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Décision n° 98-402 DC du 25 juin 1998 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES :
Les députés soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier, telle qu'elle a été définitivement adoptée le 3 juin dernier. Ils lui demandent de décider que la loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.
I : Sur l'article 51
Cet article tend à ouvrir le capital de la Compagnie nationale Air France. Il dispose notamment que l'Etat est autorisé à céder gratuitement des actions de la société Air France aux salariés de cette société qui auront consenti à des réductions de leurs salaires, renvoyant à un accord collectif de travail la fixation du niveau et des modalités de ces réductions.
Il appartenait au législateur de fixer un plafond maximum de réduction de salaire. En refusant de fixer ce montant, et par voie de conséquence en admettant la possibilité d'une disparition pure et simple du salaire comme contrepartie d'un travail fourni, le législateur a méconnu la compétence qui lui est reconnue par l'article 34 de la Constitution pour fixer les principes fondamentaux du droit du travail.
II. : Sur l'article 63
Cet article définit des critères de localisation pour l'immatriculation de certaines catégories de véhicules.
Sur ce point, il semble tout d'abord que l'article 72 de la Constitution relatif à la libre administration des collectivités locales ait été méconnu. Ainsi que vous l'avez déjà jugé (décision n° 90-274 DC, 29 mai 1990), s'il appartient au législateur de déterminer les limites à l'intérieur desquelles une collectivité territoriale peut être habilitée à fixer elle-même le taux d'une imposition établie en vue de pourvoir à ses dépenses, les règles posées par la loi ne sauraient avoir pour effet de restreindre les ressources fiscales des collectivités territoriales au point d'entraver leur libre administration. Le critère du lieu d'immatriculation des véhicules loués aura en effet des incidences non seulement sur le produit des vignettes automobiles, mais également sur celui des cartes grises et, plus encore, sur le montant de la taxe professionnelle payée sur les véhicules de location et versé aux collectivités locales.
Il apparaît en second lieu que cet article est contraire au principe de la libre circulation des biens et des services à l'intérieur de l'Union européenne, dans la mesure où, si le lieu de la première immatriculation est à l'étranger, on aboutit à l'impossibilité d'immatriculer ledit véhicule.
Actuellement, par ailleurs, ce sont les sociétés automobiles qui immatriculent pour le compte des entreprises de location qui leur achètent des véhicules. Avec le dispositif adopté par le Parlement, les entreprises de location devront immatriculer un véhicule dans un endroit qu'elles ignorent, puisque celui-ci n'aura pas encore été mis en location. Cette disposition est en fait inapplicable. En matière de procédure administrative, la doctrine comme les juridictions administratives retiennent la théorie dite de la « formalité impossible », comme une application du principe selon lequel « à l'impossible nul n'est tenu ». Les requérants demandent au Conseil constitutionnel de censurer une disposition normative contraignant un sujet de droit à l'accomplissement d'une formalité par nature impossible.
III. : Sur l'article 72
Ainsi que vous l'avez jugé (décision n° 95-369 DC, 28 décembre 1995), si le législateur a la faculté d'user de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de valider à la suite d'une intervention d'une décision passée en force de chose jugée et dans le respect de cette dernière des actes administratifs, il ne peut le faire qu'en considération de motifs d'intérêt général que la seule considération d'intérêt financier ne constitue pas un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue. La motivation financière, seule, ne suffit donc pas, et doit être relayée par des incidences macro-économiques notamment, telles que " les risques considérables pour l'équilibre du système bancaire dans son ensemble et, partant, pour l'activité économique générale (décision n° 96-375 DC, 9 avril 1996).
Cet article, en ce qu'il valide, s'agissant de l'article 72, des protocoles d'accord et des conventions signées par l'Etablissement public pour l'aménagement de la défense avec la société SNC C ur Défense, d'une part, et la société Centre des nouvelles industries et technologies, d'autre part, méconnaît cette jurisprudence.
En outre, une loi de validation ne saurait, par ses conséquences, porter atteinte au droit de propriété de sociétés qui auraient versé indûment des participations financières dans le cadre de conventions annulées par le juge judiciaire ou administratif, les empêchant ainsi de mettre en mouvement toute action en répétition de l'indû.
IV. : Sur l'article 114
En validant les taux des redevances aéroportuaires et les titres de perception émis au titre de la redevance pour services terminaux de la circulation aérienne, l'article 114 méconnaît, dans les mêmes conditions que pour l'article 72, la jurisprudence citée ci-dessus.
Pour ces motifs et pour tout autre que les auteurs de la présente saisine se réservent d'invoquer et de développer, il sera demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.