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Décision n° 94-357 DC du 25 janvier 1995 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions d'ordre social
Conformité

SAISINE DEPUTES : Monsieur le président, Madame, Messieurs,
Nous avons l'honneur, conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déférer à votre examen la loi portant diverses dispositions d'ordre social, telle qu'elle a été définitivement adoptée par le Parlement.
Nous paraissent devoir particulièrement retenir votre attention les articles 92, 95 et 119.
1 Sur l'article 92
Cette disposition, qui figurait dans le texte initial du projet, a fait l'objet de deux amendements adoptés. Elle vise à permettre aux partenaires sociaux de mettre en uvre l'accord Unedic du 8 juin 1994 relatif aux formes expérimentales d'intervention particulière du régime d'assurance chômage en faveur du reclassement des chômeurs indemnisés.
En elle-même, l'idée de substituer au traitement passif du chômage un traitement actif n'est naturellement pas en cause, et les députés soussignés ont déjà contribué à la mettre en uvre dans le passé.
Toutefois, cette évolution souhaitable ne saurait se faire qu'à des conditions strictes, respectueuses des droits de tous ceux qu'elle concerne et dans le cadre des principes constitutionnels gouvernant la matière. Tel ne paraît pas être le cas en l'espèce.
En application de l'article 92, il sera désormais possible, dans le cadre d'une convention de coopération, que les associations ou entreprises qui offriront à un chômeur indemnisé une activité, d'une durée maximale de six mois, destinée à faciliter son reclassement, reçoivent directement de l'Unedic le montant des allocations normalement destinées au chômeur. En outre, la période en cause sera imputée sur les droits à l'assurance chômage.
Ce dispositif semble contraire à la Constitution à plusieurs titres.
En premier lieu, l'indemnisation du chômage est un droit qu'ont acquis tous les cotisants à cette assurance spécifique. Pourtant, cette indemnisation, dans le dispositif envisagé, ne reviendrait plus à son titulaire mais à l'association ou à l'entreprise qui lui offrirait une activité. De ce fait, une aide serait ainsi allouée directement aux entreprises et associations, financée exclusivement par les cotisations Assedic. Or, pour obligatoires qu'elles sont, ces cotisations ne constituent pas pour autant des impôts, et il n'appartient pas au législateur d'en modifier la destination sans qu'en ait été modifiée la nature.
En second lieu, aucune garantie formelle n'est apportée, ni par la loi, ni par l'accord du 8 juin 1994, ni par les projets de conventions déjà publiés pour s'assurer du consentement des intéressés. Certes, diverses références sont faites à des « candidatures », certes ceux auxquels s'appliquera l'article 92 sont présumés en être « bénéficiaires », mais il n'en demeure pas moins que jamais leur consentement formel n'est exigé, ni sur le principe du reclassement professionnel, ni sur ses modalités, ni sur le choix de l'entreprise ou de l'association concernées.
En troisième lieu, la loi demeure muette sur le statut des personnes concernées.
Actuellement, l'article L 351-3 du code du travail dispose que l'allocation est attribuée au travailleur. Tout autre est le système dans lequel cette allocation est versée aux entreprises qui organisent l'action de reclassement. De même, l'article L 351-20 dudit code prévoit que les allocations peuvent se cumuler avec les revenus procurés par une activité occasionnelle ou réduite. Tout autre est le système dans lequel l'allocation ne bénéficie plus à la personne mais continue à être imputée sur ses droits, alors qu'elle se trouve en situation d'activité.
Non seulement, donc, les intéressés pourront désormais se trouver simultanément dans les situations contradictoires de demande d'emploi et d'exercice d'une activité, mais encore ils seront placés de ce fait dans une espèce de « no man's land » juridique : chômeur indemnisé, pour une période imputable sur ses droits à assurance, l'intéressé sera en même temps lié à une entreprise ou une association par un contrat dont la loi ne définit aucun des termes.
En conséquence, et dans la meilleure des hypothèses, il reviendra à l'Unedic de définir les règles applicables aux personnes concernées. Ainsi, entre autres griefs, le législateur a-t-il inconstitutionnellement abandonné le soin de déterminer les normes régissant les activités exercées en application de l'article 92.
Ainsi, d'une part, l'article 92 de la loi qui vous est déférée méconnaît le principe rappelé par votre décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, selon lequel « les cotisations versées aux régimes obligatoires de sécurité sociale qui résultent de l'affiliation à ces régimes constituent des versements à caractère obligatoire de la part des employeurs comme des assurés ; que ces cotisations ouvrent vocation à des droits aux prestations et avantages servis par ces régimes » (n° 119). D'autre part, le législateur, auquel l'article 34 de la Constitution confie expressément le soin de déterminer « les principes fondamentaux du droit du travail », abandonne ici ce soin à l'Unedic.
Pour ces deux raisons au moins, l'article 92 ne pourra échapper à la censure.
2 Sur l'article 95
Cet article est le produit d'une histoire législative brève mais mouvementée. Le dispositif qu'il introduit avait été une première fois avancé au printemps, sous forme de proposition de loi, et les obstacles qui s'étaient élevés alors avaient conduit ses auteurs à reculer, mais pas à désarmer pour autant. La preuve en est que, absent du projet, il est apparu en cours de discussion sur celui-ci, sous la forme d'un amendement présenté par le Gouvernement.
On ne manquera pas de s'étonner de l'apparition de cet amendement, conjointement avec un certain nombre d'autres également présentés par le Gouvernement, dès après le dépôt du projet au Sénat. On est en droit de s'interroger sur le sens que conserve la première phrase du second alinéa de l'article 39 de la Constitution. En effet, des dispositions qui n'ont rien d'impromptu, et qui sont substantielles, sont omises du projet soumis au Conseil d'Etat et délibéré en conseil des ministres, puis elles sont introduites par voie d'amendements du Gouvernement, déposées devant la commission de la première assemblée saisie, laquelle, en fait, se trouve donc confrontée simultanément à un projet de loi en bonne et due forme et à un complément de projet élaboré en dehors des formes imposées par l'article 39.
Cela souligné, c'est sur le fond de l'article additionnel que portent les critiques principales.
A nouveau, et en préalable, il convient d'indiquer que les associations intermédiaires, visées par la disposition contestée, remplissent un rôle essentiel dont chacun vante à juste titre l'utilité et l'efficacité. Pour autant, ni cette utilité ni cette efficacité ne sauraient gagner à l'application de règles nouvelles qui méconnaissent la Constitution. Tel est pourtant le cas de celles introduites par cet article 95.
Pour le mesurer, il faut rappeler que les associations intermédiaires bénéficient d'avantages nombreux et importants. Outre le financement public qu'elles reçoivent initialement, elles sont exonérées des cotisations d'assurances sociales et d'allocations familiales, ainsi que de charges fiscales (TVA, taxe professionnelle).
1. Ces privilèges dérogatoires au droit commun, en premier lieu, sont justifiés par le souci de faciliter le retour à l'emploi de personnes se trouvant dans une situation telle que, sans ces avantages particuliers, elles perdraient en fait toute chance de réinsertion.
Mais cette justification est également une limite : rien, en effet, ne permet que soit potentiellement étendu à toutes sortes de demandeurs d'emploi un régime dérogatoire qui n'est légitime que pour certains d'entre eux, limitativement définis. Faute d'une telle limitation, suffisamment précise, l'égalité serait rompue entre les demandeurs d'emploi selon qu'une association intermédiaire choisit, à peu près discrétionnairement, de les prendre en charge ou non.
Or la nouvelle rédaction que l'article 95 prétend donner au I de l'article L 128 du code du travail est à la fois nettement plus extensive et nettement moins précise que la rédaction actuelle.
A la notion de réinsertion est substituée celle « d'insertion ou réinsertion » couvrant donc désormais, parmi d'autres, les demandeurs d'un premier emploi. A l'énumération, indicative mais significative, de l'actuel article L 128 est substituée, en tout et pour tout, la notion de « difficultés particulières », dont l'interprétation relèvera du seul choix de chaque association intermédiaire. Une énumération figurait certes dans le projet, mais elle a finalement été supprimée faute de pouvoir être rédigée dans des conditions jugées satisfaisantes (Journal officiel, AN, p 8752). Aussi est-ce donc bien le souci de n'écarter a priori personne de l'embauche par une association intermédiaire qui a conduit à la rédaction finalement retenue, lors même qu'une autre formulation eût été possible pour correspondre aux intentions exprimées par le législateur (avec une énumération « fermée », s'achevant par une rubrique « ouverte » couvrant les situations exceptionnelles).
C'est en vain qu'on objecterait que la mention de « difficultés particulières » suffirait à définir les personnes relevant des associations intermédiaires. Dès lors qu'on a renoncé à l'énumération de situations que l'on sait particulièrement difficiles (chômeurs de longue durée, RMistes, chômeurs âgés de plus de cinquante ans), soit toute difficulté est particulière, soit aucune ne l'est. Aussi, en fin de compte, est-ce la seule appréciation, éventuellement changeante, de chaque association qui, sans qu'il soit ni juridiquement ni matériellement possible d'exercer un contrôle effectif, opérera le départ entre les personnes et conduira donc entre elles à des réponses qui pourront n'être pas les mêmes pour des demandeurs d'emploi pourtant placés dans des conditions identiques.
Bref, l'imprécision permet les discriminations que la Constitution prohibe.
2. Il en va d'autant plus ainsi, en second lieu, que ces catégories imprécises de personnes sans emploi se trouveraient placées dans un statut indéterminé.
Il existe en effet des sociétés spécialisées dans le travail intérimaire, soumises à tous les prélèvements dont sont exonérées les associations intermédiaires. L'activité de celles-ci nuira évidemment à l'activité de celles-là. Mais l'essentiel est ailleurs.
Depuis 1982, les agences d'intérim sont tenues au respect de dispositions protectrices encore enrichies en 1990, offrant la garantie de paiement des salaires, la protection contre les risques professionnels, l'égalité de traitement avec les salariés de l'utilisateur, la médecine du travail.
Or rien de tel n'est prévu pour les personnes relevant des associations intermédiaires. Intrinsèquement constitutive d'une rupture d'égalité, la situation ainsi créée serait d'autant plus grave que des chefs d'entreprise, qui, par définition, sont à la recherche des solutions les plus avantageuses pour l'entreprise, seront fatalement conduits à privilégier les associations intermédiaires par rapport aux agences d'intérim, à la fois plus coûteuses et plus contraignantes. De ce fait, et en quelque sorte mécaniquement, au lieu que les associations intermédiaires complètent, pour des demandeurs d'emploi en situation exceptionnellement difficile, le travail accompli par les agences d'intérim, on assistera à un transfert : les chefs d'entreprise chercheront à obtenir par les associations intermédiaires les concours qu'ils trouvent actuellement dans les sociétés d'intérim, tandis que les demandeurs d'emploi les plus défavorisés, du fait de cette concurrence nouvelle, se trouveront irrémédiablement écartés.
Il ne s'agit pas là seulement d'une situation de fait, mais bien des conséquences prévisibles de la situation de droit, discriminatoire, introduite par la disposition contestée, en ce qu'elle crée, entre demandeurs d'emploi, des situations très différentes, selon qu'ils relèvent des agences d'intérim ou des associations intermédiaires, sans que, compte tenu notamment de la définition nouvelle des personnes concernées par l'article L 128, ces différences soient légitimées par des situations précisément distinctes.
3. Le II de l'article 95, en troisième lieu, exonère l'activité des associations intermédiaires des dispositions répressives sanctionnant l'essentiel des infractions prévues aux articles L 124-1 à L 124-19 et L 125-1 à L 125-4 du code du travail.
Certes, ces exonérations sont subordonnées au fait que l'association exerce ses activités « dans le cadre de son objet statutaire ». Mais il convient de souligner ici que la recherche de l'objet statutaire sera d'autant plus illusoire que le texte aurait pour effet de dessaisir l'inspection du travail au profit du préfet, seul compétent désormais pour contrôler les associations intermédiaires.
En elle-même, cette conséquence est contraire aux principes généraux du droit du travail, issus du préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu'à la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail, régulièrement ratifiée par le Parlement français en 1950.
Elle prend d'autant plus de relief, en outre, qu'elle prive de garanties légales l'exigence constitutionnelle de protection des travailleurs, en l'occurrence contre le prêt illégal de main-d' uvre ou le marchandage.
Enfin, cette disposition aboutit à exonérer de toute responsabilité les personnes physiques ou morales concernées par les chapitres IV et V du code du travail auquel les textes renvoient de manière générale, quelle que soit la nature ou la gravité des actes qui pourraient être imputés. C'est parfaitement contraire au principe d'égalité, comme vous avez eu l'occasion de le déclarer formellement dans votre décision n° 88-248 DC du 17 janvier 1989 (n° 9).
Ainsi, alors que l'on sait, comme les travaux préparatoires l'ont rappelé, que, parmi les associations intermédiaires qui dans leur écrasante majorité font un travail remarquable, il s'en glisse un nombre malheureusement croissant qui ne voient dans ce statut qu'un moyen commode de bénéficier de toutes sortes de dérogations, ce texte, loin de protéger les premières et de pourchasser les secondes, les affranchit toutes du respect de dispositions essentielles du code du travail, ce qui, naturellement, ne profite qu'à celles qui n'entendaient pas s'y plier.
A tous ces titres donc, l'article 95 de la loi qui vous est déférée ne saura résister à la censure.
3 Sur l'article 119
Cet article porte validation de deux arrêtés des 25 novembre 1993 et 22 mars 1994 portant approbation, le premier, de la convention nationale des médecins et, le second, d'un avenant à celle-ci, qui font tous deux l'objet de recours actuellement pendant devant le Conseil d'Etat.
Notons, en premier lieu, que la convention, dont l'arrêté d'approbation est ainsi validé, met en jeu quelque cinq cent millions d'actes médicaux annuels, représentant avec les prescriptions consécutives, environ 250 milliards de francs. Ces données de fait peuvent certes plaider pour l'existence de raisons d'intérêt général que le Conseil constitutionnel a prises en compte à plusieurs reprises en matière de validation. Mais ces mêmes données excluent qu'on puisse parler ici d'une mesure ponctuelle et limitée, notion tout aussi présente dans vos précédentes décisions.
Notons encore, en second lieu, que le Gouvernement a été très chiche en explications, les parlementaires étant simplement invités à procéder à une validation préventive, comme il y en eut déjà un certain nombre, par crainte d'une annulation pour vices de forme qui ruinerait les efforts déployés en matière de contrôle de l'évolution des dépenses de santé. Or, d'une part, les moyens soulevés devant le juge administratif ne se bornaient certes pas à des griefs de pure forme, d'autre part, comme cela a été malgré tout souligné dans les débats, les mesures qu'il s'agit de valider sont fort loin d'avoir produit les effets économiques allégués.
En réalité, cette validation est contraire à la Constitution à la fois en elle-même et en ce qu'elle valide un texte lui-même contraire à la Constitution.
1. Il est constant que, à une exception près sur laquelle on reviendra, la validation d'actes administratifs, en plus des conditions tenant au respect de l'autorité de la chose jugée et au respect du principe de non-rétroactivité en matière répressive, n'est possible que :
: lorsqu'elle résulte de la décision législative de modifier rétroactivement les règles que le juge a mission d'appliquer (n° 80-119 DC du 22 juillet 1980, n° 7), et/ou
: lorsqu'elle concerne non pas l'acte déféré au juge administratif mais les mesures consécutives à celui-ci (n° 83-159 DC du 19 juillet 1983 ; n° 85-192 DC du 24 juillet 1985).
En revanche, la validation directe et intégrale, par la loi, d'un acte relevant normalement de la compétence réglementaire et faisant l'objet d'un recours juridictionnel est impossible, sauf à méconnaître les limites que le Conseil constitutionnel a rappelées dans ses décisions précitées.
L'unique exception, à l'occasion de laquelle a été admise la validation directe de l'acte attaqué devant le juge administratif, est celle qui résulte de votre décision n° 82-155 DC du 30 décembre 1982 (n° 31). Mais il s'agissait là d'un cas spécial, celui de l'organisation particulière des TOM, dans lequel le législateur a la maîtrise de la répartition des compétences : modifier celle-ci revenait donc, en quelque sorte, à altérer rétroactivement des règles sur lesquelles le Parlement a une compétence générale, dont il détermine lui-même l'usage qu'il entend faire.
Dans les autres domaines, au contraire, la répartition des compétences entre la loi et le règlement résulte de la Constitution et non de l'appréciation du législateur. Si, donc, ce dernier peut toujours modifier, y compris rétroactivement, les règles qu'il revient au juge d'appliquer, s'il peut même faire siennes les mesures prises en application d'un acte administratif contesté, voire annulé (décision n° 85-192 DC précitée), en revanche il ne peut valider directement un acte déféré au juge et qui, à aucun titre, ne ressortit à ses compétences.
Pour l'avoir méconnu, l'article 119 doit, à ce premier titre, être déclaré non conforme à la Constitution.
2. En tout état de cause si, dans les conditions précédemment rappelées, la loi peut valider des actes administratifs illégaux, elle ne saurait valider des actes, quels qu'ils soient, qui seraient inconstitutionnels.
A propos de la ratification implicite des ordonnances de l'article 38 de la Constitution, la décision n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 avait posé le principe selon lequel « il appartiendrait au Conseil constitutionnel de dire si les dispositions auxquelles la ratification confère valeur législative sont conformes à la Constitution » (n° 24).
De la même manière, c'est à l'occasion de leur validation que le Conseil constitutionnel doit dire si des dispositions qui, par l'effet de cette validation elle-même, échapperont ensuite à tout juge, sont conformes à la Constitution.
Or tel n'est pas le cas des conventions dont l'article 119 prétend valider les arrêtés d'approbation.
Premièrement, le texte de la convention nationale approuvé par l'arrêté validé n'est pas celui qui avait été signé par les partenaires sociaux le 21 octobre 1993 (Journal officiel, Sénat, séance du 17 novembre 1994, pages 5759 et suivantes). Or, pas plus que le pouvoir réglementaire, le législateur ne peut modifier une convention présentée comme n'étant qu'approuvée.
Deuxièmement, la convention ne pouvait être approuvée qu'à condition d'être signée par au moins une organisation représentative de médecins généralistes et une organisation représentative de médecins spécialistes. Cette condition n'a été remplie que grâce à la signature de la CSMF et du syndicat des médecins libéraux (SML). Or ce dernier avait fait l'objet d'une enquête légale de représentativité, aboutissant à une décision de rejet en date du 12 janvier 1993. Puis, alors que d'autres demandes de reconnaissance de représentativité avaient été déposées, une nouvelle décision, datée du 11 juin 1993, accordait la représentativité au SML, sans qu'une nouvelle enquête eût été organisée. De ce fait, ce syndicat a bénéficié d'un privilège parfaitement exorbitant, rompant l'égalité avec les autres syndicats pétitionnaires de reconnaissance de représentativité (par exemple FMF et UCCSF). Aussi est-ce seulement au prix de cette violation manifeste du principe constitutionnel d'égalité que la convention a pu être considérée comme signée.
Ainsi, parce que cette signature est consécutive à la méconnaissance d'un principe constitutionnel, ce vice entache également l'approbation par arrêté puis la validation législative dudit arrêté.
Troisièmement et plus fondamentalement encore, la convention prévoit l'existence de deux secteurs : le secteur 1 à honoraires conventionnés et le secteur 2 à honoraires libres.
Jusqu'à présent, l'option en faveur de l'un ou l'autre secteur relevait du libre choix de chaque médecin, était ouverte à tous, et ne durait que ce que durait la convention elle-même, l'option étant ainsi rouverte à chaque nouvelle convention.
Or, par l'effet des articles 8, 9 et 43 de la convention, et s'agissant des médecins déjà installés à la date d'entrée en vigueur de la convention, seuls ceux du secteur 2 conserveront désormais le droit d'option.
En conséquence, les médecins qui avaient antérieurement choisi le secteur 1, dans des conditions qui leur permettaient de modifier leur choix à l'occasion d'une convention suivante, se trouvent soudainement enfermés, de manière définitive et irrévocable, dans ce qui était une option temporaire et révocable au moment où ils l'ont souscrite.
Certes, il est constant que nul n'a droit au maintien d'une réglementation. Aussi n'est-ce pas sur le principe même du changement que porte la critique. En revanche, la rupture d'égalité est grave et manifeste entre des médecins qui présentent tous les mêmes titres, compétences et fonctions. Selon que, à une date où il n'était pas envisageable que cette option pourrait emporter des conséquences définitives, ils avaient choisi le secteur 1 ou le secteur 2, ils se trouveraient désormais titulaires de droits totalement différents, les uns conservant un droit d'option que les autres perdraient.
Autant il était loisible au législateur, s'il l'estimait nécessaire, de rendre l'option définitive pour tout le monde, après une période transitoire permettant à chacun de reconsidérer son choix à cette lumière nouvelle, autant, même, il eût été possible, à l'extrême, de supprimer toute option, tout de suite et pour tout le monde, autant, en revanche, pas plus la convention que l'arrêté que la loi ne peuvent violer le principe d'égalité, entre médecins en l'espèce, en fermant aux uns le droit d'option qui reste ouvert aux autres.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que l'article 119 de la loi qui vous est déférée ne manquera pas d'être censuré.
Nous vous prions, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, d'agréer l'expression de notre haute considération.