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Décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 - Observations du gouvernement

Loi relative à la diversité de l'habitat
Conformité

OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT EN REPONSE A LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN DATE DU 28 DECEMBRE 1994 PAR SOIXANTE DEPUTES.
LOI RELATIVE À LA DIVERSITÉ DE L'HABITAT
Soixante députés ont déféré au Conseil constitutionnel la loi relative à la diversité de l'habitat.
L'entrée en vigueur des dispositions des articles L 302-5 et suivants du code de la construction et de l'habitation, issues de la loi d'orientation pour la ville du 13 juillet 1991, a été repoussée à deux reprises en juillet 1992, puis en février 1994. Ces dispositions souffraient de multiples imperfections techniques que la loi relative à la diversité de l'habitat a corrigées.
La loi déférée permet la mise en uvre de ces dispositions dans des conditions raisonnables pour ceux qui auront à les appliquer, tout en conservant le principe de la diversité de l'habitat et l'ossature générale du dispositif créé par la loi d'orientation pour la ville.
Ce dispositif est le suivant :
Dans les agglomérations de plus de 200 000 habitants, les communes ayant peu de logements sociaux ou de bénéficiaires d'aides personnelles au logement doivent soit s'engager à réaliser ou faire réaliser des logements sociaux, soit verser une contribution financière utilisée sous le contrôle du préfet à la réalisation de logements sociaux.
La loi relative à la diversité de l'habitat étend le domaine d'utilisation de la contribution financière :
: aux locaux d'hébergement réalisés dans le cadre du plan pour l'hébergement d'urgence des personnes sans abri prévu par l'article 21 de la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat ;
: aux terrains d'accueil réalisés dans le cadre du schéma départemental prévu par l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement.
A cet égard, il convient de rectifier d'emblée une erreur commise par les requérants quant à l'objet de la loi déférée. Celle-ci ne traite pas du droit au logement, mais est relative à la diversité de l'habitat. On y chercherait vainement des dispositions relatives à l'accès au logement (modalités d'attribution des logements sociaux, conditions requises des intéressés pour pouvoir accéder à un logement locatif HLM, aides personnelles au logement). Le fait que la contribution financière communale, initialement destinée à apporter un financement complémentaire de celui de l'Etat à la réalisation de logements sociaux, puisse également financer, sous le contrôle du préfet, des locaux d'hébergement ou des terrains d'accueil pour les gens du voyage ne relève pas au sens strict du terme du droit au logement.
I : Sur le grief tiré d'une régression des garanties légales d'un droit au logement constitutionnellement protégé :
1. La jurisprudence dite de « l'effet cliquet » n'a pas la portée que lui prêtent les requérants.
La jurisprudence dite de l'effet « cliquet » concerne essentiellement la protection des libertés fondamentales. Elle n'est appliquée que de manière limitée et prudente dans le domaine économique et social (décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993 à propos des conditions d'octroi de l'allocation pour adultes handicapés).
A fortiori est-il contestable de transposer le raisonnement du « cliquet » à un « droit au logement » qui n'est pas expressément consacré par les textes constitutionnels et qui, tout au plus, pourrait être indirectement déduit des principes du Préambule de 1946 (droit à la sécurité matérielle, droit à une vie familiale normale). Il n'est pas possible d'en inférer une quelconque obligation de résultat en matière de logement qui s'imposerait au législateur.
L'interprétation donnée par les requérants de la jurisprudence du « cliquet » est erronée. Elle aboutirait, si elle était retenue, à « constitutionnaliser » des dispositions législatives à caractère technique. En réalité, il est toujours loisible au législateur « d'adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification et la suppression de dispositions qu'il estime excessives ou inutiles » (décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 sur la liberté de communication audiovisuelle).
2. En tout état de cause, le grief manque en fait.
Selon le principe posé par l'article 1er de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement, « toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent ou s'y maintenir ».
Or, même au regard d'une conception extensive du droit au logement, et dans l'esprit du Préambule de 1946, la loi déférée n'entraîne aucune « régression », bien au contraire, puisqu'elle permet de mettre en uvre de nouveaux moyens en vue d'offrir un hébergement décent aux personnes sans domicile fixe et d'accueillir les gens du voyage dans des conditions convenables. Ceci paraît d'autant plus justifié lorsqu'une loi, comme c'est le cas en l'espèce, vise à rendre effective une législation difficilement applicable et non encore entrée en vigueur.
Le grief manque donc en fait et, à une époque marquée par l'impérieuse nécessité de la lutte contre l'exclusion, il est permis de rester perplexe sur la philosophie qui l'inspire.
II. : Sur le grief relatif à l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation :
En élargissant le domaine d'utilisation de la contribution financière des communes, le législateur n'a pas entendu favoriser, comme l'affirment les requérants de façon péremptoire, « la construction de baraquements du type Algeco » ou « l'installation de baraques d'hébergement de fortune, voire l'équipement d'un terrain vague de prises d'eau et d'électricité ».
En l'espèce, le législateur a fait référence :
: pour les locaux d'hébergement, au plan départemental prévu par l'article 21 de la loi n° 94-624 du 21 juillet 1994 relative à l'habitat. Ce plan prévoit la réalisation de locaux d'hébergement « présentant des conditions d'hygiène et de confort respectant la dignité humaine ». Il ne peut donc en aucun cas s'agir de baraques de chantiers. Alors qu'il n'existait auparavant aucun mode de financement de tels locaux, une ligne budgétaire de subvention a été créée pour la première fois pendant l'été 1993 par le ministère du logement. En quatorze mois, 3 826 places ont été créées grâce à ce financement ;
: pour les terrains d'accueil des gens du voyage, au schéma départemental prévu par l'article 28 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en uvre du droit au logement. Qu'il s'agisse de terrains de passage ou d'aires pour séjours prolongés, tous ces terrains sont viabilisés et équipés (routes internes, assainissement, eau, électricité, sanitaires, ramassage des ordures ménagères, etc), de telle sorte que les gens du voyage y trouvent les commodités nécessaires.
En permettant d'utiliser la contribution financière, sous le contrôle du préfet et non à la discrétion de la commune, pour la création de locaux d'hébergement ou de terrains pour les gens du voyage, le législateur répond à un intérêt général évident :
: les personnes sans ressources et les sans-abri ne sont pas ou peu accueillis par les organismes d'HLM dans les logements locatifs sociaux, et il faut bien développer les places d'hébergement pour ne pas laisser ces personnes à la rue ;
: 90 000 personnes en France sont des gens du voyage, itinérants ou semi-sédentaires, utilisant 25 000 caravanes. L'effort d'aménagement à accomplir pour leur permettre un mode de vie décent est considérable car le nombre de terrains d'accueil convenablement équipés n'était en 1994 que d'environ 400, offrant 7 500 places, soit le tiers seulement des besoins, qui sont évalués à 25 000 places.
III. : Sur le grief relatif à l'incohérence de la loi :
A titre liminaire, on émettra des doutes sur la pertinence constitutionnelle d'un tel grief.
Sur le fond, il est reproché à la loi d'avoir assimilé au logement social les locaux d'hébergement et les terrains d'accueil pour les gens du voyage.
Mais il n'existe pas de définition du logement social qui s'imposerait au législateur. C'est à ce dernier qu'il appartient de définir le « logement social » ainsi que les formes d'habitat qui peuvent y être assimilées.
En l'espèce, l'assimilation opérée par la loi relative à la diversité de l'habitat ne heurte ni « la bonne foi » ni « le sens même du mot logement », comme le prétendent les requérants, pour peu que l'on s'attache à considérer la réalité concrète des situations : les locaux d'hébergement et les terrains d'accueil pour les gens du voyage concourent à donner un « toit » à leurs destinataires. Ils ont une vocation éminemment sociale, car ils sont destinés à des populations particulièrement démunies ou ayant un mode de vie dans lequel le logement est constitué en fait d'une caravane (propriété privée) et d'un terrain d'accueil (dont l'existence relève des collectivités publiques).
Pour ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter le recours.