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Décision n° 97-388 DC du 20 mars 1997 - Saisine par 60 sénateurs

Loi créant les plans d'épargne retraite
Conformité

SAISINE SENATEURS :
Paris, le 25 février 1997.
Les sénateurs soussignés à Monsieur le Président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue de Montpensier, 75001 Paris.

Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,
Le Parlement a adopté une proposition de loi relative à l'épargne retraite qui est censée apporter une réponse aux inquiétudes que la baisse de rendement des régimes de retraite obligatoires a fait naître parmi les salariés du secteur privé. Elle a pour objet principal de doter d'un cadre législatif le troisième « étage » de la protection sociale dans le domaine de la retraite.
Fondée sur la libre affiliation des assurés, elle ne pourra pas permettre à de larges catégories de la population de se constituer effectivement un véritable complément de retraite. L'expérience montre, en effet, que les régimes de retraite à adhésion facultative (non-salariés, PREFON, CREF, FONPEL, etc) couvrent en général moins de 10 % de leur population potentielle.
Attentive aux souhaits des organismes offreurs, peu protectrice des intérêts des assurés, très incertaine dans les réponses techniques qu'elle apporte à la volonté maintes fois exprimée par ses initiateurs de favoriser les placements en actions, cette loi fait, en outre, peu de cas des ressources de la sécurité sociale comme de celles du budget de l'Etat. Principalement destinée aux titulaires de rémunérations élevées, elle aura pour conséquence d'accroître très sensiblement les inégalités entre salariés.
C'est pourquoi, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble des dispositions de la loi relative à l'épargne retraite.
I : L'inconstitutionnalité de la loi relative à l'épargne retraite
Selon l'alinéa 11 du Préambule de 1946, la nation « garantit à tous la sécurité matérielle Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».
Dans le domaine de la retraite, ce droit est assuré par les prestations servies par l'ensemble des régimes légalement obligatoires : assurance vieillesse de la sécurité sociale, régimes de retraite complémentaire ARRCO et AGIRC généralisés à l'ensemble de la population salariée du secteur privé par une loi du 29 décembre 1972.
Il appartient au législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de veiller à la mise en uvre du onzième alinéa du Préambule de 1946. Son intervention repose sur les dispositions de l'article 34 de la Constitution qui prévoient que la loi détermine les principes fondamentaux du droit de la sécurité sociale. Le terme de sécurité sociale englobe, par nature, l'ensemble des régimes déterminés ou rendus obligatoires par la loi ou, sur délégation de celle-ci, par le pouvoir réglementaire ou placés sous le contrôle de la puissance publique. En ce qui concerne l'assurance vieillesse de la sécurité sociale, le Parlement intervient directement au travers des lois de financement de la sécurité sociale qui « déterminent les conditions générales de son équilibre financier et, compte tenu de leurs prévisions de recettes, fixent ses objectifs de dépenses ».
En ce qui concerne les régimes complémentaires, ou bien le législateur en détermine le contenu (par exemple, le régime complémentaire des navigants aériens, décision n° 84-136 L du 28 février 1984) ou bien il délègue ce pouvoir aux partenaires sociaux (AGIRC, ARRCO).
On ne saurait, en matière de retraite, porter sur les régimes de retraite une appréciation instantanée. Plus que les prestations qu'ils servent aujourd'hui, ce sont les niveaux de couverture qu'ils assureront demain qui sont importants. Les prévisions réalisées depuis plusieurs années montrent que celui-ci va baisser très nettement dans les quinze prochaines années. Pour ne donner que quelques exemples, il faut vraisemblablement s'attendre d'ici à 2009 à une baisse de dix points du taux de remplacement. Pour un cadre terminant sa carrière avec un salaire d'environ 600 000 F et cotisant sur la tranche C, le taux de remplacement en pourcentage du dernier salaire passerait de 62 % à 49 %. Pour un cadre moyen terminant sa carrière avec un salaire d'environ 300 000 F, le taux passerait de 67 % à 52 %. Enfin, pour un ouvrier terminant sa carrière avec un salaire de 137 000 F, le taux passerait de 75 % à 65 % (voir, notamment, « Quelles retraites pour les salariés du secteur privé d'ici à 2015 ? » Michel Gleizes et Catherine Plessis, Retraite et Société n° 1, 1995, p 25, et « L'avenir des régimes de retraite, rapport d'entreprise et personnel », Liaisons sociales, Documents, n° 84/96).
Ces évolutions prévisibles soulèvent deux questions fondamentales :
: le tassement, voire la réduction des niveaux de couverture, n'est admissible qu'à la condition que la liberté fondamentale affirmée au onzième alinéa du Préambule de 1946 demeure effective ; le Conseil constitutionnel a, à plusieurs reprises, affirmé la nécessité, pour le législateur, de ne réglementer l'exercice d'une liberté fondamentale « qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec celui d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (décisions n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, n° 83-165 DC du 20 janvier 1984, n° 93-325 DC du 13 août 1993 et n° 93-330 DC du 29 décembre 1993) ;
: des dispositifs alternatifs ne peuvent être mis en place par le législateur qu'à la double condition qu'ils participent à la mise en uvre de l'objectif inscrit à l'alinéa 11 du Préambule de 1946 et qu'ils ne viennent pas mettre en cause d'autres droits et libertés ayant valeur constitutionnelle.
La loi relative à l'épargne retraite ne répond à aucune de ces préoccupations. Pour en faire la démonstration, il est nécessaire de rappeler l'organisation du système des retraites en France.
Dans la plupart des pays, la retraite est constituée de trois « piliers ». Le premier pilier est obligatoire et généralisé à l'ensemble de la population (sécurité sociale). Le second pilier est constitué de régimes collectifs mis en place dans le cadre des entreprises (fonds de pension) ; les salariés des entreprises qui ont mis en place de tels fonds de pension sont en général tenus d'y adhérer. Mais les entreprises sont libres ou non de mettre en place de tels fonds de pension. Enfin, les individus peuvent individuellement souscrire des contrats d'assurance vie (troisième pilier).
La situation de la France est, par rapport à ce schéma, très particulière. Le premier pilier est constitué par l'assurance vieillesse de la sécurité sociale et par les régimes de retraite complémentaire obligatoires et généralisés (AGIRC, ARRCO). Ces derniers régimes ne sont pas, en fait, de véritables régimes complémentaires. Ce sont des régimes de sécurité sociale directement gérés par les partenaires sociaux. Le second pilier est extrêmement limité. Il est constitué de régimes d'entreprises et, parfois, de branche (par exemple, dans le secteur de l'assurance). Le troisième pilier s'est beaucoup développé au cours des dernières années.
Contrairement à ce qu'ont tenté de faire croire les promoteurs de la loi, celle-ci ne peut être présentée comme ayant pour objet d'offrir à ceux qui le souhaitent un simple complément de revenu venant s'ajouter à des régimes obligatoires dont le niveau de couverture demeurerait inchangé. Il s'agit, tout au contraire, de mettre en place un système se substituant progressivement aux régimes, de base et complémentaire, de sécurité sociale.
Dès lors que le niveau de couverture va baisser très sensiblement dans les années à venir, d'autres dispositifs vont progressivement se mettre en place. Ils vont, par défaut, se substituer aux régimes de sécurité sociale. Le législateur ne peut donc ignorer cette transformation profonde de notre système des retraites et se contenter des déclarations du Gouvernement selon lesquelles « notre système de retraite par répartition, prolongé par les mécanismes complémentaires, a donné, convenons-en, d'admirables résultats. Il restera, à l'avenir, le fondement de la solidarité entre les générations. Il ne saurait être question de remettre en cause, en quoi que ce soit, le système de retraite par répartition » (déclarations du ministre de l'économie et des finances au Sénat, première lecture, Journal officiel, Débats, n° 105, p 7288). La situation est, aujourd'hui, fondamentalement différente de celle des années cinquante. A l'époque, en raison du plafonnement des prestations servies par le régime général de sécurité sociale, les partenaires sociaux ont mis en place, en 1947 pour les cadres et en 1961 pour les non-cadres, des régimes complémentaires qui ont constitué un progrès social considérable en portant à un niveau satisfaisant le revenu de remplacement alloué par la collectivité aux retraités. Le législateur a couronné cette construction en 1972 en la généralisant à l'ensemble des salariés du secteur privé. Telle n'est pas la situation aujourd'hui où la baisse du rendement des grands régimes obligatoires va entraîner une baisse corrélative du niveau de couverture.
Il existe, en fait, deux manières de mettre en cause les grands régimes obligatoires :
: la première consiste à autoriser des salariés, individuellement ou collectivement dans le cadre de leur entreprise, à en sortir, au moins partiellement, et à les laisser se constituer leurs propres compléments de retraite ; c'est la voie qui a été choisie par la Grande-Bretagne avec le système dit du « contracting out » ou avec les plans personnels de retraite (voir « Les régimes de retraite à l'étranger : Etats-Unis, Allemagne, Royaume-Uni », Emmanuel Reynaud, Lucy Roberts, IRES, Paris, 1992) ;
: la seconde consiste à assurer l'équilibre des régimes obligatoires en s'interdisant d'augmenter les cotisations et en n'agissant que sur les prestations ; pour être progressive, la baisse du niveau de couverture n'en est pas moins forte.
On ne peut donc affirmer, comme le fait le Gouvernement, qu'il n'y aura pas de mise en cause du système de retraite par répartition, c'est-à-dire de l'assurance vieillesse de la sécurité sociale et des régimes de retraite complémentaires obligatoires. Toute baisse sensible du niveau de couverture assuré par ces régimes constitue bien une mise en cause du système des retraites en France.
Les systèmes alternatifs qu'il est possible de mettre en place ne constitueront donc pas un facteur de progrès social comme la création de l'AGIRC en 1947 ou de l'ARRCO en 1961. Ils ne peuvent viser qu'à offrir aux salariés et aux entreprises qui en auront les moyens financiers la possibilité de compenser partiellement et, plus exceptionnellement, totalement, la baisse du niveau de couverture des régimes obligatoires.
Si la politique ainsi suivie à l'égard des régimes de retraite obligatoires doit être appréciée au regard de l'objectif constitutionnel inscrit à l'alinéa 11 du Préambule de 1946, il en va de même des systèmes alternatifs qui peuvent être proposés et qui, en termes de niveau de couverture, vont progressivement venir prendre une partie de la place laissée par les régimes obligatoires. Or, en la matière, deux orientations sont envisageables :
: promouvoir la mise en place de systèmes volontaires dans le cadre des entreprises et des branches professionnelles ; l'entreprise ou la branche décide alors de mettre en place un système de retraite qu'elle peut faire évoluer, voire arrêter, et ses salariés sont tenus d'y adhérer ;
: laisser le marché de l'assurance proposer des produits à adhésion individuelle auxquels les salariés sont libres de souscrire ou non.
Le premier système permet, en raison de l'implication des entreprises, de limiter la préférence, naturelle, de tout individu pour le court terme. Pour acquérir un véritable droit à retraite, il faut, en effet, cotiser pendant une très longue période (30 à 40 ans). Or l'expérience montre que l'on ne cotise pas volontairement pendant des durées aussi longues. Le second système ne permet pas d'atteindre cet objectif. C'est toute la différence entre une opération de retraite qui s'inscrit dans la très longue durée et une opération d'épargne qui, au maximum, atteindra une dizaine d'années (exemple de l'assurance vie).
Le système retenu par la loi relative à l'épargne retraite n'introduit aucune solidarité entre catégories d'assurés et surtout entre les différentes générations d'assurés. La mise en place de systèmes collectifs dans le cadre des entreprises et des branches permet, à l'inverse, d'introduire cette notion de solidarité. Il ne s'agit pas, alors, de la solidarité induite par les grands régimes obligatoires qui s'étend à l'ensemble de la population, mais d'une solidarité plus restreinte au sein de groupes constitués dans le cadre des entreprises ou des branches professionnelles.
A l'argument, parfois avancé, d'alourdissement des prélèvements obligatoires, il est nécessaire de préciser que les cotisations décidées dans le cadre de l'entreprise ou de la branche ne constituent pas des prélèvements obligatoires. Ce concept n'a de sens que dans un cadre national. En outre, l'entreprise qui met en place une couverture de retraite supplémentaire peut toujours réduire le niveau de la couverture ou y mettre un terme.
La loi relative à l'épargne retraite vise à promouvoir des fonds d'épargne retraite qui vont progressivement se substituer à une partie du domaine couvert aujourd'hui par les régimes obligatoires de sécurité sociale, de base ou complémentaires. A ce titre, elle méconnaît l'alinéa 11 du Préambule de 1946.
S'il ne s'était agi que d'offrir un avantage fiscal et éventuellement social à de simples produits d'assurance, il n'aurait pas été nécessaire d'adopter une loi comportant pas moins de 32 articles. Il aurait suffit de compléter le code général des impôts et le code de la sécurité sociale. Cette voie, extrêmement simple, est celle qui avait été empruntée, par exemple, pour les plans d'épargne en vue de la retraite. Au lieu de cela, le législateur a décidé de bâtir un cadre juridique complet mettant en place un nouvel étage de protection sociale dans le domaine de la retraite.
On soulignera, enfin, que la loi ne vise que les salariés titulaires d'un emploi. Ceux qui en sont privés ou qui en seront privés au cours de leur carrière ne pourront pendant ces périodes se constituer un droit à retraite. Même si le législateur n'a pas formellement écarté du bénéfice de la loi les salariés dont les emplois présentent un caractère précaire, ceux-ci n'en seront certainement pas les principaux bénéficiaires. Par les limitations de toute nature qu'elle apporte à la négociation collective, la loi dénature la portée de celle-ci au profit de la décision unilatérale du seul employeur. Enfin, comme on le montrera, la loi met directement en cause les principes constitutionnels de l'égalité, de la participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail et de solidarité sans pour autant leur garantir une protection suffisante de leurs droits, un certain nombre d'opérations présentant le caractère de placements spéculatifs.
C'est le contenu même du droit à pension, garantie fondamentale accordée à tout citoyen, qui est ici en cause. Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé en 1985, il appartient au législateur, lorsqu'il définit les principes fondamentaux de la sécurité sociale, « d'organiser la solidarité entre personnes en activité, personnes sans emploi et retraités et de maintenir l'équilibre financier permettant à l'ensemble des institutions de sécurité sociale de remplir leur rôle » (décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986). Le Haut Conseil a, de même, jugé, dans sa décision n° 94-348 DC du 3 août 1994, que le législateur ne devait pas, en matière d'opérations de retraite supplémentaire, porter atteinte au principe posé à l'alinéa 8 du Préambule de 1946.
La méconnaissance par le législateur de ces principes qui constituent des garanties fondamentales fait que la loi relative à l'épargne retraite est, dans son ensemble, contraire à la Constitution.
II. : Les moyens relatifs à l'étendue de la compétence du législateur
Le législateur n'a pas, dans de nombreux domaines, exercé complètement la compétence qu'il tient, notamment, de l'article 34 de la Constitution.
On rappellera, en préalable, que, s'agissant d'une proposition de loi, elle n'a été soumise à l'avis ni du Conseil d'Etat ni du Conseil économique et social et que ni le ministre des affaires sociales et de l'emploi ni les commissions chargées des affaires sociales de l'Assemblée nationale ou du Sénat n'ont participé à son élaboration.
1. Les modalités d'adhésion des salariés qui souscriront individuellement à un plan d'épargne retraite ne sont pas définies.
Le législateur n'a pas précisé les modalités de mise en place des plans d'épargne retraite qui seront offerts aux salariés susceptibles d'y adhérer à titre individuel. L'article 4 de la loi subordonne la souscription d'un plan d'épargne retraite à la conclusion d'un accord collectif (alinéa 2) ou à une décision unilatérale de l'employeur (alinéa 3). Les salariés concernés pourront, lorsque le plan aura été souscrit par leur employeur, y adhérer. Par contre, les salariés dont l'entreprise n'aura pas mis en place de plan d'épargne retraite ne souscriront pas individuellement un plan auprès d'un fonds d'épargne retraite, mais devront adhérer à un plan existant (art 1er, alinéa 2), c'est-à-dire au plan qui aura été souscrit par une autre entreprise que celle à laquelle ils appartiennent. Dès lors que le législateur a entendu ouvrir largement la possibilité d'adhésions purement individuelles, il doit en fixer précisément les modalités.
On ne voit pas, en effet, pourquoi une entreprise qui aura souscrit un plan d'épargne retraite au profit de ses salariés devrait accepter, ensuite, l'adhésion de salariés avec lesquels elle n'est pas liée par un contrat de travail.
La méconnaissance par le législateur de sa compétence en ce domaine conduira les assureurs à susciter la constitution, purement artificielle, d'associations de la loi de 1901 rassemblant le plus grand nombre possible d'employeurs qui, sans être nécessairement engagés financièrement, prendront autant de décisions unilatérales qu'il faudra afin de permettre à ces organismes de démarcher leurs salariés.
2. Le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes n'est pas affirmé et ne sera donc pas respecté.
Le législateur n'a pas déterminé les modalités selon lesquelles le principe de l'égalité entre les hommes et les femmes s'appliquent aux plans d'épargne retraite. Il a, sur ce point, méconnu sa compétence, le troisième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoyant que « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Cette garantie n'a pas été apportée, dans le domaine des plans d'épargne retraite, par le législateur. Dans le silence de la loi, des plans d'épargne retraite pourront donc, par exemple, prévoir des âges de départ en retraite différents pour les hommes et les femmes, des modalités de calcul des cotisations ou des droits à retraite prenant en compte les espérances de vie différentes des hommes et des femmes, etc.
3. Une règle minimale de partage des droits à réversion lorsque l'assuré décédé a eu successivement plusieurs conjoints n'a pas été fixée.
Le législateur a également méconnu sa compétence en ne fixant pas les principes selon lesquels, en cas de décès de l'assuré, les droits à réversion pourront être répartis lorsque celui-ci a eu successivement plusieurs conjoints. On relèvera que les principes relatifs au partage des droits entre chaque conjoint ont été fixés par le législateur pour les régimes de base de sécurité sociale, pour les régimes de retraite complémentaire de salariés, mais aussi pour les régimes de retraite supplémentaire à adhésion obligatoire (art L 912-4 du code de la sécurité sociale). Le législateur a, sur ce point précis, méconnu sa compétence, les conditions d'attribution d'une prestation relevant du domaine de la loi (voir, notamment, la décision n° 84-136 L du 28 février 1984 relative au régime complémentaire du personnel navigant de l'aéronautique civile).
4. La notion de groupement d'employeurs n'est pas définie.
En ne définissant pas la notion de groupement d'employeurs qui figure aux articles 1er, 4 et 5, le législateur a méconnu la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution qui prévoit que la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail et du régime des obligations civiles et commerciales. Les travaux préparatoires de la loi ne permettent pas, en effet, de déterminer avec précision ce qu'il faut entendre par groupement d'employeurs. Or ceux-ci seront amenés à prendre des décisions unilatérales (articles 1er et 4) et à conclure un contrat lors de la mise en place d'un plan d'épargne retraite (article 5).
L'article L 127-1 du code du travail définit les groupements d'employeurs comme étant des groupements de personnes physiques ou morales entrant dans le champ d'application d'une même convention collective et dont le but exclusif est de mettre à la disposition de leurs membres des salariés liés à ces groupements par un contrat de travail. Les déclarations du rapporteur, confirmées par le Gouvernement, devant le Sénat montrent que les intentions du législateur sont beaucoup plus larges puisqu'elles viseraient de multiples formes de regroupements d'entreprises (Journal officiel, Débats, Sénat, n° 106, p 7291 et 7334). Le législateur a, là encore, méconnu sa compétence en ne définissant pas les différentes modalités de constitution de ces groupements d'employeurs, en n'indiquant pas les conditions dans lesquelles ces groupements pourront prendre des décisions unilatérales s'imposant aux salariés des membres du groupement et, enfin, les conditions dans lesquelles le groupement signataire d'un contrat relatif à un plan d'épargne retraite pourra engager chacun des membres du groupement.
5. Les règles qui contribuent à la protection des droits des assurés sont incomplètes.
En ne définissant pas les principales règles qui assurent l'information et donc la protection des droits des adhérents aux fonds d'épargne retraite, le législateur a méconnu les compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution :
: l'article 6, premier alinéa, ne pose pas le principe de l'information préalable de l'adhérent en cas de cessation ou de suspension des abondements de l'employeur ;
: à l'article 7, en ne posant pas le principe d'un délai à l'intérieur duquel l'adhérent peut demander le transfert de ses droits vers un autre plan ou contrat d'assurance de groupe ; on relèvera que le premier alinéa de l'article 9 prévoit un délai en cas de changement de fonds d'épargne retraite par le souscripteur ;
: à l'article 9, le législateur a prévu le transfert de la contre-valeur des actifs représentatifs des droits attachés au plan d'épargne retraite ; si, à la date du transfert, la valeur boursière des actifs transférés est inférieure au montant des provisions techniques qui garantissent les droits en cause (par exemple parce qu'à cette date une forte proportion des titres accuse des moins-values importantes), l'assuré sera lésé et verra nécessairement les droits qu'il avait acquis antérieurement réduits à due concurrence ;
: à l'article 14, les modalités d'élection des représentants des adhérents au plan ne sont pas définies ; il n'est pas renvoyé au pouvoir réglementaire pour en préciser les modalités ;
: aux articles 15 et 22, les attributions et les moyens dont peuvent disposer les comités de surveillance ne sont pas définis ; le fonds d'épargne retraite peut ignorer totalement les comités de surveillance ; il n'est même pas prévu qu'il soit tenu, dans des cas à déterminer, de recueillir l'avis des comités de surveillance.
Aux articles 6, 7, 9 et 15, le législateur a renvoyé à des décrets simples le soin d'assurer leur mise en uvre. En raison des garanties qu'offre l'examen par le Conseil d'Etat de mesures d'application d'articles qui ont pour objet principal de protéger des assurés qui, par définition, sont dans une position de faiblesse par rapport aux professionnels avec lesquels ils ont contracté, c'est-à-dire les fonds d'épargne retraite, le législateur a également méconnu sa compétence en ne prévoyant pas l'intervention de décrets en Conseil d'Etat (voir les décisions du Conseil constitutionnel n° 73-76 L du 20 février 1973 et n° 77-98 L du 27 avril 1977).
6. Le statut des deux membres de la COB n'est pas défini.
Le législateur a, enfin, méconnu sa compétence en ne définissant pas avec précision, à l'article 12, II le rôle des deux membres de la COB qui siégeront au sein de la commission de contrôle constituée à l'article 17. Cette dernière commission a pour mission principale de s'assurer que les fonds d'épargne retraite tiennent leurs engagements vis-à-vis de leurs adhérents. A cet effet, elle pourra imposer aux fonds qu'elle contrôlera des plans de redressement de leur situation et, si nécessaire, leur infliger des sanctions administratives et pécuniaires. En renvoyant aux dispositions correspondantes du code des assurances, l'article 17 définit précisément le statut des membres de la commission ainsi que les conditions dans lesquelles celle-ci interviendra, notamment au regard du respect du secret de ses délibérations et du principe constitutionnel du respect des droits de la défense (voir notamment la décision DC 89-260 du 28 juillet 1989 relative, notamment, aux attributions de la COB). Au regard de ces principes fondamentaux, les attributions des deux membres de la COB ne sont pas clairement définies. Seront-ils membres de la commission à part entière ? Participeront-ils à tous les travaux de la commission ? Seront-ils habilités à se prononcer sur les plans de redressement et sanctions que la commission est susceptible de prononcer ? Si c'est le cas, leur statut doit être strictement défini par le législateur.
7. L'équité entre les générations ne sera pas garantie par les assureurs si un tel principe n'est pas posé par le législateur.
Les dispositions du chapitre II de la loi relative à l'épargne retraite ne traitent pas des modalités selon lesquelles les fonds d'épargne retraite devront gérer dans le temps les plans d'épargne retraite. La principale question qui se pose est relative aux conditions dans lesquelles les fonds d'épargne retraite feront participer leurs assurés aux bénéfices techniques et financiers qu'ils réaliseront.
Aujourd'hui, le code des assurances détermine le montant minimal des bénéfices que l'assureur doit réserver à ses assurés. Mais il ne précise pas les modalités de répartition de ces bénéfices entre les différentes catégories (salariés actifs cotisants à un plan d'épargne retraite et retraités) et générations d'assurés. Cette question, qui n'est pas bien réglée pour les contrats d'assurance vie, se posera avec davantage d'acuité s'agissant d'opérations s'étendant sur des durées très longues : trente à quarante ans d'acquisitions de droits et vingt ans de service de la rente (voir, sur cette question, Le Traité de droit des assurances. Les règles prudentielles de l'assurance vie, J-L Bellando, commissaire contrôleur général des assurances, p 320, n° 474, LGDJ, 1996). En conséquence, dans le silence des dispositions de l'article 11-I de la loi relative à l'épargne retraite, le législateur a méconnu le principe constitutionnel de l'égalité qui, pour des opérations de retraite, doit être apprécié sur la longue durée ainsi que sa propre compétence.
III. : L'atteinte au principe de l'application de l'avantage plus favorable en cas de concours entre accords collectifs ou entre une décision unilatérale de l'employeur et un accord collectif (art 4)
La souscription, par les entreprises, des plans d'épargne retraite pourra résulter de la conclusion d'accords collectifs. Le législateur ayant expressément prévu que ces accords puissent être conclus dans l'entreprise, la branche professionnelle ou le domaine interprofessionnel, le développement de négociations collectives consacrées à la mise en place de plans d'épargne retraite posera la question de l'application simultanée d'accords conclus à des niveaux différents de négociation. Jusqu'à présent et exception faite des accords dérogatoires qui ne sont pas, ici, envisagés, en cas de concours d'accords collectifs, le principe de l'avantage le plus favorable s'appliquait au salarié. En écartant l'application des dispositions du second alinéa de l'article L 132-13 et du second alinéa de l'article L 132-23 du code du travail, le législateur met en cause ce principe dans le domaine des plans d'épargne retraite.
L'article L 132-13 du code du travail traite du concours d'accords collectifs dans un même secteur professionnel. L'article 4, alinéa 2, de la loi permettra de faire prévaloir, entre deux accords dont le champ est différent, celui dont les dispositions sont les moins favorables.
L'article L 132-23, alinéa 2, du code du travail prévoit que dans le cas où l'accord de branche vient à s'appliquer postérieurement à la conclusion de l'accord d'entreprise, les dispositions de ce dernier sont adaptées en conséquence. Il s'agit d'une forte incitation à renégocier l'accord d'entreprise afin de procéder à son adaptation. Lorsque tel n'est pas le cas, l'application des dispositions conjointes de l'accord de branche et de l'accord d'entreprise doit se résoudre par l'application de la disposition la plus favorable.
Pour prendre un exemple simple, supposons qu'un accord de branche prévoit que les employeurs relevant du champ d'application de la branche consacrent 2 % du salaire au titre de l'abondement de l'employeur aux plans d'épargne retraite susceptibles d'être souscrits par leurs salariés et qu'une entreprise ait conclu antérieurement un accord dans lequel l'abondement de l'employeur représentait 1 % du salaire. L'article 4, alinéa 2, de la loi relative à l'épargne retraite autorise donc cet employeur à maintenir son abondement à ce niveau. Le salarié va donc, au titre de l'abondement de l'employeur, acquérir deux fois moins de droits que ses collègues travaillant dans des entreprises qui n'avaient pas mis en place de plan d'épargne retraite. Cet exemple fait clairement apparaître l'atteinte à l'égalité susceptible de résulter de l'application des dispositions de l'article 4, alinéa 2, de la loi.
Enfin, il en ira de même en cas de décision unilatérale de l'employeur. En effet, le dernier alinéa de l'article 4 soumet l'adhésion des salariés, en cas de décision unilatérale de l'employeur, aux mêmes conditions qu'en cas d'accord collectif. Il faut donc considérer que la décision unilatérale de l'employeur n'aura pas à être adaptée en cas de conclusion postérieure d'un accord de branche plus favorable.
L'adoption, par le législateur, de cette règle de conflit entre accords collectifs concurrents ou entre un accord collectif de branche et une décision unilatérale de l'employeur est contraire au principe selon lequel c'est la disposition la plus favorable au salarié qui doit prévaloir.
Ce principe, qui repose sur l'actuel article L 132-4 du code du travail selon lequel « la convention et l'accord collectif de travail peuvent comporter des dispositions plus favorables aux salariés que celles des lois et règlements en vigueur », a été introduit dans le droit positif par la loi du 24 juin 1936 modifiant et complétant le chapitre IV bis du titre II du livre Ier du code du travail : « De la convention collective du travail » (dernier alinéa de l'ancien art 31 VC du code du travail).
Il a d'abord été explicité par le Conseil d'Etat dans l'avis qu'il a rendu le 22 mars 1973 (Droit social 1973, p 514). La Haute Assemblée a rappelé que les dispositions législatives et réglementaires prises dans le domaine du droit du travail présentent un caractère d'ordre public en ce qu'elles garantissent aux travailleurs des avantages minimaux qui ne peuvent être réduits ni supprimés par voie de convention ou d'accord collectif.
Plus récemment, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, et la Cour de cassation ont affirmé le principe de l'application, en cas de concours entre conventions ou accords collectifs, de la règle la plus favorable. Dans un arrêt du 8 juillet 1994, le Conseil d'Etat a estimé que, conformément aux dispositions de l'article L 132-4 du code du travail, « le pouvoir réglementaire ne peut, sauf habilitation législative expresse, prévoir des conventions collectives comportant des stipulations moins favorables aux travailleurs que les dispositions qu'il a lui-même édictées » (RJS 12/94, p 840). De même, la Cour de cassation, dans plusieurs arrêts rendus le 17 juillet 1996, a affirmé dans les visas qui précèdent son arrêt « le principe fondamental en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable qui doit recevoir application » (Chambre sociale, Droit social n° 12, p 1053, note J Savatier). La cour a réaffirmé ce principe dans une autre affaire jugée le 8 octobre 1996 (Droit social n° 12, p 1048).
En conséquence, le principe, en droit du travail, selon lequel, en cas de conflit de normes, c'est la plus favorable qui doit recevoir application, doit être qualifié de principe fondamental reconnu par les lois de la République auquel le législateur ne peut déroger.
On observera, enfin, que les dispositions de l'article 4, alinéa 2, de la loi ne sont entourées d'aucune garantie :
: comme on le verra plus bas, une très large place est faite à la décision unilatérale de l'employeur, la négociation collective ne pouvant se dérouler librement ;
: à supposer que la disposition moins favorable puisse recevoir application, aucune contrepartie n'est envisagée, ce qui interdit tout accord « donnant-donnant » ;
: les organisations syndicales, dans l'entreprise où la disposition la moins favorable serait appliquée, ne peuvent exercer un quelconque droit d'opposition.
IV. : La méconnaissance du principe constitutionnel de la participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail (art 4)
L'alinéa 8 du Préambule de 1946 dispose que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ».
L'article 4 méconnaît à un double titre le principe constitutionnel de la participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail.
1 La méconnaissance liée à la nature juridique de l'employeur
Tout d'abord, le deuxième alinéa de l'article 4, en écartant l'application des dispositions du chapitre IV du titre III du livre Ier du code du travail, interdit à l'ensemble des personnels des entreprises publiques, des établissements publics à caractère industriel ou commercial et des établissements publics déterminés par décret d'adhérer à un plan d'épargne retraite à la suite de la conclusion d'un accord collectif. Rien ne justifie une telle exclusion pour les personnels de ces entreprises ou établissements qui ne sont pas soumis à un statut législatif ou réglementaire particulier. En effet, l'article L 134-1 du code du travail prévoit que les conditions de travail et les garanties sociales de ces catégories de personnels peuvent être déterminées par accords collectifs. Cette atteinte au principe de l'égalité n'est pas justifiée, ces catégories de personnels étant régies par le droit privé.
Mais, à ce premier motif d'inconstitutionnalité, s'en ajoute un second.
En effet, les dispositions combinées de l'article 1er et du troisième alinéa de l'article 4 de la loi autorisent les employeurs de ces catégories de personnels à mettre en place un plan d'épargne retraite par décision unilatérale. On se trouvera, en effet, dans l'hypothèse où, en raison de cette disposition législative, la conclusion d'un accord collectif sera impossible. Or le huitième alinéa du Préambule de 1946 pose le principe selon lequel « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». Or le Haut Conseil a jugé que ce principe était d'application générale et qu'il était même susceptible de s'appliquer aux agents publics et aux fonctionnaires (n° 77-83 DC du 20 juillet 1977). Alors qu'il ne s'agit pas ici d'agents publics ou de fonctionnaires, mais de personnels régis par le droit privé, ils seraient ainsi privés de la faculté d'adhérer à un plan d'épargne retraite à la suite de la conclusion d'un accord collectif.
En ce qu'elles portent atteinte aux principes de l'égalité et de la participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail, ces dispositions du deuxième alinéa de l'article 4 sont contraires à la Constitution.
2 La méconnaissance liée aux limitations du droit à la négociation collective
Le troisième alinéa de l'article 4 écarte la possibilité de mettre en place un plan d'épargne retraite par voie d'accord collectif en cas d'impossibilité de conclure un tel accord dans un délai de six mois. On remarquera que la généralité des termes utilisés englobe l'ensemble des accords collectifs quel que soit leur champ d'application. Il est ainsi porté atteinte au droit qu'ont les partenaires sociaux de définir les modalités de la négociation.
Aucune urgence particulière ne vient justifier la brièveté de ce délai, les droits à retraite étant, par nature, constitués sur des durées très longues (plusieurs dizaines d'années).
La brièveté du délai et la faculté laissée à l'employeur d'agir par voie de décision unilatérale au terme d'un délai de six mois, alors même qu'aucun désaccord ne serait apparu et n'aurait été constaté dans un procès-verbal, sont ouvertement contraires au huitième alinéa du Préambule de 1946. Il en résulte une dénaturation de la négociation collective. Alors que celle-ci a notamment pour objet de limiter le pouvoir de décision unilatérale de l'employeur, l'article 4 de la loi en fait le mode presque normal de mise en place d'un plan d'épargne retraite, la conclusion d'un accord collectif devenant, en raison de l'obligation de résultat imposée aux partenaires sociaux dans un délai de six mois, l'exception. En fixant un délai très bref, il autorise chacune des deux parties, et singulièrement l'employeur, à ne pas « jouer le jeu » de la négociation. On verra apparaître des négociations de pure forme sans que les parties aient la moindre volonté d'aboutir. Tout accord collectif est un contrat. La fixation d'un délai impératif à l'intérieur duquel celui-ci doit être conclu ne permet pas au consentement des volontés de s'exprimer en toute liberté.
Il convient de rappeler qu'en matière de négociation annuelle sur les salaires l'article L 132-29 du code du travail prévoit que « tant que la négociation est en cours, l'employeur ne peut arrêter de décisions unilatérales concernant la collectivité des salariés, à moins que l'urgence ne le justifie ». Le même article prévoit que « si, au terme de la négociation, aucun accord n'a été conclu, il est établi un procès-verbal de désaccord dans lequel sont consignées, en leur dernier état, les propositions respectives des parties et les mesures que l'employeur entend appliquer unilatéralement ». On soulignera que les cotisations servant à financer une couverture de retraite sont souvent analysées comme un élément de rémunération ou, du moins, de salaire différé et que l'on est assez près du domaine couvert par les dispositions du code du travail relatives à la négociation annuelle sur les salaires.
Le Haut Conseil a eu l'occasion de se prononcer à plusieurs reprises sur le huitième alinéa du Préambule de 1946. Dans une décision n° 89-257 DC du 25 juillet 1989, s'il a estimé qu'après avoir défini les droits et obligations touchant aux conditions de travail ou aux relations de travail, il est loisible au législateur de laisser aux employeurs et aux salariés ou à leurs organisations représentatives le soin de préciser les modalités de mise en uvre des normes qu'il édicte, c'est à la condition qu'une « concertation appropriée » ait eu lieu entre les différents partenaires. Dans sa décision n° 96-383 DC du 6 novembre 1996, le Haut Conseil a également rappelé que ces dispositions du Préambule de 1946 « confèrent aux organisations syndicales vocation naturelle à assurer, notamment par la voie de la négociation collective, la défense des droits et intérêts des travailleurs ».
En conséquence, la fixation d'un délai de six mois à l'intérieur duquel la négociation d'un accord collectif relatif à un plan d'épargne retraite doit obligatoirement s'opérer est contraire au principe constitutionnel de la participation, par les salariés, à la détermination de leurs conditions de travail.
V : Les entraves au libre choix du plan d'épargne retraite (art 4, 6 et 7)
Les dispositions combinées des articles 4, alinéa 2, 6, premier alinéas, et 7, alinéa 2, autorisent la mise en place, dans les entreprises, de plans d'épargne retraite par décision unilatérale de l'employeur sans que ce dernier participe à leur financement. Cela signifie que, sans être impliqué dans la gestion du plan, l'employeur pourra imposer à ceux des salariés qui le souhaiteront d'adhérer au plan et donc au fonds qu'il aura, seul, choisi. En effet, dans ce cas le salarié ne pourra adhérer au plan de son choix puisqu'un plan aura été mis en place dans l'entreprise. En outre, il ne pourra en changer que tous les dix ans, une fois renouvelable.
Le principe de la participation des salariés à la définition de leurs conditions de travail est, de nouveau, totalement méconnu. Il en va de même de la liberté, pour un salarié, de choisir son contractant. Le fait que l'adhésion soit rendue possible par le contrat d'assurance de groupe souscrit par l'employeur au profit de ses salariés ne contredit pas cette affirmation. D'une part, l'employeur ne joue pas véritablement son rôle de cocontractant ; il est plutôt un intermédiaire entre le fonds d'épargne retraite et ses salariés. D'autre part, la Cour de cassation considère que les opérations d'assurance de groupe ouvertes, c'est-à-dire auxquelles les assurés appartenant à un groupe déterminé sont libres d'adhérer ou non, donne naissance à une double série de rapports contractuels entre le souscripteur (l'employeur) et l'assureur (le fonds d'épargne retraite), d'une part, et entre chaque assuré et l'assureur, d'autre part. La Cour de cassation a, en effet, jugé que « l'adhésion au contrat d'assurance de groupe, bien que conséquence d'une stipulation pour autrui, n'en crée pas moins un lien contractuel direct entre l'adhérent et l'assureur » (1re ch. civile, 7 juin 1989, Revue générale des assurances terrestres, 1989, p 623, note J-L Aubert).
Le principe constitutionnel de l'autonomie de la volonté, tel qu'il résulte de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui affirme que « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui » est ici méconnu par le législateur. Le fait que l'adhésion se fasse par l'intermédiaire de l'employeur ne constitue nullement une garantie : l'employeur n'est pas impliqué financièrement, l'article 6 de la loi l'autorisant à ne pas cotiser, et il n'est pas un professionnel de l'épargne retraite.
En conséquence, les dispositions des articles 4, alinéa 2, 6, premier alinéa, et 7, alinéa 2, sont contraires à la Constitution.
VI. : La méconnaissance du principe de la liberté d'entreprendre (art 8)
L'obligation, posée à l'article 8 de la loi, de créer des fonds d'épargne retraite, c'est-à-dire des personnes morales ayant pour objet exclusif la couverture des engagements pris dans le cadre de plans d'épargne retraite, est contraire au principe de la liberté d'entreprendre. L'exercice de cette liberté qui, selon une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel, n'est ni générale ni absolue est méconnu au double motif que les limitations que le législateur lui a apportées ne sont pas justifiées par des motifs tirés de l'intérêt général et qu'elles en dénaturent la portée.
L'exercice, en France comme dans les autres pays de l'Union européenne, de l'activité d'assurance n'est pas libre. Il est soumis à l'agrément préalable des autorités administratives compétentes.
Toute entreprise qui souhaite exercer en France et dans les autres Etats membres de l'Union européenne en liberté d'établissement et en libre prestation de services l'activité d'assurance doit, sur la base d'un dossier complexe, obtenir l'agrément préalable de l'autorité administrative du pays de son siège social. Parmi les éléments d'appréciation importants, il est nécessaire de mentionner plus particulièrement la capacité de l'organisme à disposer de fonds propres importants et l'examen, lors de l'agrément, des bases tarifaires.
L'obligation faite aux différents organismes assureurs de filialiser leurs activités en matière d'épargne retraite est inutile et dangereuse.
Elle est inutile parce qu'elle fait double emploi avec la législation et la réglementation existantes. Rien ne peut justifier de demander à un organisme assureur qui a été agréé pour pratiquer des opérations d'assurance vie relatives à l'épargne retraite, qui réalise de telles opérations et qui est soumis au contrôle permanent de la commission de contrôle des assurances ou de la commission de contrôle des mutuelles et des institutions de prévoyance de devoir solliciter de nouveau un agrément en tous points similaire. Sans qu'il soit possible d'estimer avec précision le nombre de demandes d'agrément, on soulignera qu'il existe, aujourd'hui, près de 300 organismes pratiquant des opérations d'assurance vie : 138 sociétés d'assurance (rapport d'activité 1994, commission de contrôle des assurances), 61 caisses autonomes mutualistes et 87 institutions de prévoyance (rapport 1994/1995 de la commission de contrôle des mutuelles, La Documentation française, 1996). Si l'on fait l'hypothèse qu'un organisme sur deux souhaitera être présent sur le marché des plans d'épargne retraite, ce sont au minimum 150 fonds d'épargne retraite qui vont demander l'agrément du ministère de l'économie et des finances et du ministère chargé de la sécurité sociale.
Les pouvoirs publics n'envisagent pas, en outre, d'adopter par voie réglementaire des règles différentes de celles qui s'appliquent aux sociétés d'assurance. A une question de M Marini, rapporteur, qui demandait si les règles d'évaluation des actifs, de provisionnement et de participation aux excédents seraient fixées « par référence au code des assurances qui, depuis fort longtemps, en matière d'assurance vie, traite des mêmes sujets », M Lamassoure a très clairement répondu que « les ratios prudentiels qui seront applicables aux fonds seront ceux du code des assurances » (Débats, Sénat, n° 107, 14 décembre 1996, p 7376). M Arthuis, lors de l'examen en deuxième lecture par le Sénat de la proposition de loi, a indiqué que les fonds d'épargne retraite « seront gérés dans un cadre assurantiel, puisque leur objet est de servir une rente aux épargnants lorsqu'ils atteindront l'âge de la retraite ».
A supposer qu'au travers de ses décrets d'application les pouvoirs publics aient l'intention d'adopter des règles plus strictes que celles qui s'appliquent aujourd'hui aux sociétés d'assurance dans l'élaboration de leurs tarifs ou le calcul des provisions techniques qui assurent la couverture de leurs engagements, rien ne pourrait alors justifier que de telles règles s'appliquent aux opérations des fonds d'épargne alors qu'elles ne s'appliqueraient pas aux opérations en tous points similaires qui continueraient d'être faites par les sociétés d'assurance « classiques ». Il y aurait, alors, atteinte à l'égalité. Rien ne pourrait, en effet, justifier que des opérations de même nature soient soumises à des règles prudentielles différentes. Les assurés sont en droit d'attendre que la législation et la réglementation applicables aux organismes assureurs qui leur proposent de souscrire tel ou tel contrat leur offrent des garanties de sécurité rigoureusement identiques. Si tel n'était pas le cas, la responsabilité de l'Etat pourrait se trouver directement engagée.
Cette disposition de la loi est dangereuse parce qu'elle va multiplier les cas de double emploi des mêmes fonds propres entre organismes assureurs et donc accroître leur fragilité. Le rapporteur en deuxième lecture devant le Sénat ainsi que le ministre délégué au budget ont reconnu la réalité de ce problème (Débats, Sénat, n° 9, p 497) sans, pour autant, vouloir y apporter une réponse. On ajoutera qu'à la différence des établissements de crédit, les actionnaires des fonds d'épargne retraite ne peuvent se voir invités par les autorités de contrôle à fournir à un fonds qui serait en difficulté le soutien nécessaire (article 52 de la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984). Non seulement l'entrave ainsi apportée à la liberté d'entreprendre ne repose pas sur des motifs tirés de l'intérêt général, mais elle va ouvertement à l'encontre de celui-ci.
Le même résultat pourrait être atteint plus simplement.
L'obligation faite aux organismes assureurs existants de constituer de nouvelles personnes morales, d'en demander et d'en obtenir l'agrément pour l'exercice d'activités qu'ils ont déjà été autorisés, par le passé, à pratiquer constitue une exigence disproportionnée au regard des objectifs poursuivis. A ce titre, elle excède très largement les limites que le législateur a posées à l'exercice de l'activité d'assurance en France sans reposer sur des justifications sérieuses. L'objectif poursuivi, qui est de garantir au mieux la sécurité de ces opérations et les droits des assurés, peut être atteint de manière équivalente et même plus sécuritaire par l'application ou l'adaptation de la législation et de la réglementation existantes. On rappellera, à ce propos, que les droits des assurés relevant des régimes collectifs de retraite régis par le chapitre Ier du titre IV du livre IV du code des assurances sont intégralement protégés par l'obligation qui leur est faite de cantonner ces opérations au sein des comptes de l'assureur (art L 441-1 du code des assurances) et par l'existence, au profit des assurés, d'un privilège spécial qui prime le privilège général des assurés sur les actifs d'une société d'assurance (art L 441-8).
Rigoureusement rien n'interdisait d'adapter ce dispositif aux autres catégories d'opérations d'épargne retraite.
On rappellera, à cet égard, et sans que cela, bien évidemment, lie la haute juridiction dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, que la Cour de justice des Communautés européennes veille, pour la mise en uvre des articles 52 (libre établissement) et 59 (libre prestation de services) du traité de Rome, à ce que les Etats membres ne soumettent pas à agrément des organismes qui ont déjà été agréés dans leur pays d'origine lorsqu'ils souhaitent intervenir dans d'autres Etats membres. L'un des arguments invoqués par la Cour de justice est d'éviter des doubles agréments générateurs de contraintes inutiles (voir J Biancarelli, « L'évolution la plus récente de la jurisprudence de la Cour de justice en matière de prestation de services dans le secteur des assurances », Revue du Marché commun, 1987, p 35, ainsi que Le Traité de droit des assurances. Le Marché unique de l'assurance, Gilbert Parléani, LGDJ, 1996).
En ce qu'il comporte des contraintes qui ne sont pas fondées sur des motifs d'intérêt général et qui sont excessives, l'article 8, premier alinéa, est contraire à la liberté d'entreprise.
VII. : L'atteinte au principe constitutionnel de la participation des assurés à la gestion de leur plan d'épargne retraite (art 14)
L'alinéa 8 du Préambule de 1946 affirme que « tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et du droit de la sécurité sociale. Ainsi que le Conseil constitutionnel l'a jugé dans sa décision n° 94-348 DC du 3 août 1994 pour les opérations de retraite supplémentaire d'entreprise, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect de cette disposition à valeur constitutionnelle, les conditions et garanties de sa mise en uvre.
Le législateur a méconnu le principe posé à l'alinéa 8 du Préambule de 1946 en prévoyant la mise en place de comités de surveillance qui, dans de nombreux cas, ne pourront pas être constitués, qui ne disposent pas de réelles attributions pour pouvoir assurer la participation des assurés à la gestion du plan d'épargne retraite et qui visent à écarter les partenaires sociaux de la gestion des plans.
On rappellera, tout d'abord, que les plans d'épargne retraite seront très largement financés par les salariés. Ceux-ci devront effectuer des versements, ce qui implique une périodicité mensuelle ou trimestrielle des sommes versées alors que les employeurs ne verseront que des abondements ou des contributions complémentaires qui ne présentent aucun caractère obligatoire ou même d'automaticité.
Le financement des plans par les salariés dans des proportions sans doute importantes en pratique fonde le droit des adhérents à participer à la gestion du plan. C'est particulièrement vrai pour les adhérents individuels qui seront les seuls financeurs de leurs plans.
Comme on l'a vu précédemment, le dispositif retenu par le législateur ne permettra pas, pour les adhérents individuels et dans les entreprises de faible dimension, la constitution de conseils de surveillance. A supposer que les adhérents individuels puissent être représentés au sein de comités de surveillance qui leur seraient réservés, on ne voit pas pourquoi ils ne pourraient disposer que de la moitié des sièges ; si l'autre moitié est composée, en totalité ou en partie, de représentants du fonds, c'est-à-dire de l'assureur, il y a atteinte à l'indépendance des comités de surveillance qui ne pourront exercer pleinement leur rôle. On ajoutera que le législateur a prévu à l'article 14 de la loi la représentation des seuls adhérents, écartant ainsi les bénéficiaires de rentes. Or un système de retraite forme un tout indivisible entre des salariés actifs cotisants et des retraités, bénéficiaires de prestations. On rappellera que l'article L 911-1 du code de la sécurité sociale qui traite des garanties collectives dans le domaine des couvertures sociales complémentaires vise les salariés, anciens salariés et ayants droit. La composition même des comités de surveillance porte atteinte au principe constitutionnel de l'égalité.
Les conseils de surveillance ne disposent pas de réelles attributions. Associer les assurés à la gestion de leur plan, c'est leur donner les moyens de décider du pilotage de leur plan, c'est-à-dire, par exemple, pour des régimes relevant du chapitre Ier du titre IV du livre IV du code des assurances, fixer les paramètres du régime ; c'est ainsi que fonctionnent, pour des personnes situées hors du champ de cette loi, la PREFON et FONPEL ; de même, il appartient aux adhérents de déterminer, en fonction des possibilités du régime, les modalités de revalorisation des rentes servies ; en demeurant totalement silencieux sur ces différents points, le législateur laisse aux fonds d'épargne retraite, c'est-à-dire aux assureurs, le soin de piloter les plans ; or seuls les assurés ont la légitimité nécessaire, les fonds d'épargne retraite n'étant que de simples contractants.
Comme on l'a déjà souligné, le comité de surveillance émet des avis à destination des adhérents au plan (art 21, alinéa 3) et non à destination des responsables du fonds qui gère le plan ; ceux-ci ne sont pas tenus de répondre aux questions du comité sauf lorsque celui-ci fait usage de la procédure particulièrement lourde prévue à l'article 16 de la loi qui suppose une demande d'un tiers des membres du comité et, en l'absence de réponse des responsables du fonds, la nomination, par un juge, d'un ou plusieurs experts.
Ces dispositions visent à écarter les partenaires sociaux de la gestion des plans d'épargne retraite. Elles sont contraires à la décision n° 94-348 du 3 août 1994 du Conseil constitutionnel dans laquelle celui-ci a estimé, pour des opérations de retraite supplémentaire, analogues à celles relatives aux plans d'épargne retraite, que la présence des partenaires sociaux, soit comme souscripteurs, soit comme gestionnaires directs d'organismes d'assurance, permettait d'« assurer une meilleure protection sociale des salariés ». On rappellera que, seul, l'employeur est souscripteur des plans d'épargne retraite (art 6 bis, premier alinéa).
Pour l'ensemble de ces raisons, le législateur n'a pas assuré les conditions et garanties, à l'article 14 de la loi, de l'alinéa 8 du Préambule de 1946.
VIII. : La méconnaissance de l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (art 20)
L'article 20 interdit aux membres de la commission de contrôle des fonds d'épargne retraite de recevoir, pendant la durée de leur mandat et dans les cinq ans qui suivent l'expiration de celui-ci, toute rétribution de la part d'un fonds d'épargne retraite ou d'un prestataire de services d'investissement gérant les actifs du fonds.
Cet article méconnaît le principe posé à l'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen selon lequel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ». Le respect de ce principe suppose, en effet, que l'ensemble des fonctionnaires et agents qui participent à l'instruction des demandes d'agrément et au contrôle des fonds d'épargne retraite ainsi que ceux qui, par délégation des ministres concernés, prennent la décision d'agrément ne puissent, pendant un délai qui pourrait également être de cinq ans, recevoir de rétribution d'un fonds d'épargne retraite. Seraient concernés par cette mesure les commissaires contrôleurs des assurances et les membres de l'inspection générale des affaires sociales qui contrôleront les fonds d'épargne retraite ainsi que les fonctionnaires et agents publics du ministère de l'économie et des finances et du ministère chargé de la sécurité sociale qui instruiront les dossiers de demande d'agrément et accorderont, après avis de la commission de contrôle, l'agrément.
L'article 20 est donc, pour ce motif, contraire à la Constitution.
IX. : Des avantages fiscaux contraires au principe de l'égalité devant les charges publiques (art 26)
L'article 26 de la loi complète l'article 83 du code général des impôts afin de rendre déductible du revenu brut du salarié les versements des salariés et les contributions complémentaires de l'employeur aux plans d'épargne retraite. Les sommes rendues ainsi déductibles sont plafonnées soit à 5 % du montant brut de la rémunération, soit 20 % du plafond annuel de la sécurité sociale.
Lorsque ce plafond n'est pas atteint, la différence est reportable au cours des trois années suivantes.
L'avantage ainsi consenti aux salariés porte atteinte au principe constitutionnel de l'égalité devant les charges publiques tel qu'il résulte de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et au principe de la progressivité de l'impôt sur le revenu.
Il n'est justifié par aucune considération tirée de l'intérêt général.
Aujourd'hui, sont déductibles de l'assiette de l'impôt sur le revenu les cotisations de sécurité sociale et les cotisations relatives aux régimes de retraite et de prévoyance complémentaire sous réserve, dans ces derniers cas, que l'affiliation aux régimes concernés soit obligatoire (art 83 [2 °] du code général des impôts).
Il n'est pas inutile de rappeler que, dans son principe, ce dispositif est très ancien puisqu'il remonte à la loi du 17 janvier 1917. La rédaction de l'actuel article 83 (2 °) du code général des impôts, si elle est différente dans ses modalités pratiques, est rigoureusement identique dans son principe. Elle repose sur le fait que les cotisations en cause présentent un caractère obligatoire pour l'employeur et le salarié. Ne sont, par contre, pas déductibles les cotisations provenant de versements effectués librement par le salarié.
Ce dispositif est d'ores et déjà très favorable :
Il englobe des régimes qui ne sont pas généralisés (sécurité sociale, régimes de retraite complémentaire ARRCO, AGIRC) et dont la mise en place est décidée librement par les entreprises ou les branches professionnelles, y compris, pour les entreprises, par simple décision unilatérale de l'employeur ;
Il est plafonné à un niveau très élevé (19 % de huit fois le plafond de la sécurité sociale, soit 250 252 F en 1997).
Dans la pratique, pour un salarié cotisant normalement aux régimes de retraite complémentaire (6 % à l'ARRCO et 16 % à l'AGIRC), disposant d'une couverture de prévoyance (décès, incapacité/invalidité, maladie, 4 % du salaire) et d'une couverture de retraite supplémentaire collective à adhésion obligatoire dans l'entreprise (cotisation de 4 % du salaire), il y avait, en 1995, réintégration de l'excédent dans l'assiette de l'impôt sur le revenu pour un salaire annuel supérieur à cinq fois le plafond de la sécurité sociale, soit, en 1995, près de 800 000 F (voir Retraites d'entreprise, p 205 à 208, éditions Francis Lefebvre).
L'avantage supplémentaire accordé par la loi relative à l'épargne retraite est contraire au principe de l'égalité devant l'impôt à un double point de vue :
Il repose sur des décisions purement individuelles des salariés ; il ne s'agit plus, comme c'est le cas aujourd'hui, de déduire des cotisations qui constituent des charges s'imposant à l'entreprise et aux salariés, mais d'utiliser personnellement, dans un souci d'optimisation fiscale, un nouvel avantage ; n'utiliseront et donc ne bénéficieront de ce dispositif que les salariés titulaires de revenus élevés ;
Il porte une sérieuse atteinte au principe de la progressivité de l'impôt sur le revenu ; hormis le fait qu'il profitera principalement aux salariés les plus aisés, le dispositif adopté par le législateur n'est plafonné qu'en apparence ; il dépend directement de la rémunération brute du salarié ; on assistera donc, pour les titulaires de hauts revenus, à des arbitrages entre ces salariés et leur employeur entre salaire direct et salaire différé ; le système qui s'applique aujourd'hui, s'il est avantageux, demeure plafonné même s'il est indexé sur l'évolution du plafond de la sécurité sociale ; en aucun cas, dans le système actuel, le salarié et son employeur ne sont maîtres du montant des sommes susceptibles d'être déduites ; il n'est pas inutile, de ce point de vue, de rappeler les termes de la décision du Conseil constitutionnel n° 93-320 DC du 21 juin 1993 rendue à propos de la déductibilité de la CSG ; le Haut Conseil a jugé, à cette occasion, que s'il n'est pas nécessairement contraire au principe de l'égalité que le législateur, dans l'exercice des compétences qu'il tient de l'article 34 de la Constitution, rende déductible un impôt de l'assiette d'un autre impôt, c'est à la double condition qu'« en allégeant la charge pesant sur les contribuables il n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité entre ceux-ci » et que la déduction demeure « partielle et limitée dans son montant par un mécanisme de plafonnement » afin de ne pas remettre en cause « le caractère progressif du montant de l'imposition globale du revenu des personnes physiques ». Aucune de ces deux conditions, et notamment la seconde, n'est ici remplie.
On rappellera, enfin, que la politique que le Gouvernement semble vouloir mener en matière d'impôt sur le revenu consiste à limiter, voire à faire disparaître le plus grand nombre d'avantages particuliers, l'élargissement d'assiette étant alors susceptible d'autoriser une baisse du taux d'imposition. On relèvera également que, dans un domaine voisin, la part employeur des cotisations AGIRC/ARRCO est la seule à échapper à la CSG et à la CRDS, la part employeur des cotisations de prévoyance et de retraite supplémentaire entrant dans l'assiette de ces deux impositions de toutes natures. Le Gouvernement, par la voie d'ordonnances, a, ici, manifesté une rigueur totalement absente de la loi relative à l'épargne retraite.
Il y était encouragé par le 14e rapport au Président de la République du Conseil des impôts relatif à la CSG qui plaidait en ce sens. On mentionnera, enfin, les conclusions du rapport au ministre du budget, Etudes des prélèvements fiscaux et sociaux posant sur les ménages (La Documentation française, 1996), de MM Bernard Ducamin, Robert Baconnier et Raoul Briet. Dans ce rapport, les auteurs s'interrogent notamment sur les nouvelles formes de rémunération qui permettent d'éluder l'impôt ou le prélèvement social. Ils estiment que « si la protection sociale complémentaire déborde de sa vocation initiale pour devenir un instrument d'épargne salariale, il y a lieu de s'interroger sur la cohérence de ces exonérations avec celles d'autres dispositifs d'épargne salariale tels que l'intéressement, la participation ou le plan d'épargne d'entreprise qui bénéficient, pour leur part, d'exonérations de cotisations sociales et d'impôt sur le revenu ». L'adoption de la loi relative à l'épargne retraite ne manquera pas d'accroître encore un peu plus ces incohérences.
Dans la pratique, c'est sur l'ensemble des contribuables que se reportera une perte de recettes fiscales dont bénéficieront principalement, dans le cadre d'adhésions décidées par les seuls salariés ceux qui sont les mieux rémunérés (cadres supérieurs, dirigeants salariés des entreprises et, notamment, des PME).
Un autre élément doit encore être souligné. Il tient au fait que certaines des opérations autorisées par la loi dans le cadre des plans d'épargne retraite ne sont pas des opérations de retraite, mais des opérations de placement. Le rapporteur du projet devant le Sénat a très clairement exprimé sa préférence pour ces dernières opérations. Il s'agit, notamment, des contrats d'assurance en unités de compte. Dans ce type de contrat, la rente ou le capital garanti ne sont pas exprimés en francs, mais en parts de SICAV, FCP ou actions qui sont représentatifs de l'unité de compte. Selon la valeur de l'unité de compte au moment de la demande de liquidation de la rente, celle-ci sera plus ou moins importante. C'est l'assuré et non l'assureur qui supportera intégralement le risque de placement (voir sur ces contrats le Traité de droit des assurances, tome 1, n° 479, J-L Bellando, commissaire contrôleur général des assurances, LGDJ, 1996).
Il ne s'agit plus d'opérations de retraite, mais d'opérations de placement. Le rapporteur devant le Sénat a très clairement exprimé le souhait que les plans d'épargne retraite prennent la forme de placements non garantis (Rapport n° 124, p 44-45). C'est d'ailleurs ce qui l'a conduit à proposer d'exclure les contrats qui offrent aux assurés une garantie minimale portant sur le montant de l'épargne accumulée. L'article 5, alinéa 2, se fait l'écho de cette préoccupation au travers de l'interdiction faite aux fonds d'épargne retraite de s'engager à servir des prestations définies.
Dans ces conditions, une partie importante des plans d'épargne retraite va prendre la forme d'une opération de placement tout en bénéficiant d'avantages fiscaux de même nature que ceux réservés, depuis 1917, aux opérations de retraite. Dès lors qu'il s'agit d'une opération de placement, la cotisation qui assure le financement du plan constitue un emploi du revenu. C'est évidemment le cas pour le salarié, mais également pour l'employeur qui, par le biais de ses abondements, doit être regardé comme prenant une part à sa charge pour le compte du bénéficiaire. Elle ne répond donc pas à la conception que le Conseil constitutionnel a développée en matière de cotisations sociales (voir les décisions n° 93-325 DC du 13 août 1993 et n° 94-357 DC du 25 janvier 1995). Selon le Haut Conseil, pour avoir la qualification de cotisations sociales, les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale doivent répondre aux deux conditions suivantes : être « des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés » et ouvrir « vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » (décision n° 93-325 DC). La première de ces deux conditions fait, ici, défaut puisque les versements et abondements aux plans d'épargne retraite sont facultatifs (art 6 de la loi). Par contre, la seconde condition conserve tout son intérêt pour des opérations de protection sociale à caractère facultatif, le législateur ayant lui-même affirmé à l'article 3 de la loi que tout plan d'épargne retraite ouvrait droit au paiement d'une rente viagère.
On rappellera, enfin, que le Conseil d'Etat a, de jurisprudence ancienne et constante, toujours refusé la déductibilité des cotisations qui prenaient la forme d'un emploi du revenu en vue d'une opération de placement (voir les conclusions du commissaire du Gouvernement Verny sous les arrêts d'assemblée n°s 43-760 et 45-387 du 2 décembre 1983 et la jurisprudence antérieure citée, Droit fiscal, 1984, n° 541, p 435 et suivantes).
On ajoutera, enfin, qu'à la perte de recettes qu'occasionnent, pour le budget de l'Etat les dispositions de l'article 26 de la loi, il convient d'ajouter la compensation des pertes de recettes occasionnées à la sécurité sociale par l'article 27 de la même loi.
Les multiples atteintes au principe de l'égalité devant l'impôt que comporte l'article 26 de la loi relative à l'épargne retraite ne sont justifiées par aucun motif tiré de l'intérêt général. Bien plus, le principe de progressivité de l'impôt est méconnu et dans certains cas (contrats en unités de compte) l'adhérent ne sera pas assuré de percevoir une rente effectivement garantie par l'assureur. Il y a donc rupture caractérisée de l'égalité. Pour l'ensemble de ces raisons, l'article 26 de la loi relative à l'épargne retraite méconnaît l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
X : La mise en cause de l'équilibre financier de la sécurité sociale (art 27)
L'article 27 est venu modifier et compléter le cinquième alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale. Jusqu'à présent, seules les cotisations des employeurs relatives à une couverture de retraite ou de prévoyance complémentaire pouvaient être exclues, dans des limites fixées par décret, de l'assiette des cotisations de sécurité sociale. S'y ajoutent, désormais, les abondements de l'employeur aux plans d'épargne retraite.
Cette disposition est contraire à la Constitution pour deux motifs :
: en déléguant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les limites d'exclusion d'assiette, le législateur a méconnu sa compétence (voir le paragraphe 1 ci-dessous) ;
: en instituant une nouvelle forme d'exonération de cotisations de sécurité sociale, il a méconnu les dispositions de la loi n° 96-1160 du 27 décembre 1996 de financement de la sécurité sociale pour 1997 (voir le paragraphe 2 ci-dessous).
1. Les dispositions du cinquième alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale méconnaissent la compétence du législateur.
La modification apportée au cinquième alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale ne prend toute sa signification qu'à la lecture de l'ensemble des dispositions qui composent cet alinéa. En étendant le champ des sommes susceptibles d'être exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale, elle affecte le domaine d'une loi promulguée le 28 décembre 1979 et ouvre donc, conformément à la jurisprudence du Conseil constitutionnel (décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985), la possibilité à celui-ci de se prononcer sur l'ensemble des dispositions du cinquième alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale.
Lors de l'examen de la loi de 1979, le rapporteur devant l'Assemblée nationale, M Etienne Pinte, s'était interrogé sur la constitutionnalité de l'étendue de la délégation de pouvoir ainsi donnée au pouvoir réglementaire. Il estimait, dans son rapport, que « la question qui se pose est de savoir si l'on peut préciser la nature des contributions patronales exclues de l'assiette des cotisations (cotisations minimales obligatoires aux régimes de retraite complémentaire, par exemple) ou s'il faut s'en tenir, comme le projet de loi le propose, à un montant fixé par décret dont la base de calcul devrait, au minimum, figurer dans la loi » (rapport n° 1401, p 22). L'adoption de la loi dans les conditions prévues à l'article 49-III de la Constitution n'aura pas permis au Parlement d'amender, sur ce point, le texte du Gouvernement. On relèvera, cependant, que le décret d'application n'a été publié que cinq années plus tard, le 23 juillet 1985.
Quelques exemples permettront d'illustrer l'importance des avantages accordés en 1979 et encore renforcés par la loi relative à l'épargne retraite.
L'avantage social offert par l'avant-dernier alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale est plafonné à un niveau très élevé : 85 % du plafond de la sécurité sociale pour l'ensemble des cotisations de l'employeur aux régimes complémentaires de retraite et de prévoyance, soit, en 1997, 139 944 F.
Dans la pratique, pour un salarié cotisant normalement aux régimes de retraite complémentaire (6 % à l'ARRCO et 16 % à l'AGIRC), disposant d'une couverture de prévoyance (décès, incapacité/invalidité, maladie, 4 % du salaire) et d'une couverture de retraite supplémentaire collective à adhésion obligatoire dans l'entreprise (cotisation égale à 4 % du salaire). Il y avait, en 1995, réintégration de l'excédent dans l'assiette des cotisations de sécurité sociale pour un salaire annuel supérieur à cinq fois le plafond de la sécurité sociale, soit, en 1995, près de 800 000 F (voir Retraites d'entreprise, p 302 à 305, éditions Francis Lefebvre). En l'absence d'une couverture de retraite supplémentaire, le risque de réintégration apparaît au-delà de six fois le plafond de la sécurité sociale, soit, en 1995, pour un salaire supérieur à 900 000 F.
Dans leur rapport, déjà cité, au ministre du budget, Etudes des prélèvements fiscaux et sociaux posant sur les ménages, MM Bernard Ducamin, Robert Baconnier et Raoul Briet sont très réservés sur ce qu'ils qualifient de nouvelles formes de rémunération permettant d'éluder l'impôt ou le prélèvement social. Ils estiment que « de façon mécanique, tout développement des systèmes complémentaires ou surcomplémentaires porte en effet atteinte au financement des régimes de base en réduisant leur assiette » (p 63 du rapport).
On ajoutera, enfin, que la mesure adoptée va à l'encontre de la politique suivie en ce qui concerne l'assiette de la CRDS et de la CSG qui englobent la part employeur des couvertures ou dispositifs qui viennent s'ajouter à ceux des régimes complémentaires obligatoires de salariés (AGIRC, ARRCO) suivant ainsi les recommandations du Conseil des impôts dans son 14e rapport au Président de la République sur la CSG.
En conséquence, l'avant-dernier alinéa de l'article L 242-1 du code de la sécurité sociale n'est pas conforme à la Constitution, le législateur ayant méconnu sa compétence en déléguant, sans avoir fixé la moindre limite, au pouvoir réglementaire le soin de déterminer des exonérations de cotisations de sécurité sociale.
2. La méconnaissance de la loi organique n° 96-646 du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
Au moment même où le Parlement a adopté la première loi de financement de la sécurité sociale, qui est censée prévoir « par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement » (art LO 111-3). Il adopte une disposition qui va réduire de manière significative les recettes attendues.
En effet, l'inclusion, dans les limites déterminées en 1985, des abondements des employeurs parmi les sommes qui peuvent être exclues de l'assiette des cotisations de sécurité sociale n'est pas sans incidence sur les ressources dont celle-ci peut disposer. Le « risque » de réintégration d'assiette se situant à un niveau de rémunération très élevé (800 000 à 900 000 F par an), c'est donc bien à un accroissement sensible du déficit de la sécurité sociale que l'on assistera avec la mise en place des plans d'épargne retraite.
On rappellera que, dans son rapport relatif à la première loi de financement, le Gouvernement soulignait la nécessité d'« élargir l'assiette du financement de la protection sociale ».
A supposer que le Parlement ait entendu maintenir son intention d'accorder un statut social avantageux aux abondements des employeurs aux plans d'épargne retraite, il aurait dû, ainsi que le prévoit l'article LO 111-3, II, adopter une loi de financement rectificative.
On ajoutera qu'en tout état de cause, la perte de recettes occasionnée à la sécurité sociale devra, ainsi que le prévoit l'article L 131-7 du code de la sécurité sociale, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994, être intégralement compensée par le budget de l'Etat pendant toute la durée de son application.
On rappellera, en conclusion, que la sécurité sociale remplit une mission de service public. Tous ceux qui en bénéficient doivent donc, à la mesure de leurs moyens, participer à son financement. La mesure adoptée par le Parlement en matière d'épargne retraite qui, pour l'essentiel, profitera aux titulaires de hauts revenus, est contraire pour les raisons déjà exposées à l'article 26 au principe de solidarité. Par ailleurs, les régimes complémentaires de retraite AGIRC et ARRCO ayant, à la demande du Gouvernement, aligné leur assiette de cotisations sur celle du régime de base, l'article 27 aura également pour effet de diminuer leurs recettes notamment pour le régime de retraite des cadres.
Pour l'ensemble de ces raisons, l'article 27 de la loi est contraire à la Constitution.
XI. : Sur la méconnaissance, par l'article 30, du principe de l'égalité devant les charges publiques
Le Parlement a exonéré les fonds d'épargne retraite de l'assujettissement à la contribution des institutions financières.
Cette exonération est contraire au principe constitutionnel de l'égalité.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, s'est déjà prononcé sur le champ d'application de cette contribution. Saisi de la question de savoir si le fait que cette contribution ne s'applique qu'aux institutions financières, le Haut Conseil a estimé que les diverses catégories d'établissements visés « bien que différentes les unes des autres, présentent toutes, en raison, notamment, de leur domaine d'activité ou de leur statut, des caractéristiques qui les différencient des autres entreprises industrielles, commerciales ou agricoles » et qu'en conséquence le législateur n'a pas méconnu le principe d'égalité.
Rien ne justifie d'exonérer de cette contribution les fonds d'épargne retraite dont les activités ne sont pas différentes de celles pratiquées par les entreprises d'assurance.
En conséquence, l'article 30 est contraire au principe constitutionnel de l'égalité.
XII. : Les multiples atteintes au principe de l'égalité
1. Les atteintes liées à la date de création de l'entreprise (art 1er, alinéa 2).
Le deuxième alinéa de l'article 1er de la loi prévoit qu'au terme d'un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi les salariés qui ne bénéficient pas d'une proposition de plan d'épargne retraite au titre d'un accord collectif ou d'une décision unilatérale de leur employeur pourront adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite.
Ces dispositions s'appliquent aux entreprises qui existent à la date de promulgation de la loi ou qui vont se créer avant l'expiration du délai d'un an qui suivra sa promulgation. Par contre, les salariés des entreprises qui se créeront après ce délai d'un an pourront, sans délai, adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite.
Cette différence de traitement ne repose sur aucune justification tirée de l'intérêt général. Parmi les salariés qui souhaiteront adhérer à un plan d'épargne retraite, elle aura pour effet de priver ceux qui, aujourd'hui, travaillent dans des entreprises qui existaient de se constituer pendant un an un droit à retraite alors que ceux qui seront embauchés par les entreprises qui se créeront dans un an pourront, dès leur embauche, commencer à cotiser à un fonds d'épargne retraite.
En raison de l'atteinte au principe de l'égalité qu'il comporte, le délai d'un an applicable aux seuls salariés des entreprises existantes ou qui se créeront dans un délai d'un an à compter de la promulgation de la loi est contraire à la Constitution.
2. La différence de traitement entre les Français établis en France et les Français de l'étranger (art 2).
Le législateur a introduit une différence de traitement entre les Français établis en France et ceux qui sont établis à l'étranger.
Alors que l'article 1er de la loi réserve le bénéfice des fonds d'épargne retraite aux seuls salariés de droit privé affiliés à la fois à un régime de base de sécurité sociale et à un régime de retraite complémentaire, l'article 2 ouvre à l'ensemble des Français établis à l'étranger la possibilité d'adhérer à un plan d'épargne retraite. Sont donc, notamment, visés les fonctionnaires ou agents publics, les non-salariés et les conjoints qui, en France, n'ont pas la possibilité d'adhérer à un plan d'épargne retraite. Cette différence de traitement ne repose sur aucune justification. Ou bien l'adhésion à un plan d'épargne retraite est ouverte à tout citoyen, qu'il soit établi en France ou à l'étranger, ou bien elle est limitée aux personnes qui remplissent les conditions posées à l'article 1er de la loi et alors ces conditions doivent également s'appliquer aux Français établis à l'étranger.
3. Les atteintes relatives au contenu des plans proposés (art 5, alinéa 2).
Le Parlement a interdit aux fonds d'épargne retraite de mettre en uvre des régimes de retraite à prestations définies.
On entend, habituellement, par régimes de retraite à prestations définies des régimes dont les droits sont exprimés en fonction du salaire. Par exemple, des régimes souvent qualifiés de régimes « chapeau » qui offrent aux salariés une garantie en pourcentage d'un dernier salaire d'activité ; le régime des pensions civiles et militaires fonctionne ainsi. Devraient également être visés les régimes relevant du chapitre Ier du titre IV du livre IV du code des assurances et, plus généralement, beaucoup de régimes existants qui sont, en fait, à prestations définies.
L'exclusion des régimes à prestations définies porte atteinte au principe de l'égalité et au principe de la libre détermination de leurs garanties sociales par les salariés. Elle n'est, en aucune manière, justifiée par des motifs tirés de l'intérêt général.
Le principal argument invoqué pour écarter les régimes à prestations définies tient au fait que ces régimes ne permettraient pas aux gestionnaires des fonds d'épargne retraite d'investir majoritairement les actifs qu'ils détiennent en actions (Rapport n° 124, première lecture, Sénat, p 44-45). Cet argument ne repose sur aucune base technique sérieuse. Le fait que la prestation soit déterminée à l'avance permet, au contraire, au gestionnaire du fonds d'épargne retraite d'investir davantage en actions. Si le souci du législateur était d'écarter les régimes qui conduisent à trop investir en produits de taux (obligations, etc), ce sont les régimes à cotisations définies dont les droits sont exprimés en francs qu'il aurait fallu interdire. Pour libérer les gestionnaires financiers du court terme qui les oblige à être prudents afin d'afficher, chaque année, des résultats « corrects », il faut leur offrir un horizon à très long terme qui est, notamment, permis par les régimes à prestations définies.
L'argument invoqué manquant en fait, l'article 5, alinéa 2, est contraire au principe constitutionnel de l'égalité et donc à la Constitution.
4. La différence de traitement entre les adhérents d'un même plan selon qu'ils restent ou quittent ce plan (art 7).
A l'article 7, en cas de rupture du contrat de travail, l'adhérent peut demander le maintien intégral des droits qu'il a acquis au titre du plan auquel il adhérait. La formulation retenue par le législateur donne à penser que si l'adhérent n'effectue pas cette demande, ses droits ne seront pas nécessairement maintenus.
Mais, au-delà de cette maladresse rédactionnelle, la formulation retenue signifie que ces droits sont cristallisés au niveau qu'ils avaient atteint à la date de rupture du contrat de travail. Or la gestion des actifs représentatifs de ces droits génère des produits financiers ; ces produits financiers, qualifiés de participations aux bénéfices, doivent être affectés aux assurés dans une proportion de 85 % (art L 331-3 et A 331-4 du code des assurances). Il en va de même pour les bénéfices techniques (évolution de la démographie du groupe assuré). Tel qu'il est rédigé, l'article 7 autorise l'assureur à ne plus faire bénéficier l'épargne constituée par les adhérents ayant quitté le fonds de ces bénéfices techniques et financiers alors que les personnes qui continuent d'adhérer au fonds pourront en bénéficier. Il y a donc atteinte à l'égalité entre les ressortissants d'un même plan d'épargne retraite.
5. Les atteintes relatives aux différences de traitement entre adhérents individuels et adhérents collectifs en matière de surveillance et d'information (art 14, 16, 21 et 22).
L'article 14 de la loi prévoit la mise en place de comités de surveillance à l'initiative du seul souscripteur, c'est-à-dire de l'employeur. En conséquence, les salariés qui, ainsi que le prévoit la loi, pourront adhérer individuellement à un plan d'épargne retraite ne seront pas représentés au travers de ces comités de surveillance. L'exigence de constitution d'un comité de surveillance par entreprise composé, pour moitié, de représentants élus, est dépourvue de signification dans les petites entreprises. En conséquence, seuls les adhérents à des plans mis en place dans des grandes entreprises et, sans doute, dans un certain nombre d'entreprises de taille moyenne disposeront effectivement de comités de surveillance.
L'article 21 comporte une discrimination comparable entre adhérents collectifs et adhérents individuels. Seuls les adhérents à un plan mis en place par une entreprise recevront une notice d'information sur le contenu du plan. Cette notice est, en effet, remise par le souscripteur, c'est-à-dire l'entreprise, à chaque adhérent. Il n'est nulle part prévu que le fonds d'épargne retraite remette une notice similaire aux adhérents individuels. La notice devant constituer un document clair et précis, facilement accessible à chaque assuré, les adhérents individuels sont privés par le législateur d'une garantie fondamentale.
La même différence de traitement se retrouve dans les informations communiquées par le fonds qui ne s'adressent qu'aux souscripteurs, c'est-à-dire aux employeurs, les adhérents à titre individuel n'étant destinataires d'aucune information sur le plan auquel ils ont adhéré (art 21, alinéa 3). Il en va également de même en ce qui concerne les informations susceptibles d'être demandées aux commissaires aux comptes ou actuaires du fonds (art 22) et de l'expertise de minorité (art 16) dont les adhérents individuels sont totalement écartés faute de pouvoir être représentés dans un comité de surveillance.
Pour l'ensemble de ces raisons, les articles 14, 16, 21 et 22 sont contraires au principe constitutionnel de l'égalité.
Les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel l'ensemble des dispositions de la loi relative à l'épargne retraite. Le texte adopté par le Parlement est en effet contraire à certaines des garanties les plus fondamentales inscrites dans la Constitution. Les assurés sont, dans ces conditions, en droit d'attendre du législateur qu'il définisse un cadre juridique rigoureux qui leur assure la sécurité et la confiance nécessaires à des opérations qui s'inscrivent dans une durée très longue.