Contenu associé

Décision n° 94-351 DC du 29 décembre 1994 - Observations du gouvernement

Loi de finances pour 1995
Non conformité partielle

OBSERVATIONS DU GOUVERNEMENT EN REPONSE A LA SAISINE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL EN DATE DU 22 DECEMBRE 1994 PAR SOIXANTE DEPUTES LOI DE FINANCES POUR 1995
L'argumentation liminaire exposée dans la saisine, étrangère au débat de constitutionnalité, n'appelle pas d'observations du Gouvernement. Celui-ci se bornera à répondre aux griefs dirigés contre la loi déférée elle-même.
1 Sur l'« insincérité de la présentation des recettes et de l'équilibre général »
Manque en fait, en tout état de cause, le grief tiré du « bouleversement » qui serait intervenu entre 1994 et 1995 concernant la part respective des recettes de privatisation affectées au compte d'affectation spéciale n° 902-24 Affectation des produits de cessions de titres du secteur public et celle des recettes revenant au budget général. Cette affirmation repose en effet sur une erreur de chiffres. Les recettes de privatisation affectées au CAS n° 902-24 en 1994 ne s'élevaient pas à 40 milliards de francs en 1994, comme indiqué par les requérants, mais à 5 milliards de francs (à comparer à 8 milliards de francs en 1995).
Il est tout aussi inexact de parler d'« extrême instabilité » de l'utilisation des recettes de privatisation. Cette affirmation, d'ailleurs sans portée juridique, ne peut provenir que de l'erreur de chiffres rappelée ci-dessus, puisque la part des recettes de privatisation affectée au compte d'affectation spéciale s'élève à 14,6 p 100 du total en 1995, contre 10 p 100 en 1994.
Par ailleurs, la prévision critiquée n'a rien de déraisonnable. Il convient de rappeler à cet égard que la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation prévoit la cession au secteur privé de vingt et une sociétés publiques. A ce stade, avec la privatisation de la BNP, de Rhône-Poulenc, d'Elf Aquitaine, de l'UAP et l'ouverture du capital de Renault, seules cinq opérations ont été réalisées, dont l'une partiellement, sur la liste des vingt et une sociétés publiques précitées. Le montant de recettes de privatisation est très inférieur à la valeur des entreprises figurant sur cette liste et qui restent à privatiser. Elle est même inférieure à la capitalisation boursière de celles de ces entreprises qui sont cotées en bourse.
On observera en outre que les prévisions de recettes de privatisation inscrites dans la loi de finances pour 1994, d'un montant de 55 milliards de francs également, seront dépassées de plusieurs milliards, dans un contexte boursier qui a été peu favorable à de telles opérations.
Enfin, le financement de charges définitives par les comptes d'affectation spéciale n'est en rien contraire à l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances.
Sur la question de l'affectation des recettes de privatisation, comme sur les autres questions soulevées dans la saisine, le Parlement a disposé d'informations très complètes (cf notamment pages 123 et 126 du rapport du rapporteur général du Sénat, tome II, fascicule 1) qui lui ont permis d'exercer l'ensemble de ses prérogatives constitutionnelles.
2 Sur la « dissimulation de charges publiques » A : Sur la « débudgétisation »
a) Affectation de la TVA au budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA) réalisée par l'article 33 de la loi :
Il s'agit, par cet article, de rétablir au profit du BAPSA la part des recettes fiscales qui existait en 1991 au sein de ses ressources, avant l'effondrement des recettes de la contribution sociale de solidarité des sociétés. Des mouvements de ce type ont été réalisés à plusieurs reprises au sein des ressources du BAPSA.
Le Parlement a été parfaitement informé des motifs et des conséquences de cette affectation (cf notamment pages 212 à 219 du tome II du rapport général de M Auberger à l'Assemblée nationale).
b) Versement par le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) des sommes correspondant aux majorations de pension du régime des pensions civiles et militaires (PCM) et du BAPSA :
Ce versement est réalisé pour étendre au régime des PCM et au BAPSA l'application des principes de la loi du 22 juillet 1993 créant le Fonds de solidarité vieillesse. Cette opération marque une étape supplémentaire de l'application des principes de partage entre assurance et solidarité posés par cette loi. Elle a été présentée en toute clarté au Parlement, comme en témoignent les rapports parlementaires et les débats (cf notamment pages 220 à 228 du tome II du rapport général de M Auberger à l'Assemblée nationale).
c) Crédits du chapitre 46-40 du budget du ministère du logement :
Le volume des crédits du chapitre 46-40 a été fixé en tenant compte de l'ensemble des charges qui devraient être supportées en 1995 par l'Etat à ce titre. Il tient notamment compte d'un financement de 1 milliard de francs qui sera directement apporté par les organismes collecteurs du 1 p 100 logement au Fonds national d'aide au logement. Ce mode de détermination du volume global des crédits a été clairement annoncé au Parlement (cf notamment pages 25 et 26 du rapport spécial de M Lamontagne à l'Assemblée nationale, page 64 du rapport spécial de M Collard au Sénat, etc).
B : Sur la « sous-évaluation de certaines charges »
a) Concernant le prélèvement européen :
Le grief manque en fait.
L'entrée de trois nouveaux membres augmente certes le budget de l'Union (d'un montant de 27 milliards de francs environ en crédits de paiement et non de 55 milliards de francs comme avancé par les requérants), mais les dépenses correspondantes sont entièrement financées par des recettes supplémentaires en provenance de ces trois pays. Leur caractère de contributeur net au budget communautaire les amène à apporter au budget communautaire plus de recettes qu'ils ne créent de dépenses.
b)Concernant l'Unedic :
La loi de finances pour 1995 autorise 5 milliards de francs de dépenses. En effet, compte tenu de l'amélioration des comptes de l'Unedic, un avenant à la convention du 13 octobre 1993 a été conclu le 21 septembre 1994 entre l'Etat et l'Unedic. Les parties sont convenues d'un échéancier de paiement qui met à la charge de l'Etat 5 milliards de francs à imputer sur l'exercice budgétaire 1995.
c)Concernant les crédits d'équipement ouverts au ministère de la défense :
Le Parlement a été entièrement informé du mode de détermination des crédits militaires, comme en témoignent les rapports parlementaires, ainsi que les débats parlementaires (cf notamment l'intervention de M Paecht, rapporteur spécial de la commission des finances pour l'équipement le 2 novembre 1994 à l'Assemblée nationale et l'intervention de M Blin au Sénat). Il n'est pas besoin d'indiquer par ailleurs que le report de crédits de paiement est prévu par l'ordonnance organique du 2 janvier 1959.
d)Concernant le financement de l'Association pour la gestion de la structure financière prévu par l'accord du 29 décembre 1993 passé avec l'AGIRC et l'ARRCO :
L'obligation financière de l'Etat trouve sa traduction, dans le budget 1995, au chapitre 46-71 du ministère du travail et de l'emploi, sur lequel est ouvert un crédit de 1 617,45 MF affecté à ce financement.
e)Concernant les emplois budgétaires du ministère de l'éducation nationale :
Le grief manque en droit comme en fait.
Il manque d'abord en droit, car la loi de finances n'est pas liée par les dispositions des lois ordinaires dans ce qui relève de son domaine exclusif, qui concerne notamment les créations d'emplois. A fortiori n'est-elle pas liée par des dispositions législatives en cours d'examen devant le Parlement.
Il n'en manque pas moins en fait, car la comparaison faite par les requérants entre la loi de finances et la loi de programmation pour l'école est infondée. La loi de finances fait en effet référence aux créations d'emplois, alors que la loi de programmation mentionne des « postes », lesquels peuvent être pourvus soit par création, soit par redéploiement d'emplois budgétaires.
La loi de finances retrace, comme chaque année, les mesures nouvelles qui viennent s'ajouter au budget de l'année précédente.
S'agissant des emplois, il est prévu une augmentation nette de 751 du nombre d'emplois budgétaires de l'éducation nationale, correspondant à 1 339 créations requises par les évolutions démographiques ou les objectifs du nouveau contrat pour l'école, 174 suppressions permises par des gains de productivité ou la réduction de certaines fonctions et un solde négatif de : 414 emplois lié aux mesures de transfert (vers l'enseignement supérieur principalement) ou de transformations d'emplois accompagnées de requalifications fonctionnelles.
Sur les 1 339 nouveaux emplois créés par les mesures nouvelles, 1 221 sont liés directement à la mise en uvre du nouveau contrat pour l'école.
Le projet de loi de programmation du nouveau contrat pour l'école précise les objectifs que l'Etat fixe au système éducatif et programme les moyens nécessaires à la mise en uvre de ces nouvelles priorités. S'agissant des besoins en personnels, le nouveau contrat pour l'école ne conduit pas nécessairement à des créations d'emplois budgétaires, mais identifie les postes qui devront être pourvus en priorité, soit par des créations d'emplois nouveaux, soit par le redéploiement d'emplois existants.
Ainsi, pour 1995, le projet de loi de programmation du nouveau contrat pour l'école repose sur la mobilisation en année pleine de 976 emplois redéployés à partir de la rentrée 1994, auxquels s'ajouteront 730 redéploiements à la rentrée 1995, renforcés par 1 221 créations d'emplois à la rentrée 1995 inscrites au présent projet de loi de finances.
C : Sur le « recours systématique à la technique des emplois en surnombre »
La notion de « surnombre » n'est aucunement prévue par l'ordonnance organique relative aux lois de finances. Elle n'existe pas dans les loi de finances. Aussi la loi de finances pour 1995 prévoit-elle l'intégralité des crédits correspondant aux emplois autorisés par le Parlement.
Il arrive certes que certains ministres décident de recourir, à titre exceptionnel, temporaire et dérogatoire, aux services d'agents dont les postes ne sont pas créés par la loi de finances, en prélevant sur des crédits de rémunération disponibles ouverts par la loi de finances. Cette situation qui, lorsqu'elle survient, n'est que transitoire et exceptionnelle, n'a aucunement vocation à être un moyen de gestion normal. La loi de finances ne saurait l'autoriser.
Il est en tout état de cause inexact d'affirmer que l'écart entre les chiffres de la loi de programmation du nouveau contrat pour l'école et les mesures du bleu budgétaire relatives au « nouveau contrat pour l'école » révèle des « surnombres ». Les moyens prévus par la loi de programmation pour l'exercice 1995 sont dans tous les cas inférieurs au total des mesures nouvelles autorisées par la loi de finances pour 1995.
La situation de 15 magistrats est évoquée par les saisissants pour dénoncer une entorse au principe constitutionnel d'inamovibilité des magistrats du siège. Sans entrer dans ce débat, on notera que ces magistrats seront recrutés sur des emplois budgétaires existants, mais actuellement vacants. L'ouverture de crédits inscrite dans la loi de finances pour 1995 (4 MF ouverts sur les chapitres 31-51, 31-52, 33-90 et 33-91 du budget du ministère de la justice, cf page 121 du fascicule bleu du PLF 1995 de ce ministère) a pour seul objet d'ajuster les crédits de rémunération dont le niveau actuel ne suffisait qu'en raison d'un taux élevé de vacance d'emplois.
3 Sur la « non-prise en compte de charges certaines »
Si l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances dispose qu'aucun projet de loi ne peut être voté tant que ses charges n'ont pas été prévues, évaluées et autorisées dans les conditions qu'elle fixe, il ne signifie pas, réciproquement, que la loi de finances serait dans l'obligation d'autoriser toutes les dépenses résultant de lois antérieures.
Le Gouvernement ne serait, en tout état de cause, pas en mesure de prévoir, dans le projet de loi de finances, l'ouverture de crédits résultant de projets ou de propositions de loi non déposés au moment du dépôt du projet de loi de finances, ce qui était le cas du projet de loi portant diverses dispositions d'ordre social, la disposition de cette loi évoquée par les requérants ayant de surcroît été introduite par amendement au cours de la discussion du projet.
Quant à la « confusion » qui serait créée par des dispositions de la loi de finances rectificative pour 1994, les dispositions en cause correspondent à des propositions présentées au Parlement en toute clarté et sans la moindre dissimulation.
4 Sur la violation de l'article 6 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959
On notera, à titre préliminaire, que les pensions de l'Etat n'ont jamais figuré au titre Ier du budget. Elles sont prévues, à l'instar des rémunérations d'activité et des cotisations sociales, au titre III du budget de l'Etat. Elles n'ont donc pu être « extraites » du titre Ier comme l'affirment les requérants.
L'article 34 prévoit le versement à l'Etat par le FSV des sommes correspondant aux majorations de pensions pour enfants à charge servies aux fonctionnaires retraités. Il n'est nullement contraire à l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 dans la mesure où :
: ces majorations de pensions demeurent une dépense de l'Etat imputée sur le budget général ;
: l'article contesté se borne à faire application des principes généraux posés par la loi du 22 juillet 1993 au cas particulier des fonctionnaires retraités.
a) Les majorations de pensions pour enfants à charge servies aux fonctionnaires de l'Etat retraités ne sont aucunement « débudgétisées » puisqu'elles demeureront imputées sur le budget général, payées à partir de ce dernier et intégralement retracées par la loi de règlement. L'Etat reste le débiteur des bénéficiaires de majorations pour enfants à charge et assurerait leur paiement même s'il advenait que le Fonds de solidarité vieillesse ne puisse plus assurer ses obligations. La dépense en cause est évaluative et l'Etat en garantit le paiement.
b) Par l'article 34 de la loi déférée, le législateur applique à l'Etat le principe général du partage assurance-solidarité contenu dans la loi du 22 juillet 1993 relative à la sauvegarde et à la protection sociale. Cette loi a en effet prévu la prise en charge financière (mais aucunement un financement direct, qui reste dans tous les cas assuré par les régimes de base) des prestations dites de « solidarité » par le Fonds de solidarité vieillesse.
L'opération contestée par les requérants consiste en l'application pour l'Etat de principes clairement définis et cantonnés par la loi du 22 juillet 1993 précitée. Ceci conduit, pour des charges limitées et précisément identifiées, à inscrire en dépenses du FSV le règlement à l'Etat des sommes répondant aux principes inscrits dans la loi du 22 juillet 1993. Cette opération est possible dès lors que les principes sur lesquels elle repose correspondent à une logique explicitement définie par le législateur et entrant dans un schéma global et cohérent visant à clarifier les charges de chacun au sein des régimes de retraites.
Par analogie avec la logique précise qui vient d'être évoquée et qui correspond à la spécialité du Fonds de solidarité vieillesse, on citera l'exemple du régime de la compensation et de la surcompensation démographique (art L 134-1 du code de la sécurité sociale).
Il s'agit d'un mécanisme de solidarité entre régimes obligatoires de sécurité sociale dans lequel le régime des pensions civiles et militaires de l'Etat (PCM) est partie prenante. Aux termes de l'article L 135-1 du code de la sécurité sociale, la compensation « tend à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres démographiques et des disparités de capacités contributives entre les différents régimes ».
Si aujourd'hui le régime des PCM est contributeur net, pour environ 15 milliards de francs par an, à ce mécanisme de solidarité, en raison de son rapport démographique plus favorable que les autres régimes, l'Etat deviendrait bénéficiaire net de ce mécanisme si son rapport démographique venait à se dégrader. Le budget de l'Etat serait alors, pour les pensions des fonctionnaires, dans une situation identique à celle qui est prévue concernant les majorations pour enfants : il bénéficierait d'une participation tierce qui allégerait ses propres charges de pensions dont il resterait cependant toujours le seul débiteur et payeur, sur son propre budget.
Dès lors que ces mécanismes de solidarité que sont le Fonds de solidarité vieillesse ou le système de la compensation démographique correspondent à des logiques précises et cantonnées qui font entrer le régime des pensions civiles et militaires dans le droit commun des systèmes spécifiques voulus par le législateur pour harmoniser l'économie et les charges des régimes de retraite, le Gouvernement estime qu'il n'existe aucun principe de valeur constitutionnelle qui en écarterait l'Etat, dans la mesure où celui-ci applique toutes les règles posées par ces mécanismes et garde l'entière et totale responsabilité du paiement de l'intégralité des pensions dues aux ressortissants du régime des PCM.
Le rapport de la commission des finances du Sénat indique d'ailleurs (tome II, fascicule 1, page 136) : « Les mesures d'extension proposées par le présent article peuvent être considérées comme une juste application de la mission confiée en termes généraux au FSV par l'article L 135-1 du code de la sécurité sociale. Sur la forme, elles respectent la compétence du législateur. Sur le fond, il s'agit bien sans conteste d'avantages d'assurance vieillesse à caractère non contributif relevant de la solidarité nationale ».
Par ces motifs, le Gouvernement demande au Conseil constitutionnel de rejeter le recours.