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Décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 1999
Non conformité partielle

Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel les articles suivants de la loi de finances pour 1999, adoptée définitivement le 18 décembre 1998.
Ils demandent au Conseil constitutionnel de décider que ces articles ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs suivants :
I : Motifs de procédure entachant la sincérité de la loi de finances et portant atteinte aux droits d'information et de contrôle du Parlement
Crédits des services financiers :
crédits d'articles et fonds de concours
1 Sur les crédits d'articles
Dans sa décision relative à la loi de finances pour 1998, le Conseil constitutionnel a rappelé que « le rattachement aux services financiers par voie de fonds de concours des crédits correspondant au prélèvement institué par le dernier alinéa de la loi du 17 août 1948 modifiée relative au redressement financier ainsi qu'aux prélèvements effectués en application des dispositions de l'article 6 de la loi du 31 juillet 1949 modifiée portant aménagement de la taxe locale additionnelle aux taxes sur le chiffre d'affaires n'est pas conforme à l'article 19 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, dès lors que les recettes de ces fonds sont en majorité de caractère fiscal ». En conséquence, il avait précisé que ces crédits devraient être dûment réintégrés dans le budget de l'Etat « dès le projet de loi de finances pour 1999 ».
Or, la loi de finances pour 1999 ne respecte pas pleinement cette obligation. En effet, alors que la décision du Conseil précitée a clairement affirmé le caractère fiscal de ces fonds, la loi de finances pour 1999 rattache les ressources tirées de l'article 6 de la loi de 1949 précédemment cité aux recettes non fiscales (en l'espèce ligne budgétaire 309 relative aux frais d'assiette et de recouvrement des impôts et taxes perçus au profit des collectivités locales). Il y a donc une affectation manifestement anormale de ces crédits qui peut avoir une influence sur le calcul du taux de prélèvements obligatoires et donc sur la sincérité de la loi de finances puisque les recettes non fiscales ne sont pas prises en compte dans ce taux.
2 Sur les fonds de concours extrabudgétaires
L'article 110 de la loi de finances pour 1996 a imposé la réintégration de tous les fonds de concours extrabudgétaires au sein du budget général à compter de 1997.
La loi de finances pour 1999 ne répond pas à cette exigence. En effet, comme l'a souligné M Henry Chabert dans son rapport sur les services financiers, les fonds extrabudgétaires gérés sur les comptes de tiers 451 et 466-171 n'ont pas été intégrés au budget général.
Outre le non-respect des dispositions de la loi de finances pour 1996, cette pratique porte manifestement atteinte aux droits d'information et de contrôle du Parlement, puisque les services du ministère de l'économie ont refusé de répondre aux multiples demandes de précision du rapporteur de l'Assemblée nationale sur ces crédits, comme il l'indique dans son rapport (cf rapport de M Henry Chabert, services financiers n° 1111, annexe 16, p 31).
Prélèvements sur recettes
Dans sa décision n° 82-154 DC du 29 décembre 1982, le Conseil a eu à se prononcer sur la conformité de ces prélèvements aux dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances. S'il a reconnu la constitutionnalité de cette procédure, il l'a cependant définie strictement en indiquant que « le mécanisme des prélèvements sur recettes satisfait aux objectifs de clarté des comptes et d'efficacité du contrôle parlementaire [], dès lors que ces prélèvements sont, dans leur montant et leur destination, définis de façon distincte et précise dans la loi de finances, qu'ils sont assortis, tout comme les chapitres budgétaires, des justifications appropriées, enfin qu'il n'y est pas recouru pour la couverture de charges de l'Etat telles qu'elles sont énumérées à l'article 6 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 ».
Or, certains des prélèvements sur recettes prévus par la loi de finances pour 1999 contreviennent manifestement à cette définition et doivent s'analyser comme des dépenses de l'Etat au sens de l'article 6 de l'ordonnance du 2 janvier 1959.
En effet, la compensation des allègements fiscaux, des exonérations, des réductions de base ou des plafonnements de taux des impôts locaux décidés par le législateur entraîne en tant que telle pour l'Etat une dépense et ne peut que s'analyser comme une charge nette pour le budget de l'Etat et non comme « une rétrocession directe d'un montant déterminé de recettes de l'Etat au profit des collectivités locales [] en vue de couvrir des charges qui incombent à ces bénéficiaires et non à l'Etat » au sens de la décision de 1982.
Il est donc clair que de tels prélèvements devraient figurer en deuxième partie de loi de finances pour être conformes aux dispositions de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 précitée.
Par ailleurs, une telle affectation contribuerait à assurer au Parlement une véritable lisibilité des concours budgétaires de l'Etat aux collectivités locales et ainsi d'assurer pleinement la nécessaire clarté des comptes de l'Etat et le contrôle efficace du Parlement sur ces derniers affirmés par le conseil lors de sa décision de 1982 précitée. En effet, la présentation retenue par la loi de finances pour 1999 ne permet pas d'avoir une vision claire et exhaustive des flux financiers Etat-collectivités locales. Ainsi, comme l'a souligné la Cour des comptes dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances 1997 publié en juillet dernier, la présentation actuelle des lois de finances conduit à considérer comme un prélèvement sur recettes la dotation globale de fonctionnement, alors que la dotation globale d'équipement est, elle, analysée comme une subvention aux collectivités locales et se trouve en conséquence affectée au budget du ministère de l'intérieur. De même, le fonds national de péréquation de la taxe professionnelle est un prélèvement sur recette qui compense notamment les exonérations de taxe pour les zones de redynamisation urbaine, alors que, pour les zones de revitalisation rurale, cette compensation est dévolue au fonds national de péréquation inscrit au chapitre 41-24 du budget des charges communes.
II. : L'article 2 relatif au barème de l'impôt sur le revenu
et au mécanisme du quotient familial
Le paragraphe I de l'article 2 de la loi de finances pour 1999 modifie le I de l'article 197 du code général des impôts en vue de baisser à 11 000 F le montant de l'avantage maximal d'impôt par demi-part résultant du quotient familial.
Il convient tout d'abord de rappeler que le mécanisme du quotient familial met en oeuvre deux exigences constitutionnelles.
Il permet tout d'abord d'adapter le montant de l'impôt aux facultés contributives de chaque foyer fiscal en prenant en compte le nombre de « personnes à charge » vivant des ressources du foyer fiscal. Il répond ainsi au principe de proportionnalité de l'impôt aux revenus affirmé par l'article 13 de la déclaration universelle des droits de l'homme.
Cet impératif de proportionnalité et de progressivité avait d'ailleurs été pleinement affirmé par M René Pleven, ministre des finances, dans l'exposé des motifs du projet de loi portant fixation des recettes du budget général de l'exercice 1946 (Assemblée constituante n° 71, Imprimerie nationale, Paris, 1945, p 6 et 7) instituant le mécanisme du quotient familial.
« Le Gouvernement a nettement marqué sa volonté de porter toute son attention au problème fondamental de la population et en particulier au problème de la famille. Son action dans ce domaine fera l'objet d'autres dispositions ; mais il veut dès à présent amender celles des dispositions fiscales qui donnent des résultats injustes pour la famille. Au premier rang de celles-ci est l'impôt général sur le revenu. Tel qu'il est, notre impôt conduit à certaines conséquences dont le caractère immoral ou injuste a été maintes fois dénoncé.
 » Il est immoral de frapper d'une taxe progressive les revenus du ménage réunis sur la tête du chef de famille, avantageant ainsi le concubinage, qui permet l'imposition sous deux cotes avec deux abattements et limite la progressivité.
« Il est injuste que, malgré les abattements consentis pour charges de famille, un ménage avec des enfants paye, compte tenu des dépenses auxquelles il est obligé, un impôt général sur le revenu plus lourd qu'un ménage sans enfant.
 » A niveau de vie égal, la famille nombreuse est plus lourdement frappée que le ménage sans enfant. La hausse des revenus apparents n'a fait qu'accentuer ce caractère, si bien qu'aujourd'hui, au-delà de certains chiffres, on peut dire que le poids de l'impôt est presque proportionnel au nombre des membres de la famille.
« C'est pour mettre fin à cette situation que le Gouvernement propose, d'une part, d'ajuster les minima exonérés des impôts au niveau actuel des valeurs, d'autre part, d'instituer le quotient familial, ce qui revient à diviser le revenu global en plusieurs fractions, dont le nombre sera en rapport avec l'importance de la famille, avant d'appliquer le tarif progressif. La réforme comporte d'ailleurs une réelle simplification de la législation et de la pratique. »
Par ailleurs, le quotient familial permet de mettre également en oeuvre en matière fiscale le principe de redistribution horizontale de notre politique familiale affirmé par le dixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, selon lequel « la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », et le paragraphe 3 de l'article 16 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ratifiée par la France en 1948, selon lequel « la famille est l'élément naturel et fondamental de la société et a droit à la protection de la société et de l'Etat ».
Or l'abaissement de l'avantage maximal d'impôt par demi-part à 11 000 F prévu par le I de l'article 2 de la loi de finances pour 1999 contrevient à ces deux exigences constitutionnelles en créant des inégalités entre foyers fiscaux injustifiées et en pénalisant doublement le revenu de certaines familles du fait de son cumul avec la suppression des allocations familiales au-delà d'un certain niveau de revenu pour 1998.
Rupture d'égalité
L'abaissement du quotient familial conduit à une taxation renforcée des familles par rapport aux célibataires et donc à la remise en cause du principe de progressivité de l'impôt sur le revenu.
Si l'on calcule l'effet de la réforme de l'article 2 sur le niveau d'imposition de trois contribuables justifiant d'un revenu par part fiscale de 17 000 F par mois, on constate que le taux d'imposition du célibataire restera inchangé (15,2 %) alors que le contribuable marié avec un enfant verra, lui, son taux d'imposition passer à 16,2 %, soit plus 1 point, et que le contribuable marié avec 3 enfants sera imposé au taux de 18,9 %, soit + 3,7 points.
Il y a une rupture d'égalité manifeste qui ne peut être justifiée par les différences de situation entre les trois contribuables au regard de l'impôt sur le revenu, puisque leur revenu par part est le même dans ces trois cas de figure.
De même, cette inégalité ne peut se justifier par un motif d'intérêt général, contrairement à ce qu'a affirmé à plusieurs reprises le Gouvernement lors des débats, l'abaissement du quotient familial par demi-part ne peut être légitimement justifié par le rétablissement de l'universalité des allocations familiales.
En effet, il convient de rappeler que le système du quotient familial garantit seulement que le poids de l'impôt sur le revenu est équitablement réparti entre des familles de taille différente mais à niveau de vie équivalent. Il y a donc une totale différence de nature et d'objet entre la notion purement fiscale du quotient familial et celle de prestations sociales qui prévaut en matière d'allocations familiales.
Par ailleurs, l'idée selon laquelle l'abaissement du quotient répondrait à un intérêt général de nature budgétaire lié au coût du rétablissement des allocations familiales ne peut être retenue. En effet, les informations données par la commission de contrôle des comptes de la sécurité sociale en septembre dernier montrent que la branche famille dégagera un excédent d'environ 4 milliards pour 1998, soit le montant du coût du rétablissement de l'universalité des allocations pour 1999. L'abaissement du quotient ne répond donc pas à une budgétisation du coût des allocations familiales par l'Etat, mais est justifié par l'intégration au budget de l'Etat de l'allocation de parent isolé. En conséquence, il ne peut être argué du fait que les familles bénéficient des allocations pour compenser la hausse de leurs impôts, puisque la hausse de l'impôt n'a pour justification que de leur faire assumer le coût d'une aide spécifique à une catégorie de familles en difficulté et donc de remettre en cause par là même le principe de répartition horizontale qui prévaut, depuis 1946, en matière de politique familiale dans notre pays.
Il convient enfin de signaler que l'abaissement du quotient crée des discriminations entre familles ayant le même niveau de ressources. En effet, une famille monoparentale avec un enfant continuera à disposer d'un plafond de 20 170 F, alors qu'un couple monoactif avec un enfant ayant le même niveau de revenu voit son quotient ramené à 11 000 F, soit la moitié de celui d'un parent isolé. La rupture d'égalité ainsi manifestée ne peut, ici encore, se justifier par la différence de situation des contribuables en cause.
En effet, si la situation de parent isolé a toujours justifié une différence de traitement vis-à-vis du quotient familial, la réforme de l'article 2 aboutit à doubler l'effet de cette différence de traitement sans que l'on puisse le rattacher à de nouvelles différences entre les deux situations évoquées.
Double pénalisation des revenus des familles
Il convient en effet de rappeler que l'impôt sur le revenu 1999 calculé sur la base de l'article 2 de la présente loi de finances portera sur les revenus des familles pour l'année 1998, revenus qui ont d'ores et déjà été amputés par la mise sous condition de ressources des allocations familiales. L'article 2 entraîne donc une double pénalisation pour les familles.
Pour l'ensemble de ces raisons, il est demandé au Conseil de déclarer le I de l'article 2 contraire à la Constitution.
III. : L'article 7 réformant le régime des micro-entreprises
Cet article vise à porter le seuil d'application du régime des micro-entreprises et de la franchise de base de TVA de 100 000 F à 500 000 F pour les entreprises d'achat-revente et à 175 000 F pour les prestations de services et les titulaires de bénéfices non commerciaux.
Le quintuplement du seuil de franchise de TVA en matière d'achat-revente va créer une rupture d'égalité entre entreprises dans certains secteurs d'activité
Il convient tout d'abord de rappeler que, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le principe d'égalité, affirmé notamment par la Déclaration de 1789, est méconnu lorsque la différence de traitement entre administrés n'est pas justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la législation en cause ou par un motif d'intérêt général lié au fonctionnement même du service public (notamment décisions n°s 107-DC du 12 juillet 1979 et 112-DC du 9 janvier 1980).
Or, comme l'ont souligné les parlementaires lors des débats (cf notamment JO Débats Assemblée nationale, 3e séance, du 15 octobre 1998, p 6737), les activités d'achat-revente et de prestation de services sont difficilement dissociables dans le secteur du bâtiment. En conséquence, une entreprise qui fournit à titre principal des matériaux de construction et en assure à titre accessoire la pose pourra bénéficier du nouveau seuil de 500 000 F Ce seuil correspond en moyenne, dans ce secteur, au chiffre d'affaires d'un artisan employant un apprenti et va donc lui donner un véritable avantage concurrentiel vis-à-vis d'une PME de plusieurs salariés exerçant la même activité et répondant aux mêmes demandes, en lui permettant de ne pas facturer la TVA à son client et de baisser donc son prix final à hauteur de 20,6 %.
Le dispositif de l'article 7 risque donc d'entraîner d'importantes distorsions de concurrence pour ce secteur qui ne peuvent être justifiées par la différence de situation des entreprises en cause ou par un motif d'intérêt général.
De plus, contrairement à d'autres secteurs d'activité, le seuil de 500 000 F ne correspond pas, dans le secteur du bâtiment, au chiffre d'affaires d'une nouvelle entreprise mais à celui d'un artisan dûment installé. En conséquence, l'argument invoqué par le Gouvernement lors des débats selon lequel la distorsion de concurrence invoquée sera compensée par l'impossibilité pour l'artisan ayant opté pour le régime de la micro-entreprise de récupérer la TVA sur les investissements nécessaires au démarrage de son activité ne peut justifier la rupture d'égalité ainsi opérée.
Hnfin, l'obligation faite au Gouvernement en cours de lecture de transmettre au Parlement d'ici au mois de septembre 1999 un rapport sur les éventuelles distorsions de concurrence créées par les seuils de l'article 7 n'est pas une garantie suffisante pour répondre aux risques réels de rupture de l'égalité précédemment évoqués.
Les seuils institués par l'article 7 sont en contradiction avec ceux fixés par la 6e directive TVA 77/388/CEE et pourraient donc être considérés comme constitutifs d'une distorsion de concurrence au regard du droit européen
En effet, l'article 24 de cette directive n'autorise les Etats membres à appliquer une franchise de TVA qu'aux assujettis dont le chiffre d'affaires annuel est inférieur à la contre-valeur en monnaie nationale de 5 000 unités de comptes européens, seuil porté à 10 000 unités majorées de 10 % en application du règlement n° 1553/89 du Conseil du 29 mai 1989, soit un seuil maximal de 72 400 F au cours actuel de conversion.
L'article 7 contrevient donc clairement et massivement aux dispositions de la 6e directive TVA et cette transgression ne peut être légitimée par l'argument selon lequel d'autres Etats européens ont eux aussi un seuil de franchise de TVA supérieur à celui fixé par la directive.
IV. : L'article 13 relatif à l'impôt de solidarité sur la fortune
Cet article crée une nouvelle tranche au taux de 1,8 % en matière d'impôt de solidarité sur la fortune.
Si l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 précise que l'impôt est réparti en raison des « facultés contributives » de chacun et justifie donc la progressivité des tranches de l'ISF, l'article 17 de la même déclaration affirme quant à lui que « la propriété est un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
On peut déduire de l'affirmation de ces deux articles le principe selon lequel l'impôt doit pouvoir, d'une part, être payé sur les revenus du patrimoine, sinon il conduirait à une appropriation de ce patrimoine par la collectivité sans indemnisation. Par ailleurs, l'article 17 conduit à considérer que l'impôt ne peut entraîner la confiscation de la totalité des revenus du patrimoine, puisque ces revenus sont eux-mêmes des éléments du patrimoine du contribuable.
Il convient d'ailleurs de rappeler que, dans sa décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, le Conseil constitutionnel a précisé que « pour poser les règles d'établissement de l'assiette, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en cette matière ; que, dès lors, cet impôt est établi d'une façon régulière au regard des règles et principes de valeur constitutionnelle, et notamment de la prise en compte des facultés contributives des citoyens ».
Il a également indiqué, dans sa décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, qu'une mesure fiscale « ne saurait avoir pour conséquence, par ses effets sur le patrimoine des contribuables, de porter atteinte au droit de propriété ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution ».
Le respect du droit de propriété devrait en effet conduire en matière de fiscalité du patrimoine tant pour l'impôt sur le revenu que pour l'impôt sur la fortune à ne pas dépasser un seuil constitutionnel de la moitié du revenu net que ce patrimoine est susceptible de produire.
Pour toutes ces raisons, il est demandé au Conseil de déclarer le caractère confiscatoire du taux de 1,8 % institué par l'article 13 et donc sa non-conformité aux principes fondamentaux relatifs au droit de propriété.
V : L'article 18 renforçant les obligations déclaratives relatives aux dettes déduites de l'impôt de solidarité sur la fortune
Cet article vise à imposer aux contribuables, lors du dépôt de la déclaration d'impôt de solidarité sur la fortune, de joindre les pièces nécessaires à la justification de la déduction du passif.
Il permet ainsi à l'administration fiscale de procéder à une vérification sans respecter les garanties particulières qui entourent la procédure de l'examen contradictoire de la situation personnelle (notamment envoi ou remise de l'avis de vérification, faculté pour le contribuable d'être assisté d'un conseil) et, en l'absence de réponse ou en cas de justification insuffisante, de rectifier d'office la déclaration d'impôt.
Cette procédure est manifestement contraire au respect du principe fondamental des droits de la défense reconnu par les lois de la République et affirmé par une jurisprudence constante du Conseil depuis sa décision n° 76-70 DC du 2 décembre 1976.
De plus, l'argument donné par le Gouvernement lors des débats parlementaires, selon lequel la procédure instituée par l'article 18 de la loi de finances pour 1999 respecte le principe du contradictoire, ne peut fonder l'atteinte ainsi portée aux droits de la défense. En effet, si la procédure de l'article 18 est contradictoire et respecte par là même les garanties de l'article L 47 du livre des procédures fiscales, la nécessité de cette procédure n'existe plus puisqu'elle ne serait que le double de la procédure « d'examen contradictoire de la situation personnelle » de droit commun.
VI. : Articles 19 à 24 relatifs aux modifications des règles de territorialité des droits de mutation à titre gratuit et des plus-values
La philosophie de ces articles est gouvernée par la volonté de lutter contre l'évasion fiscale en taxant les biens et plus-values perçus par le contribuable à l'étranger.
Ces articles sont manifestement contraires aux dispositions des articles 52 et 73 B du traité de Rome en ce qu'ils restreignent la liberté d'établissement d'un résident français dans un autre Etat de l'Union affirmée par ce traité et la liberté de circulation des capitaux comprenant la liberté pour une personne physique de placer ses capitaux dans l'Etat de son choix.
Par ailleurs, il convient de souligner que la France a signé un certain nombre de conventions fiscales bilatérales en matière de droits de mutation à titre gratuit auquel les principes de taxation définis par les articles 19 à 24 sont contraires.
Enfin, il convient de souligner que la limitation ainsi apportée à deux libertés fondamentales ne peut être fondée sur un motif d'ordre public, en l'espèce la lutte contre la fraude fiscale. En effet, ces dispositifs partent du principe selon lequel la délocalisation du patrimoine ou des revenus en cause serait la preuve d'une présomption implicite de fraude fiscale. Une telle présomption paraît contraire au principe fondamental de la présomption d'innocence.
VII. : Article 29 relatif au taux de TVA applicable aux abonnements souscrits pour la fourniture de gaz et d'électricité
Cet article tend à appliquer le taux réduit de TVA aux abonnements de gaz et d'électricité.
Ce dispositif crée une rupture d'égalité infondée au détriment des réseaux de chaleur et des systèmes de chauffage utilisant les énergies renouvelables, notamment le bois. En effet, le maintien pour ces réseaux d'un taux de TVA à 20,6 % ne manquera pas de créer d'importantes distorsions de concurrence et une inégalité entre les citoyens devant l'impôt, ceux-ci payant les choix en matière de chauffage de la collectivité.
De nombreux parlementaires tant à l'Assemblée qu'au Sénat ont dénoncé cette rupture d'égalité et ont déposé plusieurs amendements étendant aux réseaux précités le taux de TVA réduit.
Le Gouvernement a refusé ces amendements en invoquant les directives communautaires en matière de TVA tout en reconnaissant la rupture d'égalité ainsi engendrée et son absence de justification objective. Cette explication ne répond pas au moyen soulevé pour un double motif. Tout d'abord, il est étonnant de voir un gouvernement proposer, d'un côté, une disposition relative à la franchise de TVA à l'article 7 de la loi de finances pour 1999 en totale contradiction avec les prescriptions des directives communautaires en matière de TVA et, de l'autre, invoquer le respect sacré de ces directives pour justifier le traitement différencié instauré par l'article 29 sur les abonnements à des réseaux de chauffage. Par ailleurs, si l'article 55 de la Constitution affirme le caractère supralégislatif des traités dûment ratifiés et par voie d'extension du droit communautaire dérivé, il convient de rappeler que le principe d'égalité appartient lui aux principes fondamentaux de notre droit et doit donc être respecté en tant que tel.
VIII. : Article 38 aménageant la taxe sur les locaux
à usage de bureaux en Ile-de-France
Cet article a pour objet d'accroître les ressources du fonds d'aménagement de la région Ile-de-France (FARIF) par l'élargissement aux activités commerciales et agricoles de l'assiette de cette taxe.
Il convient tout d'abord de rappeler que la taxe annuelle sur les locaux à usage de bureaux en région Ile-de-France a été instituée en 1989 pour des motifs d'aménagement du territoire « correspondant à la volonté des pouvoirs publics de corriger les déséquilibres les plus graves que connaît cette région en matière d'accès de nombre de ses habitants à des logements locatifs, d'éloignement entre leur lieu de travail et leur lieu d'habitation et de saturation des infrastructures de transports » selon les termes de la décision n° 89-270 DC du 29 décembre 1989.
L'extension de cette taxe aux locaux commerciaux et de stockage devrait donc logiquement être fondée sur les mêmes nécessités d'aménagement du territoire tendant à financer des infrastructures de transports grâce aux fonds recueillis, en instituant une taxe sur certaines activités dans des zones où l'on estime qu'elles se trouvent en excès et où elles constituent par conséquent une source de déséquilibre régional.
Or, lors des débats au Sénat (JO Débats, séance du 25 novembre 1998, p 5007), la justification réelle de cet élargissement de l'assiette de la taxe sur les bureaux a été donnée par le secrétaire d'Etat au budget : « La justification est claire, elle consiste à faire en sorte que les bénéficiaires des infrastructures de transport (d'Ile-de-France) participent au financement de celles-ci ».
Cet objectif ne paraît pas susceptible de fonder l'atteinte portée à la liberté du commerce et de l'industrie par cet article.
En effet, les activités d'hôtellerie, de commerce de gros et de détail, de stockage nouvellement assujetties par l'article 38 de la présente loi de finances ne sauraient pour la plupart faire l'objet d'une délocalisation tendant à optimiser leur situation géographique à l'intérieur de la région. Elles font au contraire indissolublement partie du tissu urbain, concourent activement à son équilibre social et économique et n'appellent la création d'aucune infrastructure de transports autre que celles répondant aux besoins généraux de la région.
Pour ce qui concerne les activités de stockage en particulier, il convient de rappeler que des « plates-formes logistiques multimodales » ont été créées sur des terrains : le plus souvent concédés par la puissance publique : à l'instigation des pouvoirs publics eux-mêmes et pour des motifs précisément d'aménagement du territoire et de rationalisation des transports de marchandises dans la région Ile-de-France. Elles ont pour objet d'éviter le « mitage » de la région par de trop nombreux petits entrepôts sources de nuisances pour leur voisinage. Plusieurs de ces plates-formes ont d'ailleurs été constituées sous forme de sociétés d'économie mixte soit avec l'Etat, soit avec la région Ile-de-France elle-même, soit avec des départements issus de l'ex-département de la Seine.
En outre, la suppression des frontières douanières et, dès les tout prochains jours, monétaires place les plates-formes logistiques multimodales qui ont été implantées à proximité immédiate des aéroports internationaux d'Orly et de Roissy en concurrence directe avec les équipements identiques implantés sur les aéroports des pays voisins (Amsterdam, Francfort et même Londres grâce au tunnel sous la Manche). Loin de concourir à un sain équilibre régional de nos activités économiques, cette nouvelle taxe défavoriserait donc en l'occurrence la région Ile-de-France face à ses concurrents étrangers. Elle irait ainsi exactement à l'encontre des intérêts régionaux et même nationaux et ne saurait en aucun cas être justifiée par des raisons d'aménagement du territoire ou par le souci affiché de financer des infrastructures de transports internes à la région.
Au surplus, la nouvelle taxe frappant les installations de stockage porterait sur un secteur bien particulier de l'activité de production : le groupage et le dégroupage. Elle atteindrait ainsi de façon inégale les entreprises pour lesquelles le stockage ne constitue qu'une partie de leur activité : par exemple celles qui possèdent seulement un dépôt en région Ile-de-France pour la distribution de produits fabriqués hors de la région Ile-de-France - et celles, telles les plates-formes logistiques multimodales de la région Ile-de-France, dont le stockage constitue l'activité exclusive et qui par conséquent seraient frappées sur l'intégralité de leur chiffre d'affaires. Il y aurait donc, en l'occurrence, atteinte tout à la fois au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques et à celui de la liberté du commerce et de l'industrie.
Le fait même que le Gouvernement ait été conduit à remanier considérablement l'article 38 de la loi de finances pour 1999 et à substituer au texte ambitieux figurant dans le projet initial un amendement plus restrictif présenté en hâte, le 14 décembre, à la commission des finances, qui l'a adopté en y ajoutant par un sous-amendement une exonération totale pour les stockages effectués par les coopératives agricoles, témoigne que cet article est le fruit d'une large improvisation et probablement d'un détournement de la loi de finances rectificative pour 1989 aux fins de financer un équipement particulier non mentionné dans l'exposé des motifs du projet de loi.
" Enfin, il convient de souligner que l'argument selon lequel l'instauration d'une telle taxe se justifierait par les besoins de financement du FARIF ne peut être retenu. En effet, si l'Etat avait toujours inscrit au budget les crédits imposés par la loi au titre du FARIF, celui-ci bénéficierait des moyens financiers nécessaires.
IX. : Article 44 réformant la taxe professionnelle
Cet article propose de supprimer sur cinq ans la part salariale de l'assiette de la taxe professionnelle.
Il doit être déclaré contraire à la Constitution au motif qu'il porte atteinte au principe de libre administration des collectivités locales affirmé par l'article 72, alinéa 2 : « les collectivités territoriales s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».
Or, si l'article 34 dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la « libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », le Conseil constitutionnel a souligné l'importance du principe de libre administration en matière fiscale dans sa décision n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 en précisant que « les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour conséquence de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration ».
La réforme de l'article 44 de la loi de finances pour 1999 supprime une part importante des ressources des collectivités locales au titre de la taxe professionnelle puisqu'elle conduit à retirer aux collectivités locales leur pouvoir fiscal sur le tiers de cette taxe qui représente à elle seule aujourd'hui la moitié des ressources fiscales des collectivités locales.
La réforme de l'article 44 aboutit donc à remettre en cause un sixième du pouvoir fiscal des collectivités locales. Elle restreint donc clairement leur pouvoir fiscal au point d'entraver leur libre administration au sens de la décision de 1991 précitée et doit en conséquence être déclarée non conforme à la Constitution.
En outre, l'atteinte portée au pouvoir fiscal des collectivités locales est d'autant plus manifeste en l'espèce que le système de compensation par l'Etat de la perte de ressources ainsi engendrée ne sera pas réellement efficace. En effet, l'article 44 prévoit d'indexer la compensation aux collectivités locales sur l'indice de la DGF, soit 2,75 % pour 1999, alors que le taux de progression de la masse salariale retenu par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a lui été fixé à 4,3 %. Le manque à gagner pour les collectivités locales induit par la réforme malgré le mécanisme de compensation est ainsi évident et accentue encore le poids de cette réforme sur le pouvoir fiscal des collectivités locales.
Enfin, le mécanisme de l'article 44 crée des différences de traitement entre contribuables constitutives d'une rupture manifeste de l'égalité.
En effet, la suppression progressive sur une période de cinq ans de la composante salariale de la taxe professionnelle ne bénéficiera qu'aux contribuables assujettis à la fraction salariale fixée par l'article 1467-1 ° (a) du CGI. En conséquence, cette réforme ne s'appliquera pas aux professions libérales, agents d'affaires et intermédiaires de commerce employant moins de cinq salariés et relevant du régime fiscal des bénéfices non commerciaux (BNC).
Elle crée ainsi une rupture d'égalité qui ne peut se justifier par une différence de situation ou par un motif d'intérêt général.
L'article 44 introduit une différence de traitement substantielle entre contribuables, puisque les petites et moyennes entreprises ayant un chiffre d'affaires de 50 millions devraient bénéficier d'une baisse moyenne de 40 % de leur taxe professionnelle du fait de la réforme, alors qu'un professionnel libéral ou un agent de commerce employant moins de 5 salariés réalisant la même prestation et le même chiffre d'affaires supportera une taxe professionnelle inchangée.
De plus, l'article 44 introduit une rupture d'égalité à l'intérieur d'un même secteur d'activité. Ainsi, un professionnel libéral employant 6 salariés bénéficiera de la réforme contrairement à celui employant 4 salariés, alors que ces deux contribuables exercent la même activité et répondent à la même demande.
Cette atteinte au principe d'égalité ne peut être justifiée contrairement aux affirmations du Gouvernement comme du rapporteur général de l'Assemblée nationale par le fait que les redevables des BNC n'acquittaient pas la part salariale de la taxe professionnelle et donc auraient bénéficié d'un avantage par rapport aux autres contribuables que la réforme de l'article 44 viendrait compenser.
En effet, il convient de rappeler que lors des travaux préparatoires de la loi n° 75-678 du 29 juillet 1975 instituant la taxe professionnelle, le choix du niveau de la part salariale avait été fait suite à des simulations tendant à déterminer une assiette susceptible d'éviter notamment une surtaxation des professions libérales. En conséquence, celles qui n'acquittaient pas cette part salariale ne bénéficiaient d'aucun avantage en ce domaine.
De plus, si ces professionnels ne bénéficieront, du fait de l'article 44, d'aucune baisse de leur taxe professionnelle, ils vont par contre être pénalisés par la suppression opérée par cet article du remboursement pour embauche et investissement et par la majoration de la cotisation nationale.
La rupture d'égalité ainsi créée par l'article 44 ne peut par ailleurs se justifier par la poursuite d'un objectif d'intérêt général poursuivi par la loi.
Selon les déclarations du Gouvernement lors des débats parlementaires, la réforme de la taxe professionnelle aurait pour objectif de favoriser la création d'emploi.
Il convient ici de souligner que les redevables des BNC employant moins de cinq salariés font partie des petites et moyennes entreprises que l'ensemble des observateurs tant économiques que politiques considèrent comme le principal vivier de création d'emploi dans notre pays. Elles appartiennent au secteur tertiaire qui est à l'origine de la presque totalité des créations d'emplois depuis juin 1997 comme l'a affirmé le rapporteur général de l'Assemblée nationale lors des débats (JO AN, 1re séance du 17 octobre 1998, p 6913).
En conséquence, le potentiel d'emplois à créer par les entreprises relevant du régime des BNC aurait dû conduire à les faire bénéficier d'une baisse de taxe professionnelle dans les mêmes proportions que celle bénéficiant aux autres entreprises.
L'exclusion des titulaires de BNC du bénéfice de la mesure d'allègement de la taxe professionnelle n'était donc ni nécessaire, ni même utile à la réalisation de l'objectif de création d'emplois assignée par le législateur, qui n'a d'ailleurs pas conditionné la réforme de l'article 44 à la création effective d'emplois pour les entreprises bénéficiant de la baisse de taxe professionnelle.
La rupture d'égalité opérée par l'article 44 n'est en conséquence ni justifiée par une différence de situation en rapport avec l'objet de la loi, ni fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts que s'est fixés le législateur.
X : L'article 107 permettant l'utilisation par l'administration fiscale du numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques, le NIR
Cet article permettra à l'administration fiscale d'utiliser le numéro de sécurité sociale afin d'identifier les contribuables dans le cadre de sa politique de lutte contre la fraude fiscale.
Il convient de rappeler que, déjà en 1974, l'institution d'un identifiant unique, en l'espèce le numéro de sécurité sociale, pour l'ensemble des fichiers et répertoires publics ainsi que la possible fusion de ces fichiers avait fait l'objet de vives critiques quant au danger qu'une telle utilisation pouvait présenter pour la liberté, droit fondamental reconnu à tout citoyen et affirmé notamment par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 comme un droit imprescriptible.
Depuis cette date, la Commission nationale Informatique et liberté a eu à plusieurs reprises à se prononcer sur la possibilité de permettre par ce type de mécanisme la fusion de fichiers et donc la constitution d'un fichier informatique inter-administratif sur la vie privée des citoyens. Elle a dans le cadre de ses rapports annuels, à plusieurs reprises, émis les plus grandes réserves vis-à-vis de tels dispositifs. Il est d'ailleurs important de souligner que l'article 107 émane d'un amendement d'origine parlementaire reprenant une proposition émise dans le cadre d'un rapport parlementaire sur la fraude fiscale. En conséquence, la Commission nationale Informatique et liberté n'a pu examiner ce dispositif ainsi que les modifications de procédure instituées en cours de lecture sur cet article.
Pour ces raisons, il est demandé au Conseil de le déclarer non conforme à la Constitution. "