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Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997 - Observations du gouvernement

Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998
Conformité

Observations du Gouvernement en réponse aux saisines du Conseil constitutionnel en date des 3 et 4 décembre 1997 par plus de soixante députés et plus de soixante sénateurs :
La loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, adoptée le 2 décembre 1997, a été déférée au Conseil constitutionnel par plus de soixante députés ainsi que par plus de soixante sénateurs. Pour contester ce texte, les auteurs des saisines invoquent huit séries de griefs qui appellent, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur la procédure d'adoption de la loi
A : A l'appui de leurs conclusions tendant à faire déclarer l'ensemble de la loi contraire à la Constitution, les députés, auteurs de la première saisine, soutiennent qu'elle a été votée selon une procédure non conforme aux exigences constitutionnelles. Ils font valoir que les documents annexés au projet de loi n'auraient pas été mis à la disposition des députés dans les délais prescrits.
Ils en déduisent qu'ont été méconnues les prescriptions de la loi organique du 22 juillet 1996, et plus précisément celles qui ont été insérées à l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale, aux termes desquelles les annexes prévues à l'article LO 111-4 doivent être déposées sur le bureau de l'assemblée « au plus tard le 15 octobre ».
B : Contrairement à ce qu'ils soutiennent, la procédure d'adoption de la loi ne peut être considérée comme irrégulière. Non seulement le Gouvernement a respecté la date limite de dépôt du projet de loi, du rapport et des annexes prévues par l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale, mais il a fait en sorte que les députés disposent du projet de loi et du rapport annexé avant même que les délais constitutionnels d'examen de ce texte ne commencent à courir.
Il importe en effet de souligner que l'article LO 111-6 du code de la sécurité sociale dispose que le projet de loi de financement de la sécurité sociale de l'année, y compris le rapport et les annexes, est déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale au plus tard le 15 octobre ou, si cette date est un jour férié, le premier jour ouvrable qui suit. Ainsi, et à la différence de l'article 38 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 prescrivant que les projets de lois de finances doivent être déposés et distribués avant une date fixe, l'article LO 111-6 ne prévoit qu'une obligation de dépôt pour les projets de loi de financement de la sécurité sociale et ne vise en aucune manière leur distribution.
Conscient néanmoins de la nécessité d'assurer l'information des parlementaires, le Gouvernement a souhaité leur permettre de disposer dans les meilleurs délais du texte du projet de loi et du rapport annexé. Ces documents ont donc été déposés dès le 8 octobre sur le bureau de l'Assemblée nationale, ce qui a permis leur mise en distribution le 13 octobre, comme en atteste le document parlementaire lui-même.
Les annexes prévues au II de l'article LO 111-4 du code de la sécurité sociale ont, elles, été déposées le 15 octobre. Les délais fixés par l'article 47-1 de la Constitution ont donc commencé à courir à compter de cette date, alors que le projet de loi et son rapport étaient déjà distribués depuis deux jours.
Par ailleurs, et contrairement à ce qu'affirment les auteurs de la saisine, l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale en séance publique n'a pas commencé le 21 octobre mais seulement le 27 octobre. On relèvera en outre que le feuilleton de l'Assemblée nationale du 16 octobre indique, comme le reconnaissent les auteurs de la saisine, la mise en distribution des annexes à la date du 15 octobre. En admettant même qu'un délai de six jours se soit écoulé avant que soit effective la distribution de ces documents à l'ensemble des députés, il n'aurait en aucune manière privé ces derniers de leurs prérogatives en matière d'examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale.
Or, et ainsi que le juge le Conseil constitutionnel s'agissant de la question, analogue, du dépôt des annexes à la loi de finances, l'essentiel est que le Parlement n'ait pas été privé « de l'information à laquelle il a droit pendant toute la durée du délai dont il dispose pour l'examen de la loi » (n° 82-154 DC du 29 décembre 1982).
Tel a bien été le cas en l'espèce : la référence faite par les rapports des commissions à ces documents, la teneur des débats en séance publique et le nombre d'amendements examinés, qui étaient recevables jusqu'à l'ouverture de la discussion générale en séance publique, soit le 27 octobre dans l'après-midi, témoignent du caractère suffisant de l'information mise à la disposition des députés.
II. : Sur le rattachement de certaines dispositions
au domaine des lois de financement de la sécurité sociale
A : Selon les députés auteurs de la première saisine, trois articles de la loi adoptée auraient été insérés en méconnaissance des dispositions régissant le domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Tel serait d'abord le cas de l'article 21 relatif au montant de la base mensuelle de calcul des allocations familiales au titre des années 1996 et 1997. Il en irait de même pour l'article 27, qui tend à valider la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991.
Enfin, les saisissants estiment qu'est également étranger au domaine des lois de financement l'article 31 relatif à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES).
A l'appui de leurs conclusions dirigées contre ces dispositions, les requérants font essentiellement valoir qu'elles ont été adoptées en méconnaissance des prescriptions de l'article LO 111-3, dont le III prévoit que la loi de financement ne peut contenir, outre celles prévues au I du même article, que des dispositions « affectant directement l'équilibre financier » des régimes ou « améliorant le contrôle du Parlement sur l'application » de ces lois.
B : Ce grief ne peut être accueilli.
1. S'agissant de l'étendue du domaine des lois de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement entend, à titre liminaire, souligner les limites que rencontre inévitablement l'exercice de transposition des règles dégagées en matière de loi de finances, auquel se livrent les saisissants.
Il est exact que la notion d'affectation directe de l'équilibre fait a priori obstacle à que soient insérées dans la loi des dispositions qui n'auraient pas d'incidence certaine sur l'équilibre présenté. Mais, en admettant même que la définition ainsi donnée par le législateur organique doive s'interpréter, compte tenu des termes de la Constitution, comme devant concerner les « conditions générales de l'équilibre financier » de la sécurité sociale, il importe de tenir compte des différences de nature et de structure entre le budget de l'Etat et les comptes sociaux tels qu'ils sont présentés par la loi de financement de la sécurité sociale.
Alors que le premier constitue un ensemble de comptes homogènes, qui sont agrégés en recettes et en dépenses dans un « tableau d'équilibre » faisant apparaître un solde général ayant un sens comptable précis, il en va différemment pour la loi de financement de la sécurité sociale, qui ne comporte pas, quant à elle, d'état agrégé. Elle retrace les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses selon une présentation qui est logique, mais qui traduit le fait que les termes « la sécurité sociale » recouvrent un ensemble de régimes gérés par des personnes morales indépendantes les unes des autres, dont les dépenses et les recettes ne sont ni substituables ni fongibles : la loi de financement de la sécurité sociale n'est pas gouvernée, comme l'est le budget de l'Etat, par un principe d'unité.
Aussi la recherche de l'équilibre financier de la sécurité sociale prend-elle le plus souvent la forme de mesures ou d'ensemble de mesures concernant tel ou tel régime, voire telle ou telle branche, et plus rarement celle de mesures générales comme en connaît la politique budgétaire. Cette spécificité fait obstacle à ce que les conditions de l'équilibre financier de la sécurité sociale soient appréciées de manière globale : c'est plutôt au regard du solde de chacun des régimes que doit être évalué l'impact des dispositions de la loi.
2. Au regard de ces principes, le Gouvernement considère que les articles critiqués ont bien leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
a) S'agissant en premier lieu de l'article 21 relatif au montant de la base mensuelle de calcul des allocations familiales (BMAF) au titre des années 1996 et 1997, on observera d'abord que la question de la recevabilité de l'amendement qui est à l'origine de cette disposition n'a pas été débattue dans les conditions qu'implique le dernier alinéa de l'article LO 111-3, c'est-à-dire selon les formes définies par l'article 121-2 du règlement de l'Assemblée nationale (voir en ce sens la décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996).
Les requérants ne peuvent donc soumettre directement cette question au Conseil constitutionnel.
Subsidiairement, il y a lieu de souligner que l'article 21 a pour objet d'éviter que le contentieux relatif à la revalorisation, pour 1995, des bases mensuelles de calcul des allocations familiales mentionnée à l'article L 551-1 du code de la sécurité sociale n'ait, pour les années suivantes, des répercussions préjudiciables à l'équilibre de la branche famille. A défaut, la répercussion sur les années 1996 et 1997 du rattrapage opéré pour 1995 aurait eu un coût de l'ordre de 3,5 milliards de francs.
Il est clair qu'une telle mesure est de nature à affecter directement l'équilibre financier de la branche famille. Comme telle, elle pouvait être insérée dans la loi de financement de la sécurité sociale, en application de l'article LO 111-3.
b) En deuxième lieu, l'article 27, qui tend à valider la cotation des actes de scanographie passés depuis 1991, a pour objet d'éviter que l'annulation par le Conseil d'Etat des décisions réglementaires portant tarification des actes de scanographie n'ait des conséquences préjudiciables sur l'équilibre des régimes d'assurance maladie.
L'impact de cette mesure pouvant être évalué à 660 millions de francs, il est difficile de ne pas y voir une disposition « affectant directement l'équilibre financier » de ces régimes, au sens de l'article LO 111-3.
c) En troisième lieu, l'article 31 relatif à la durée de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (CADES) n'est pas davantage étranger au domaine des lois de financement.
Cet article constitue l'un des éléments essentiels d'un plan de redressement tendant à garantir le retour à l'équilibre des comptes du régime général en 1999. Il a pour objet de transférer à la CADES le refinancement de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (75 milliards de francs de dette cumulée au titre des exercices 1996 et 1997) et le préfinancement du déficit prévisionnel de l'exercice 1998 (12 milliards de francs), soit un montant total de 87 milliards de francs. Cette reprise de dette permet de diminuer de 3 milliards les dépenses du régime général, au titre des charges financières, et donc les objectifs de dépense figurant à l'article 28 de la loi adoptée.
Corrélativement, cet article définit les modalités de répartition, entre les différentes caisses nationales de sécurité sociale, des sommes correspondant au remboursement, par la CADES, du prêt consenti par la Caisse des dépôts et consignations à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale.
Il tire enfin les conséquences de ces mesures en allongeant la durée de vie de la CADES de cinq ans. Corrélativement, la perception de la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), dont le taux et l'assiette sont inchangés, sera prolongée de janvier 2009 à janvier 2014.
Sans doute est-il exact que, prises isolément, les dispositions concernant le financement de cet établissement public ne se rattachent pas directement au domaine défini par l'article LO 111-3.
Mais, ainsi qu'il ressort de la décision n° 96-384 DC du 19 décembre 1996 à propos des modalités de recouvrement de la contribution sociale généralisée, des dispositions qui, en elles-mêmes, seraient étrangères au domaine des lois de financement, y ont néanmoins leur place lorsqu'elles constituent, avec d'autres dispositions qui en relèvent, les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble.
Tel est bien le cas des dispositions critiquées, dès lors qu'elles ne font que tirer les conséquences, au regard du nécessaire équilibre des ressources et des charges de la CADES et de la préservation de sa crédibilité d'emprunteur, du transfert de la dette de l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale correspondant, notamment, au déficit prévisionnel pour 1998.
On soulignera, à cet égard, que l'équilibre financier de la CADES s'apprécie non pas annuellement, mais sur l'ensemble de sa durée de vie, nécessaire à l'amortissement de la dette sociale. En accroissant la durée de perception de la CRDS de cinq ans, la loi augmente bien les ressources de la CADES de telle manière qu'elles équilibrent ses dépenses sur sa nouvelle durée de vie.
L'allongement de la durée de vie de la CADES et de la durée de perception de la CRDS constituent ainsi la contrepartie indissociable du transfert de la dette, lequel se rattache, quant à lui, directement au domaine défini par l'article LO 111-3.
On peut enfin rappeler que, dans le domaine des lois de finances, le Conseil constitutionnel a considéré à plusieurs reprises que pouvait être admise l'insertion de dispositions qui constituent les éléments indivisibles d'un dispositif d'ensemble « qui a pour objet d'alléger les charges de l'Etat » (décision n° 85-201 DC du 28 décembre 1985) ou « visant à satisfaire un besoin de financement de l'Etat » (décision n° 95-371 DC du 29 décembre 1995).
III. : Sur le respect des principes régissant
les validations législatives
A : Selon les députés auteurs de la première saisine, les validations opérées par l'article 21, relatif aux bases mensuelles de calcul des allocations familiales pour 1996 et 1997 et l'article 27, validant la cotation des actes de scanographie, méconnaîtraient les principes dégagés en la matière par le Conseil constitutionnel.
Les requérants rappellent qu'aux yeux du Conseil constitutionnel, la seule considération d'un intérêt financier ne constitue pas « un motif d'intérêt général autorisant le législateur à faire obstacle aux effets d'une décision de justice déjà intervenue et, le cas échéant, d'autres à intervenir » (n° 95-369 DC du 28 décembre 1995).
Ils en déduisent que les validations opérées par les articles 21 et 27 sont, compte tenu de leur objet, contraires à la Constitution.
B : Le Conseil ne pourra faire sienne cette argumentation.
Contrairement à ce que soutiennent les requérants, et comme le montre en dernier lieu la décision n° 97-390 DC du 19 novembre 1997, la circonstance qu'une validation poursuive un intérêt financier ne fait évidemment pas obstacle, par elle-même, à ce que le Conseil constitutionnel admette sa conformité à la Constitution.
Or, en adoptant par la loi constitutionnelle du 22 février 1996 les dispositions figurant à l'antépénultième alinéa de l'article 34 et à l'article 47-1, le constituant a entendu faire de l'équilibre financier de la sécurité sociale un objectif de valeur constitutionnelle.
Dès lors, des mesures justifiées par le souci de prévenir un risque contentieux dont la réalisation aurait des conséquences particulièrement préjudiciables au rétablissement de cet équilibre doivent être regardées comme présentant le caractère d'intérêt général qu'exige la jurisprudence pour une intervention rétroactive du législateur.
1. S'agissant plus particulièrement de l'article 21, relatif aux BMAF pour 1996 et 1997, la mesure contestée permet d'éviter des revalorisations dont le coût immédiat serait de 3,5 milliards de francs pour les années 1996 à 1998 et viendrait aggraver, à due concurrence, le déficit de la branche famille. Un tel montant représenterait plus que le doublement du déficit prévu par la loi de financement de la sécurité sociale pour la branche famille.
Conformément aux dispositions de l'article 2 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996, prise en application de la loi d'habilitation n° 95-1348 du 30 décembre 1995, la BMAF avait été fixée à 2 078,79 F pour la période du 1er janvier 1996 au 31 décembre 1996. Pour 1997, la revalorisation s'est opérée par référence à cette base.
Le Conseil d'Etat ayant annulé, par deux décisions du 28 juin 1997, le refus de revalorisation de la base mensuelle de calcul des allocations familiales pour 1995, le Gouvernement a tiré les conséquences de la chose ainsi jugée, en procédant à cette revalorisation, qui va entraîner des rappels à la charge des caisses d'allocations familiales.
Sans doute le Conseil d'Etat avait-il, par ailleurs, rejeté les conclusions similaires qui lui étaient soumises au titre de 1996.
Mais il n'était saisi que d'un moyen tendant à faire échec au blocage légalement prévu par l'ordonnance du 24 janvier 1996. Revêtue sur ce point de la seule autorité relative de la chose jugée, sa décision ne mettait pas le Gouvernement à l'abri d'un contentieux tendant à ce que les bases applicables en 1996 et 1997 soient corrigées pour tenir compte de la rectification opérée, au titre de 1995, en exécution de la décision du juge administratif.
Aussi a-t-il semblé nécessaire de couper court à toute incertitude en invitant le législateur à confirmer lui-même, de manière rétroactive, le niveau fixé pour les deux années suivantes.
2. La validation opérée par l'article 27 est tout aussi conforme à la Constitution.
Elle a pour origine l'annulation, par une décision du Conseil d'Etat du 4 mars 1996, de deux textes :
: un arrêté du 11 juillet 1991 du ministre des affaires sociales et de la solidarité et du ministre de l'agriculture abrogeant un arrêté du 16 mars 1978 portant cotation provisoire des actes de scanographie ;
: une circulaire du même jour du ministre des affaires sociales et de la solidarité et du ministre de l'agriculture fixant une nouvelle cotation provisoire des actes de scanographie.
a) Pour apprécier les risques que cette annulation faisait peser sur l'équilibre des régimes d'assurance maladie, il convient de rappeler l'historique de cette affaire.
Les actes de scanographie ont fait l'objet d'une cotation provisoire fixée à Z 90 dans la Nomenclature générale des actes professionnels par un arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'agriculture en date du 16 mars 1978.
Ce texte a été abrogé par un arrêté du 11 juillet 1991.
Une circulaire, datée du même jour, des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'agriculture a fixé une nouvelle cotation provisoire, dissociant la rémunération de l'acte intellectuel, coté Z 19, de la rémunération de l'amortissement et du fonctionnement du matériel, par le biais d'un forfait technique.
Une seconde circulaire, du 30 mars 1992, a revu la cotation pour l'année en cours. A partir de 1993, celle-ci a été fixée par des arrêtés des 1er février 1993, 14 février 1994 et 22 février 1995.
Pour annuler la circulaire du 11 juillet 1991, le Conseil d'Etat a estimé que, à la date de sa publication, les actes de scanographie ne pouvaient plus être considérés comme relevant du champ d'application des cotations provisoires, cette technique médicale étant, à cette date, couramment pratiquée. C'est, par ailleurs, pour incompétence de l'un de ses signataires que le Conseil d'Etat a en outre annulé l'arrêt du 11 juillet 1991 précité. Cette anulation a donc eu pour effet de rétablir la précédente cotation provisoire (Z 90).
b) La validation des actes pris sur le fondement des textes annulés a pour objet de prémunir les organismes d'assurance maladie contre le risque de devoir débourser la différence entre la rémunération résultant de la circulaire du 11 juillet 1991 (Z 19 + forfait technique) et celle de la cotation antérieure (Z 90) remise en vigueur par les effets de l'annulation.
En outre, il est clair que les annulations prononcées par le Conseil d'Etat fragilisent, par voie de conséquence, les décisions analogues fixant la cotation pour les années suivantes, ces actes étant entachés de la même irrégularité que celle qui affecte la circulaire du 11 juillet 1991. C'est pourquoi il a paru nécessaire, afin de mettre les caisses à l'abri de demandes de remboursement portant sur ces années et mettant encore plus en péril leurs ressources, de faire également porter la validation sur la période postérieure à celle couverte par les actes annulés (1993-1996).
On précisera que, pour l'avenir, la situation est désormais régularisée par un arrêté du 30 mai 1997 qui intègre de façon définitive dans la Nomenclature générale des actes le système de cotation mis au point en 1991 (cotation de l'acte intellectuel à Z 19 et forfaits techniques).
L'objectif constitutionnel de préservation de l'équilibre de la sécurité sociale étant en cause du fait de l'enjeu de cette mesure qui vise, comme il a été indiqué plus haut, à éviter une charge de l'ordre de 660 millions de francs, la critique adressée à cet article ne peut qu'être écartée.
IV. : Sur les dispositions
relatives à la contribution sociale généralisée
A : Les dispositions de l'article 5 critiquées par les requérants s'inscrivent dans le cadre d'une réforme en profondeur du financement de la protection sociale, qui tend à en élargir l'assiette, en particulier par la substitution de la contribution sociale généralisée (CSG) à la cotisation maladie.
La mise en uvre de cette réforme comporte nécessairement, compte tenu du cadre juridique tracé par les articles 34 et 37 de la Constitution, deux volets. Seul le premier est législatif. C'est à ce titre que l'article 5 de la loi déférée prévoit que la CSG sera augmentée de 4,1 points pour les revenus d'activité et ceux tirés de l'épargne et de 2,8 points pour les revenus de remplacement.
Le second ne nécessite, en revanche, que l'édiction de dispositions réglementaires. C'est ainsi que des décrets procéderont, corrélativement, à une réduction des cotisations maladie.
Pour contester les dispositions de l'article 5, les députés auteurs de la première saisine font valoir que cette opération de « basculement » se ferait en méconnaissance du principe d'égalité devant les charges publiques. A leurs yeux, la compensation, en termes de baisse de cotisations, de l'augmentation de la CSG, serait insuffisante. Il en irait tout particulièrement ainsi pour les professions indépendantes, qui seraient traitées moins favorablement que les salariés.
B : Cette argumentation est dépourvue de portée utile, dès lors qu'elle revient à critiquer des dispositions extérieures au texte déféré.
Comme il a été dit plus haut, les diminutions des taux de cotisations qui doivent accompagner l'augmentation de la CSG sont de la seule compétence du pouvoir réglementaire. Le texte soumis au Conseil constitutionnel ne procède pas lui-même à la substitution.
Du seul point de vue de la CSG, la hausse du taux est uniforme pour l'ensemble des actifs, qu'ils soient salariés ou non salariés, et l'assiette de la contribution n'est pas modifiée. L'équilibre d'ensemble du prélèvement n'est donc pas remis en cause. Or le Conseil constitutionnel avait considéré, dans sa décision n° 90-285, que les choix effectués par le législateur dans la définition des assiettes respectives de la CSG des salariés et des non-salariés ne créaient pas de disparité manifeste entre ces catégories de revenus.
Au demeurant, il convient de souligner à titre subsidiaire qu'aucune disposition constitutionnelle n'impose la compensation des augmentations de CSG, y compris quand cette augmentation intervient dans le cadre d'une opération de substitution CSG/cotisations. Ainsi, en 1991, seuls les revenus d'activité avaient bénéficié de la diminution des cotisations d'assurance vieillesse et des gains de pouvoir d'achat attachés à cette diminution, tandis que les retraites avaient subi un prélèvement net supplémentaire de 1,1 point.
A fortiori, aucune disposition constitutionnelle n'impose une compensation identique pour l'ensemble des catégories de revenus : les modalités des baisses de taux de cotisation retenues pour certaines catégories professionnelles doivent permettre, comme les différenciations de taux de CSG, de prendre en compte des différences objectives de situation.
S'agissant plus particulièrement des travailleurs non salariés des professions non agricoles, il faut préciser qu'une baisse des cotisations d'assurance maladie ne peut avoir strictement les mêmes effets pour les salariés et les non-salariés, qui relèvent de régimes de sécurité sociale distincts.
Les salariés supportent en effet des taux de cotisations uniformes alors que les cotisations d'assurance maladie des non-salariés sont plafonnées et dégressives :
: les assurés dont le revenu pris en compte pour le calcul des cotisations est inférieur à 65 856 F par an acquittent une cotisation minimale forfaitaire égale à 11,4 % de cette base ;
: les autres assurés acquittent une cotisation au taux de 11,4 % sur la fraction de leur revenu inférieure au plafond de la sécurité sociale, soit 164 640 F, et de 9 % sur la fraction située au-delà ;
: aucune cotisation n'est due sur la fraction du revenu supérieure à 823 200 F.
Sauf à prévoir un taux spécifique à chaque assuré, il est donc impossible d'assurer une baisse des taux uniformément proportionnelle au revenu pour l'ensemble des assurés.
Il convient de souligner sur ce point que la substitution de la CSG aux cotisations d'assurance maladie, prévue par la loi de financement pour 1997, s'était déjà accompagnée d'une baisse de taux différenciée selon la tranche de revenu pour les non-salariés, qui avait été également annoncée au Parlement lors de la discussion du projet de loi : la hausse de 1 point de la CSG devait être compensée par une baisse de 1,5 point sur la fraction du revenu inférieure au plafond et de 0,8 point sur la fraction supérieure.
De manière plus générale, la valeur relative d'un point de cotisations par rapport au revenu n'est pas identique d'un régime à l'autre, eu égard aux différences d'assiette. C'est justement le souci de rendre plus équitable le prélèvement social qui a justifié la création de la contribution sociale généralisée.
Il convient enfin de rappeler que le Gouvernement s'est engagé devant le Parlement à diminuer dans des proportions importantes les taux de cotisations maladie applicables aux non-salariés : les taux applicables en 1997 sont de 11,4 % dans la limite du plafond, 9 % entre le plafond et 5 fois ce plafond ; ils seront en 1998 de 5,9 % dans la limite du plafond, 5,3 % entre le plafond et 5 fois ce plafond.
V : Sur les prélèvements sociaux applicables
aux revenus du patrimoine et aux produits de placement
A : L'article 9 du texte déféré a pour objet de renforcer la contribution des revenus du capital au financement de la sécurité sociale et d'harmoniser les règles applicables en la matière.
Trois prélèvements sur les revenus du capital, assis sur des assiettes différentes, sont actuellement affectés à la sécurité sociale : un prélèvement de 1 % sur les produits des placements à revenu fixe soumis à prélèvement libératoire, destiné à la Caisse nationale d'allocations familiales (CNAF) ; un prélèvement de 1 % assis à la fois sur les produits des placements à revenu fixe soumis à prélèvement libératoire et sur les revenus du patrimoine, destiné à la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs salariés (CNAVTS) ; enfin, la contribution sociale généralisée, assise également sur les produits des placements à revenus fixe soumis à prélèvement libératoire et sur les revenus du patrimoine, et dont l'assiette est élargie depuis le 1er janvier 1997 à certains revenus non soumis à l'impôt sur le revenu.
L'article 9 élargit et harmonise ces différentes assiettes, en alignant l'assiette des prélèvements affectés à la CNAF et à la CNAVTS sur l'assiette de la CSG.
Cette harmonisation se traduit par :
: l'assujettissement des revenus du patrimoine au prélèvement affecté à la CNAF, prélèvement assis jusqu'ici sur les seuls revenus de placement soumis à prélèvement libératoire : seront désormais notamment assujettis à ce prélèvement les revenus fonciers et les rentes viagères constituées à titre onéreux ; seront également soumis audit prélèvement les revenus de capitaux mobiliers non soumis à prélèvement libératoire et les plus-values de cessions (assujetties au prélèvement au profit du budget de l'Etat) ;
: l'assujettissement aux prélèvements affectés à la CNAF et à la CNAVTS de revenus de placement et du patrimoine non assujettis à l'impôt sur le revenu : pour les revenus de placement, il s'agit principalement des revenus des comptes et plans épargne logement, de l'assurance vie, des plans d'épargne populaire, des plans d'épargne en actions, des plans d'épargne retraite ; pour les revenus du patrimoine, il s'agit essentiellement de la non-application de l'abattement de 8 000/16 000 F applicable en matière d'impôt sur le revenu aux revenus de capitaux mobiliers non soumis à prélèvement libératoire.
Ces dispositions permettent ainsi de parvenir à un prélèvement social identique sur l'ensemble des revenus de placement et du patrimoine : revenus ou plus-values de capitaux mobiliers, mais aussi revenus fonciers, rentes viagères constituées à titre onéreux, plus-values sur biens immobiliers, ces différents revenus supporteraient désormais un prélèvement social de 10 % (2 % au titre des deux prélèvements de 1 % en cause, 7,5 % de CSG et 0,5 % de CRDS).
Pour contester cette mesure, les députés requérants font valoir qu'elle introduirait une discrimination entre certains revenus de capitaux mobiliers et les autres revenus de l'épargne. A l'appui de leur analyse, ils estiment qu'ils n'ont pas été suffisamment informés de ce que les revenus de capitaux mobiliers étaient par ailleurs soumis à une contribution de 1 %, complémentaire à l'impôt sur le revenu, qui est perçue au profit de l'Etat. Ce défaut d'information aurait empêché le législateur de remplir correctement sa mission.
B : Le Conseil ne pourra faire sienne une telle argumentation, qui revient, là encore, à critiquer des dispositions extérieures à la loi déférée.
Il est clair, en effet, que l'on ne saurait raisonnablement exiger du Gouvernement, lorsqu'il dépose un projet de loi portant modification des prélèvements sociaux sur certains revenus, qu'il rappelle l'ensemble des autres prélèvements obligatoires portant sur les mêmes revenus.
Au demeurant, et pour la complète information du Conseil constitutionnel, on précisera que la contribution de 1 % au profit de l'Etat, complémentaire à l'impôt sur le revenu, a été instituée lors de la pérennisation, par la loi de finances pour 1985, de la contribution sociale de 1 % perçue au profit de la CNAF. Cette contribution, prévue à l'article 204 A du code général des impôts, a notamment pris la forme d'une contribution de 1 % complémentaire à l'impôt sur le revenu en ce qui concerne les revenus de capitaux mobiliers soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. Tel est notamment le cas des dividendes d'actions ainsi que des intérêts des produits de placement, à défaut d'option pour un prélèvement forfaitaire libératoire.
Le champ d'application de cette contribution est le même que celui de l'impôt sur le revenu : elle n'est donc pas exigible lorsque les revenus sont exonérés, alors que les prélèvements sociaux évoqués par les saisissants sont toujours exigibles, quelle que soit la situation fiscale du contribuable qui les perçoit au regard de l'impôt sur le revenu.
Certes, et comme le relèvent les requérants, le législateur, à l'initiative du Gouvernement, envisage de supprimer cette contribution eu égard aux prélèvements sociaux institués par le présent article. Mais cette suppression s'inscrit dans le cadre normal du pouvoir du législateur qui apprécie l'opportunité ou non de maintenir un prélèvement déterminé. Elle ne saurait procéder d'une prétendue incompatibilité entre les prélèvements sociaux et ceux qui sont institués au profit de l'Etat.
VI. : Sur la contribution à la charge des entreprises
assurant l'exploitation de spécialités pharmaceutiques
A : L'article 12 de la loi adoptée a pour objet de créer une contribution à la charge des entreprises assurant l'exploitation d'une ou plusieurs spécialités pharmaceutiques. Cette contribution, qui suit le régime de celle, définie par les articles L 138-1 et suivants du code de la sécurité sociale, qui frappe les ventes en gros de spécialités pharmaceutiques, sera perçue au taux de 2,5 % applicable au chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France auprès des pharmacies.
Pour critiquer ces dispositions, les députés, auteurs de la première saisine, font valoir qu'elles méconnaîtraient le principe d'égalité. Ils estiment que l'article 12 introduit une discrimination injustifiée entre les laboratoires et les grossistes, alors que les uns et les autres se trouveraient placés dans la même situation par la directive 92/25/CEE du 31 mars 1992, au regard notamment des obligations de service public.
B : Le Gouvernement considère, pour sa part, que cette critique n'est pas fondée, compte tenu de la différence de situation existant entre, d'une part, les laboratoires qui pratiquent la vente directe, et, d'autre part, les grossistes-répartiteurs, ces derniers, du fait des obligations particulières qui s'imposent à eux, assurant un rôle spécifique pour la satisfaction du public.
1. Il convient à cet égard de rappeler que les marges prélevées par le grossiste et le pharmacien d'officine, applicables aux médicaments remboursables sont actuellement réglementées. Lorsque les laboratoires pharmaceutiques effectuent des ventes directes, ils prélèvent la marge en principe réservée aux grossistes, le prix public pour l'assuré étant identique, quel que soit le circuit de distribution. Or cette pratique paraît inéquitable, dans la mesure où les laboratoires ne sont pas soumis aux mêmes obligations de service public que les grossistes et n'ont donc pas à supporter les coûts y afférents.
En particulier, les grossistes-répartiteurs ont des obligations supérieures à celles qui sont imposées aux laboratoires pharmaceutiques effectuant des ventes directes.
Au-delà du « socle » minimal fixé par l'article R 5115-6 du code de la santé publique (disposer de locaux aménagés, agencés et entretenus en fonction des opérations pharmaceutiques qui y sont effectuées ; posséder le matériel, les moyens et le personnel nécessaires à l'exercice de ces activités), le même article R 5115-6 du CSP prévoit par ailleurs des obligations spécifiques qui s'imposent aux seuls grossistes-répartiteurs.
Ces obligations consistent à :
: détenir en permanence un stock de médicaments permettant d'assurer l'approvisionnement de la consommation mensuelle des officines du secteur qu'il dessert ;
: être en mesure d'assurer la livraison de ces médicaments dans les 24 heures suivant réception de la commande.
2. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, la directive 92/25 du 31 mars 1992 ne modifie pas ce schéma juridique.
Bien au contraire, elle consacre les obligations dites « de service public » pesant sur les personnes autorisées à distribuer en gros des médicaments : c'est-à-dire les grossistes-répartiteurs en droit interne : et renvoie à ce même droit le soin de les définir.
La lourdeur des obligations spécifiques (définies par la directive comme étant de service public) imposées aux grossistes justifie donc la situation particulière qui leur est faite. Elle justifie, par là-même, que le législateur introduise, comme le fait l'article 12, un dispositif permettant de corriger ce déséquilibre.
On observera enfin que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, le taux de 2,5 % n'excède nullement la faculté contributive des laboratoires assujettis.
La marge du grossiste est en effet égale à 10,74 % du prix du fabricant. Cette marge rémunère les coûts des obligations précitées imposées spécifiquement aux grossistes. Dès lors, il est légitime de tenir compte de ce que les laboratoires perçoivent une rémunération correspondant à des coûts qu'ils n'assument pas. Ainsi la taxe permet-elle de récupérer, auprès des laboratoires, l'équivalent d'un quart de la marge du grossiste, les trois quarts de celle-ci étant, en tout état de cause, laissés aux laboratoires pour rémunérer leurs coûts de distribution, ainsi que les obligations minimales auxquelles ils sont soumis.
En tout état de cause, on observera qu'en l'absence de transposition de cette directive, celle-ci n'a pas, par elle-même, d'effet direct sur les obligations pesant sur les différents acteurs économiques.
VII. : Sur la mise sous conditions de ressources
des allocations familiales
A : L'article 23 du texte déféré place désormais sous conditions de ressources les allocations familiales. Il tend ainsi à introduire davantage de justice dans les transferts financiers vers les familles, avec le souci d'une appréhension globale de la politique familiale et la volonté de restaurer l'équilibre financier, gravement compromis aujourd'hui, de la branche famille.
Pour contester le choix ainsi fait par le législateur, les parlementaires saisissants invoquent la méconnaissance, tant d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République, que du Préambule de la Constitution de 1946 et du principe d'égalité. Ils se prévalent également du lien qui existerait entre l'existence de cotisations et un droit à prestations. Ils estiment en outre que les dispositions contestées ont pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Enfin, les sénateurs auteurs de la seconde saisine y ajoutent un grief tiré de « l'incompétence négative » dont seraient entachées les dispositions critiquées.
B : Aucun de ces moyens ne peut être accueilli.
1. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n'est pas possible de tirer du Préambule de 1946 un principe dit de « l'universalité des allocations familiales », qui s'opposerait à ce que le législateur adopte une mesure comme celle qui est contestée.
a) En premier lieu, l'exigence que les auteurs des saisines voudraient faire prévaloir ne saurait être assimilée à un principe fondamental reconnu par les lois de la République.
Comme le souligne M Genevois dans son ouvrage consacré à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (p 200 n° 334), « le principe fondamental reconnu par les lois de la République apparaît comme un principe essentiel, posé par le législateur républicain, touchant à l'exercice des droits et libertés et qui a reçu application avec une constance suffisante dans la législation antérieure à la Constitution du 27 octobre 1946 ».
L'attribution d'allocations familiales à toutes les familles, indépendamment du niveau de leurs revenus, ne peut être considérée comme un principe satisfaisant aux conditions ainsi définies.
D'une part, en effet, elle ne met pas en cause l'exercice des droits et libertés, mais traduit seulement une certaine conception de la solidarité nationale.
D'autre part, et en tout état de cause, l'invocation des précédents cités par les saisissants ne permet pas de conclure à l'existence d'un principe qui interdirait au législateur de prévoir une modulation des prestations familiales en fonction de ressources des bénéficiaires.
Qu'il s'agisse, en effet, de l'état du droit antérieur à la Constitution de 1946 ou du régime qui s'est appliqué ultérieurement, on ne peut manquer de relever que l'évolution de l'aide aux familles en France a été complexe. Dans la tradition française, l'aide aux familles a pu prendre des formes diversifiées et n'a jamais été limitée aux prestations positives. Les exonérations fiscales résultant du jeu du quotient familial créé par la loi du 31 décembre 1945 y ont, en particulier, joué un rôle essentiel.
Au demeurant, les dispositions dont se prévalent les requérants ne traduisent nullement l'idée « d'universalité » qu'ils voudraient aujourd'hui faire consacrer par le Conseil constitutionnel.
C'est ainsi que la loi du 11 mars 1932 n'a rendu obligatoire le versement d'allocations familiales qu'au profit des salariés. Elle pose l'obligation pour tout employeur occupant du personnel dans une profession industrielle, commerciale, agricole ou libérale de s'affilier à une caisse de compensation agréée par le ministre du travail et constituée entre employeurs en vue de répartir les charges résultant du versement des allocations familiales.
L'article 74 b du code du travail issu de cette loi prévoit ainsi que, pour cette catégorie de salariés, les allocations familiales sont dues pour tout enfant légitime, reconnu ou adopté à la charge de l'ouvrier ou de l'employé.
L'article 74 c détermine par ailleurs un taux minimum d'allocations familiales pour chaque enfant, fixé dans chaque département soit pour l'ensemble des professions, soit par catégories (elles sont calculées en pourcentage d'un salaire moyen départemental). Les caisses demeurent libres d'accorder des allocations d'un montant supérieur. Elles sont en outre versées pour chaque journée de travail.
Les allocations familiales ainsi instituées par la loi du 11 mars 1932, dont le montant variait selon la zone géographique habitée et la profession, et qui ne concernaient à l'origine que les seuls salariés, ne correspondent donc à aucune volonté d'universalité.
On précisera par ailleurs que les décrets-lois des 31 mai et 14 juin 1938 concernant les allocations familiales agricoles faisaient bénéficier des allocations familiales les exploitants agricoles ayant au moins deux enfants à charge et qui étaient exonérés de l'impôt sur le revenu.
Quant au décret-loi du 29 juillet 1939 relatif à la famille et à la natalité française dont se prévalent principalement les requérants, on soulignera qu'il revient sur le choix, fait en 1932, d'accorder une aide dès le premier enfant. Retenant une conception différente, il vise plus spécifiquement à favoriser les familles d'au moins trois enfants. Il tend en outre à uniformiser les taux d'allocations familiales versées et les étend à d'autres employeurs qu'aux salariés, exploitants agricoles et salariés de l'agriculture, notamment aux autres travailleurs indépendants.
Ce même décret a institué d'autres prestations pour les familles : une prime à la première naissance, l'allocation de la mère au foyer.
C'est donc l'ensemble des prestations versées aux familles figurant dans le titre Ier de ce texte qui constitue « l'aide à la famille » que vise son intitulé.
Eu égard à cette diversité, et surtout au fait que le décret réserve le bénéfice des allocations familiales aux seules personnes exerçant une activité professionnelle, il est abusif de se fonder, comme le font les requérants, sur la mention « l'aide à la famille est égale pour tous les Français » figurant dans le rapport de présentation de ce décret, pour affirmer qu'il consacre un droit aux allocations familiales, dont la portée serait universelle.
Par la suite, l'article 1er de l'ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale précise qu'il est institué une organisation de la sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leur famille contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gain, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu'ils supportent.
Cet article général, qui ne concerne que les personnes qui exercent une activité professionnelle, ne pose aucun principe d'obligation de versement des allocations familiales à toutes les familles. Il prévoit simplement que la sécurité sociale couvre les charges de maternité et les charges de famille sans apporter de précision sur les allocations familiales.
Cet article qui se retrouve, après modification, à l'article L 111-1 du code de la sécurité sociale, dispose actuellement que « l'organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale (). Elle couvre également les charges de maternité et de famille ». Cet article précise donc que les charges de famille sont couvertes par la sécurité sociale mais dans le cadre de la solidarité nationale. Le versement des allocations familiales aux familles qui en ont le plus besoin s'inscrit bien dans ce principe général de solidarité prévu par la loi.
Par ailleurs, la loi du 22 août 1946 qui a fixé le régime des prestations familiales, au lendemain de la Libération, maintient la condition d'activité professionnelle pour le bénéfice des allocations familiales. Le décret du 11 décembre 1946, pris en application de cette loi, prévoit ainsi en son article 3 que la personne n'exerçant pas d'activité professionnelle qui prétend aux prestations familiales doit justifier de l'impossibilité dans laquelle elle se trouve d'exercer une telle activité.
On soulignera enfin que la loi ne revient pas non plus sur le principe d'allocations familiales différentes selon la zone géographique.
Les choix faits à cette époque témoignent ainsi d'une volonté politique, appuyée sur une certaine conception démographique de la politique sociale, qui n'est qu'une étape dans l'histoire des prestations familiales. Ils ne traduisent en tout cas aucune volonté « d'universalité » que le constituant de 1946 serait réputé avoir entendu cristalliser pour l'avenir.
Et l'on ne peut d'ailleurs que constater que le législateur a ensuite diversifié la mise en uvre de la politique d'aide à la famille en multipliant les allocations spécifiques sous conditions de ressources.
C'est ainsi que la loi du 1er septembre 1948 a créé, avec l'allocation de logement, une prestation familiale à la fois modulée et plafonnée. Cette solution a également été retenue avec l'institution, par la loi du 3 janvier 1972, d'une condition de ressources pour l'allocation de salaire unique. Ce système a été étendu par la loi du 12 juillet 1977 substituant le complément familial à cette allocation de salaire unique et à diverses prestations antérieures.
Ces textes législatifs, dont on ne peut soutenir qu'ils ont été pris en violation d'un principe constitutionnel, témoignent du souci de prendre en compte l'objectif de réduction des inégalités sociales, à travers les politiques d'aide à la famille. Cette idée ne peut qu'être confortée par la constatation qu'une autre forme de compensation des charges familiales, le quotient fiscal, pemet aux familles de payer d'autant moins d'impôt sur le revenu que ce revenu est élevé.
Enfin, il n'est pas indifférent de relever que, saisi de la même question à propos de la légalité d'une délibération de l'assemblée territoriale de la Nouvelle-Calédonie ayant un objet similaire, le Conseil d'Etat a refusé, par un arrêt de section du 6 juin 1986, Fédération des fonctionnaires agents et ouvriers de la fonction publique, de reconnaître l'existence d'un principe selon lequel les charges familiales devraient être compensées par un minimum accordé à tous.
b) En second lieu, il n'est pas davantage possible de soutenir, comme le font les parlementaires saisissants, que l'introduction d'une condition de ressources en matière d'allocations familiales méconnaîtrait directement les prescriptions du Préambule de la Constitution de 1946, notamment celles du onzième alinéa énonçant que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère la sécurité matérielle ».
On ne peut en effet que constater qu'en retenant une formulation aussi générale, le constituant n'a pas pris parti sur la manière d'atteindre cet objectif. Il appartient donc au législateur et au pouvoir réglementaire, chacun pour la part qui lui revient en application des articles 34 et 37 de la Constitution, de déterminer librement les modalités de mise en uvre de l'exigence ainsi formulée, sous la seule condition de ne pas en dénaturer la portée (cf notamment en ce sens la décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987).
En matière de droit à prestation, la jurisprudence du Conseil constitutionnel laisse ainsi une grande latitude au législateur pour cette mise en uvre. En l'espèce, le Parlement n'a fait qu'exercer la compétence qui lui appartient en faisant le choix, évoqué plus haut, d'introduire plus de justice sociale dans les conditions d'octroi de cette catégorie de prestations. Dès lors que la réforme ainsi opérée n'a pas pour effet de priver de portée les exigences du Préambule, elle ne saurait être utilement contestée sur ce fondement.
2. La mise sous conditions de ressources des allocations familiales n'est pas davantage contraire au principe constitutionnel d'égalité.
a) En premier lieu, il convient de souligner que la différence de traitement qui résulte de la mise sous conditions de ressources des allocations familiales est en rapport avec l'objet de la loi de financement de la sécurité sociale puisqu'elle est l'une des mesures visant à rétablir l'équilibre financier de la branche famille de la sécurité sociale.
b) En deuxième lieu, le Conseil ne pourra davantage accueillir le grief suivant lequel la disposition contestée créerait une rupture de l'égalité dans la prise en compte des ressources, selon que les parents des enfants sont mariés ou vivent en concubinage.
L'article 23 de la loi se borne en effet à prévoir que les allocations familiales sont attribuées au ménage ou à la personne dont les ressources n'excèdent pas un plafond qui varie en fonction du nombre d'enfants à charge. Pour le surplus, il appartient au pouvoir réglementaire, compétent pour fixer le niveau de ce plafond, de fixer les modalités suivant lesquelles celui-ci sera apprécié.
Le texte déféré ne prenant pas parti sur la question soulevée par les députés saisissants, le grief suivant lequel il introduirait une discrimination au détriment des couples mariés ne peut qu'être écarté comme manquant en fait. A supposer même que, comme le soutiennent les requérants, le principe d'égalité implique en l'espèce de procéder à l'assimilation qu'ils préconisent, il appartiendrait au juge administratif de veiller au respect de ce principe par les dispositions réglementaires nécessaires à la mise en uvre de la réforme opérée par l'article 23.
Ce n'est donc qu'à titre subsidiaire que le Gouvernement indiquera, pour la complète information du Conseil constitutionnel, que c'est l'ensemble des ressources du ménage qui seront prises en compte pour le versement des allocations familiales, qu'il s'agisse de couples mariés ou non, comme c'est déjà le cas pour l'ensemble des prestations familiales versées sous condition de ressources.
Il convient à cet égard de souligner qu'en matière de prestations versées sous condition de ressources, le droit positif fait déjà référence à la même notion de « ménage » que la loi déférée. Tel est le cas :
: pour le complément familial visé à l'article L 522-1 du code de la sécurité sociale ;
: pour l'allocation pour jeune enfant (art L 531-1) ;
: pour l'allocation de logement familiale (art L 542-1).
Pour ces diverses prestations, les dispositions réglementaires qui les régissent (art R 522-2, R 531-10 et D 542-8) prennent en compte les ressources des concubins au même titre que celles d'un couple marié.
On rappellera enfin que les dispositions réglementaires qu'il appartiendra au Gouvernement de prendre, pour préciser le mode de détermination du plafond prévu par la présente loi, seront naturellement placées sous le contrôle du juge administratif.
c) En troisième lieu, c'est en vain que les requérants font grief au texte déféré de prévoir que, pour le versement des allocations familiales sous condition de ressources, le plafond est majoré lorsque chaque membre du couple dispose d'un revenu professionnel ou lorsque la charge des enfants est assumée par une personne seule.
D'une part, en effet, une telle structure de plafond est cohérente avec celle qui existe pour les actuelles prestations familiales sous condition de ressources que sont le complément familial et l'allocation pour jeune enfant. Pour ces prestations, il est déjà prévu que le plafond de base est majoré, compte tenu du nombre d'enfants à charge de la famille. Il l'est également lorsque les deux membres du couple exercent une activité professionnelle ou lorsqu'une personne seule assume seule la charge des enfants.
D'autre part, il convient de souligner que cette majoration se justifie par la situation différente dans laquelle se trouvent les catégories ainsi visées. Il est en effet constant que les frais supportés par un couple dans lequel les deux conjoints travaillent sont, la plupart du temps, plus importants que ceux engagés par un couple dont un des parents n'exerce pas d'activité professionnelle.
On peut citer à cet égard :
: les frais de garde des enfants qui, bien que faisant l'objet d'aides importantes de la collectivité pendant la petite enfance, ne sont jamais pris en charge intégralement, étant rappelé que ces frais perdurent bien après à l'entrée dans le système scolaire (garde à la sortie de l'école, organisation des temps libres, vacances) ;
: les frais supplémentaires liés à l'activité des deux parents : coût des transports, des repas à l'extérieur des parents et des enfants.
L'ensemble de ces frais s'impute directement sur les revenus d'activité, les ressources disponibles de la famille étant diminuées à due concurrence.
Il en va de même pour la personne seule ayant la charge d'enfants, qui subit les mêmes contraintes et les mêmes charges financières alors qu'elle ne dispose que d'un seul revenu.
Il en résulte qu'en décidant de prendre en compte, pour le versement des allocations familiales sous condition de ressources, les charges particulières qu'assument les parents double-actifs ou les personnes seules ayant des enfants à charge le législateur n'a pas méconnu le principe constitutionnel d'égalité.
3. C'est également en vain qu'est invoquée, pour critiquer l'introduction d'une condition de ressources en matière d'allocations familiales, l'existence d'un principe suivant lequel le versement de cotisations ouvre vocation à des droits aux prestations et avantages servis par les régimes auxquels sont destinées ces cotisations.
D'une part, en effet, la décision du 13 août 1993 dont se prévaut la saisine des députés se borne à préciser les exigences qui découlent du principe d'égalité, dès lors qu'un régime déterminé de prestations sociales prévoit que le versement de cotisations ouvre droit à prestation. C'est donc de manière abusive que les requérants en déduisent l'existence d'un principe constitutionnel suivant lequel tout versement de cotisations à un régime quelconque de protection sociale devrait ouvrir droit, de manière indifférenciée, aux prestations que ce régime a vocation à servir.
D'autre part, et en tout état de cause, il faut souligner que la branche famille de la sécurité sociale est financée principalement par les cotisations d'allocations familiales à la charge des employeurs, par la CSG et par des subventions de compensation de l'Etat. Ainsi le système diffère-t-il, par exemple, de celui des retraites qui est contributif : aucune cotisation sociale n'est assise sur les familles qui leur ouvrirait un droit aux allocations familiales.
4. Les dispositions contestées n'ont pas davantage pour effet de priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel.
Contrairement à ce que suggère l'argumentation des requérants, il n'existe pas de principe constitutionnel qui interdise de modifier un régime de protection sociale et, le cas échéant, de le rendre moins favorable pour certaines catégories de bénéficiaires. La thèse de l'existence d'un « effet cliquet » en la matière aurait des conséquences extrêmement graves sur l'organisation du système de protection sociale : à l'heure où l'équilibre des régimes sociaux est en péril, il est de la responsabilité et de la compétence du législateur de répartir de la façon qu'il estime être la plus équitable possible les sommes disponibles.
En réalité, et comme pour le respect des objectifs résultant du Préambule, la constitutionnalité de l'aménagement d'un régime de prestations sociales ne peut être appréciée que de manière pragmatique et selon une approche globale. C'est ainsi que, pour valider la réduction des prestations servies au titre de l'allocation pour adultes handicapés, le Conseil constitutionnel a relevé « qu'au regard de l'état de la législation en vigueur la modification (apportée par la loi au détriment des personnes affectées des incapacités les moins graves) des modalités d'attribution de l'allocation aux adultes handicapés n'est pas de nature à mettre en cause le principe à valeur constitutionnel précité » proclamé par le onzième alinéa du Préambule de 1946 (n° 93-330 DC du 29 décembre 1993).
Le Conseil avait auparavant, dans sa décision déjà citée du 23 janvier 1987, retenu la même approche globale, conduisant à prendre en compte l'existence de diverses prestations poursuivant une finalité semblable, pour juger conforme à la Constitution l'instauration de conditions à l'octroi de certaines d'entre elles.
En l'espèce, la même analyse ne peut que conduire à la conclusion que le législateur n'a pas privé de garanties légales les exigences du Préambule en introduisant une condition de ressources en matière d'allocations familiales.
5. Enfin, et contrairement à ce que soutiennent les sénateurs auteurs de la seconde saisine, le législateur n'a pas méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution en ne fixant pas lui-même le plafond de revenu au-delà duquel les allocations familiales ne sont plus dues.
Il est en effet constant que cette compétence ne porte que sur la détermination des principes fondamentaux de la sécurité sociale. Or il résulte de la jurisprudence que, si le législateur est compétent pour déterminer des catégories de prestations, il appartient au pouvoir réglementaire d'en préciser le contenu (n° 60-5 L du 7 avril 1960). De même le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que ne relèvent pas du domaine législatif les dispositions fixant le montant des prestations (n° 72-74 L du 8 novembre 1972), non plus que celles relatives à la définition des conditions d'âge ou d'incapacité ouvrant droit aux prestations (n° 85-139 L du 8 août 1985).
Au regard de ces critères, aucune « incompétence négative » ne peut être reprochée au texte déféré. Le législateur a pris parti sur le principe de l'existence de plafonds limitant la possibilité de bénéficier de cette prestation. La loi a elle-même arrêté le principe d'une modulation de ces plafonds en fonction du nombre des enfants à charge, tout en précisant les cas dans lesquels le plafond est majoré. Enfin, elle précise la nature des éléments en fonction desquels le niveau de ce plafond est relevé.
En laissant au pouvoir réglementaire le soin de compléter ce dispositif et d'en préciser les modalités d'application, le Parlement s'est borné à respecter la compétence que le Gouvernement tient de l'article 37 de la Constitution.
VIII. : Sur l'exonération des charges sociales
afférentes à l'allocation de garde des enfants à domicile
Les requérants considèrent qu'en renvoyant à plusieurs reprises à un décret pour la fixation d'un plafond et d'une fraction à l'article 24, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution.
Pour les mêmes raisons que celles qui viennent d'être exposées, ce moyen doit être écarté.
En définitive, aucun des nombreux griefs invoqués à l'encontre de la loi déférée n'est de nature à en justifier la censure. Aussi le Gouvernement demande-t-il au Conseil constitutionnel de rejeter les recours dont il est saisi.