Décision n° 98-403 DC du 29 juillet 1998 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES :
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel les articles suivants de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions, adoptée définitivement le 9 juillet 1998.
Ils demandent au Conseil constitutionnel de décider que ces articles ne sont pas conformes à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous :
I : Sur la taxe dite d'inhabitation (art 51)
Cet article instaure un système d'imposition des logements vacants, appelé communément taxe d'inhabitation, en insérant un article 232 au code général des impôts (CGI).
Il convient tout d'abord de rappeler que, dans sa décision n° 94-358 DC (Rec. p 176) portant sur la loi relative à la diversité de l'habitat, le Conseil constitutionnel a affirmé qu'« aux termes du dixième et du onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (), la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle » (considérants n°s 5 à 7).
Or, selon une jurisprudence constante du Conseil, un objectif de valeur constitutionnelle doit s'entendre comme étant une directive donnée au législateur d'agir dans un but défini en conformité avec les règles constitutionnelles générales et sous le contrôle du Conseil constitutionnel.
Le Conseil l'a rappelé, dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 (loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, Rec. p 170,
2), à propos d'un autre objectif à valeur constitutionnelle, la sauvegarde de l'ordre public :
« La prévention des atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs d'infractions sont nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle ; () qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnelles garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ainsi que l'inviolabilité du domicile ; () que la méconnaissance du droit au respect de la vie privée peut être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle. »
L'article 51 de la présente loi méconnaît les règles de répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir exécutif ainsi que certains de nos principes constitutionnels les plus fondamentaux. Les députés soussignés demandent donc au Conseil de le déclarer inconstitutionnel pour les raisons suivantes :
Cet article doit tout d'abord être censuré pour incompétence négative :
En vertu du seizième alinéa de l'article 34 : « la loi détermine le régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ».
La taxe instituée par le présent article porte atteinte, de manière manifeste, au droit de propriété et plus particulièrement au principe de libre disposition de son bien par le propriétaire puisqu'elle oblige ce dernier à le louer. Sa mise en oeuvre relève donc bien de la compétence du législateur.
Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs, dans sa décision de 1995 précédemment citée (n° 94-359 DC, Rec. p 176), défini avec précision la compétence du législateur en matière de logement en indiquant dans son considérant 8 que :
« Il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif à valeur constitutionnelle ; que le législateur peut à cette fin modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre. »
En conséquence, le législateur ne peut légitimement modifier le droit du logement qu'à la seule condition que cette modification se justifie par une amélioration de la protection des droits en cause.
L'article 51 de la présente loi ne répond manifestement pas à cette exigence.
Il instaure en effet une taxe d'inhabitation annuelle qui concerne, aux termes de la loi, « les logements vacants dans les communes appartenant à des zones d'urbanisation continue de plus de 200 000 habitants où existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements, au détriment des personnes à revenus modestes et des personnes défavorisées, qui se concrétise par le nombre élevé de demandeurs de logement par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant ».
La seule lecture de cet article montre l'imprécision des critères édictés et fait pressentir les multiples atteintes à des droits fondamentaux tels que le droit de propriété ou l'égalité devant les charges publiques qu'elle ne manquera pas d'engendrer.
Ainsi, le « déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements » paraît-il difficile à mesurer. Qu'est-ce qu'un déséquilibre marqué ? Qui pourra le mesurer et donner cette appréciation réclamée par la loi pour son application ? Existe-il des instruments objectifs de mesure de ce déséquilibre ? Aucune réponse à ces diverses questions n'est donnée par l'article 51.
La notion de « personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées » pose elle aussi de réelles difficultés de définition.
Aucun critère objectif ne permet de dire que telle personne est « défavorisée » ou a des « revenus modestes ». Ici encore, ces notions devront être appréciées subjectivement alors que le code de la construction et de l'habitat utilise, dans d'autres cas, des critères objectifs de définition, tel par exemple que la notion de « personne dépourvue de logement » (art L 641-2).
Le critère selon lequel le déséquilibre qu'entend réparer l'article 51 de la loi est concrétisé par « le nombre élevé de demandeurs de logements par rapport au parc locatif et la proportion anormalement élevée de logements vacants par rapport au parc immobilier existant » n'est quant à lui pas plus précis. La loi ne dit en effet rien du seuil au-delà duquel le nombre de logements vacants devra être considéré comme « anormalement élevé » au regard du parc immobilier existant et encore moins de l'autorité qui pourra définir un tel seuil.
Enfin, par son imprécision manifeste, le nouvel article 232-I du code général des impôts ne fixe pas les règles de recouvrement de la taxe qu'il institue et est donc contraire aux dispositions du sixième alinéa de l'article 34 de la Constitution qui donne compétence au législateur pour fixer les règles concernant « l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature ». Dans sa décision n° 85-191 DC du 10 juillet 1985 (Rec. p 46), le Conseil a réaffirmé clairement la nécessité pour le législateur d'exercer pleinement sa compétence en ce domaine.
Les mêmes griefs peuvent être invoqués à l'encontre des II et IV de l'article 232 qui se contentent d'indiquer que « la taxe est due pour chaque logement vacant depuis au moins deux années consécutives » et que « la taxe n'est pas due en cas de vacance indépendante de la volonté du contribuable ». Dans l'un et l'autre cas, aucun critère, autre que la bonne foi, n'est défini pour vérifier que le propriétaire doit ou non être soumis à la taxe d'inhabitation.
Cette grave absence de précision dans la définition de la vacance involontaire et les conséquences qu'elle ne manquera pas d'entraîner pour les droits des propriétaires, ont d'ailleurs été largement évoquées par les parlementaires lors des débats à l'Assemblée, comme devant le Sénat. Il convient d'ailleurs de relever que, auditionné à plusieurs reprises par les commissions parlementaires, notamment au Sénat, le secrétaire d'Etat au logement a indiqué qu'aucun texte réglementaire fixant une liste exhaustive des cas de vacances involontaires ne serait établie et a par là même reconnu l'imprécision qui prévaudrait à l'application de son texte.
Par ailleurs, l'absence de définition précise des cas de vacances involontaires fait supporter la charge de la preuve de cette vacance subie au seul propriétaire.
Or, la loi ne définit en rien quelles seront les preuves que devra apporter le propriétaire de l'insuffisance, par exemple, de ses ressources pour procéder aux travaux de réhabilitation de son logement. De même, quel élément devra-t-il fournir pour justifier de ses démarches en vue de la location de son logement ? L'absence de définition minimale des critères d'évaluation de ces vacances involontaires risque de conduire à des interprétations divergentes d'un service fiscal à l'autre et de créer en conséquence des inégalités manifestes entre propriétaires en plus de celles déjà expressément affirmées par la loi.
De même, le renvoi à un décret pour fixer la liste des communes où la taxe sera instituée est contraire à l'article 34 de la Constitution. De nombreux parlementaires ont d'ailleurs critiqué ce renvoi au pouvoir réglementaire en considérant qu'il n'apportait pas les garanties minimales de protection dues aux propriétaires. Il a notamment été rappelé que l'article 18 de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 avait, lui, stipulé que la liste des communes soumises à l'encadrement des loyers devait être fixée par décret en Conseil d'Etat.
Pour toutes ces raisons, les parlementaires soussignés demandent donc au Conseil constitutionnel de censurer pour incompétence négative l'ensemble des dispositions de l'article 51 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.
L'article 51 méconnaît par ailleurs le principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques affirmé par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel :
« Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
Or, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, le législateur ne peut définir un régime juridique différent et rompre ainsi avec le principe d'égalité qu'à condition qu'il fonde cette différence de traitement sur « des critères objectifs et rationnels » (Conseil constitutionnel, 29 décembre 1989, Rec. p 229) et que si ce principe d'égalité « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général () la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (Conseil constitutionnel, 1er décembre 1990, Rec. p 84, et 8 janvier 1991, Rec. p 11).
Or, le II de l'article 232 du code général des impôts créé par la présente loi porte atteinte au principe d'égalité en instaurant une forte discrimination entre les contribuables potentiels par l'exonération du champ d'application de la taxe d'inhabitation « des logements vacants détenus par les organismes d'habitation à loyer modéré et les sociétés d'économie mixte et destinés à être attribués sous conditions de ressources ». Cette exonération crée donc une distinction entre bailleurs privés et publics, mais aussi au sein même des bailleurs privés du fait de l'exonération des sociétés d'économie mixte chargées de logement social, personnes morales de droit privé.
Lors des débats, il a été répondu à cet argument que les propriétaires privés pouvaient demander à bénéficier du bail à réhabilitation et devaient donc être considérés comme ayant gelé délibérément leur logement s'ils n'utilisaient pas cette possibilité.
Il convient là encore de relever que comme l'ont, d'ailleurs à plusieurs reprises, rappelé certains parlementaires, les organismes HLM bénéficient, quant à eux, de nombreux crédits pour la destruction, la réhabilitation et la construction de logements, notamment les opérations dites PALULOS, crédits qui sont en constante augmentation et qui ne sont pas correctement consommés par les organismes HLM. Il n'y a donc pas de différence de situation entre bailleurs, justifiant l'atteinte portée à l'égalité devant les charges publiques par cette taxe d'inhabitation.
De plus, si la nécessité de procéder à des opérations de réhabilitation était le véritable motif de l'exonération des organismes HLM et des SEM du champ de l'article 51, le législateur n'avait pas besoin de fixer une exonération générale au bénéfice de ces organismes pour obtenir un tel résultat. En effet, ceux-ci auraient tout à fait pu demander à bénéficier des dispositions du point VI de l'article 232 du CGI permettant au bailleur d'être exonéré de la taxe lorsque la vacance du logement est involontaire.
Ainsi, comme l'ont souligné de nombreux parlementaires (cf notamment intervention de M Henri Chabert, JO, Déb. AN, 2e séance du 13 mai 1998, p 3788), aucune véritable justification à la différence de traitement opérée entre bailleurs par l'article 51 de la loi n'a pu être invoquée lors des débats parlementaires.
L'article 51 est enfin contraire au principe constitutionnel d'universalité budgétaire affirmé par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances :
L'article 30 de la présente loi affecte en effet à l'Agence nationale pour l'amélioration de l'habitat (ANAH) le produit de la taxe d'inhabitation.
Or, l'article 18 de cette ordonnance, qui appartient au bloc de constitutionnalité et a donc la même valeur que la Constitution elle-même, pose le principe de l'universalité budgétaire qui impose qu'aucune recette ne soit réservée au financement d'une dépense particulière. Cet article énonce en effet que « l'ensemble des recettes assurant l'exécution de l'ensemble des dépenses, toutes les recettes sont imputées à un compte unique, intitulé budget général ».
Ainsi, comme l'a notamment affirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, l'affectation d'une recette de l'Etat à une dépense particulière ne peut résulter que d'une loi de finances. Ce motif d'inconstitutionnalité de l'article 51 a d'ailleurs été évoqué lors des débats parlementaires (cf intervention du rapporteur pour avis Jacques Oudin, Sénat Déb, séance du 11 juin 1998, p 3001). Or, l'édiction de la taxe d'inhabitation a été largement justifiée, lors des débats, par son objet financier, en l'espèce l'abondement du budget de l'ANAH. Il convient donc de considérer que les dispositions du point VIII de l'article 232 du CGI créé par l'article 30 de la présente loi sont inséparables du reste du texte de cet article. En conséquence, l'irrégularité de l'affectation du produit de la taxe d'inhabitation à l'ANAH devrait à elle seule entraîner l'annulation de l'article 232 du CGI instituée par la loi, en application d'une jurisprudence constante du Conseil (cf notamment décision n° 93-328 DC du 16 décembre 1993).
Pour l'ensemble de ces motifs, les députés soussignés demandent donc au Conseil constitutionnel de déclarer la non-conformité à la Constitution de l'article 51 de la présente loi.
II. : Sur la nouvelle procédure de réquisition
avec attributaire (art 52)
Cet article crée une nouvelle procédure de réquisition dite avec attributaire à côté de celle établie par l'ordonnance n° 45-2394 du 11 octobre 1945 et insérée dans le code de la construction et de l'habitat aux articles L 641-1 à L 641-14.
Il méconnaît, d'une part, deux droits fondamentaux : le droit de propriété et la liberté individuelle au travers du droit au respect de la vie privée et à l'inviolabilité du domicile et, d'autre part, la compétence du législateur fixée par l'alinéa 16 de l'article 34 de notre Constitution et le principe affirmé par la décision n° 94-358 du 15 janvier 1995 précitée selon laquelle le législateur ne peut modifier la législation relative au logement « qu'à la seule condition de ne pas priver de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle qu'elles avaient pour objet de mettre en oeuvre ».
Le droit de propriété est clairement affirmé par plusieurs dispositions de notre bloc de constitutionnalité :
: article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 selon lequel « le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression » ;
: article 17 de la même Déclaration selon lequel « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité » ;
: article 34 de notre Constitution qui énonce quant à lui que « la loi détermine les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales ».
Si le Conseil constitutionnel a, à de nombreuses reprises, rappelé la valeur constitutionnelle de ce droit, il reconnaît, depuis sa décision du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, la possibilité d'y déroger dans certaines conditions :
« Considérant que, si postérieurement à 1789 et jusqu'à nos jours, les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont subi une évolution caractérisée à la fois par une notable extension de son champ d'application à des domaines individuels nouveaux et par des limitations exigées par l'intérêt général, les principes mêmes énoncés par la Déclaration des droits de l'homme ont pleine valeur constitutionnelle tant en ce qui concerne le caractère fondamental du droit de propriété dont la conservation constitue l'un des buts de la société politique et qui est mis au même rang que la liberté, la sûreté et la résistance à l'oppression » (considérant n° 16).
Par ailleurs, par sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (Rec. p 43), le Conseil a annulé un régime d'autorisation administrative préalable à tout transfert de propriété immobilière en se fondant sur les limitations directes portées au droit de disposer de son bien, attribut essentiel du droit de propriété :
« Les limitations ainsi portées au droit d'user librement de son bien revêtent un caractère de gravité telle que l'atteinte au droit de propriété qui en résulte dénature le sens et la portée de ce droit garanti par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen » (considérant n° 22).
Dans une espèce similaire relative à un régime d'autorisation administrative préalable portant atteinte au droit de propriété (Conseil constitutionnel n° 85-189 DC du 17 juillet 1985, Rec. p 49), le Conseil a en outre précisé qu'en ce domaine « l'administration doit fonder ses décisions, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs se référant à des fins d'intérêt général définies avec une précision suffisante ».
Si l'article 52 n'établit pas un régime d'autorisation administrative préalable mettant en cause le droit de propriété, la substitution d'un attributaire public au propriétaire légal pour une durée pouvant aller jusqu'à douze ans opérée par l'article 52 est une atteinte au droit de disposer librement de son bien et doit donc répondre aux conditions de constitutionnalité définies par les jurisprudences du Conseil de 1996 et de 1985 citées ci-dessus.
Compte tenu de ces éléments, les députés soussignés demandent au Conseil de censurer l'article 52 pour les motifs évoqués ci-dessous :
L'imprécision de la rédaction de l'article 52 doit conduire à son annulation pour incompétence négative.
La seule lecture de l'article L 642-1 qui fixe les principes généraux de ce nouveau droit de réquisition en apporte la preuve :
« Afin de garantir le droit au logement, le préfet peut réquisitionner des locaux sur lesquels une personne morale est titulaire d'un droit réel conférant l'usage de ces locaux et qui sont vacants depuis plus de dix-huit mois, dans les communes où existent d'importants déséquilibres entre l'offre et la demande de logement au détriment de personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées. »
La notion de commune où existe un important déséquilibre entre l'offre et la demande de logement n'est en aucune façon définie par la loi. Aucune indication chiffrée n'est donnée permettant d'avoir une idée du mode de calcul par l'administration de ces déséquilibres.
De plus, contrairement à l'article 51 qui s'attachait à la notion d'agglomération, l'article 52 se fonde sur des déséquilibres importants en matière de logement dans la commune alors que la politique du logement ne peut s'évaluer qu'au niveau des bassins et agglomérations. Le secrétaire d'Etat au logement l'a d'ailleurs reconnu lors des débats en affirmant son attachement à la notion de « bassin d'habitation ».
De même, la loi parle de « personnes à revenus modestes et de personnes défavorisées » sans autre précision. Elle ne donne aucune indication sur la différence de situation entre personnes et d'autres catégories de populations ou de ménages.
L'article L 642-4 se contente d'énoncer que « les locaux sont donnés à bail aux personnes justifiant de ressources inférieures à un plafond fixé par décret, et désignées par le préfet en raison de leurs mauvaises conditions de logement ». Comment va-t-on évaluer ces mauvaises conditions de logement ? Devra-t-on tenir compte de l'état des locaux, du nombre d'occupants pour un même logement, de l'éloignement du lieu de travail, l'environnement ?
Ces critères auraient dû, en vertu des dispositions de l'article 34 de la Constitution qui précise que le régime du droit de propriété relève du législateur et de la décision du Conseil n° 94-359 DC précitée, être fixés par la loi. L'imprécision de l'article 52 est donc totale. Elle conduit à ne pas déterminer avec exactitude le champ même d'application de la loi et donc de la procédure de réquisition. Compte tenu de l'atteinte grave au droit de propriété que cette procédure crée, l'article 52 doit donc être sanctionné pour incompétence négative.
Aucune précision n'est par ailleurs apportée quant aux possibilités ouvertes ou non au propriétaire du bien de contester la procédure de réquisition, notamment devant une autorité juridictionnelle.
L'article 52 permet à l'attributaire de disposer du bien réquisitionné pendant une très longue période et conduira en pratique au quasi-transfert du droit de propriété au bénéfice de l'attributaire :
En effet, la durée de la réquisition peut être portée à douze ans (art L 642-1, al 4) lorsque l'attributaire est obligé pour louer le local réquisitionné de procéder à sa mise aux normes de confort et d'habitabilité, ce qui risque de ne pas être exceptionnel.
Par ailleurs, le propriétaire ne peut exercer son droit de reprise sur ses locaux réquisitionnés qu'après un minimum de neuf ans à compter de la prise d'effet de l'arrêté de réquisition.
La nouvelle procédure de réquisition instaurée par l'article 52 de la présente loi remet en cause l'exercice par le propriétaire de ses droits sur son bien sur une période bien plus importante que celle édictée par l'ordonnance de 1945 comprise entre un et cinq ans.
Par ailleurs, l'article L 642-1, alinéa 2, précise que, à compter de l'arrêté de réquisition, l'attributaire peut décider de procéder à tous les travaux nécessaires à la location du bien réquisitionné. Il est simplement tenu d'en informer le propriétaire légal. Or, la teneur de ces travaux, leur importance ainsi que le délai prévu pour leur réalisation ne sont pas indifférents pour le titulaire du droit d'usage puisque, en vertu de l'article L 642-15, l'indemnité qui lui sera versée par l'attributaire pendant la durée de la réquisition sera amputée du montant correspondant à l'amortissement de ces travaux. Par ce dispositif de déduction des sommes correspondant à l'amortissement des travaux, il apparaît donc que c'est le titulaire du droit d'usage qui supportera le coût de la mise aux normes de son bien alors qu'il ne peut disposer de ce dernier. Ce dispositif est très différent de celui retenu par le bail à réhabilitation où le poids de l'investissement repose sur le preneur.
On peut donc s'interroger sur la constitutionnalité du dispositif de l'article 52 d'autant que celui-ci ne prévoit aucun dispositif d'indemnisation pour le quasi-transfert de propriété qu'il réalise.
L'article 52 porte, enfin, atteinte à la liberté individuelle sous ses aspects du droit à la vie privée et de l'inviolabilité du domicile :
Les articles L 642-7 à L 642-13 fixent les modalités de mise en oeuvre de la procédure de réquisition.
Le préfet pourra ainsi, en application de ces articles, commissionner des agents assermentés afin de l'assister dans la procédure de réquisition. Ces agents pourront notamment consulter les fichiers des organismes chargés de la distribution de l'eau, du gaz, de l'électricité, du téléphone « en vue de prendre connaissance des informations strictement nécessaires à la recherche de locaux vacants, à la détermination de la durée de la vacance et à l'identification du titulaire du droit d'usage sur les locaux ».
Ils peuvent aussi visiter, accompagnés le cas échéant d'experts, les locaux susceptibles d'être réquisitionnés (art L 642-7). De même, l'article L 642-8 prévoit la possibilité pour le préfet de demander aux services fiscaux de lui fournir les informations nominatives dont ils disposent sur la vacance d'un local.
L'article L 642-7 créé par l'article 52 de la présente loi permet ainsi une très large consultation de fichiers établis à d'autres fins que celles de la réquisition et porte donc manifestement atteinte à la liberté individuelle garantie par l'article 66 de la Constitution et affirmée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel n° 76-75 DC du 12 janvier 1997, Rec. p 33).
Aucune disposition n'est ainsi prévue par la présente loi pour assurer le respect de la vie privée des personnes concernées et la conservation confidentielle de ces informations. De même, aucune disposition de protection n'est prévue pour les supports informatiques ainsi consultés en totale contradiction avec les dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Or, le Conseil constitutionnel a déclaré dans sa décision relative à la loi portant maîtrise de l'immigration (n° 93-325 DC du 13 août 1993, Rec. p 224) que par cette loi, « le législateur avait entendu explicitement assurer l'application des dispositions protectrices de la liberté individuelle ». Dans une décision récente (n° 97-389 DC du 22 avril 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration (Journal officiel, Lois et décrets, du 25 avril 1997, p 6271), le Conseil a par ailleurs rappelé qu'en cas d'élaboration d'un fichier informatique (en l'espèce, fichier des certificats d'hébergement), ce fichier « serait soumis aux dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés (paragraphe 5) et que les méconnaissances graves du droit au respect de la vie privée sont pour les étrangers comme pour les nationaux de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle » (paragraphe 44). L'article L 642-7 ne répond, en aucun cas, à ces exigences de protection de la vie privée et doit donc être à ce titre considéré comme inconstitutionnel.
De même, le droit d'information du préfet par les services fiscaux porte une grave atteinte à la liberté individuelle et aux règles applicables à la consultation d'informations nominatives. L'argument invoqué à plusieurs reprises par le secrétaire d'Etat au logement, lors des débats, selon lequel les agents de l'administration fiscale sont soumis aux règles du secret professionnel sur leurs dossiers, ne suffit pas à lever les ambiguïtés touchant cette procédure.
Enfin, la possibilité pour les agents assermentés par le préfet et certains experts de visiter les locaux susceptibles d'être réquisitionnés (art L 642-7, deuxième alinéa), est également contraire à l'inviolabilité du domicile et à la liberté individuelle affirmées par l'article 66 de notre Constitution.
En effet, le Conseil a indiqué, à propos de la constitutionnalité de perquisitions destinées à la recherche d'infractions fiscales que « si les nécessités de l'action fiscale peuvent exiger que des agents du fisc soient autorisés à opérer des investigations dans les lieux privés, de telles investigations ne peuvent être conduites que dans le respect de l'article 66 de la Constitution qui confie à l'autorité judiciaire la sauvegarde de la liberté individuelle sous tous ses aspects, et notamment celui de l'inviolabilité du domicile ; que l'intervention de l'autorité judiciaire doit être prévue pour conserver à celles-ci toute la responsabilité et tout le pouvoir de contrôle qui lui reviennent ». (Conseil constitutionnel n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, Perquisitions fiscales, Rec. p 67). Plus récemment (Conseil constitutionnel n° 97-389 DC du 22 avril 1987), le Conseil a rappelé ces principes en indiquant que « la recherche des auteurs d'infractions est nécessaire à la sauvegarde de principes et droits de nature constitutionnelle ; qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, cet objectif à valeur constitutionnelle et, d'autre part, la nécessaire protection de la vie privée et l'exercice de la liberté individuelle, notamment l'inviolabilité du domicile ».
L'article 31 de la loi ne confie en aucun cas à la responsabilité d'un magistrat judiciaire le soin de mettre en oeuvre la procédure des visites des locaux susceptibles d'être réquisitionnés mais à une autorité administrative, le préfet ou ses agents assermentés. Il ne prévoit pas non plus les garanties minimales exigées par la jurisprudence constante du Conseil relative à la propriété privée et à la liberté individuelle qui sont, selon les termes de la décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 (Rec. p 94), la remise d'un procès-verbal à la personne visitée de façon à « garantir la sincérité des constatations faites et à l'identification de certaines pièces saisies lors des visites ». Il convient d'ailleurs de signaler que l'accord de la personne visitée ne remet pas en cause l'obligation de respecter les garanties précitées.
L'article 52 porte atteinte au principe d'égalité devant la loi :
La création par la présente loi d'une procédure de réquisition dite « avec attributaire » n'a pas entraîné la suppression de la procédure de réquisition instituée par l'ordonnance du 11 octobre 1945.
La création de deux types de réquisition fondés sur des critères différents risque en effet d'entraîner d'importantes ruptures d'égalité.
En effet, si l'objectif général de ces deux procédures est proche, ainsi que les publics concernés, leur modalité d'application comporte des différences évidentes tant sur le plan des locaux pouvant faire l'objet de la réquisition que sur le plan des personnes possédant des biens susceptibles d'être réquisitionnés.
Par ailleurs, alors que l'ordonnance de 1945 prévoit une durée de la réquisition de cinq ans maximum éventuellement étendue de deux années supplémentaires en vertu de l'article L 641-1, alinéa 4, la réquisition avec attributaire peut, elle, aller d'un an au moins à six ans au plus, voir douze ans en cas de travaux de mise aux normes réalisés à l'initiative de l'attributaire (art L 642-5).
Le maintien de deux procédures parallèles de réquisition ayant un objectif identique risque donc de créer d'importantes inégalités entre les propriétaires des biens réquisitionnés.
Aussi compte tenu de la gravité des atteintes ainsi portées au droit de propriété et à la liberté individuelle qui ont été largement évoquées lors des débats parlementaires (cf notamment l'exception d'irrecevabilité défendue par M François Goulard, JO, Déb. AN, 2e séance du 30 juin 1998, p 5542 à 5546) et compte tenu de l'importance de cette procédure d'identification des logements vacants susceptibles d'être réquisitionnés, les dispositions des articles L 642-7 et L 642-8 sont inséparables des dispositions des autres articles du code de la construction et de l'habitation créés par l'article 52 de la présente loi. En conséquence, l'article 52 doit être déclaré inconstitutionnel.
III. : Obligation d'acquisition d'un bien immobilier au prix fixé par le juge de l'exécution, en cas d'absence constatée d'enchères, à l'encontre du créancier du propriétaire d'un bien (art 107) :
Cet article prévoit en effet qu'à défaut d'enchères lors de l'adjudication d'un bien d'une personne surendettée le poursuivant se voit d'office déclaré acquéreur du bien au prix fixé par le juge.
La création d'une telle obligation sans contrepartie financière porte manifestement atteinte au droit de propriété. En effet, les avantages liés à la détention d'une sûreté réelle par le créancier poursuivant ont un caractère patrimonial évident.
Or, en vertu d'une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel depuis sa décision du 16 janvier 1982 sur la loi de nationalisation, l'atteinte ainsi portée au droit de propriété est inconstitutionnelle si elle entraîne une rupture d'égalité injustifiée entre les propriétaires concernés.
Dans sa décision du 13 décembre 1985 relative à l'édiction par le législateur d'un régime de servitudes administratives opposées à des propriétaires privés en matière de transmission hertzienne, le Conseil constitutionnel a rappelé que le principe d'égalité devant les charges publiques ne saurait permettre d'exclure du droit à réparation (dû au propriétaire) « un élément quelconque du préjudice indemnisable résultant des travaux ou de l'ouvrage public en cause ».
Par ailleurs, le Conseil a, dans sa décision du 16 janvier 1986 relative à la loi limitant les possibilités de cumul des pensions de retraite et des revenus d'activités (Rec. p 9), précisé que « si le principe ainsi énoncé (l'égale répartition de la »contribution commune« entre les citoyens affirmée par l'article 13 de la Déclaration de 1789) n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée du principe de l'égalité devant les charges publiques ».
Or, l'article 107 fait peser sur le créancier poursuivant une obligation de rachat à un prix qu'il n'a pas lui-même fixé, d'un bien afin de répondre à un objectif de solidarité nationale affirmé par le législateur : la lutte contre l'exclusion. Par là même, le législateur transfère sur ce créancier l'obligation faite à l'Etat et aux pouvoirs publics de lutter contre les facteurs d'exclusion que peut engendrer une situation de surendettement. Il paraît donc légitime de considérer comme le fait d'ailleurs traditionnellement la jurisprudence administrative depuis l'arrêt du Conseil d'Etat Couitéas du 20 novembre 1923 (Rec. Lebon, p 789) que le législateur fait, en l'espèce, supporter au créancier de la personne surendettée un préjudice spécial et anormal qui rompt l'égalité devant les charges publiques et qu'en conséquence le législateur aurait dû prévoir une procédure d'indemnisation générale du créancier pour l'atteinte ainsi portée à un élément fondamental de son patrimoine.
L'article 107, ne prévoyant aucun mécanisme d'indemnisation du créancier, doit donc être déclaré inconstitutionnel.
IV. : L'obligation faite au préfet de proposer une solution
d'hébergement à la personne expulsée (art 119)
Cet article dispose en effet que :
" Art L 613-6 -
Lorsque le représentant de l'Etat dans le département accorde le concours de la force publique, il s'assure qu'une offre d'hébergement tenant compte, autant qu'il est possible, de la cellule familiale est proposée aux personnes expulsées. "
Cet article, par l'imprécision des termes utilisés, porte manifestement atteinte à l'autorité de la chose jugée et doit donc être considéré comme contraire au principe de séparation des pouvoirs.
En effet, le législateur a dans la rédaction de cet article par le terme « lorsque » implicitement imposé une relation de cause à effet entre l'octroi de la force publique nécessaire à l'expulsion et l'offre d'hébergement.
Il paraît donc évident que cet article imposera au préfet, avant toute décision concernant l'octroi du concours de la force publique au propriétaire justifiant d'un jugement définitif d'expulsion, de proposer une offre d'hébergement ou au minimum de s'être informé des possibilités d'hébergement de la personne expulsée.
Or, selon une jurisprudence constante depuis sa décision n° 80-119 DC du 22 juillet 1980 relative à la loi portant validation d'actes administratifs (Rec, p 46), le Conseil sanctionne les atteintes portées par le législateur au principe constitutionnel de séparation des pouvoirs :
« Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 64 de la Constitution en ce qui concerne l'autorité judiciaire, et des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, en ce qui concerne, depuis la loi du 24 mai 1872, la juridiction administrative, que l'indépendance des juridictions est garantie ainsi que le caractère spécifique de leur fonction sur lesquelles ne peuvent empiéter ni le législateur ni le gouvernement ; qu'ainsi il n'appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d'adresser à celles-ci des injonctions et de substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence. »
En soumettant, par l'article 107 de la présente loi, l'octroi du concours de la force publique par le préfet à la réalisation préalable d'une démarche administrative tendant à l'hébergement de la personne expulsée, le législateur porte atteinte à la force exécutoire des décisions de justice.
Or, les décisions de justice s'exercent de plano, c'est-à-dire sans condition. L'article 107 porte donc atteinte au principe de séparation des pouvoirs et doit, pour cette raison, être déclaré inconstitutionnel.
V : Irrégularité dans l'exercice du droit d'amendement
(art 152)
L'article 152 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions n'a pas été adopté en conformité avec les règles constitutionnelles de la procédure législative, et notamment celles encadrant le droit d'amendement.
Cet article, qui substitue au Conseil supérieur de l'emploi, des revenus et des coûts institué par l'article 78 de la loi n° 93-1313 du 20 décembre 1993 quinquennale relative au travail, à l'emploi et à la formation professionnelle un conseil de l'emploi, des revenus et de la cohésion sociale, a été adopté par l'Assemblée nationale lors de la deuxième lecture de la présente loi (3e séance du mercredi 1er juillet 1998) et donc après l'échec de la commission mixte paritaire sur ce texte.
Or, selon une jurisprudence constante affirmée au milieu des années 80 (par exemple, décision n° 89-251 DC du 12 janvier 1989, Rec. p 12) et que le Conseil vient de réaffirmer avec force dans sa décision relative à la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 portant diverses dispositions d'ordre économique et financier (n° 98-402 DC du 25 juin 1998, JO, Lois et décrets, du 3 juillet 1998, p 10147), le droit d'amendement après l'échec de la commission paritaire est encadré dans certaines conditions :
« Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des articles 39, 44 et 45 de la Constitution que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative, peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, il ressort de l'économie de l'article 45 que des adjonctions ne sauraient, en principe, être apportées au texte soumis aux délibérations des assemblées après la réunion de la commission mixte paritaire ; qu'en effet, s'il en était ainsi, des mesures nouvelles pourraient être adoptées sans avoir fait l'objet d'un examen lors des lectures antérieures à la réunion de la commission mixte paritaire et, en cas de désaccord entre les assemblées, sans être soumises à la procédure de conciliation confiée par l'article 45 de la Constitution à la commission.
» Considérant que, à la lumière de ce principe, les seuls amendements susceptibles d'être adoptés à ce stade de la procédure doivent soit être en relation directe avec une disposition du texte en discussion, soit être dictés par la nécessité d'assurer une coordination avec d'autres textes en cours d'examen devant le Parlement. "
L'article 152 de la loi ne répond en aucun cas à l'une ou l'autre de ces conditions de constitutionnalité. Il ne peut, au seul motif que le centre ainsi créé a compétence pour contribuer à la connaissance des revenus, des inégalités sociales et des liens entre l'emploi, les revenus et la cohésion sociale, être considéré comme ayant un lien direct avec une disposition du texte. La preuve en est d'ailleurs l'absence de toute justification lors de sa présentation en séance publique, par son auteur d'un quelconque lien réel avec l'objet de la présente loi.
L'argument selon lequel l'adoption après la réunion de la commission mixte paritaire est liée à la nécessaire coordination des textes en cours d'examen devant le Parlement ne peut lui non plus être à bon droit invoqué en l'espèce.
Enfin, il convient de préciser que le détournement manifeste de procédure opéré par l'adoption tardive de cet amendement a été implicitement reconnu par le Gouvernement. En effet, lors des débats en séance, le secrétaire d'Etat à la santé, appelé par le président de séance, a donné l'opinion du Gouvernement sur cet amendement, a déclaré que « l'avis (du Gouvernement) était d'autant plus favorable que la consultation des partenaires sociaux a eu lieu depuis la première lecture » (compte rendu analytique des débats de l'Assemblée nationale, 3e séance du 1er juillet 1998, p 28). Il paraît donc légitime de considérer que cet amendement aurait pu être présenté à la commission mixte paritaire et que son adoption a ainsi méconnu les articles 39, 44 et 45 de notre Constitution.
Les députés soussignés demandent en conséquence au Conseil de censurer l'article 152 de la présente loi.