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Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES Les députés soussignés à Monsieur le président, Madame et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel, 2, rue Montpensier, 75001 Paris
Monsieur le président, Madame et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France telle qu'elle a été adoptée par le Parlement.
Les exposants tiennent à souligner liminairement que la loi déférée marque une rupture profonde avec la tradition républicaine relative au régime d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France. Elle supprime nombre de garanties légales d'exigences de caractère constitutionnel, qu'il s'agisse de la liberté individuelle, des droits de la défense, du principe d'égalité devant la loi, du droit d'asile, du droit à une vie familiale normale, du droit à la protection sociale, du droit au mariage, etc. Elle organise du même mouvement le non-respect des engagements internationaux contractés par la France dans ces différentes matières. Compte tenu de l'importance de ces griefs d'inconstitutionnalité et du fait que la quasi-totalité des dispositions de la loi déférée, et en tout cas toutes ses dispositions essentielles, sont affectées par eux, c'est l'intégralité de ladite loi qui doit être déclarée non conforme à la Constitution.
Des neuf principaux griefs qui seront soulevés ci-après, cinq affectent sinon la totalité des articles de la loi déférée, du moins un très grand nombre d'entre eux et, plus fondamentalement, son économie générale (I) alors que les quatre autres, pour n'être pas moins essentiels et déterminants, concernent seulement certaines parties du texte visant des situations ou des catégories de personnes spécifiques (II).
I : Sur les griefs de portée générale
Cinq griefs d'inconstitutionnalité affectent massivement la loi déférée : ils consistent en l'organisation d'atteintes excessives à la liberté individuelle au regard des nécessités de l'ordre public (A), en la violation des principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et des sanctions (B), en la méconnaissance des principes des droits de la défense et du droit au recours (C), en l'édiction de mesures discriminatoires radicalement contraires au principe d'égalité devant la loi (D) et enfin en la violation directe de l'article 55 de la Constitution tenant au non-respect systématique et voulu de nombreuses conventions internationales régulièrement introduites dans l'ordre juridique français (E).
A : Sur les violations de la liberté individuelle
La liberté individuelle est protégée par l'article 66 de la Constitution. Une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel considère qu'elle est constitutionnellement protégée y compris pour les étrangers se trouvant sur le territoire français. Toute atteinte à cette liberté doit être justifiée par des circonstances particulières de temps et proportionnée à l'objectif à atteindre (par exemple à la nécessité de parer à des risques précis de troubles à l'ordre public) ; la loi ne peut, s'agissant de limiter cette liberté, conférer des pouvoirs dont l'étendue n'est pas définie avec précision aux autorités de police (Conseil constitutionnel n° 76-75 DC du 12 janvier 1977, Rec. p 33).
Le législateur ne peut en la matière remettre en cause une situation existante que si cette situation a été illégalement acquise ou si sa remise en cause est réellement indispensable à la réalisation de l'objectif constitutionnel qu'il poursuit (Conseil constitutionnel n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Rec. p 78 ; Conseil constitutionnel n° 84-185 DC du 18 janvier 1985, Rec. p 39).
Est également censurée l'insuffisance de précision des dispositions législatives qui, restant en deçà de la compétence du législateur, porteraient par là même atteinte à des droits et libertés constitutionnellement garantis qu'il appartient à la loi de sauvegarder (Conseil constitutionnel n° 85-198 DC du 13 décembre 1985, Rec. p 78).
Le législateur ne peut, par ailleurs, en matière de libertés publiques, abroger ou modifier une loi que dans la mesure où l'exercice de ce pouvoir d'abrogation n'aboutit pas « à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (Conseil constitutionnel n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Rec. p 141 ; voir aussi Conseil constitutionnel n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, Rec. p 110). Joue ainsi une sorte d'« effet de cliquet » : la loi ne peut réglementer l'exercice d'une liberté fondamentale qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, Rec. p 78) ; le législateur doit plus précisément « opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré » (Conseil constitutionnel n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Rec. p 43).
C'est dans ces conditions que le Conseil constitutionnel a jugé, s'agissant en particulier de la rétention administrative d'étrangers qui doit être justifiée par une « nécessité absolue » (décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, Rec. p 81), que le maintien de cette rétention au-delà d'un certain délai devait être expressément autorisé par le juge judiciaire que l'article 66 de la Constitution charge d'assurer le respect du principe de la liberté individuelle (décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, Rec. p 29), puis que l'institution d'une prorogation de trois jours d'une première prolongation de la rétention pendant six jours constituait, faute d'être justifiée par l'existence de difficultés particulières faisant obstacle au départ de l'étranger, une atteinte excessive à la liberté individuelle (décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 135).
Or, pour tenter de justifier les atteintes graves que la loi déférée porte à de très nombreux droits et libertés à valeur constitutionnelle et notamment à la liberté individuelle, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont constamment soutenu que cette loi visait à améliorer la protection de l'ordre public en réduisant le nombre d'étrangers en situation irrégulière. Il se trouve cependant que la loi nouvelle interdit systématiquement toute régularisation de la situation des étrangers qui ne sont pas ou plus en mesure de retourner dans leur pays d'origine et qui sont le plus souvent parfaitement insérés dans la société française. Rendant par ailleurs plus difficile l'accès régulier au territoire français et proscrivant ces régularisations, le législateur met en place une véritable « machine à fabriquer des clandestins » : contradictoirement avec les objectifs proclamés, le nombre d'étrangers en situation irrégulière ne pourrait qu'augmenter dans les mois qui viennent si la loi était promulguée en l'état.
Comme la récente réforme du droit de la nationalité française (s'agissant notamment des enfants nés en France de parents étrangers), la loi déférée fait ainsi obstacle à l'aboutissement du processus d'insertion auquel l'exposé des motifs du projet de loi faisait pourtant référence et révérence. On peut même considérer qu'il est institué un mécanisme de « désinsertion » par l'enfermement de ces jeunes étrangers « précarisés » dans la clandestinité facteur de délinquance et de désordres, ce qui constitue un cercle vicieux juridique et social infini. De ce point de vue également, c'est l'ensemble : indivisible : de la loi qui encourt le grief d'atteinte à la liberté individuelle excessive, eu égard aux nécessités réelles de la défense de l'ordre public, celui-ci étant au contraire menacé par les nouvelles dispositions législatives.
Les exposants démontreront ci-après que de très nombreuses dispositions de la loi déférée organisent un recul systématique des garanties légales de la liberté individuelle des étrangers désirant entrer en France ou y séjournant déjà. Compte tenu de la jurisprudence précitée, un tel recul ne pourrait intervenir constitutionnellement que s'il s'avérait absolument indispensable au maintien de l'ordre public ou à la sauvegarde d'un autre objectif constitutionnel. Or, indépendamment même de la menace pour l'ordre social que constituent en réalité, on l'a vu, les mesures adoptées par le législateur, le Gouvernement et la majorité parlementaire ont considérablement exagéré, et même souvent littéralement inventé pour les besoins de la cause, l'évolution de la situation de fait de l'immigration du point de vue du maintien de l'ordre public.
Il ne suffit pas, en effet, pour prétendre justifier de nouvelles et graves atteintes à des libertés constitutionnellement protégées, de mettre en avant l'augmentation de l'immigration depuis 1986 ou même d'invoquer une augmentation : au demeurant insusceptible de vérification sérieuse : de l'immigration irrégulière. Car celle-ci ne porte en elle-même qu'une atteinte très limitée à l'ordre public, l'irrégularité de l'entrée ou du séjour d'un étranger ne l'entraînant pas nécessairement dans la délinquance dès lors que l'on n'organise pas son maintien systématique dans l'exclusion et dans la clandestinité : il suffit de considérer l'exemple du regroupement familial irrégulier pour s'en convaincre, les épouses et enfants de travailleurs étrangers n'étant pas plus dangereux pour l'ordre public du fait de l'irrégularité des conditions de leur entrée ou de leur séjour sur le territoire de la République.
En outre, les lois existantes permettent tout à fait de lutter efficacement contre l'immigration clandestine ou contre l'augmentation parfois abusive des demandes d'asile. Tout au plus est-il parfois nécessaire de réorganiser les services compétents afin d'en augmenter l'efficacité, comme ce fut le cas pour l'OFPRA en 1990, ou de poursuivre avec plus de détermination les organisateurs de filières clandestines d'immigration (« passeurs », employeurs et « marchands de sommeil »), dont les immigrés sont d'ailleurs à l'évidence les premières et les principales victimes.
Mais il est certain en tout état de cause que le bouleversement de la législation existante et de la tradition républicaine qu'opère la loi déférée n'est pour le moins nullement indispensable au maintien de l'ordre public sur le territoire français.
En particulier, les articles 4 (relatif aux contrôles spéciaux des titres de séjour), 6 (relatif aux titres de séjour exigés des jeunes étrangers), 7 (relatif au régime général des cartes de résident), 8 (interdisant le bénéfice du statut de résident aux étrangers polygames), 10 (supprimant le caractère conforme des avis émis par les commissions de séjour et réduisant les attributions de ces dernières), 11, 29, 31 et 36 (restreignant la protection de nombreuses catégories d'étrangers contre les interdictions du territoire), 12 (liant l'interdiction du territoire à toute reconduite à la frontière), 13 et 14 (supprimant le caractère conforme des avis émis par les commissions des expulsions), 15 (supprimant l'essentiel des garanties contre les expulsions et les reconduites à la frontière qui protégeaient de nombreuses catégories d'étrangers), 16 (dissociant, dans le régime des expulsions, les hypothèses d'urgence absolue et de nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique), 21 (restreignant considérablement le droit au regroupement familial), 22 (restreignant tout aussi considérablement l'exercice du droit d'asile et portant atteinte au statut des réfugiés), 23 (privant l'étranger réacheminé vers un autre Etat signataire des conventions de Schengen et de Dublin de tout recours contre la décision de refoulement), 25 (faisant de la rétention administrative de l'étranger en instance d'éloignement la règle et allongeant la durée maximale de cette rétention), 26 (permettant au ministre de l'intérieur d'instituer discrétionnairement des visas de sortie du territoire pour des catégories indéterminées d'étrangers), 30 (instituant une procédure de rétention judiciaire pouvant priver de sa liberté l'étranger en instance d'éloignement pour une durée allant jusqu'à trois mois), 32 et 36 A (donnant aux caisses de sécurité sociale et à l'Agence nationale pour l'emploi accès aux fichiers de la police sans nécessité de service) portent à la liberté individuelle des atteintes excessives eu égard aux nécessités de la protection de l'ordre public et font disparaître de nombreuses garanties légales du respect de ladite liberté sans les remplacer par des garanties équivalentes.
Certains de ces articles méritent une analyse plus détaillée.
Aux termes de l'article 25, la rétention administrative (précédant la reconduite à la frontière ou l'expulsion) devient la règle et peut être prolongée de trois jours (s'ajoutant aux sept jours déjà prévus par le droit existant) sur ordonnance du président du tribunal de grande instance. Les raisons avancées par le Gouvernement et par la majorité parlementaire pour tenter de justifier cette violation directe de la chose jugée par le Conseil constitutionnel (décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 135) ne sont pour le moins pas convaincantes : l'évolution de la situation de fait n'empêche nullement de traiter les dossiers en sept jours ; l'absence de documents de voyage n'est pas toujours le fait volontaire de l'étranger, si bien que la mesure est d'application excessivement générale.
En vertu des articles 11, 15, 16, 29, 31 et 36, toutes les catégories d'étrangers jusque-là protégées contre les interdictions du territoire et les expulsions disparaissent, à la seule exception des mineurs de dix-huit ans. Il y a là, s'agissant des parents d'enfants français, des conjoints de Français, des étrangers qui résident régulièrement en France depuis plus de quinze ans ou depuis l'âge de six ans, une régression extraordinaire des garanties légales de la liberté individuelle : un tribunal peut désormais, « au regard de la gravité de l'infraction » qu'ils auront commise (sans autre précision, et alors que cette infraction aura déjà été sanctionnée par le prononcé de la peine légalement prévue), les frapper d'interdiction du territoire (art 11) ; ils sont, en outre, expulsables en cas de « nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique », cette formule n'étant pas autrement précisée alors qu'elle commande l'application d'un régime désormais distinct de celui de l'expulsion en urgence absolue (art 16). Quant aux étrangers qui sont entrés en France entre les âges de six et de dix ans, aux étudiants, quelle que soit leur durée de résidence sur le territoire national, ou aux conjoints de Français pendant la première année du mariage, ou même ensuite si cesse la communauté de vie entre les époux, ils sont désormais expulsables en l'absence même de « nécessité impérieuse » ou d'urgence absolue (art 15). Ces régressions massives des droits et libertés des étrangers ne sont justifiées par aucun bouleversement de la situation en termes de protection de l'ordre public, bouleversement dont le Gouvernement et le législateur n'ont même pas tenté d'établir l'existence.
La combinaison des articles 6 et 12 aboutit à la création d'une procédure d'expulsion déguisée qui produit des effets égaux voire supérieurs à ceux de l'expulsion sans donner aux personnes visées les mêmes garanties légales. En vertu de l'article 6, un jeune étranger qui est censé constituer « une menace pour l'ordre public » : sans qu'une fois encore cette notion fort imprécise ne soit autrement définie, ce qui crée un risque considérable d'arbitraire administratif : ne pourra obtenir ni carte de résident, ni même carte temporaire de séjour, séjournât-il en France au titre du regroupement familial et ses parents fussent-ils quant à eux détenteurs d'une carte temporaire de séjour. S'appliquera dès lors l'article 12 qui prévoit que l'étranger qui n'a pas obtenu la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour ou qui se l'est vu retirer parce qu'il est considéré comme représentant une menace pour l'ordre public fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière, lequel emporte de surcroît automatiquement une interdiction du territoire d'une durée d'un an. Cet enchaînement de sanctions administratives peut intervenir alors que l'intéressé n'aura commis aucune infraction pénale et n'aura été condamné par aucune juridiction répressive.
Or, si l'autorité administrative considère que la présence d'un étranger sur le territoire national met en danger l'ordre public, elle doit prendre à son encontre un arrêté d'expulsion, cette procédure comportant un certain nombre de garanties pour la personne qu'elle vise : seul le ministre de l'intérieur (en métropole) peut la prononcer ; elle ne peut intervenir qu'après avis d'une commission composée de magistrats devant laquelle l'intéressé aura pu se faire entendre et assister par un conseil ou une personne de son choix ; jusqu'à maintenant, l'expulsion ne peut intervenir si cette commission donne un avis défavorable ; de nombreuses catégories d'étrangers sont protégées par la loi contre l'application de cette procédure. Ainsi la combinaison des articles 6 et 12 de la loi déférée s'analyse-t-elle au mieux comme une régression des garanties légales protégeant la liberté individuelle des étrangers résidant en France : régression non justifiée par une modification des contraintes du maintien de l'ordre public -, sinon comme un véritable détournement de procédure qui permet de contourner les obligations procédurales attachées au régime de l'expulsion. En ce qui concerne plus particulièrement l'article 12, l'exposé des motifs du projet de loi incite à considérer la seconde hypothèse comme la plus probable puisque le Gouvernement croit pouvoir justifier l'automaticité de l'interdiction du territoire pour un an en cas de reconduite à la frontière en avouant tout de go qu' « il était souhaitable d'éviter le recours à la procédure judiciaire d'interdiction du territoire », laquelle présente en effet des garanties dont la présence est peu « souhaitable » aux yeux de certains responsables des services de police mais est, en revanche, tout à fait « souhaitable » du point de vue de l'Etat de droit et du respect des libertés fondamentales.
Les articles 10, 13 et 14 suppriment les avis conformes des commissions (composées de magistrats) du séjour des étrangers et des expulsions sur les décisions relatives aux titres de séjour (art 10), sur les réponses aux demandes d'abrogation d'arrêté d'expulsion (art 13) et sur les expulsions elles-mêmes (art 14).
Ces décisions sont donc désormais prises par les préfets ou par le ministre de l'intérieur et non plus par les magistrats indépendants : la régression des garanties légales de la liberté individuelle, alors que l'article 66 de la Constitution confie la protection de celle-ci à l'autorité judiciaire, est manifeste. La loi déférée porte dans ces conditions atteinte « aux garanties juridictionnelles de droit commun applicables à l'espèce » (Conseil constitutionnel n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, considérant 14, Rec. p 135).
L'article 30 institue une « rétention judiciaire » dont la durée peut aller jusqu'à trois mois. Cette procédure s'analyse en un substitut de détention préventive : alors qu'aucune peine n'a encore été prononcée : comme le montre l'imputation de la durée de la rétention sur celle de la peine privative de liberté éventuellement prononcée par la suite. Il y a là un détournement de procédure, la forme judiciaire étant utilisée dans un but de police administrative, et un allongement extraordinaire de la durée de rétention par rapport au droit existant, allongement que l'intervention du juge judiciaire ne saurait suffire à justifier en l'état de la jurisprudence précitée du Conseil constitutionnel (décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 135).
Dans les articles 21 et 22, sont abandonnées au pouvoir réglementaire la fixation du délai de réalisation de l'opération de regroupement familial au terme duquel l'autorisation préfectorale de regroupement devient « caduque » ainsi que la fixation du délai de saisine de l'OFPRA en cas de demande du bénéfice de la qualité de réfugié. Il s'agit là de garanties fondamentales du droit au regroupement familial dans le premier cas, du droit d'asile dans le second ; le législateur n'a pas exercé ici sa mission constitutionnelle de sauvegarde des droits en cause. Ces articles de la loi déférée, qui confèrent à l'autorité gouvernementale investie du pouvoir réglementaire des pouvoirs d'appréciation excessivement discrétionnaires, sont entachés d'incompétence négative.
L'article 21 restreint en outre considérablement le droit au regroupement familial (comme on le verra ci-après au point II-B) et porte atteinte à la liberté individuelle tant de l'étranger qui est rejoint par sa famille que des autres membres de celle-ci sans qu'aucune raison majeure relevant de la protection de l'ordre public ne soit seulement avancée pour justifier cette régression des garanties légales du droit d'entrée et de séjour des familles sur le territoire national.
L'article 22 porte des atteintes non moins considérables au droit d'asile (comme on le verra ci-après au point II-A) sans que là encore des motifs tirés de l'évolution des menaces pesant sur l'ordre public ne viennent justifier les atteintes au droit d'entrée et de séjour des demandeurs d'asile et de leurs familles sur le territoire national.
L'article 26 donne au ministre de l'intérieur le pouvoir de soumettre les étrangers ressortissants d'Etats non membres de la CEE, pour des raisons de « sécurité nationale » (sans autre précision, le législateur n'exerçant pas là encore l'intégralité de ses compétences), à un régime de « visa de sortie » qui semblerait à première vue reposer sur une obligation de simple déclaration de l'intention de quitter le territoire français mais qui, compte tenu de l'emploi du terme « visa », peut aussi s'analyser en un régime d'autorisation incompatible avec la liberté d'aller et de venir et avec le droit de quitter le territoire national qui, conformément aux stipulations du Pacte international sur les droits civils et politiques et de la Convention européenne des droits de l'homme, appartient à tout étranger en règle avec la loi française.
B : Sur les violations des principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines et des sanctions
Les principes de légalité des délits et des peines et de proportionnalité des peines découlent des dispositions de l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Le premier, d'ailleurs fort lié au principe d'égalité devant la loi pénale, interdit au législateur de prévoir des incriminations insuffisamment précises qui conféreraient au juge un pouvoir discrétionnaire d'appréciation des faits (Conseil constitutionnel n° 84-176 DC du 25 juillet 1984, Rec. p 55 ; n° 86-210 DC du 29 juillet 1986, Rec.
p 110 ; n° 86-213 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 122) ; sur le respect du second, le Conseil constitutionnel pratique un contrôle certes « restreint » (c'est-à-dire limité à la censure des disproportions manifestes) mais fort réel (voir par exemple la décision n° 87-237 DC du 30 décembre 1987, Rec. p 63).
Ces deux principes s'appliquent en outre non seulement aux peines stricto sensu mais aussi à toute sanction même édictée par une autorité non judiciaire (Conseil constitutionnel n° 87-237 DC du 30 décembre 1987 précitée, considérants 14 et 15).
Or plusieurs dispositions de la loi déférée méconnaissent manifestement ces principes.
Il en est d'abord ainsi des articles 11, 29, 31, 36 et 37, qui ne définissent pas la gravité des infractions autorisant le juge pénal à prononcer l'interdiction du territoire même à l'égard de catégories d'étrangers que la loi continue à protéger en principe contre une telle mesure et alors que les infractions à la législation régissant l'entrée et le séjour des étrangers ne peuvent manifestement pas présenter une gravité justifiant l'atteinte à la liberté individuelle et au droit à une vie familiale normale de ces catégories spécialement protégées d'étrangers.
C'est également le cas de l'article 12, paragraphe IV, qui prévoit que toute reconduite à la frontière entraîne automatiquement une interdiction du territoire d'une durée d'un an, ce qui constitue une sanction à la fois « forfaitaire » : méconnaissant l'exigence d'individualisation des peines et des sanctions : et manifestement disproportionnée à la gravité des infractions qu'elle sanctionne.
L'article 15 supprime quant à lui la protection contre l'expulsion et contre la reconduite à la frontière des étrangers entrés en France entre les âges de six et de dix ans et des conjoints de Français pendant la première année du mariage, c'est-à-dire de personnes ayant toutes leurs attaches en France, lesquelles pourront faire l'objet de mesures d'éloignement du territoire sans que soit précisée la gravité des infractions dont la commission pourrait causer l'édiction de ces mesures et sans que soit alléguée une menace particulièrement grave pour l'ordre public.
Il en va de même de l'article 21 à trois titres différents :
Dans ses dispositions qui modifient l'article 29-II de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945, il prévoit la caducité de l'autorisation préfectorale de regroupement familial si ledit regroupement n'intervient pas dans un délai dont la fixation est abandonnée au pouvoir réglementaire et qui jouera en tout état de cause forfaitairement, donc sans tenir compte des raisons du retard apporté au regroupement et de la bonne foi des personnes concernées ;
Dans ses dispositions qui modifient l'article 29-IV de l'ordonnance précitée, il autorise le retrait du titre de séjour de l'étranger qui ferait venir son conjoint ou ses enfants en France en dehors de la procédure du regroupement familial, ce qui constitue une sanction d'une gravité tout à fait disproportionnée à celle de la faute reprochée ;
Dans ses dispositions qui modifient les articles 29-IV et 30 de l'ordonnance précitée, il autorise le retrait du titre de séjour de l'étranger polygame dont une seconde épouse ou les enfants qu'il a eus avec cette dernière s'établiraient en France, qu'il y ait ou non fraude à la procédure de regroupement familial, ce qui là encore constitue une sanction manifestement disproportionnée à la faute commise : à supposer d'ailleurs que cette faute ait été commise par la personne sanctionnée, ce qui n'est nullement certain.
Quant à l'article 28, il permet au procureur de la République d'ordonner que soit différée de trois mois la célébration d'un mariage qu'il présume de complaisance. Cette mesure, eu égard à la gêne, à l'humiliation et aux difficultés qu'elle cause aux intéressés, s'analyse en une véritable sanction dont le caractère manifestement disproportionné avec les faits allégués, dont il n'est au surplus même pas certain qu'ils soient établis, est indiscutable.
L'article 30 enfin institue comme on l'a vu une rétention judiciaire d'une durée pouvant aller jusqu'à trois mois, durée manifestement disproportionnée avec les nécessités de l'organisation de l'éloignement même lorsque l'étranger ne dispose pas de documents de voyage. L'exposé des motifs du projet de loi ne fait d'ailleurs pas mystère de la véritable cause du choix de ce délai spectaculairement excessif, c'est-à-dire de la volonté d'organiser un véritable chantage à la liberté en faisant pression par la rétention pour obtenir « la coopération des étrangers à leur identification ».
En outre, au cas où une peine est prononcée à l'issue du délai de rétention, on peut pour le moins s'interroger sur son caractère « strictement et évidemment nécessaire » dès lors que, comme le reconnaît là encore l'exposé des motifs du projet de loi, le législateur fait tout pour en éviter le prononcé et que ce prononcé a été, sans dommage pour l'ordre public, différé de plusieurs mois.
C : Sur les violations des principes des droits de la défense et du droit au recours
Le principe des droits de la défense est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (Conseil constitutionnel n° 76-70 DC du 2 décembre 1976, Rec, p 39 ; n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981, Rec, p 15). Il s'applique non seulement devant toute juridiction (Conseil constitutionnel n° 86-213 DC du 3 septembre 1986, Rec, p 122, considérants 12 et 23 ; n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, Rec, p 130), mais aussi en matière administrative lorsque est envisagée l'édiction de mesures d'une certaine gravité qui ont un caractère de sanction ou sont prises intuitu personae.
Il en va de même du principe du droit au recours contentieux, qui est d'ailleurs logiquement indissociable du précédent encore que son champ d'application soit encore plus général puisqu'il s'applique à l'encontre de toute décision administrative faisant grief. Ce principe inclut notamment le droit à demander et, le cas échéant, à obtenir le sursis à exécution de sanctions prononcées par des autorités non juridictionnelles, droit qui est considéré comme une garantie essentielle des droits de la défense (Conseil constitutionnel n° 88-224 DC du 23 janvier 1987, Rec, p 8).
S'agissant du régime des étrangers, le droit au recours ne peut être considéré comme effectif que si l'intéressé peut le former avant d'avoir à quitter le territoire national et s'il a un caractère suspensif. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a considéré que le caractère suspensif du recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière n'était en rien contraire au principe constitutionnel d'égalité devant la loi dans la mesure où il doit s'analyser en une contrepartie du régime contraignant d'entrée et de séjour auquel sont soumis les étrangers (décision n° 89-266 DC du 9 janvier 1990, Rec, p 15, considérants 5 à 8). En outre, le droit au recours est sans aucun doute au nombre des « garanties adéquates » qui doivent entourer le placement d'un étranger en zone de transit (Conseil constitutionnel n° 92-307 DC du 25 février 1992, Rec, p 48, considérants 9 à 11).
Or, ces principes des droits de la défense et du droit au recours sont méconnus :
: par l'article 19 de la loi déférée qui prévoit qu'une demande de relèvement d'interdiction du territoire ou d'abrogation d'un arrêté d'expulsion ou de reconduite à la frontière n'est recevable que si son auteur réside hors de France (sauf le cas où il y purge une peine de prison ferme) : l'obstacle mis en pratique à l'exercice du droit au recours est particulièrement choquant, le recours ayant ici pour objet de démontrer que l'étranger a des attaches particulières avec ce territoire national qu'il doit quitter pour défendre son droit d'y rester ;
: par les articles 22 et 38-II qui organisent l'empiètement des autorités policières sur les compétences de l'OFPRA et rendent la saisine de ce dernier : ainsi que celle de la commission des recours, laquelle est une juridiction administrative : parfois impossible. L'entrave au fonctionnement de la justice administrative est ici incontestable ;
: par l'article 23 qui prévoit qu'un étranger entré irrégulièrement en France après être passé sur le territoire d'un Etat partie aux conventions de Schengen et de Dublin est remis aux autorités de cet Etat sans que soit respectée la procédure de reconduite à la frontière ni qu'aucun recours suspensif - c'est-à-dire réellement efficace : ne soit prévu à l'encontre de cette décision de remise à disposition de l'Etat en question ;
: par l'article 27 qui prévoit que les articles 18 bis et 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, relatifs à la commission de séjour des étrangers et au recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière, ne s'appliqueront pas dans les départements d'outre-mer pendant une période de cinq ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi déférée ;
: par l'article 28, qui n'ouvre aux futurs époux aucun recours contre la décision par laquelle le procureur de la République ordonne qu'il soit sursis à la célébration de leur mariage pendant une durée qui peut aller jusqu'à trois mois.
D : Sur les violations du principe d'égalité devant la loi
Ce principe issu de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen prohibe tant les différences de traitement fondées sur les différences de situation non justificatives (Conseil constitutionnel n° 86-213 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 122 ; n° 86-215 DC, Rec. p 130) que l'application d'un traitement uniforme méconnaissant des différences de situations réelles et justificatives, dès lors que l'une ou l'autre forme de discrimination ne serait pas justifiée par un objectif d'intérêt général en rapport avec l'objet de la loi : c'est-à-dire ici nécessitée par le maintien de l'ordre public, par un impératif de santé publique ou encore par les obligations internationales de la République française.
Il convient de souligner ici que s'agissant plus particulièrement de droits sociaux la jurisprudence constitutionnelle, comme y invite la lettre même du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, considère que les titulaires de ces droits constitutionnellement protégés sont « tous ceux qui résident sur le territoire de la République », qu'ils soient Français, étrangers ressortissants d'un Etat membre des Communautés européennes ou étrangers ressortissants d'un autre Etat (Conseil constitutionnel n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Rec. p 33), ce qui donne en la matière au principe d'égalité un caractère particulièrement protecteur de l'effectivité des droits et libertés fondamentaux.
S'y ajoutent parfois des dispositions constitutionnelles spécifiques telles que l'article 73 de la Constitution, qui limite la différenciation du régime applicable dans les départements d'outre-mer à une simple « adaptation » de la législation en vigueur en métropole à « leur situation particulière » (Conseil constitutionnel n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, Rec. p 70).
Or le principe d'égalité devant la loi est violé :
: par l'article 4 de la loi déférée, qui, même après la suppression par le Sénat de l'« amendement Marsaud », introduit en première lecture à l'Assemblée nationale, oblige les étrangers à présenter leur titre de séjour à toute réquisition de la police judiciaire « en dehors de tout contrôle d'identité », alors que les nationaux n'ont à se soumettre qu'à ces derniers. Or, d'une part, la nationalité étrangère n'est pas par elle-même un facteur de risque pour l'ordre public ; d'autre part, si la disparition de l'« amendement Marsaud » pouvait faire espérer que seraient exclus les « contrôles au faciès », on ne sait toujours pas par quels critères les agents de police reconnaîtront l'étranger auquel il sera demandé de présenter son titre de séjour, une certaine conception de l'efficacité étant ici porteuse de dérives manifestement inconstitutionnelles comme en ont abondamment témoigné les débats parlementaires ;
: par les articles 7-IV, 15-II et 21, qui réservent aux étudiants étrangers une différence de traitement que leur situation particulière ne justifie en rien, la catégorie à laquelle ils appartiennent ne menaçant pas particulièrement l'ordre public. Or, même résidant régulièrement en France depuis dix ans ou plus, ils n'auront pas droit à la carte de résident (art 7-IV) ; même résidant habituellement depuis quinze ans ou plus, ou régulièrement depuis dix ans ou plus sur le territoire français, ils ne seront pas « inexpulsables » (art 15-II) ; enfin, ils n'auront pas droit au regroupement familial (art 21). L'ensemble de ces mesures est manifestement discriminatoire ;
: par les articles 8 et 21, qui excluent les étrangers polygames du bénéfice de la carte de résident et du regroupement familial. Quoi que l'on puisse penser du caractère condamnable de la polygamie, force est de constater qu'elle n'est pas interdite à tous les Français : peuvent être polygames les Français de Mayotte, de Wallis-et-Futuna ainsi que les personnes nées dans les ex-colonies et les ex-territoires d'outre-mer avant leur indépendance. La nouvelle pénalisation de la polygamie est donc discriminatoire en ce qu'elle ne frappe que les étrangers. Elle l'est aussi en ce qu'elle traite différemment les enfants d'un même père quant à leur droit (reconnu par la Convention internationale des droits de l'enfant) de vivre dans le même pays que ce dernier : ceux de l'épouse vivant en France pourront jouir de ce droit, ceux des autres épouses ne le pourront pas, alors qu'à l'évidence ni les uns ni les autres de ces enfants d'unions polygamiques ne sauraient être tenus pour responsables ni de l'existence même de la polygamie ni des infractions à la législation en la matière ;
: par l'article 11, en ce qu'il ne précise en rien la gravité de l'infraction qui permet à un tribunal de prononcer l'interdiction du territoire français à l'encontre de personnes en principe protégées par la loi contre pareille sanction, ce dont il résultera nécessairement d'importantes disparités de jurisprudence d'une juridiction à l'autre en attendant l'unification longue et d'effectivité aléatoire du droit réellement applicable par la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation ;
: par l'article 12-IV, qui dispose que toute reconduite à la frontière emporte « de plein droit » systématiquement interdiction du territoire pour une durée d'un an, alors que les raisons de la reconduite à la frontière sont aussi variables que les situations des personnes qu'elles visent, si bien que l'application d'un traitement uniforme est ici discriminatoire ;
: par l'article 21 encore en ce qu'il exclut les allocations familiales (sauf la part de ces allocations qui dépasserait la valeur du SMIC) du montant des ressources personnelles déterminant l'accès au regroupement familial alors que ces allocations sont toujours incluses dans le calcul des ressources personnelles des nationaux lorsque ce calcul est exigé par la loi et que la nationalité des personnes en cause ne constitue évidemment en rien une différence de situation justificative de cette différence de traitement ;
: par l'article 27 qui prévoit un régime très spécifique et même dérogatoire dans les départements d'outre-mer, lequel dépasse la portée de l'« adaptation » prévue par l'article 73 de la Constitution - adaptation dont on sait que le Conseil constitutionnel l'interprète strictement (Conseil constitutionnel n° 82-147 DC du 2 décembre 1982, Rec. p 70) : et est manifestement disproportionné aux différences de situation qui peuvent en la matière séparer les DOM de la métropole. L'atteinte discriminatoire portée aux droits des habitants de ces départements est considérable, s'agissant en particulier du recours suspensif dirigé contre les arrêtés de reconduite à la frontière qui existe en métropole mais pas dans les DOM Cette même disposition porte d'ailleurs atteinte, pour les mêmes raisons, au principe constitutionnel d'indivisibilité de la République ;
: par les articles 32 et 36 A qui obligent les caisses de sécurité sociale et les services de l'Agence nationale pour l'emploi à pratiquer des contrôles périodiques (c'est-à-dire postérieurs à l'affiliation ou à l'inscription des personnes concernées) de la régularité du séjour de ceux des assurés sociaux ou des demandeurs d'emploi qui sont de nationalité étrangère. Etant donné que le numéro de sécurité sociale ne donne aucune indication de la nationalité de son détenteur et qu'il n'est pas sérieusement envisageable que les services en cause procèdent à la vérification systématique de chaque assuré social, demandeur d'emploi ou même ayant droit d'assuré social, les vérifications seront nécessairement sélectives. On peut légitimement se poser la question de savoir sur quels critères (que la loi déférée ne précise bien entendu en rien) interviendront ces vérifications : prendra-t-on en compte la consonance du patronyme, le lieu de naissance, etc. ? En toute hypothèse, ces contrôles qui ne pourront être mis en uvre que de manière discriminatoire constitueront inévitablement une rupture manifeste d'égalité devant la protection de la vie privée.
E : Sur les violations de l'article 55 de la Constitution
La présente espèce ne pourra que conduire le juge constitutionnel sinon à infléchir, du moins à aménager la jurisprudence dite « interruption volontaire de grossesse » (décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975, Rec. p 19). On est en effet ici en présence d'une loi qui organise systématiquement le non-respect des obligations internationales de la France, et ce au détriment de personnes qui auront souvent les plus grandes difficultés pour saisir une juridiction administrative ou judiciaire et qui en sont même, on l'a vu, parfois empêchées par les dispositions de la loi déférée.
Dans ces conditions, s'en remettre aux juges administratifs et judiciaires pour faire respecter l'article 55 de la Constitution aboutirait, dans les circonstances de l'espèce, non seulement à une méconnaissance d'une ampleur inédite du principe constitutionnel Pacta sunt servanda, mais encore à un véritable déni de justice.
Or la loi déférée est contraire aux stipulations de la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967, bien qu'elle prétende s'appliquer sous réserve desdites stipulations, en ce qu'elle interdit à certains demandeurs d'asile de saisir l'OFPRA d'une demande d'obtention de la qualité de réfugié (voir ci-après le point II-A).
Elle ne méconnaît pas moins les stipulations :
De la Convention internationale sur les droits de l'enfant, signée le 26 janvier 1990 et publiée par décret du 8 octobre 1990, en ce qu'elle apporte des limites excessives au regroupement familial et interdit parfois à des enfants de vivre auprès de leurs parents (voir ci-après le point II-B) ;
De la Convention européenne pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel, en ce qu'elle donne sans nécessité de service aux caisses de sécurité sociale et à l'Agence nationale pour l'emploi accès aux fichiers de la police (voir ci-après le point II-C) ;
De la Convention n° 118, conclue le 28 juin 1962 dans le cadre de l'Organisation internationale du travail, en ce qu'elle exclut de la protection sociale et surtout de l'essentiel de l'aide sociale les étrangers en situation irrégulière (voir ci-après le point II-C) ;
Du traité de Rome, des accords de coopération passés par les communautés européennes avec les pays du Maghreb, avec la Turquie et avec les pays de la zone Afrique, Caraïbes, Pacifique (convention de Lomé) et de la charte sociale européenne du 18 octobre 1991, en ce que l'exclusion précitée de la protection sociale et de l'essentiel de l'aide sociale constitue un obstacle à la libre circulation des travailleurs.
II. : Sur les griefs concernant des situations ou des catégories de personnes spécifiques
La loi déférée porte gravement atteinte au droit d'asile (A), au droit à une vie familiale normale (B), aux droits à la protection sociale, aux soins et à la perception d'un minimum de ressources (C), à la liberté du mariage et au droit au respect de la vie privée (D).
A : Sur les violations du droit d'asile
Ce droit est constitutionnellement protégé en vertu du quatrième alinéa du préambule de 1946 (Conseil constitutionnel n° 79-109 du 9 janvier 1980, Rec. p 29 ; n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 135), lequel énonce une exigence de caractère constitutionnel dont le législateur ne doit pas faire régresser les garanties légales (voir en ce sens Bruno Genevois, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel. Principes directeurs », Paris, éd. STH, 1988, p 266).
Or, plusieurs dispositions importantes de la loi déférée font reculer considérablement la protection du droit d'asile.
L'article 7 prévoit que le conjoint et les enfants d'un réfugié, lorsque le mariage est postérieur à la reconnaissance de la qualité de réfugié, n'ont plus droit à la carte de résident pendant l'année qui suit le mariage et perdent à nouveau ce droit en cas de cessation de la communauté de vie. Or, la protection du droit d'asile ne se conçoit pas sans celle de la proche famille du réfugié contre la dislocation de la cellule familiale et contre l'expulsion ou la reconduite à la frontière des proches de ce réfugié.
L'article 22 permet le refus de l'asile en vertu des stipulations des conventions de Schengen et de Dublin alors qu'aux termes de ces conventions un demandeur d'asile francophone devra s'adresser à des Etats qui ne lui offriront pas les mêmes garanties de dialogue et d'insertion ; il le permet encore dès lors que le demandeur d'asile peut se rendre dans un (autre) pays « sûr » alors que le quatrième alinéa du préambule de 1946 ne comporte nullement cette restriction fondamentale du droit d'asile qui fait de la France une terre d'accueil subsidiaire, si bien que la loi fait obstacle à l'intégralité de l'exercice du droit constitutionnel protégé.
Le même article 22 autorise les préfets à empiéter sur les compétences de l'OFPRA et de la commission des recours en appréciant l'existence de fraudes, d'abus du droit au recours, etc.
Il y a là une évidente régression de la garantie des droits, proportionnelle à la différence, en termes d'indépendance par rapport au Gouvernement, entre les anciens titulaires de ces compétences - une autorité indépendante et une juridiction administrative : et les : nouveaux : « fonctionnaires d'autorité » soumis à une obligation de loyalisme politique à l'égard du Gouvernement.
C'est toujours l'article 22 qui interdit la saisine de l'OFPRA lorsque les stipulations des conventions de Dublin et de Schengen donnent compétence à une autre partie contractante, alors que lesdites conventions réservent à chaque partie la faculté de traiter les dossiers qu'elle juge nécessaire de ne pas abandonner.
L'article 22 refuse enfin au demandeur d'asile non admis au séjour qui s'est heurté à un refus de l'OFPRA le droit de se maintenir sur le territoire national jusqu'à ce que la commission des recours ait statué sur son cas, alors que la commission des lois du Sénat avait souhaité qu'il le puisse.
Quant à l'article 38-II, il ne permet la saisine de l'OFPRA qu'une fois enregistrée par l'autorité préfectorale la demande d'admission au séjour, ce qui interdit la saisine « directe ». Est, en outre, exclue par ce même article la compétence de l'OFPRA à l'égard des personnes auxquelles l'autorisation provisoire de séjour a été refusée, retirée ou non renouvelée sur la base du nouvel article 31 bis de l'ordonnance de 1945, ce qui ferme l'accès de l'office à un nombre considérable de demandeurs.
L'article 39 prévoit enfin des dispositions identiques en ce qui concerne la saisine de la commission des recours.
B : Sur les violations du droit à une vie familiale normale
Aux termes du dixième alinéa du préambule de 1946, « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Le Conseil constitutionnel a jugé que la protection constitutionnelle des droits de la famille qui en résultait aussi bien aux étrangers qu'aux Français (décision n° 86-216 DC du 3 septembre 1986, Rec. p 135).
Or, de nombreuses dispositions de la loi déférée, notamment celles relatives au regroupement familial, compromettent gravement le droit à une vie familiale normale protégé par la Constitution.
L'article 6 dispose que le jeune étranger qui n'est pas entré en France par la procédure du regroupement familial ne peut obtenir de plein droit une carte de séjour temporaire (sans évoquer la carte de résident) que s'il est entré en France avant l'âge de six ans. Y est-il rentré à six ans et demi, aurait-il résidé régulièrement pendant des années sur le territoire, aurait-il les plus solides attaches, cette carte de séjour temporaire pourtant peu génératice de sécurité. Et même celui qui sera entré en France par la procédure du regroupement familial ou avant l'âge de six ans ne pourra pas davantage obtenir cette carte si l'autorité préfectorale considère qu'il constitue une menace pour l'ordre public.
L'article 7 prévoit, d'une part, que la carte de résident ne pourra être délivrée à des personnes dont les attaches familiales en France sont fortes et évidentes (conjoints de Français, parents d'enfants français, etc) si, au moment où elles en font la demande, elles sont en situation irrégulière : par exemple, si leur titre de séjour n'a pas été renouvelé à temps ou si elles ont laissé expirer la durée de validité de leur visa avant d'accomplir la démarche de demande de la carte de résident. Même si elles sont protégées contre une mesure d'éloignement (ce qui ne sera plus toujours vrai sous l'empire de la loi déférée), il leur faudra vivre dans une extrême précarité (sans disposer ni du droit au travail ni du droit à la protection sociale : voir ci-après le point II-C) et si elles veulent régulariser leur situation, elles devront retourner dans leur pays pour tenter d'y obtenir un visa de long séjour sans lequel une carte temporaire de séjour ne pourra leur être (ensuite) délivrée. Ce retour dans leur pays suppose soit une séparation avec leurs enfants français, soit une séparation entre ces enfants et l'autre parent, et, en tout cas, une séparation entre les époux : le trouble de la vie familiale est en toute hypothèse extrêmement grave et disproportionné à l'irrégularité qui en est la cause (laquelle n'est souvent qu'un retard peu important dans une démarche administrative).
Le même article 7 prévoit, d'autre part, lorsqu'un réfugié se marie, que si, par malheur, les conjoints cessent ultérieurement de vivre en commun, leurs enfants se voient retirer la carte de résident sans doute par application d'un étrange principe de responsabilité collective car on voit mal en quoi la cessation de la communauté de vie entre leurs parents peut leur être reprochée. En tout cas, le retrait de leur carte de résident est synonyme d'éclatement de la cellule familiale.
L'article 15 supprime toute protection contre l'expulsion et contre la reconduite à la frontière pour les étrangers entrés en France entre les âges de six et de dix ans, lesquels ont de toute évidence toutes leurs attaches familiales en France, et pour les conjoints de Français pendant la première année du mariage ou, en cas de cessation (ultérieure) de la communauté de vie entre époux, ce qui contraint les personnes en cause à quitter le territoire national pour tenter d'obtenir la régularisation de leur situation. Dans un cas comme dans l'autre, la gravité de l'atteinte à la vie familiale normale est manifeste.
Mais l'essentiel des violations du droit à la vie familiale normale se trouve naturellement dans l'article 21 qui comporte de très sévères limitations du droit au regroupement familial : le regroupement partiel n'est possible que « dans l'intérêt des enfants » (dont on se demande comment il pourrait ne pas être de vivre auprès de leurs parents) ; le regroupement n'est désormais possible qu'au bout non plus d'une mais de deux années après l'arrivée sur le territoire ou, s'agissant de la venue d'un nouveau conjoint, après la dissolution ou l'annulation du précédent mariage ; les étudiants sont totalement exclus de regroupement familial, quels que soient leur âge et leur situation de famille. Sur tous ces points, la presse a fait état de l'avis défavorable émis par le Conseil d'Etat sur le projet de loi, qui a été également critiqué avec la plus grande vivacité par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
De plus, une fois arrivés, les membres de la famille « regroupée » doivent, lors de la demande de leurs titres de séjour, se soumettre à un second contrôle qui peut aboutir à un refus du regroupement si les conditions en ont disparu : qu'un travailleur perde par exemple son emploi et il verra sa famille contrainte à repartir aussitôt arrivée, afin d'ajouter aux difficultés professionnelles l'isolement familial Enfin, dans le cas où le conjoint et les enfants, venus en visite touristique, resteraient au-delà de la durée de leur visa sur le territoire national, la personne qu'ils ont rejointe se voit retirer son titre de séjour par application, là encore, d'un principe de responsabilité collective radicalement étranger aux fondements du droit français.
L'article 21 méconnaît donc tant le droit à une vie familiale normale que le droit des enfants à vivre dans le même pays que leurs parents (reconnu et garanti par la Convention internationale des droits de l'enfant ratifiée par la France).
C : Sur les violations des droits à la protection sociale, aux soins et à la perception d'un minimum de ressources
Ces droits découlent des dispositions du onzième alinéa du préambule de 1946. Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il incombe au législateur et au Gouvernement « de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du préambule, les modalités de leur mise en uvre () en tenant compte () des diverses prestations d'assistance dont sont susceptibles de bénéficier les intéressés » (décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Rec. p 13).
La loi doit viser « à permettre l'application effective du principe posé par les dispositions du onzième alinéa du préambule » (Conseil constitutionnel n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Rec. p 33), lequel inclut notamment le principe constitutionnel de protection de la santé publique (Conseil constitutionnel n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Rec. p 11 ; n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Rec. p 24) et le droit à des moyens convenables d'existence (Conseil constitutionnel n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Rec. p 13, considérants 16 et 17).
Or, l'article 32 de la loi déférée dispose que seuls les étrangers en situation régulière peuvent être affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale : et qu'en cas de méconnaissance de cette règle les cotisations restent dues, ce qui revient à organiser l'enrichissement sans cause des caisses de sécurité sociale ; l'article 34 de la loi prévoit quant à lui que les étrangers en situation irrégulière, s'ils bénéficient des prestations d'aide sociale à l'enfance, d'aide sociale en cas d'admission dans un centre d'hébergement et de réadaptation sociale et d'aide médicale en cas de soins dispensés par un établissement de santé ou de prescriptions liées à ces soins, ne bénéficient en revanche de l'aide médicale à domicile que s'ils peuvent prouver leur résidence ininterrompue en France depuis au moins trois ans et ne peuvent bénéficier d'aucune autre forme d'aide sociale. L'article 35 de la loi les exclut de même du bénéfice de l'aide personnalisée au logement.
Il faut souligner, d'une part, que ces dispositions ne visent pas seulement de véritables « clandestins », mais également des personnes entrées régulièrement sur le territoire qui n'auront, par exemple, pas pu obtenir à temps le renouvellement de leur titre de séjour ou qui se le seraient vu refuser après avoir perdu leur emploi, d'autre part, que le nombre d'étrangers en situation irrégulière ne pourra que croître fortement, on l'a vu, par simple jeu de l'application des dispositions beaucoup plus strictes de la loi déférée relatives aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France : si bien que le nombre de personnes ainsi privées de protection sociale augmentera lui aussi considérablement : enfin, que, même des enfants pourront se trouver privés de cette protection car même si, en raison d'un amendement parlementaire, l'exigence de régularité du séjour des ayants droit ne vise que les majeurs, les enfants mineurs connaîtront le même sort que le majeur dont ils sont ayants droit et seront donc le cas échéant désaffiliés en même temps que lui.
Quant à l'exclusion d'une partie considérable des aides sociales (allocations mensuelles d'aide médicale, allocations compensatrices versées aux handicapés, aides aux personnes âgées, etc), elle conjugue ses effets avec ceux de l'exclusion de la protection sociale pour exposer la santé des personnes concernées à des risques évidents et considérables, aucun soin n'étant pris en charge en dehors d'une logique d'hospitalisation. Il y a là non seulement une atteinte manifeste et injustifiable au droit aux soins de ces personnes - droit qui ne peut constitutionnellement être retiré à aucun être humain : mais aussi une atteinte non moins grave et manifeste à la santé publique (dont la protection est un principe de valeur constitutionnelle : Conseil constitutionnel n° 80-117 DC du 22 juillet 1980, Rec. p 42 ; n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, Rec. p 11 ; n° 90-287 DC du 16 janvier 1991, Rec. p 24), compte tenu de l'augmentation des risques de contagion qui résulterait inévitablement d'une telle situation, comme l'ont immédiatement signalé des organisations représentatives du corps médical telles que Médecins sans frontières.
Même atténuée par le remord tardif d'un ancien ministre puis de quelques sénateurs, l'exclusion de l'essentiel des prestations d'aide sociale, s'ajoutant à celle des prestations sociales et de l'aide au logement, ajoute une précarisation sociale massive à l'insécurité juridique qui est le lot des étrangers en situation irrégulière. Or, les prestations sociales, et surtout d'aide sociale, sont constitutionnellement dues à toute personne qui remplit les conditions d'obtention qu'impose leur objet et, de ce point de vue, la nationalité ne constitue pas un critère admissible ni davantage le caractère régulier ou irrégulier du séjour en France : l'alinéa 11 du préambule de 1946, comme les alinéas 3, 5, 6, 7, 8, 10 et 13 (mais à la différence de l'alinéa 12), concerne des « droits de l'homme » expressément reconnus à « tous » (ou encore à « tout être humain »).
L'intention du constituant est sur ce point claire et manifeste ; l'inconstitutionnalité des dispositions précitées de la loi déférée ne l'est pas moins.
D : Sur les violations de la liberté du mariage et du droit au respect de la vie privée
Nombreuses sont les décisions du Conseil constitutionnel qui ont consacré les garanties du respect de la vie privée sans faire jusqu'à maintenant explicitement du droit à ce respect un principe de valeur constitutionnelle autonome. Mais sa reconnaissance à part entière est dans la logique de l'évolution jurisprudentielle (voir en ce sens Bruno Genevois, opus cité. p 314). Quant à la liberté du mariage, elle relève tout à la fois de la liberté individuelle, du droit de disposer de son propre corps, de la liberté de conscience et de la liberté d'expression, voire d'une forme particulière de la liberté d'association.
Or, l'article 28-III de la loi déférée proscrit les mariages dont le « résultat est étranger à l'union matrimoniale ». Cette notion même est attentatoire à la liberté du mariage qui inclut nécessairement le libre choix des motifs et des buts du mariage et du respect de la vie privée : en droit français, il suffit que le consentement au mariage existe : que les deux volontés se rencontrent : les raisons n'en regardent que les futurs époux.
Le même article 28-III de la loi habilite surtout des autorités non juridictionnelles (l'officier d'état civil, le procureur de la République) à pratiquer un contrôle a priori sur la validité de tous les mariages (qu'ils soient ou non « mixtes »), le procureur pouvant décider un sursis à la célébration dont la durée peut aller jusqu'à trois mois.
Comme dans la célèbre affaire dite de la liberté d'association (Conseil constitutionnel n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Rec. p 29) qui mettait, elle aussi, en cause une liberté régie par le droit civil, on assiste ainsi à la substitution aux contrôles juridictionnels a posteriori de mécanisme de contrôles préventifs par lesquels l'Etat prétend faire obstacle à l'échange de consentements dont l'existence n'est pas contestée. Or, comme dans le cas de la déclaration d'une association, le rôle de l'officier d'état civil n'est que de constater la volonté des intéressés et de l'enregistrer solennellement. En méconnaissant cette exigence de l'absence de tout contrôle a priori, la loi déférée viole la liberté constitutionnellement protégée du mariage.
Il convient en outre de remarquer que, dans l'hypothèse où l'un des deux futurs époux se trouverait en situation irrégulière au regard de la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers en France, l'intervention du contrôle a priori institué par la loi déférée aura pour conséquence nécessaire sa reconduite à la frontière, assortie automatiquement d'une interdiction du territoire pour une durée d'un an. Ainsi, la célébration du mariage se trouvera-t-elle définitivement empêchée (du moins en France) et le législateur sera-t-il parvenu par des voies détournées à subordonner la célébration des mariages dits « mixtes » à la condition de la régularité du séjour, ce que la crainte de violer trop ouvertement les principes proclamés par la Convention européenne des droits de l'homme l'avait empêché de décider explicitement.