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Décision n° 92-317 DC du 21 janvier 1993 - Saisine par 60 sénateurs

Loi portant diverses mesures d'ordre social
Non conformité partielle

PREMIERE SAISINE SENATEURS : Recours devant le Conseil constitutionnel présenté par les sénateurs soussignés
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les sénateurs soussignés ont l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi portant diverses mesures d'ordre social, adoptée en dernière lecture par l'Assemblée nationale le 23 décembre 1992.
Cette loi paraît, en effet, contraire à la Constitution pour les raisons suivantes et celles qu'il plaira au conseil de relever :
1. La loi comporte plusieurs articles issus d'amendements dépourvus de tout lien avec l'objet du projet de loi :
: l'article 62 ;
: l'article 83 ;
: l'article 84 ;
: l'article 38.
Or, le Conseil constitutionnel a énoncé dans plusieurs décisions que les adjonctions ou modifications apportées au texte en cours de discussion ne sauraient être sans lien avec celui-ci (décisions n°s 191 DC du 10 juillet 1985, 198 DC du 13 décembre 1985, 199 DC du 28 décembre 1985, 221 DC du 29 décembre 1986, 225 DC du 23 janvier 1986 et 251 DC du 12 janvier 1989).
2. L'article 38 a été adopté selon des modalités constitutives d'un détournement de procédure constitutionnelle.
Il modifie en effet l'article 223-12 du nouveau code pénal, figurant au livre II de ce code adopté après accord de la commission mixte paritaire le 2 juillet à l'Assemblée nationale et le 7 juillet 1992 au Sénat, et promulgué le 22 juillet. Ce livre II a fait l'objet d'un vote favorable, dans les deux cas, par scrutin public : à l'Assemblée nationale par 261 voix contre 26 et au Sénat par 299 voix contre 17. Au Sénat, les conclusions de la commission mixte paritaire ont été adoptées par tous les groupes, y compris le groupe socialiste, et à l'exception du groupe communiste.
Est ainsi remis en cause un article qui avait fait l'objet d'un désaccord entre les deux assemblées en cours de discussion, mais sur lequel la commission mixte paritaire était parvenue à un accord ratifié peu après par les deux assemblées.
Cependant, la seule voie offerte à l'Assemblée nationale pour rejeter cet article était soit la constatation d'un échec en commission mixte paritaire, soit le rejet des conclusions de la commission mixte. Dans le cas contraire, il suffirait, le lendemain même d'un vote favorable sur les conclusions d'une commission mixte, qu'une disposition remettant en cause l'accord ainsi ratifié soit adopté dans un projet de loi distinct. Dès lors, les règles prévues par l'article 45 de la Constitution définissant le rôle des commissions mixtes paritaires n'auraient plus aucune portée.
Ces règles ont au demeurant pour objet l'élaboration d'un compromis entre les deux assemblées.
Aussi, l'adoption d'un amendement dans le cadre d'un projet de loi distinct tendant à exprimer ce désaccord ne figure pas, pour cette raison, parmi les procédures prévues par la Constitution dans ce domaine.
Il est à noter, par ailleurs, que, lors de la discussion du projet de loi sur l'entrée en vigueur du nouveau code pénal, un amendement de même objet a été suggéré par le groupe communiste lorsque l'Assemblée nationale a examiné le 30 novembre dernier les conclusions de la commission mixte paritaire réunie sur ce projet de loi.
Le garde des sceaux s'est opposé à cet amendement, estimant qu'il n'était « pas possible de revenir toutes les semaines sur un problème qui a été réglé dans le cadre d'un accord global sur le nouveau code pénal ».
En raison de cette opposition, le groupe communiste n'a pu déposer cet amendement, car, en vertu de l'article 45 de la Constitution, seuls les amendements déposés par le Gouvernement ou acceptés par lui peuvent être mis en discussion à ce stade du débat.
Pour contourner cet obstacle constitutionnel, l'amendement qui était irrecevable le lundi a pu être présenté et adopté quelques jours après, le vendredi 5 décembre, sur le projet de loi portant diverses mesures d'ordre social. Cette initiative, qui s'apparente à un artifice sans précédent à notre connaissance, constitue en soi un détournement de la procédure de l'article 45 de la Constitution, qu'il conviendrait d'annuler, compte tenu des circonstances de l'espèce, pour sauvegarder l'effet accordé par la Constitution aux accords de commission mixte paritaire.
Enfin, l'article 38 intervient alors que le nouveau code pénal n'est pas encore entré en application et que, d'un commun accord, défini au sein de la commission mixte paritaire réunie le 25 novembre sur le projet de loi relatif à l'entrée en vigueur de ce nouveau code et ratifié en séance publique, l'Assemblée nationale et le Sénat ont décidé de fixer la date de cette entrée en vigueur au 1er septembre 1993.