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Décision n° 95-365 DC du 27 juillet 1995 - Saisine par 60 députés

Loi relevant de 18,60 p. 100 à 20,60 p. 100 le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à compter du 1er août 1995
Conformité

SAISINE DEPUTES :
Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la proposition de loi tendant à relever de 18,60 p 100 à 20,60 p 100 le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à compter du 1er août 1995 telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
La loi déférée constitue un nouvel et éclatant exemple de la dégradation des conditions du travail législatif qui s'ajoute de plus en plus souvent au déséquilibre constitutionnel des pouvoirs pour réduire à un rituel quasi symbolique l'exercice des pouvoirs du Parlement.
La manipulation des textes et des procédures atteint en l'espèce un nouveau sommet, puisqu'elle implique non seulement le Gouvernement et l'actuelle majorité parlementaire mais le Président de la République lui-même, pourtant chargé par l'article 5 de la Constitution de veiller « au respect de la Constitution » et d'assurer, « par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ».
Les conditions dans lesquelles a été inscrite à l'ordre du jour de la session extraordinaire, puis examinée et votée par les deux assemblées, la proposition de loi déférée sont en effet non seulement constitutives d'un véritable détournement de procédure budgétaire - lequel est imputable à la majorité parlementaire, il est vrai confortée par la complicité du Gouvernement : et contraires à l'article 47 de la Constitution et à l'article 4 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances : ce qui n'est reprochable qu'aux mêmes : mais encore incompatibles avec le respect de l'article 29 de la Constitution : ce qui a cette fois supposé la complicité du chef de l'Etat.
I : Sur le détournement de procédure budgétaire
Un bref rappel chronologique s'impose ici liminairement.
Le Gouvernement a déposé le 28 juin 1995 sur le bureau de l'Assemblée nationale, conformément au second alinéa de l'article 39 de la Constitution, un projet de loi de finances rectificative pour 1995.
L'exposé général des motifs de ce projet de loi de finances rectificative, après avoir caractérisé et déploré « une situation des finances publiques () très dégradée » et une « dérive des déficits publics » (page 4), annonçait « des mesures de redressement de recettes importantes, représentant au total 42 milliards de francs », dont 31 milliards de francs de « recettes fiscales () mises en place à titre exceptionnel et destinées à être financées, pour l'avenir, par le redéploiement des crédits d'investissement de l'Etat » recettes qui concernaient au premier chef « la taxe sur la valeur ajoutée, dont le taux normal est relevé de 2 points à 20,60 p 100, pour un rendement attendu de 17,4 milliards de francs en 1995 » (page 6).
Effectivement, dans la première partie du projet relative aux « conditions générales de l'équilibre financier » pour l'exercice de 1995, figure un article 1er dont le I modifie l'article 278 du code général des impôts pour faire passer le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à 20,60 p 100 et dont le II prévoit que « les dispositions du I s'appliquent aux opérations pour lesquelles le fait générateur de la taxe intervient à compter du 10 août 1995 ».
L'exposé des motifs de cet article 1er insiste sur le fait que c'est « à titre temporaire et à compter du 10 août 1995 » qu'est proposé le relèvement du taux de la TVA.
On est donc incontestablement en présence d'une mesure corrigeant le déficit prévisible de l'exercice de 1995 et dont la portée est expressément limitée à cet exercice.
Or, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances rectificative auquel la commission des finances de l'Assemblée nationale a procédé le 5 juillet 1995, trois amendements ont été proposés à l'article 1er, et adoptés par la commission, qui repoussaient au 1er septembre 1995 l'entrée en vigueur du relèvement du taux de la TVA afin de ne pas contraindre les entreprises à établir une double comptabilité pour le mois d'août. La discussion fit toutefois apparaître que l'adoption de ces amendements privait l'Etat d'une part non négligeable du supplément de recettes attendu de la mesure (ce qui rendait d'ailleurs douteuse leur compatibilité avec les dispositions de l'article 42 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959), si bien que d'autres commissaires furent : en vain - partisans d'avancer au contraire au 1er août la date d'entrée en vigeur du relèvement du taux.
Mais il leur fut alors objecté, notamment par le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, « que l'anticipation de l'entrée en vigueur au 1er août mettrait l'ensemble du dispositif à la merci d'un recours devant le Conseil constitutionnel » (page 5 du rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale). Il semble que l'honorable parlementaire ait estimé que la promulgation de la loi de finances rectificative ne pourrait sans doute intervenir avant le 1er août et qu'il ait cru pouvoir considérer comme inconstitutionnelle la rétroactivité qui s'ensuivrait nécessairement (en dépit de la jurisprudence relative aux suppressions d'exonérations fiscales résultant des décisions n° 89-268 DC du 29 décembre 1989 [Rec. page 110], n° 90-287 DC du 16 janvier 1991 et n° 91-298 DC du 24 juillet 1991 [Rec. page 82]).
M du Buisson de Courson, député, se demanda alors « s'il n'était effectivement pas possible d'anticiper au 1er août l'entrée en vigueur de la mesure, le cas échéant par le truchement d'une proposition de loi séparée afin de pallier les risques constitutionnels d'une telle option » [sic] (page 5 du rapport). Mais aux yeux du rapporteur général, « l'élaboration d'une proposition de loi autonome [] ne gommerait pas tout risque d'inconstitutionnalité » (page 6 du rapport).
C'est pourtant la solution proposée par M du Buisson de Courson qui fut retenue in extremis par la majorité parlementaire. Dès le 7 juillet 1995, une proposition de loi (n° 2148) fut déposée par quatre députés dont le rapporteur général du budget, qui a dû en 48 heures surmonter ses scrupules constitutionnels. L'unique objet de cette proposition de loi : qui est la proposition déférée : est d'avancer au 1er août 1995 la date d'entrée en vigueur du relèvement du taux de la TVA Son exposé des motifs précise que la mesure est proposée « à titre temporaire », qu'elle « était initialement inscrite dans le projet de loi de finances rectificative pour 1995 avec une date d'entrée en vigueur fixée au 10 août 1995 » et qu'il ne s'agit que d'avancer cette date de dix jours.
Afin que le tour de passe-passe procédural soit encore plus patent, la commission des finances de l'Assemblée nationale, examinant ce texte que l'on pourrait sans exagération qualifier de « proposition de loi de finances rectificative », décida d'en confier le rapport au rapporteur général du budget, lequel crut bon de préciser que c'est à la suite des objections du Gouvernement à la solution du report au 1er septembre, adoptée la semaine précédente par la commission, qu'avait été déposée la proposition de loi : dont on croit ainsi comprendre qu'elle relève de facto plus de l'initiative gouvernementale que de l'initiative parlementaire, surtout si l'on se rappelle que son auteur apparent était opposé, deux jours encore avant son dépôt, à la solution qu'elle retient -, et que « pour que la discussion soit la plus claire possible, le texte de la proposition de loi avait repris à l'identique celui de l'article 1er du collectif budgétaire », à l'exception bien entendu de la date du relèvement du taux.
Le dépôt et le vote de la proposition déférée ont donc constitué, pour reprendre les termes de l'aveu sans doute involontaire de M du Buisson de Courson, un simple « truchement » destiné à accélérer la procédure d'adoption d'une mesure de rééquilibrage du budget de l'exercice 1995, afin de tenter d'éviter un risque prétendu d'inconstitutionnalité. La façade d'initiative parlementaire, derrière laquelle apparaît clairement la pression gouvernementale, ne visant qu'à permettre l'adoption de la mesure souhaitée avant le 1er août prochain.
Ainsi, une fois encore, le Gouvernement et l'actuelle majorité font litière de toute distinction entre projet de loi et proposition de loi, loi ordinaire et loi de finances. et manipulent la procédure législative pour dissimuler l'irrégularité qu'eux-mêmes caractérisent dans leur démarche initiale.
Cette confusion témoigne d'une dérive institutionnelle à laquelle il est temps de donner un coup d'arrêt, en rappelant, d'une part, que le Gouvernement dispose des moyens constitutionnels de mettre en forme sous sa propre responsabilité les initiatives législatives qu'il souhaite prendre, soit par l'amendement à un texte en discussion, soit, le cas échéant, par le dépôt d'un nouveau projet de loi, mais qu'il ne saurait dissimuler ces initiatives derrière le masque d'une pseudo-initiative parlementaire, d'autre part et surtout, que la substitution à un article d'un projet de loi de finances d'une proposition de loi identique : à l'exception d'un point qui pouvait si bien faire l'objet d'un simple amendement que tel avait été le cas, en sens contraire, quelques jours auparavant - à seule et unique fin de prétendre purger le projet de loi d'une (prétendue) inconstitutionnalité constitue un détournement de procédure manifeste et entâche le projet de loi de finances en cause qui est toujours en cours de discussion parlementaire d'une insincérité organisée ab initio.
Seule la censure de la loi déférée garantira à cet égard le respect de la distinction entre les différentes procédures prévues par la Constitution et par l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
II. : Sur la violation de l'article 47 de la Constitution et de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
La confusion organisée des procédures est en l'espèce d'autant plus grave qu'elle s'accompagne d'une méconnaissance caractérisée de la distinction, de valeur constitutionnelle, entre les domaines respectifs de la loi de finances et de la loi ordinaire.
L'unique but de la proposition de loi déférée, cela vient d'être établi, consiste à avancer de dix jours l'entrée en vigueur du relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée prévu par le projet de loi de finances rectificative.
Les termes de l'exposé général des motifs du projet de loi de finances rectificative comme ceux de l'exposé des motifs de son article 1er et ceux de l'exposé des motifs de la proposition de loi déférée concourent à confirmer ce qui découle de la lecture des dispositions en cause elles-mêmes : l'objet et la « cause » du dépôt de la proposition de loi ne consistent qu'à éviter de perdre quelques recettes supplémentaires correspondant à l'application de la différence entre l'ancien et le nouveau taux de TVA à la matière imposable en août 1995. Il s'agit donc uniquement des recettes : et de l'équilibre : de l'exercice budgétaire en cours.
Les saisissants n'ignorent évidemment pas que le Conseil constitutionnel a déjà admis que des lois ordinaires intervenant en matière fiscale aient des répercussions budgétaires sur l'exercice en cours (Conseil constitutionnel n° 91-298 DC du 24 juillet 1991, Rec.
page 82, et Conseil constitutionnel n° 84-170 DC du 4 juin 1984, Rec.
page 45). Mais une chose est que, pour préserver l'intégrité de l'initiative parlementaire en matière fiscale, on admette ainsi qu'une réforme fiscale puisse avoir des effets budgétaires immédiats, une autre est que l'on autorise Gouvernement et majorité parlementaire à méconnaître sciemment et volontairement la distinction impérative entre loi de finances et loi ordinaire.
Cette distinction, qui résulte déjà incontestablement des termes des articles 39 et 47 de la Constitution (et l'on sait que l'article 47 s'applique aussi aux lois de finances rectificatives : Conseil constitutionnel n° 86-209 DC du 3 juillet 1986, Rec.
page 86), est essentiellement précisée par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances, laquelle dispose d'abord que « les lois de finances déterminent () le montant () des ressources () de l'Etat compte tenu d'un équilibre économique et financier qu'elles définissent » (art 1er, alinéa 1), puis que « seules des lois de finances, dites rectificatives, peuvent, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi du finances de l'année » (art 2, alinéa 6).
Il en résulte nécessairement, sauf à vider ces textes de valeur supralégislative de toute portée contraignante, qu'une loi ordinaire, même « fiscale », ne peut constitutionnellement avoir pour objet et a fortiori pour seul objet de modifier l'équilibre budgétaire de l'exercice en cours et, sur ce point de l'équilibre général comme sur celui de l'autorisation de percevoir les impôts à des taux donnés et précis, de modifier du même coup les dispositions de la loi de finances initiale.
Or les débats en séance plénière de l'Assemblée nationale, en première lecture, de la proposition de loi déférée ne laissent aucun doute sur l'indissociabilité de cette proposition et du « collectif budgétaire » dont elle n'a constitué que l'excroissance artificielle ainsi que sur le caractère de « loi de finances » qu'a présenté la proposition de loi dans l'esprit non seulement de ses auteurs mais encore du rapporteur général du budget, des membres du Gouvernement présents en séance et de l'assemblée tout entière.
Ainsi M Jean-Pierre Thomas, qui est l'un des auteurs de la proposition de loi, a-t-il expliqué lors de la première séance du mercredi 12 juillet 1995 (Compte rendu analytique officiel, page 7) : « Nous avons, avec cette proposition de loi, apporté un peu d'oxygène au collectif (), nos amendements () n'ont d'autre objectif que d'améliorer le collectif ».
Intervenant en réponse aux amendements ainsi défendus, le secrétaire d'Etat au budget défend le texte de la proposition de loi non seulement comme s'il était celui du Gouvernement (ce dont témoigne d'ailleurs, très significativement, l'ensemble des interventions gouvernementales dans ce débat), mais encore et surtout comme s'il était le « collectif budgétaire » : " vous avez mal lu.
Le collectif est un effort de solidarité demandé à tous, y compris aux riches et aux entreprises (). La majoration de cet impôt prévue dans le collectif revient à réduire l'avoir fiscal, cela va dans le sens de la solidarité " (idem, page 12 : le secrétaire d'Etat ajoute que " ce collectif contient un programme d'économies très dur.
Les maîtres mots de ce collectif, ce sont ", etc). On notera au passage que la majoration à laquelle se réfère le secrétaire d'Etat est précisément celle qui ne figure plus dans le « collectif » parce qu'elle a été reprise dans la proposition déférée. La confusion organisée est assumée avec une tranquillité dont on ne sait s'il faut l'imputer au cynisme procédurier ou à la méconnaissance radicale des règles constitutionnelles et organiques.
Il y a plus, et pire. Certains députés ont proposé par voie d'amendement que la durée d'application de la majoration du taux de la TVA soit explicitement prévue par la proposition de loi en cours de discussion. Imperturbable, le secrétaire d'Etat suit sa logique et poursuit ses aveux involontaires : « Faut-il inscrire la date dans le texte ? J'objecterai d'abord la règle de l'annualité » (idem, page 16). On reste sans voix devant le spectacle du Gouvernement de la République invoquant le principe de l'annualité budgétaire pour défendre une proposition de loi. Mais l'ignorance, si confondante qu'elle soit, n'est pas dépourvue de cohérence avec la réalité du détournement de procédure budgétaire que nul ne prend apparemment plus soin de dissimuler.
Le ministre de l'économie et des finances, sans doute soucieux de ne pas être en reste, intervient alors pour dissiper, si besoin en était encore, toute ambiguïté : « Il est clair qu'il s'agit d'un effort exceptionnel (). Il ne s'agit pas d'une recette supplémentaire permanente () je comprends votre désir de voir confirmer le caractère provisoire de cette augmentation de la TVA » (idem, page 18). Le Gouvernement tient ainsi à parachever la démonstration de ce que la proposition de loi déférée ne porte aucune réforme fiscale « permanente » ce qui serait incontestablement constitutionnel, même si ladite réforme commençait à s'appliquer en cours d'exercice budgétaire, mais modifie uniquement l'équilibre de la loi de finances de l'exercice dans les limites du principe d'annualité budgétaire.
Le « bouquet final » est apporté par la contribution à ce débat surréel du rapporteur général du budget, lequel croit emprunter au secrétaire d'Etat une parade foudroyante aux amendements précités qui entendaient fixer un terme (postérieur à la fin de l'exercice 1995) à la majoration de TVA instituée par la proposition de loi : « En vertu de l'ordonnance de 1959, le vote de la loi de finances est annuel. Les dispositions que nous votons maintenant concernent l'année 1995 et nous aurons à revoir à l'automne des mesures pour 1996 » (idem, page 18). Rappelons que ce rappel du droit positif s'insère dans la discussion non de la loi de finances rectificative (qui, il est vrai, aurait dû être discutée à ce moment précis de la session extraordinaire si l'ordre du jour n'avait pas été modifié quelques heures auparavant, ce qui peut expliquer en partie la confusion régnant dans l'esprit du rapporteur général du budget) mais d'une proposition de loi.
Il suffit de comparer ces déclarations avec les dispositions de l'article 2, alinéa 6, de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 pour mesurer la dérive véritablement sans précédent de l'organisation des débats parlementaires et la confusion des normes qui y préside d'un bout à l'autre de la procédure.
Comme il n'existe pas encore en droit français de « proposition de loi de finances rectificative », la proposition de loi déférée, qui ne constitue qu'une mesure budgétaire revendiquant ouvertement un caractère purement « temporaire » au nom du principe d'annualité des lois de finances et intéressant une décade de l'exercice budgétaire en cours, n'a pu être votée qu'en violation directe des dispositions constitutionnelles et organiques précitées.
Le détournement de procédure n'en est qu'aggravé.
III. : Sur la violation de l'article 29 de la Constitution
L'ordre du jour de l'actuelle session extraordinaire a été « déterminé » par un décret du Président de la République en date du 28 juin 1995.
Pour les besoins de la mascarade procédurale qui vient d'être caractérisée, un nouveau décret du Président de la République en date du 8 juillet 1995, c'est-à-dire pris le lendemain du dépôt de la proposition de loi et trois jours après le débat « constitutionnel » à la commission des finances de l'Assemblée nationale, a « complété » le décret du 28 juin en ajoutant à l'ordre du jour de la session extraordinaire l'examen de ladite proposition de loi.
Cette nouvelle manipulation du calendrier parlementaire pose une question de principe.
L'article 29 de la Constitution dispose en effet en son premier alinéa que « le Parlement est réuni en session extraordinaire [] sur un ordre du jour déterminé ».
Le deuxième alinéa de ce même article oblige le Président de la République à clore la session extraordinaire dès lors que l'ordre du jour contenu dans la convocation est épuisée, dans le cas d'une session convoquée à la demande de la majorité absolue des députés.
Quant à son troisième alinéa, il réserve au Premier ministre le droit de demander une nouvelle session avant l'expiration du mois qui suit la clôture d'une session extraordinaire.
Il résulte nécessairement de l'ensemble de ces dispositions que l'article 29 a valeur contraignante à l'égard du chef de l'Etat (faute de quoi le deuxième alinéa perdrait tout sens) et qu'en particulier il l'oblige à ne convoquer le Parlement en session extraordinaire que « sur un ordre du jour déterminé ».
Si les mots ont un sens, cette exigence ne peut signifier que l'obligation d'arrêter l'ordre du jour de la session extraordinaire dans le décret de convocation. Toute autre interprétation permettrait en effet au Président de la République, en l'autorisant à ajouter à sa guise tel ou tel texte à cet ordre du jour, de disposer d'un extraordinaire moyen de pression sur la représentation nationale, laquelle serait en quelque sorte « en session précaire » et pourrait voir sa docilité récompensée par des prolongations présidentielles discrétionnaires.
Que le Président de la République puisse librement déterminer ab initio l'ordre du jour d'une session extraordinaire, nul ne le conteste. Mais qu'il puisse instituer de facto un régime de « sessions extraordinaires mouvantes » faisant échec à la lettre même du premier alinéa de l'article 29 de la Constitution : l'ordre du jour initialement indiqué devenant dans ce cas littéralement « indéterminé » -, ce serait là, à l'évidence, une violation grave de l'esprit et de la lettre du texte constitutionnel, qui n'a pas encore fait du chef de l'Etat le maître absolu du calendrier des travaux parlementaires au point de lui remettre une « épée de Damoclès » institutionnelle qu'il pourrait suspendre au-dessus des têtes des élus de la nation.
La violation de l'article 29 de la Constitution est en l'espèce d'autant plus choquante qu'il ne s'agit nullement, on l'a vu, de saisir le Parlement d'une question nouvelle qui aurait échappé dix jours plus tôt à la sagacité présidentielle, mais seulement de tenter de masquer une inconstitutionnalité en en commettant une autre.
C'est donc inconstitutionnellement que l'ordre du jour de la session extraordinaire a été modifié le 8 juillet. Il n'appartient évidemment pas au Conseil constitutionnel de censurer le décret présidentiel ainsi entaché d'inconstitutionnalité, mais il résulte nécessairement de cette violation de l'article 29 de la Constitution que la procédure d'adoption de la proposition de loi déférée, qui n'a pu être mise en mouvement qu'en vertu du décret inconstitutionnel dont elle constitue une mesure d'application, est elle-même inconstitutionnelle de ce chef également.
La censure n'en est que plus inévitable.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la proposition de loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le Président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.