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Décision n° 96-387 DC du 21 janvier 1997 - Observations du gouvernement

Loi tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance
Conformité

Observations du Gouvernement en réponse à la saisine du Conseil constitutionnel en date du 23 décembre 1996 par plus de soixante députés :
Le Conseil constitutionnel a été saisi par soixante-trois députés, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, d'un recours dirigé contre la loi tendant, dans l'attente du vote de la loi instituant une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes, à mieux répondre aux besoins des personnes âgées par l'institution d'une prestation spécifique dépendance adoptée par le Parlement le 20 décembre 1996.
Les requérants font essentiellement grief à ce texte de demeurer en deçà de la compétence que le législateur tient de l'article 34 de la Constitution. Ils considèrent en outre que la loi déférée méconnaît tant l'exigence de solidarité nationale découlant du onzième alinéa du Préambule que le principe constitutionnel d'égalité devant la loi.
Cette saisine appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
I : Sur la méconnaissance de l'article 34 de la Constitution :
A : Les députés requérants relèvent que la loi déférée ne contient pas toutes les précisions nécessaires à son application. Ils jugent excessif le renvoi, opéré par plusieurs articles, à des mesures réglementaires. Ces critiques visent plus particulièrement :
: le premier alinéa de l'article 2, selon lequel les conditions d'âge, de degré de dépendance et de ressources ouvrant droit à la prestation spécifique dépendance seront fixées par voie réglementaire ;
: l'article 6, qui régit les conditions dans lesquelles cette prestation peut se cumuler avec les ressources de l'intéressé ou du couple dont l'un des membres est bénéficiaire de la prestation, et renvoie à un décret la fixation des plafonds limitant le droit au cumul ;
: le III de l'article 23, qui concerne les prestations servies dans les établissements accueillant des personnes âgées dépendantes, et dispose que les montants de ces prestations, modulés selon l'état de la personne accueillie, sont déterminés dans des conditions fixées par voie réglementaire ;
: enfin, l'article 27, qui modifie le premier alinéa du I de l'article 39 de la loi n° 75-534 du 30 juin 1975 en instituant le principe d'une limite d'âge d'accès à l'allocation compensatrice pour tierce personne, tout en prévoyant que cet âge sera fixé par décret.
Pour contester ces dispositions, les requérants n'invoquent la méconnaissance d'aucune disposition particulière de l'article 34 de la Constitution. Partant néanmoins du principe suivant lequel le législateur aurait dû fixer lui-même tant les conditions d'octroi à la prestation spécifique dépendance et de cumul de cette prestation avec les ressources préexistantes des bénéficiaires que les montants des prestations servies dans les établissements d'accueil, ainsi que l'âge jusque auquel peut être versée l'allocation compensatrice pour tierce personne, ils considèrent que la délégation d'un pouvoir discrétionnaire à l'autorité réglementaire sur des points essentiels du dispositif fait de la loi déférée une coquille vide et appelle sa censure pour incompétence négative.
B : Le Conseil constitutionnel ne pourra accueillir cette argumentation.
1. Il ne peut être fait utilement grief au législateur de ne pas avoir pleinement exercé sa compétence que si les questions sur lesquelles il lui est reproché de ne pas avoir pris parti sont de celles que l'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi (cf par exemple, à propos des règles constitutives d'une catégorie d'établissements publics, la décision n° 83-168 DC du 20 janvier 1984 ; et, s'agissant de la définition des éléments constitutifs d'un délit, n° 84-183 DC du 18 janvier 1985).
Or, il ne résulte ni de l'article 34 ni de la jurisprudence que les précisions que les requérants auraient voulu trouver dans la loi ressortissent à la compétence du législateur.
On relèvera d'abord que la matière de l'action sociale, à laquelle doit être rattachée la prestation spécifique dépendance, n'est pas mentionnée en tant que telle par l'article 34.
En l'espèce, l'intervention du Parlement trouve essentiellement sa justification dans les responsabilités dévolues au département, auquel il incombera de gérer le nouveau dispositif et de servir la prestation. Les principes de la libre administration des collectivités locales et de leurs compétences ressortissant au domaine de la loi en vertu des articles 34 et 72 de la Constitution, la création d'une obligation à la charge d'une collectivité territoriale suppose l'intervention du législateur (n° 88-154 L du 10 mars 1988). Mais ce chef de compétence ne signifie évidemment pas que l'entier régime de la prestation spécifique dépendance relève du législateur.
En tout état de cause, on peut légitimement songer, s'agissant d'une prestation sociale, à une analogie avec la jurisprudence dégagée pour l'application de la notion de « principes fondamentaux de la sécurité sociale ». Au demeurant, le Conseil constitutionnel a déjà eu à tirer les mêmes conséquences de cette notion et de celle de « principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales » pour déterminer le caractère législatif d'une disposition (décision précitée du 10 mars 1988).
Or il résulte de la jurisprudence que, si le législateur est compétent pour déterminer des catégories de prestations, il appartient au pouvoir réglementaire d'en préciser le contenu (n° 60-5 L du 7 avril 1960). De même, le Conseil constitutionnel a-t-il jugé que ne relèvent pas du domaine législatif les dispositions fixant le montant des prestations (n° 72-74 L du 8 novembre 1972), non plus que celles relatives à la définition des conditions d'âge ou d'incapacité ouvrant droit aux prestations (n° 85-139 L du 8 août 1985).
2. Au regard de ces critères, aucune « incompétence négative » ne peut être reprochée au texte déféré. Le législateur a pris parti, à l'article 2, sur le principe de la création de la prestation spécifique dépendance, sur la notion de dépendance et sur les catégories de personnes appelées à en bénéficier. Il a, à l'article 6, prévu l'existence de plafonds limitant la possibilité de cumuler cette prestation avec les ressources de l'intéressé et, le cas échéant, de son conjoint ou concubin. La loi a elle même arrêté, au III de l'article 23, le principe d'une modulation des prestations accordées aux personnes accueillies dans des établissements spécialisés en fonction de l'état de ces personnes.
En laissant au pouvoir réglementaire le soin de compléter ce dispositif et d'en préciser les modalités d'application, le Parlement s'est borné à respecter la compétence que le Gouvernement tient de l'article 37 de la Constitution.
II. : Sur la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et du principe d'égalité :
A : Les députés auteurs de la saisine estiment que, en raison d'un encadrement législatif à leurs yeux insuffisant, le dispositif adopté par le Parlement est incompatible avec l'exigence de solidarité nationale qu'impose le onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 aux termes duquel « la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle ».
Ils font en outre valoir que la loi déférée méconnaît le principe constitutionnel d'égalité devant la loi, en introduisant des différences excessives dans la protection des personnes âgées contre les risques induits par la dépendance selon le département où elles résident.
Selon eux, cinq dispositions de la loi s'exposeraient plus particulièrement à ces griefs.
Tel serait le cas de l'article 3 de la loi déférée, qui habilite le président du conseil général à accorder le bénéfice de la prestation spécifique dépendance après avis du maire de la commune de résidence du bénéficiaire.
Les mêmes principes seraient méconnus par l'article 4, qui prévoit la passation de conventions entre le département et les institutions et organismes publics sociaux ou médico-sociaux pour l'instruction et le suivi de la prestation.
Faute de l'encadrement que les requérants auraient souhaité voir inscrit dans la loi, ils estiment que l'octroi de la prestation spécifique dépendance dépendra des orientations d'une majorité départementale, la solidarité nationale disparaissant, selon eux, au profit d'une action sociale « à la carte ».
Les députés auteurs de la saisine font valoir, dans le même sens, que le renvoi, par l'article 5, de la fixation du montant maximum de la prestation au règlement départemental d'aide sociale revient à abandonner la réglementation de l'accès à la prestation aux différences de conceptions politiques des élus locaux. La loi organiserait ainsi une « discrimination territoriale » au détriment des personnes âgées dépendantes.
Ils adressent, pour les mêmes raisons, une critique identique aux dispositions de l'article 23 relatives à la tarification des établissements accueillant des personnes âgées dépendantes.
Enfin, les requérants soutiennent que l'article 32 de la loi déférée méconnaît le principe constitutionnel d'égalité de traitement, en décidant le maintien, dans les douze départements concernés, du régime de la « prestation expérimentale dépendance » résultant de l'article 38 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 alors que la situation des personnes âgées concernées ne diffère pas, au regard de l'objet de la loi déférée, d'un groupe de départements à l'autre.
B : Ces griefs ne résistent pas à l'examen.
1. En premier lieu, la circonstance qu'une prestation sociale satisfasse à une exigence trouvant son fondement dans les dispositions du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, et notamment du droit à la sécurité matérielle énoncé au onzième alinéa, est, par elle-même, sans incidence sur le degré de précision des dispositions qu'il appartient au Parlement d'adopter en cette matière. Il incombe en effet, « tant au législateur qu'au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du Préambule, les modalités de leur mise en uvre » (n° 86-225 DC du 23 janvier 1987).
On ne saurait davantage présumer, comme le font les auteurs de la saisine, que les mesures réglementaires qui interviendront en application de la loi déférée aboutiront nécessairement à dénaturer la volonté du législateur en remettant en cause les exigences découlant du Préambule. En toute hypothèse, le pouvoir réglementaire s'exerce sous le contrôle du juge administratif, à qui il appartiendrait, le cas échéant, de censurer une telle dénaturation.
2. En second lieu, les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus le principe d'égalité.
a) Contrairement à ce que soutiennent les auteurs de la saisine, ce principe ne s'oppose nullement à ce qu'un pouvoir de décision soit reconnu en cette matière aux autorités du département.
On observera d'abord que le choix de cette collectivité territoriale pour servir et gérer la nouvelle prestation sociale ainsi créée découle des caractéristiques mêmes de cette dernière.
Elle se substitue, dans les conditions définies à l'article 27, à l'allocation compensatrice pour tierce personne financée par les départements. De manière générale, le choix ainsi fait est cohérent avec le rôle prépondérant que ces collectivités sont appelées à jouer en matière d'action sociale depuis la loi du 22 juillet 1983.
Il est dès lors logique de reconnaître au président du conseil général un pouvoir de décision pour l'attribution de cette prestation, comme le fait l'article 3, qui ne fait que reprendre la règle énoncée à l'article 34 de la loi de 1983.
Le législateur n'en a pas moins encadré l'exercice de ce pouvoir.
En vertu de l'article 3, le président du conseil général se prononcera en fonction du besoin d'aide du demandeur ; il tiendra compte non seulement de l'avis du maire de la commune de résidence, mais aussi des résultats d'une instruction menée par une équipe médico-sociale dont l'un des membres au moins se sera rendu au domicile de l'intéressé ; en outre, la décision ainsi prise sera motivée.
Enfin, ces décisions seront placées, dans les conditions que précise l'article 11 de la loi, sous le contrôle du juge, à qui il incombera de vérifier leur conformité à l'ensemble des règles régissant l'octroi de cette prestation.
Contrairement aux allégations des requérants, il n'y a là nulle place pour l'arbitraire, sauf à considérer que l'octroi d'un pouvoir de décision à une autorité décentralisée serait, par lui-même, incompatible avec le respect du principe d'égalité. Et l'on ne voit pas non plus en quoi le mécanisme de convention prévu par l'article 4 pour l'instruction et le suivi de cette prestation pourrait, comme le soutient la saisine, être de nature à favoriser la méconnaissance de ce principe.
Il est tout aussi conforme à la logique d'un mécanisme de prestation géré et financé par les départements de leur reconnaître, comme le fait l'article 5, la possibilité de fixer pour cette prestation, dans le règlement départemental d'aide sociale, un montant pouvant aller au-delà d'un minimum fixé par décret. Cet article ne fait, là encore, que reprendre la règle qui figure à l'article 34 de la loi du 22 juillet 1983, qui prévoit que ce règlement départemental peut toujours comporter des conditions et des montants plus favorables que ceux prévus par la loi.
La différence qui en résulte ne saurait, pas plus que dans le dispositif qui prévaut depuis l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, être regardée comme contraire au principe d'égalité : toutes les personnes âgées dépendantes ayant une égale vocation à bénéficier de la prestation minimale fixée par décret, il s'agit simplement de tenir compte des différences pouvant exister entre les départements quant aux moyens qu'ils peuvent consacrer à un effort de solidarité complémentaire.
b) Le Conseil constitutionnel ne pourra pas davantage accueillir le grief adressé à l'article 32, qui se borne à prévoir que les prestations attribuées en application du dispositif expérimental prévu par l'article 38 de la loi du 25 juillet 1994 continuent d'être servies à leurs bénéficiaires actuels.
Les allocations en cause sont versées par les organismes de sécurité sociale, dans le cadre d'un mécanisme conventionnel, au titre des prestations facultatives que ces organismes peuvent servir à partir de leurs fonds d'action sociale. Les conditions et la durée de ce versement résultent des conventions signées au titre de ce dispositif expérimental. L'article critiqué ne pérennise pas, contrairement à ce que soutient la saisine, ce régime expérimental.
Il signifie que l'intervention des nouvelles dispositions n'a pas pour effet de remettre en cause les mesures antérieurement arrêtées.
Le législateur a seulement entendu préserver la situation, éventuellement plus favorable que celle qui résulterait des nouvelles dispositions, des personnes qui ont bénéficié de la prestation supplémentaire dépendance du fait de la volonté des caisses de retraite participant aux expérimentations.
Toutefois, la prestation supplémentaire, dont le versement sera maintenu à ceux à qui elle a été antérieurement attribuée, n'a vocation à intervenir qu'en complément, le cas échéant, des droits à une prestation légale existante, par exemple la PSD, ou en l'absence de droits ouverts à une telle prestation. La loi ne fixant pas de limite dans le temps, il en résulte que le bénéfice de la prestation expérimentale sera maintenu jusqu'au moment où la personne ne remplira plus les conditions de versement qui avaient été définies par les conventions.
En résumé, il s'agit simplement de tenir compte des droits que les bénéficiaires de ces mesures tiennent des décisions d'attribution intervenues avant l'entrée en vigueur de la loi déférée. Le Conseil constitutionnel a déjà jugé, dans un cas analogue, que la prise en compte de tels droits n'est pas de nature à méconnaître le principe d'égalité (n° 93-330 DC du 29 décembre 1993).
Pour l'ensemble de ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de bien vouloir rejeter le recours dont il est saisi.