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Décision n° 95-365 DC du 27 juillet 1995 - Observations du gouvernement

Loi relevant de 18,60 p. 100 à 20,60 p. 100 le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à compter du 1er août 1995
Conformité

OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT EN REPONSE A LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN DATE DU 20 JUILLET 1995 PAR SOIXANTE DEPUTES :
Soixante députés ont déféré au Conseil constitutionnel la loi relevant de 18,60 p 100 à 20,60 p 100 le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à compter du 1er août 1995. Ce recours appelle les observations suivantes : I : Sur le prétendu détournement de procédure budgétaire
Les requérants estiment que la circonstance que les dispositions en cause figuraient initialement dans le projet de loi de finances rectificative entache la loi attaquée d'inconstitutionnalité.
Pour autant, le déroulement de la procédure de dépôt, d'examen et d'adoption de la proposition de loi n'est pas critiqué en lui-même par les requérants.
A titre liminaire, on observera qu'un tel grief suppose que la constitutionnalité de la loi soit appréciée non au regard de son seul objet, mais en fonction de l'intention subjective des auteurs.
En tout état de cause, les critiques des auteurs du recours ne sont pas fondées.
Il convient de souligner que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, la proposition de loi résulte d'une véritable initiative parlementaire. Le Gouvernement avait initialement retenu la date du 10 août pour l'entrée en vigueur du relèvement du taux de la taxe sur la valeur ajoutée. Après réflexion, la commission des finances de l'Assemblée nationale a souhaité retenir une autre date, afin d'éviter une césure en cours de mois. Un simple amendement à la loi de finances rectificative n'a pas paru envisageable. En effet, la date du 1er septembre, envisagée par la commission des finances, aurait conduit à une aggravation du déficit budgétaire de l'ordre de trois milliards de francs. Quant à la date du 1er août, compte tenu des délais prévisibles de promulgation de la loi de finances rectificative, elle aurait eu un caractère rétroactif, lequel aurait entraîné des difficultés d'application considérables (factures rectificatives, recouvrement de créances, modification des logiciels, etc).
En conséquence, pour donner suite à la volonté parlementaire de retenir une date de début de mois, la commission des finances n'avait d'autre solution que de présenter une proposition de loi distincte.
Au total, s'il est indéniable que cette proposition de loi n'est pas sans lien avec le projet de loi de finances rectificative, et qu'elle résulte d'un dialogue entre le Gouvernement et le Parlement, elle constitue clairement l'aboutissement d'une initiative d'origine parlementaire.
Or, le pouvoir d'initiative du Parlement en matière législative, reconnu par l'article 39 de la Constitution, ne saurait connaître d'autres limites que celles qui découlent de la Constitution. Cette initiative doit donc pouvoir s'exercer à tout moment et dans tous les domaines qui relèvent de la loi, y compris le domaine fiscal, sous les seules réserves posées par les articles 40 (Incidence financière), 41 (Irrecevabilité), 47 (Projets de loi de finances) et 48 (Ordre du jour prioritaire).
A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel a confirmé que le droit d'initiative des parlementaires en matière fiscale est entier : « réserver aux seules lois de finances la création ou la modification d'une ressource fiscale en cours d'année limiterait, contrairement aux articles 39 et 40 de la Constitution, l'initiative des membres du Parlement en matière fiscale à un droit d'amendement puisque les lois de finances ne peuvent être présentées que par le Gouvernement » (n° 84-170 DC du 4 juin 1984 ; n° 91-298 DC du 24 juillet 1991).
On notera également que dans un cas qui peut être rapproché de celui ici évoqué, le Conseil constitutionnel a jugé que rien ne s'opposait à ce que le Parlement réintroduise, par voie d'amendement, dans un projet de loi en discussion en deuxième lecture, une disposition que le Gouvernement avait disjointe de son texte en première lecture (n° 84-172 DC du 26 juillet 1984).
En conséquence, rien n'interdit que, pour des raisons d'opportunité ou de calendrier, le Parlement reprenne et modifie, non pas par un amendement, mais par une proposition de loi, des dispositions qui figuraient initialement dans un projet de loi, même si celui-ci est en cours de discussion.
De telles circonstances, si elles peuvent paraître inhabituelles, ne sauraient mettre en cause la constitutionnalité de la loi déférée.
On observera enfin qu'il est paradoxal que des parlementaires sollicitent du Conseil constitutionnel une restriction de leur droit d'initiative.
II. : Sur la violation de l'article 47 de la Constitution et de l'article 2 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
Les auteurs du recours considèrent que les dispositions attaquées relèvent du domaine de la loi de finances. Ce grief ne résiste pas à l'examen.
1 Les dispositions fiscales ne relèvent pas de la compétence exclusive des lois de finances
La jurisprudence relative aux domaines respectifs de la loi de finances et de la loi ordinaire est à la fois claire et constante.
Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « les dispositions fiscales ne sont pas au nombre de celles qui sont réservées à la compétence exclusive des lois de finances et qu'elles peuvent figurer soit dans une loi ordinaire, soit dans une loi de finances » (n° 84-170 DC du 4 juin 1984 et n° 91-298 DC du 24 juillet 1991).
En effet, si le troisième alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances offre la faculté d'insérer dans les lois de finances « toutes dispositions relatives à l'assiette, au taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature », cette règle doit être rapprochée de l'article 34 de la Constitution en vertu duquel « la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ».
Certes, comme le rappellent les requérants, seule une loi de finances rectificative peut, en cours d'année, modifier les dispositions de la loi de finances initiale, en vertu du sixième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance organique.
Mais le Conseil constitutionnel a déjà jugé que cette règle, qui concerne le domaine exclusif des lois de finances, n'interdit pas au législateur ordinaire de prendre des dispositions fiscales affectant l'exécution du budget de l'exercice en cours (décisions précitées du 4 juin 1984 et du 24 juillet 1991). Il convient en effet de distinguer l'autorisation de percevoir les impôts, l'évaluation des ressources et la détermination de l'équilibre, qui relèvent de la seule loi de finances, et la fixation du taux des impositions, qui appartient au domaine partagé de la loi de finances et de la loi ordinaire.
2 En l'espèce, la loi attaquée a pour seul objet des dispositions fiscales et n'empiète en rien sur le domaine exclusif des lois de finances
A cet égard, la critique des requérants repose sur une analyse inexacte du contenu de la proposition de loi. En effet, celle-ci n'a pas pour objet de déterminer les ressources ou de modifier l'équilibre de l'exercice budgétaire 1995. Telle qu'elle a été adoptée, cette proposition de loi porte de 18,60 p 100 à 20,60 p 100 le taux normal de TVA à compter du 1er août 1995.
Ce relèvement prend effet en cours d'année 1995, mais il continuera de s'appliquer tant qu'une nouvelle disposition n'aura pas été votée en la matière. Certes, cette mesure à caractère provisoire doit être rapportée dès que les déficits publics auront été maîtrisés conformément aux engagements de la France au titre de la réalisation de l'Union économique et monétaire. Mais, comme les débats parlementaires le montrent, il n'est pas apparu opportun d'inscrire cet engagement dans la loi elle-même. Il est en conséquence juridiquement inexact de soutenir, comme le font les requérants, que cette disposition ne concernerait que l'exercice 1995.
Cette loi a simplement pour objet de relever le taux d'un impôt, à compter d'une date qu'elle fixe. Elle entre très clairement dans les prévisions de l'article 34 de la Constitution.
A cet égard, on ne saurait confondre l'objet de la loi, qui est purement fiscal, avec son effet. Si, par ailleurs, l'équilibre budgétaire est affecté par la loi incriminée, il appartient à la loi de finances rectificative d'en tirer les conséquences. En l'espèce, une modification de l'évaluation des recettes de la loi de finances initiale a bien été réalisée postérieurement par voie d'amendement (n° 250) au projet de loi de finances rectificative.
III. : Sur la violation de l'article 29 de la Constitution
Les auteurs du recours soutiennent que l'article 29 de la Constitution interdit de modifier l'ordre du jour d'une session extraordinaire. Selon eux, le premier alinéa de l'article 29, en vertu duquel « le Parlement est réuni en session extraordinaire sur un ordre du jour déterminé », imposerait de fixer ab initio l'ordre du jour d'une session extraordinaire.
Une telle interprétation paraît erronée. Elle est d'abord extrêmement restrictive. Elle revient à limiter le droit du Président de la République de soumettre au Parlement des projets ou des propositions de lois dès lors qu'une session extraordinaire est en cours.
Cette interprétation est ensuite paradoxale, puisque le Président de la République peut, à tout moment, convoquer une nouvelle session extraordinaire à la demande du Premier ministre (art 29, 3e alinéa).
Si le Premier ministre peut demander une nouvelle session, a fortiori peut-il demander l'inscription de nouveaux textes à l'ordre du jour d'une session déjà ouverte.
Enfin, cette interprétation est peu réaliste. Il faudrait en effet attendre l'épuisement de l'ordre du jour initial pour convoquer à nouveau le Parlement en session extraordinaire. Le caractère d'urgence qui s'attache à certaines lois, qui justifie d'ailleurs l'existence même de sessions extraordinaires, n'est pas compatible avec une telle procédure.
En réalité, l'exigence d'un ordre du jour « déterminé » signifie que le Parlement ne peut délibérer que sur des questions inscrites à l'ordre du jour fixé par le Président de la République (n° 81-130 DC du 30 octobre 1981).
Il résulte par ailleurs des deuxième et troisième alinéas de l'article 29 que seules les sessions extraordinaires convoquées à la demande des députés sont soumises à des conditions restrictives :
: le décret de clôture intervient dès que l'ordre du jour est épuisé et, en tout état de cause, au plus tard douze jours après le début de la réunion (2e alinéa) ;
: les députés ne peuvent demander une nouvelle session extraordinaire avant l'expiration du mois qui suit le décret de clôture de la précédente session (3e alinéa).
En revanche, rien dans l'article 29 ne vient limiter le pouvoir du Président de la République de définir et de modifier l'ordre du jour d'une session extraordinaire.
La pratique est d'ailleurs constante dans ce sens, depuis plus de trente ans (décrets du 6 février 1963, du 1er juillet 1976, du 20 janvier 1982, du 19 juillet 1984, du 10 juillet 1985, du 11 juillet 1986, du 23 juillet 1986 et du 18 janvier 1994). On notera, sans en tirer de conséquences juridiques, que des lois adoptées à la suite d'une telle procédure ont déjà été soumises au Conseil constitutionnel sans être censurées sur ce point (voir par exemple la loi n° 82-155 du 11 février 1982 de nationalisation).
Pour ces raisons, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter le présent recours.