelé dans les débats parlementaires, l'article 34 de la Constitution prévoit que « la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées au citoyen pour l'exercice des libertés publiques ». Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel prévoit que dans ce domaine le législateur a l'obligation d'épuiser sa compétence et qu'il ne peut déléguer au pouvoir réglementaire que de strictes modalités d'application.
Dans sa récente décision n° 98-403 DC du 23 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, le Conseil constitutionnel a utilisé de manière explicite le concept de « l'incompétence négative du législateur » (JO, 31 juillet 1998, p 11710 et suivantes). Même si dans le cas d'espèce le juge constitutionnel a considéré que le législateur n'avait pas méconnu sa propre compétence, il est essentiel dans un domaine touchant aux libertés fondamentales de vérifier que le renvoi opéré par le VI de l'article 107 n'outrepasse pas la compétence du pouvoir réglementaire.
Or le fait que le futur décret prévu par le IV de cet article soit pris en Conseil d'Etat après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés ne suffit pas à considérer que le législateur, en l'occurrence l'Assemblée nationale, protecteur naturel de la liberté individuelle, a épuisé sa compétence.
Il convient donc que le législateur établisse lui-même les dispositions essentielles destinées à assurer la protection des libertés individuelles et les modalités de fonctionnement des fichiers.
Pour l'ensemble de ces motifs, l'article 107 ne peut que faire l'objet d'une déclaration d'inconstitutionnalité.
Article 136
Cet article a pour objet d'instituer une taxe d'aéroport se substituant à des redevances aéroportuaires, dont les arrêtés fixant les taux ont été annulés par le Conseil d'Etat puis validés par le législateur. Toutefois, les observations présentées par le Sénat (rapports n° 44 du 29 octobre 1998, Avis sur le projet de loi relatif à l'organisation de certains services au transport aérien, et n° 66 du 19 novembre 1998, loi de finances, Transports aériens et météorologie et aviation civile) n'ont pas été prises en compte.
L'article est donc inconstitutionnel pour les motifs ci-après.
Le produit de cette taxe ne sera pas évalué en loi de finances, non plus que les charges qu'elle financera, alors que la jurisprudence du Conseil d'Etat précitée établit qu'elles correspondent « à des missions d'intérêt général qui incombent par nature à l'Etat ». Il s'agit donc d'une forme de débudgétisation déjà censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 décembre 1994, s'agissant de dépenses présentant pour l'Etat « par nature un caractère permanent ».
Il ne saurait être contesté, par exemple, que les charges de préservation de la sûreté publique contre des actes de malveillance destinés à attenter à la sécurité de l'Etat sont des charges, incombant par nature à l'Etat et qui comme telles doivent être retracées par la loi de finances, en application de l'article 34 de la Constitution qui dispose que « les lois de finances déterminent les ressources et les charges de l'Etat ».
Par ailleurs, l'article 136 dispose que la taxe peut être perçue au profit de personnes privées, ce qui est contraire aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République s'agissant d'une imposition de toute nature et non d'une taxe parafiscale.
L'article 136 contrevient par ailleurs à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Cet article 136 contrevient enfin à l'article XIII de ladite déclaration qui pose le principe d'égalité devant les charges publiques en tant que les compagnies aériennes ou leurs clients seront seuls astreints à financer des missions régaliennes de sécurité et de sûreté incombant à l'Etat. Une telle conception de l'Etat est contraire aux principes républicains en vigueur en tant qu'elle méconnaît le principe d'une contribution commune établie selon les facultés contributives au profit d'un système de redevances établies au prorata de prétendus « bénéfices » retirés de l'intervention de l'Etat. Elle pourrait, par exemple, justifier un financement par les seuls usagers de la Régie autonome des transports parisiens de l'intervention des forces de l'ordre pour la protection des usagers des transports publics parisiens.
Article 51
Cet article, créant une taxe de l'aviation civile, doit être censuré pour les mêmes motifs que l'article 136 précédemment exposé.
Cette « taxe-redevance » institue un mécanisme de financement des missions d'intérêt général reposant sur la seule contribution des compagnies aériennes contraire à l'égalité des citoyens devant les charges publiques.
Pour ces motifs, et pour tout autre qu'il plairait à votre Conseil de soulever, les auteurs de la présente saisine demandent au Conseil constitutionnel de déclarer contraire à la Constitution la loi de finances pour 1999.