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Décision n° 93-332 DC du 13 janvier 1994 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la santé publique et à la protection sociale
Conformité

Les sénateurs soussignés saisissent le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, aux fins d'apprécier la conformité à celle-ci de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale.
Ils demandent notamment l'annulation de l'article 35 au motif que celui-ci déroge aux principes constitutionnnels.
Le présent recours porte sur l'article 35 de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale. Cette disposition tend à valider rétroactivement, sous réserve des décisions de justice devenues définitives, les décisions des caisses régionales d'assurance maladie fixant, en application des arrêtés des 20 et 26 décembre 1988 relatifs à la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles pour 1989. Les taux ainsi déterminés avaient été jugés illégaux par le Conseil d'Etat, le montant de l'excédent prévisionnel traduisant « une erreur manifeste dans l'appréciation de la marge nécessaire à la gestion du compte Accidents du travail, eu égard à l'importance des excédents dégagés au cours des précédents exercices » (Conseil d'Etat, 9 juillet 1993, Fédération nationale du bâtiment et autres).
Le présent recours est fondé en premier lieu sur l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 aux termes duquel « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ». La décision du Conseil d'Etat, annulant la tarification des accidents du travail pour 1989, s'apprécie d'abord par référence à ce droit fondamental que le juge administratif a entendu faire respecter dans l'affaire qui lui était soumise.
Le présent recours se fonde en deuxième lieu sur l'absence de proportionnalité entre la mesure de validation et l'objectif de sécurité juridique, qui relève de l'intérêt général, que le législateur peut légitimement faire valoir, sur la proposition du Gouvernement, pour remédier à certains effets de la décision d'annulation prise par le Conseil d'Etat. S'il est vrai que l'annulation en justice des décisions administratives pourrait priver de base légale les cotisations perçues au profit du régime des accidents du travail et des maladies professionnelles et créer ainsi une situation intolérable, il est non moins vrai que le législateur devait lui apporter une réponse proportionnée. C'est ainsi que la loi portant diverses mesures d'ordre social du 27 janvier 1993 a résolu, par son article 20, la situation analogue résultant de l'annulation par le Conseil d'Etat, et pour les mêmes motifs, de la tarification des accidents du travail et des maladies professionnelles pour 1988 (Conseil d'Etat, 26 février 1992, groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales et autres). La disposition retenue instituait, en contrepartie de la validation législative rendue nécessaire par la décision du juge, une restitution du trop-perçu sur les assujettis par le biais d'un abattement de 4 p 100 sur les cotisations appelées en 1993. Il était donc loisible au Gouvernement de proposer la correction du trop-perçu en 1989 par une disposition analogue applicable aux cotisations appelées en 1994 ou par toute autre mesure appropriée.
Les débats des deux assemblées parlementaires sur l'article 35 témoignent d'ailleurs de la volonté expresse des commissions compétentes de voir retenue cette solution. Néanmoins le Gouvernement, tout en reconnaissant explicitement le trop-perçu de l'année 1989, a empêché l'expression de la volonté du législateur sur le fond, d'abord en opposant au Sénat les règles de recevabilité financière de l'article 40 de l'ordonnance du 2 janvier 1959, ensuite en invoquant devant l'Assemblée la nécessité où il se trouverait, par contrecoup, de majorer les cotisations appelées au titre de l'assurance maladie (débats Sénat, JO du 27 octobre 1993 ; débats Assemblée nationale, JO des 30 novembre et 1er décembre 1993).
Il convient de préciser, en dépit du dernier argument d'opportunité avancé par le Gouvernement, que la nécessaire continuité du service public ne serait nullement mise en danger par un allégement des cotisations Accidents du travail à venir puisqu'il s'agit de corriger un trop-perçu. C'est en tout cas le devoir des pouvoirs publics de veiller au maintien de l'équilibre des régimes de protection sociale d'origine légale par des mesures appropriées, dans le strict respect des règles adaptées à chacun de ces régimes.
Le présent recours est en dernier lieu fondé sur l'atteinte portée à l'intérêt général en l'absence de toute mesure correctrice, du fait de la tarification excessive appliquée en 1989. Le régime de protection des salariés dans le domaine des accidents du travail et des maladies professionnelles est en effet soumis à des règles dictées par la poursuite d'un objectif prioritaire : l'amélioration de la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles.
Les tarifs sont, dans ce but, modulés branche par branche ou entreprise par entreprise, en fonction de leur risque propre. Les employeurs sont ainsi incités à réduire ou à supprimer ce risque. Les règles financières de la tarification concourent donc, avec les spécifications réglementaires concernant les équipements de production et les lois définissant la responsabilité pénale et civile des employeurs en la matière, à prévenir le risque pour la santé des travailleurs sur le lieu de leur activité. Or toute tarification abusive fait évidemment obstacle aux progrès de la prévention du risque telle que l'a voulue le législateur dans un but d'intérêt général, en privant les employeurs de la réduction des charges liée à l'amélioration effective de la sécurité du travail.
L'attention des membres du conseil doit enfin être appelée sur l'absence d'un fonds qui pourrait recueillir les excédents éventuels : ceux-ci ne peuvent par conséquent être conservés à la disposition du régime concerné pour pourvoir à des dépenses futures.
Les sommes indûment perçues sur les employeurs sont irrémédiablement perdues.
Pour l'ensemble de ces raisons, les sénateurs soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation de l'article 35 de la loi relative à la santé publique et à la protection sociale.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.