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Décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 1994
Conformité

SAISINE SENATEURS
Les sénateurs soussignés saisissent le Conseil constitutionnel dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, aux fins d'apprécier la conformité à celle-ci de l'article 52 de la loi de finances pour 1994.
Ils demandent l'annulation des paragraphes I, II et III de l'article 52 de la loi de finances pour 1994, au motif que ces articles dérogent aux principes constitutionnels d'égalité.
D'une manière générale, le code de la sécurité sociale, dans son article L 821-1, dispose que l'allocation aux adultes handicapés est attribuée aux personnes âgées de plus de vingt ans et dont le taux d'incapacité est inférieur au pourcentage fixé par décret, à savoir 80 p 100, mais qui se trouvent dans l'impossibilité, reconnue par la Commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (Cotorep), de trouver un emploi. C'est ce dernier cas que vise l'article 52 de la loi de finances pour 1994 et qui fait référence à un taux minimum fixé par décret, à savoir 50 p 100.
Désormais toutes les personnes âgées de plus de vingt ans qui auront un taux d'incapacité inférieur à 50 p 100, mais qui seront déclarées inaptes au travail par la Cotorep, ne pourront plus prétendre, au titre de l'article 52 de la loi de finances pour 1994, aux bénéfices de l'allocation aux adultes handicapés.
Ainsi, en introduisant la référence obligatoire à un taux d'incapacité de 50 p 100 pour l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés, le Gouvernement admet une rupture de l'égalité entre les citoyens.
En ce qui concerne le paragraphe I de l'article 52 de la loi de finances pour 1994 :
Il y a rupture de l'égalité entre les citoyens qui résulte du paragraphe I de cet article.
C'est le taux d'invalidité qui, au terme de ce paragraphe, conditionne l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés ; or un taux d'incapacité de 50 p 100 ne signifie rien par lui-même. Une personne ayant un taux d'incapacité de 80 p 100 peut travailler sans difficulté, tandis qu'un handicap de 40 p 100 peut interdire toute activité professionnelle. L'aptitude au travail ne correspond pas à une incapacité donnée, c'est pourquoi la Cotorep a une marge d'appréciation dans l'examen des cas.
Ajouter une condition de taux d'incapacité minimum pour pouvoir bénéficier de l'allocation, si la Cotorep reconnaît que le handicap entraîne l'impossibilité de se procurer un emploi, est un véritable non-sens.
En effet, à partir de l'instant où la Cotorep admet que le handicap interdit l'exercice d'une activité professionnelle, peu importe le taux d'incapacité.
C'est bien la vocation de l'allocation aux adultes handicapés que d'être accordée à des personnes dont le handicap constitue un obstacle tel qu'elles ne puissent pas exercer un emploi.
Il convient, en outre, d'ajouter qu'une circulaire n° 49-55 du 9 mai 1978 du ministère de la santé précise que : « l'impossibilité dans laquelle se trouve une personne de se procurer un emploi doit être due exclusivement à son handicap. La notion d'emploi doit s'entendre comme l'exercice régulier et continu d'une activité professionnelle »
La rédaction de l'article L 821-2 du code de la sécurité sociale ne présente donc aucune espèce d'ambiguïté : c'est le handicap qui doit empêcher l'exercice d'un travail rémunéré.
La nouvelle rédaction de l'article L 821-2 du code de la sécurité sociale, telle qu'elle nous est présentée à l'article 52 de la loi de finances pour 1994, déroge à ce principe.
Elle va à l'encontre du préambule de la constitution de 1946 qui reconnaît à tout être humain qui se trouve en raison de son âge ou de son état physique ou mental dans l'incapacité de travailler le droit d'obtenir de la collectivité des moyens d'existence convenable.
Or toutes les personnes qui auront un taux d'incapacité inférieur à 50 p 100 et qui seront déclarées inaptes au travail par la Cotorep ne pourront plus prétendre à l'allocation aux adultes handicapés, donc elles n'auront pas la possibilité d'obtenir de la collectivité des moyens d'existence convenable.
De plus, la disposition qui figure au chapitre Ier de l'article 52 de la loi de finances pour 1994 est doublement inconstitutionnelle car elle pénalise fortement les personnes qui ont entre vingt et vingt-cinq ans ; celles-ci ne pourront plus obtenir l'allocation aux adultes handicapés si leur taux d'incapacité n'atteint pas 50 p 100 et elles n'auront pas encore droit au revenu minimum d'insertion.
Les plus jeunes, et sans doute les plus fragiles face au handicap, seront les plus pénalisés.
En ce qui concerne le paragraphe II de la loi de finances pour 1994 :
Il y a rupture de l'égalité entre les citoyens qui résulte du paragraphe II de cet article.
Par sa décision du 28 décembre 1990, le Conseil constitutionnel a considéré qu'une disposition législative ne pouvait conduire à traiter différemment les personnes frappées d'une même infirmité. Or c'est ce qui se produira selon que les intéressés auront introduit leur demande d'allocation avant ou après le 1er janvier 1994.
Les nouvelles conditions d'ouverture du droit à l'allocation établissent une discrimination entre des personnes dont la situation est identique, en conséquence l'article est contraire au principe d'égalité.
Les sénateurs socialistes soussignés considèrent, eu égard à ce qui précède, que le paragraphe III de l'article 52 de la loi de finances pour 1994 n'est que la conséquence des deux paragraphes précédents et que dès lors il est inséparable de ces dernières dispositions.
En conséquence, les sénateurs socialistes soussignés ont l'honneur de vous demander l'annulation de l'article 52 de la loi de finances pour 1994.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.