Contenu associé

Décision n° 94-347 DC du 3 août 1994 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier
Conformité

SAISINE DEPUTES Les députés soussignés à Monsieur le président et Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris
Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,
En application du second alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer en Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier en ses articles 13 et 16.
Les dispositions de l'article 13 nous paraissent contraires à la Constitution.
L'article 13 est étranger à l'objet du projet de loi.
En effet, la durée du mandat du directeur général n'est, de toute évidence, ni une disposition d'ordre économique, ni une disposition d'ordre financier.
Elle constitue en revanche une disposition relative aux principes fondamentaux d'organisation d'une catégorie d'établissements publics (rappelons que la CDC constitue à elle seule une catégorie d'établissements publics).
La remise en cause du statut du directeur général met en cause la nature même de l'établissement, l'indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif étant l'un des piliers de la notion de foi publique qui fait la spécificité de l'établissement. Une modification de cette ampleur ne peut résulter que d'une loi relative au statut de l'établissement.
Il nous apparaît d'ailleurs qu'un raisonnement similaire peut être tenu à propos des dispositions relatives à Air France figurant dans la même loi.
Les dispositions de l'article 16 contreviennent aux dispositions de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'aux dispositions de l'article 34 de la Constitution ; ainsi qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article F du traité de l'Union européenne tel que garanti par la Convention européenne des droits de l'homme signée à Rome le 4 novembre 1950 ; ainsi qu'aux dispositions de la deuxième directive du Conseil des communautés européennes du 13 décembre 1976 (art 2 et 12).
1 Sur la contravention aux dispositions de l'article 17 de la Convention des droits de l'homme et du citoyen
La privation du droit de propriété pour cause de nécessité publique requiert une juste et préalable indemnité.
Le texte proposé à la censure du conseil ne vise effectivement que la compagnie Air France soumise au statut de SAPO depuis la fusion inversée du 29 décembre 1992 approuvée par décret du 19 décembre 1992.
L'opération de fusion inversée, c'est-à-dire absorption d'Air France par la filiale UTA, n'a eu pour seule raison que de faire obstacle à l'indemnisation de la participation ouvrière constituée de 154 898 actions de travail et évaluée par le Trésor à 671 MF le 5 juin 1992.
Le décret approuvant la fusion a écarté toute consultation de l'assemblée générale extraordinaire des salariés actionnaires en actions de travail détenues collectivement au sein de la société coopérative de main-d' uvre d'UTA en contradiction avec les dispositions de l'article 35 des statuts de la SAPO-UTA.
Le texte de l'article 16 vise la modification du statut des SAPO dont les pertes sont supérieures à la moitié du capital, c'est-à-dire la compagnie Air France, et écarte toute consultation des salariés de la SAPO-Air France en cas de dissolution de la SCMO, l'accord d'une seule organisation syndicale ne pouvant en tenir lieu.
L'article 17 de la Convention des droits de l'homme prévoit que des garanties de fonds et de procédures soient assurées aux actionnaires minoritaires et donc la consultation de ces derniers, tel que stipulé dans les statuts de la SAPO-UTA devenue Air France, soit dans le cadre d'une assemblée générale extraordinaire des salariés actionnaires en action de travail selon la loi du 26 avril 1917.
L'article 16 déféré à la censure du conseil contrevient aussi aux dispositions réglementaires du Conseil des communautés européennes, et notamment la deuxième directive du 13 décembre 1976 (JOCE n° L 28 du 31 janvier 1977) qui prévoit, en cas de transformation d'une société en société anonyme et aussi en cas de réduction ou d'augmentation de capital, la consultation individuelle des actionnaires minoritaires.
La consultation des actionnaires minoritaires, dans le cadre du fonctionnement normal de la société coopérative de main-d' uvre, a été volontairement écartée au cours des débats.
L'indemnité juste et préalable définie par l'article 17 selon la jurisprudence du conseil des 16 janvier 1982 et 11 février 1982 vise le caractère équitable de l'indemnité, c'est-à-dire la possibilité pour l'actionnaire de faire valoir ses droits. Dans ce cas, le texte doit prévoir la consultation d'une assemblée générale extraordinaire de la SCMO.
En l'espèce, les dispositions de l'article 16 prévoient la dissolution de la société coopérative de main-d' uvre par un vote à la majorité des deux tiers des actionnaires réunis en assemblée générale extraordinaire et la disparition des actions de travail.
L'indemnisation de la perte des actions de travail serait effectuée après évaluation par un expert désigné selon des modalités fixées par un décret ultérieur et par attribution d'actions de capital qui ne seraient cessibles qu'à l'expiration d'un délai de trois ans.
Le délai de trois ans contrevient au principe de l'indemnité préalable don immédiatement liquide selon la jurisprudence du conseil précitée.
2 Sur la contravention aux dispositions de l'article 34 de la Constitution
L'article 16 soumis à la censure prévoit et stipule que l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires d'Air France peut décider de confier la gestion des actions « à caractère indemnitaire » par un fonds commun de placement d'entreprise, et rendre indisponible pendant trois ans les parts du fonds et les actions qui en constituent l'actif.
La stipulation de l'élaboration du mode d'indemnisation par une assemblée générale, certes extraordinaire, mais constituée à la quasi-unanimité par le représentant de l'Etat actionnaire majoritaire, constitue une méconnaissance par le législateur de sa propre compétence tirée notamment de l'article 34 de la Constitution.
Enfin l'indemnisation doit tenir expressément compte des salariés de l'ex-compagnie UTA dont aucune indemnisation n'a été prévue depuis le 12 janvier 1990, date à laquelle l'Etat, en autorisant la cession du bloc de contrôle d'actions d'UTA au profit d'Air France, a procédé de facto et sans application de l'article 34 de la Constitution à une nationalisation rampante sans indemnisation de l'actionnariat ouvrier statutaire.
C'est pourquoi les requérants sollicitent du conseil l'annulation des dispositions de l'article 16, au motif qu'elles sont non conformes avec les dispositions de l'article 77 de la loi du 26 avril 1917 et avec les dispositions de l'article 34 de la Constitution et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.