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Décision n° 98-399 DC du 5 mai 1998 - Saisine par 60 députés

Loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES :
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile, telle qu'elle a été définitivement adoptée le 8 avril 1998. Ils demandent au Conseil constitutionnel de décider que la loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs développés ci-dessous.
I : Sur l'article 1er :
Le I de l'article 1er prévoit les cas dans lesquels le refus de visa n'est pas motivé par l'autorité administrative, par dérogation aux dispositions de la loi du 11 juillet 1979.
Il apparaît que la distinction des enfants de moins de vingt et un ans institue une discrimination nouvelle non fondée par des considérations particulières. Les parlementaires soussignés avaient d'ailleurs proposé de retenir le seuil traditionnel de dix-huit ans.
A cet égard, la disposition en cause méconnaît le principe d'égalité devant la loi, constamment rappelé par vos décisions antérieures lorsqu'une inégalité de traitement n'est pas justifiée par des situations objectivement différentes (décision n° 87-232 du 7 janvier 1988, Mutualisation de la Caisse nationale de crédit agricole) ou par l'intérêt général (décision n° 82-132 du 16 janvier 1982, Loi de nationalisation).
II. : Sur l'article 13 :
Cet article ajoute un alinéa à l'article 21 ter de l'ordonnance du 2 novembre 1945.
L'article 21 ter de l'ordonnance prévoit que les personnes morales peuvent être déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l'article 121-2 du code pénal, de l'infraction à l'article 21 de l'ordonnance, qui punit « toute personne qui, alors qu'elle se trouvait en France, aura, par aide directe ou indirecte, facilité ou tenté de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger » de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 200 000 F.
L'article 13 de la loi déférée prévoit que ces dispositions ne sont pas applicables « aux associations à but non lucratif à vocation humanitaire, dont la liste est fixée par arrêté du ministre de l'intérieur, et aux fondations, lorsqu'elles apportent, conformément à leur objet, aide et assistance à un étranger séjournant irrégulièrement en France ».
Ainsi, cet article immunise certaines associations de l'infraction d'aide au séjour irrégulier.
Or la liberté d'association a été reconnue comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la décision n° 71-44 DC du 16 juillet 1971. Liberté constitutionnelle, la liberté d'association implique que le législateur ne peut soumettre à aucun contrôle préalable, administratif ou judiciaire, la constitution d'associations.
L'article 34 de la Constitution dispose que « la loi fixe les règles concernant les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ». Il apparaît donc que la liberté d'association fait partie des garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques et qu'en conséquence seul le législateur peut réglementer dans la limite du principe la vie des associations.
C'est pourquoi la disposition renvoyant à un arrêté du ministre de l'intérieur la liste des associations « à but non lucratif à vocation humanitaire » qui bénéficieraient de l'immunité nous semble contraire à l'article 34 de la Constitution et au principe de liberté d'association. En effet, dans la mesure où l'incrimination pénale est par définition une atteinte à la liberté d'association, il semble que le pouvoir réglementaire soit incompétent pour décider quelles associations seraient exemptées de cette incrimination. Cette disposition est donc non conforme à la Constitution.
En outre, cette disposition, qui opère une discrimination entre des associations sur la base d'un critère dénué de toute valeur normative, semble contraire au principe d'égalité devant la loi contenu à l'article VI de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et solennellement réaffirmé par le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958.
A ce titre aussi, l'article 13 doit être déclaré non conforme à la Constitution.
III. : Sur l'article 29 :
Cet article remplace l'alinéa 2 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 portant création d'un Office français de protection des réfugiés et apatrides. L'article reconnaît la qualité de réfugié à « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » ainsi qu'à toute personne sur laquelle le haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés exerce son mandat aux termes des articles 6 et 7 de son statut tel qu'adopté par l'Assemblée générale des Nations unies le 14 décembre 1950 ou qui répond aux définitions de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.
Toutes les personnes visées à cet article sont régies par les dispositions applicables aux réfugiés en vertu de la convention de Genève.
Cet article opère une confusion entre les notions d'asile constitutionnel et d'asile au sens de la convention de Genève, ce qui aura pour conséquence un affaiblissement du statut de réfugié au sens de la convention de Genève.
En effet, le projet de loi prévoit que les demandes d'asile des combattants pour la liberté seront examinées suivant la procédure établie par la loi du 25 juillet 1952 mettant en oeuvre les dispositions de la convention de Genève de 1951. Ainsi, le projet va introduire en droit interne une instance de jugement qui comprendra un représentant d'une organisation internationale, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides, et la commission de recours comme instance d'appel.
La commission des recours est une instance juridictionnelle unique en France, où siègent, à côté d'un membre de la juridiction administrative ou de la juridiction des comptes et d'un représentant des ministères siégeant au conseil d'administration de l'OFPRA, un représentant du haut-commissariat aux Nations unies pour les réfugiés, le HCR. Cela est logique dans la mesure où le HCR est le gardien de la convention de Genève et, aux termes de l'article 35 de la convention, les Etats membres doivent coopérer avec lui. Cette exigence de coopération est reprise à l'article 2 de la loi du 25 juillet 1952. La spécificité de la convention de Genève justifie en effet l'existence d'un juge spécial et d'une procédure particulière.
Cette mission risque de changer de nature avec la référence faite aux étrangers susceptibles de relever du préambule de la Constitution de 1946 dans le champ des personnes éligibles au statut de réfugié.
Des juges étrangers vont donc avoir à interpréter la Constitution, et cela au nom du peuple français. Cette disposition est inconstitutionnelle pour deux raisons :
D'une part, l'article 55 de la Constitution et la hiérarchie des normes sont méconnus. En effet, aucune stipulation de la convention de Genève n'autorise le HCR à se réclamer du préambule de la Constitution de 1946 pour reconnaître à un requérant le statut de réfugié. De plus, le second alinéa de l'article 29 du projet de loi garantit aux requérants invoquant le préambule le bénéfice du statut de réfugié issu de la convention de Genève ; or, la convention ne faisant nullement référence au préambule, il semble difficile de créer des droits en faveur de personnes relevant du préambule sur la base de la convention de Genève ;
D'autre part, l'article 29 est contraire aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Il permettra en effet à un juge étranger, celui du HCR, d'interpréter une disposition de la Constitution, de manière contraire à notre tradition républicaine.
Or l'article 454 du code de procédure civile prévoit que les jugements sont rendus « au nom du peuple français ». Il s'agit d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République dans la mesure où cette formule se trouve à l'article 61 de la Constitution de 1793 et dans l'article 81 de la Constitution de 1848. D'après votre jurisprudence, un principe fondamental reconnu par les lois de la République est un principe posé par le législateur, qui a reçu application avec une constance suffisante avant la Constitution du 27 octobre 1946. En méconnaissant ce principe, le législateur a violé une composante du bloc de constitutionnalité.
A ce titre, l'article 29 est contraire à la Constitution.
Pour ces motifs et pour tout autre que les auteurs de la présente saisine se réservent d'invoquer et de développer, il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution la loi relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile.