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Décision n° 92-316 DC du 20 janvier 1993 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques
Non conformité partielle

SAISINE DEPUTES :
En application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, les députés soussignés défèrent la loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 19 décembre 1992 afin qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer non conformes à la constitution les articles 1er à 6, 9, 11 et 13, 19 à 229, les articles 32, 38, 40, 49, 53 et 54, 72 et 73 et l'article 86, pour les motifs ci-après développés.
I : Moyens de procédure
Plusieurs moyens de procédure peuvent être soulevés à l'encontre des conditions d'adoption des articles 11 (8 ter ancien), 53 (39 bis ancien) et 54 (39 ter ancien), 72 et 73 de la loi déférée.
1. Les dispositions à l'origine de l'article 11 ont été introduites par voie d'amendement venant en seconde délibération en nouvelle lecture, alors même qu'elles n'ont été ni examinées ni rapportées par la commission saisie au fond, non plus que présentées ni examinées en première délibération. Elles contreviennent à l'article 45 de la Constitution et paraissent devoir être censurées par le conseil.
2. Les dispositions à l'origine des articles 53, 54, 72 et 73 sont dépourvues de tout lien avec la loi déférée. Elles ne se situent manifestement pas dans le cadre du texte en discussion et sont étrangères à son objet.
Ces articles qui modifient très amplement le code de l'urbanisme et la loi n° 75-1351 du 31 décembre 1975 relative à la protection des occupants de locaux à usage d'habitation sont dénués de tout rapport avec l'objet du projet de loi et paraissent devoir être censurés ; de même que les dispositions des articles 72 et 73 relatives au blanchiment des capitaux provenant de l'activité d'organisations criminelles et modifiant la loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants.
Aucune de ces dispositions n'a trait à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques.
Conformément à ses décisions précédentes en la matière (n° 90-277 DC du 25 juillet 1990 cons 23 et 24 et n° 90-287 DC du 16 janvier 1991), il est demandé au conseil d'annuler les dispositions susvisées.
3. Les dispositions des articles 53, 54, 72 et 73 excèdent en outre, manifestement à raison tant de leur ampleur que de leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement, et méconnaissent les articles 39 et 44, alinéa 1, de la Constitution.
Les dispositions à l'origine de l'article 53 ayant trait aux conditions de résiliation des baux ou droits d'occupation et introduisant des conditions nouvelles, modifiant, à peine de nullité, les conventions entre bailleurs et locataires ; ainsi que celles à l'origine de l'article 54, composé de sept paragraphes et modifiant plusieurs articles du code de l'urbanisme ayant trait au relogement des locataires, au permis de démolir et aux sanctions afférentes, outrepassent tant par leur objet que par leur ampleur et leur portée les limites reconnues à l'exercice du droit d'amendement (n° 86-225 DC, 23 janvier 1987 et n° 86-221 DC du 29 décembre 1986).
Il plaira pour ces motifs à votre Haute Assemblée de les annuler.
II. : Moyens de fond
1. Sur les articles 1er à 6 instituant un service central de prévention de la corruption : méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, de la garantie des droits et de la liberté individuelle ainsi que du droit de propriété :
Les articles 1er à 6 de la loi déférée instituent un service central de prévention de la corruption, placé auprès du ministre de la justice, chargé de centraliser les informations nécessaires à la détection et à la prévention des faits de corruption active ou passive, du trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique ou par des particuliers, de concussion, de prise illégale d'intérêts ou d'atteinte à la liberté et à l'égalité des candidats dans les marchés publics.
Le service prête son concours sur leur demande aux autorités judiciaires saisies de faits de cette nature, et donne sur leur demande aux autorités administratives des avis sur les mesures susceptibles d'être prises pour prévenir de tels faits.
Le service dispose en outre de pouvoirs étendus pour se faire communiquer par toute personne tout document, quel qu'en soit le support, nécessaire à l'accomplissement de sa mission, ainsi que pour entendre toute personne susceptible de lui fournir les informations nécessaires à l'accomplissement de sa mission.
L'organisation et le fonctionnement du service, ainsi que la généralité et l'imprécision de ses compétences, sont de nature à encourir plusieurs reproches d'inconstitutionnalité :
a) Sur la nature du service, il ne peut être en aucun cas soutenu qu'il s'agit d'une juridiction ou d'un organisme relevant de la police judiciaire.
En effet, bien que le service soit « placé auprès du ministre de la justice » (art 1er de la loi déférée), qu'il « prête son concours sur leur demande aux autorités judiciaires », qu'il soit « dirigé par un magistrat de l'ordre judiciaire » (même référence), qu'il soit susceptible de saisir le procureur de la République (art 2), et qu'il communique aux parquets et aux juridictions d'instruction les informations qui leur sont nécessaires (art 4), l'organisme ainsi créé constitue incontestablement un service administratif.
Ceci a d'ailleurs été confirmé par le garde des sceaux au cours de la première lecture du texte à l'Assemblée nationale, et le projet de loi désignait au surplus le service, dans le texte initial, sous l'appellation de « service interministériel de lutte contre la corruption », ce qui ne laisse aucun doute sur sa qualification réelle.
b) Sur les attributions du service, la rédaction de l'article 5 de la loi déférée autorise une interprétation extrêmement large de ses propres compétences par l'organisme ainsi créé le droit de communication des documents est le plus étendu possible, le service étant juge de l'opportunité de la demande, laquelle peut porter sur tous les documents dont la communication est « nécessaire à l'accomplissement de sa mission ».
Dans une espèce similaire votre Haute Assemblée a jugé, à propos du droit de visite des agents des établissements publics de diffusion, que l'absence de précision entraînait une atteinte à des droits et des libertés constitutionnellement garantis qu'il appartenait à la loi de sauvegarder (n° 85-198 DC du 13 décembre 1985).
S'agissant d'autre part des « investigations à caractère technique » visées à l'avant-dernier alinéa de l'article 1er, il est reconnu au service central de lutte contre la corruption un droit exorbitant de coercition et de saisie. Ainsi, il n'est pas en effet donné de récépissé et, même si le secret professionnel est rappelé par la loi, il n'est pas prévu de restitution des pièces saisies en cas de clôture de la procédure.
Une semblable absence de garanties peut de même être relevée à propos des auditions auxquelles procédera le service, qui pourront avoir lieu sans qu'il puisse être fait appel à un conseil, ni qu'il soit établi de procès-verbal contradictoire, en totale méconnaissance des droits de la défense.
L'imprécision des dispositions qui viennent d'être rappelées autorise une interprétation très étendue des pouvoirs du service, sans que le juge judiciaire ou administratif ne puisse intervenir pour veiller au respect des droits de la défense.
En effet, il est hasardeux d'opérer un parallèle avec le service institué par la loi n° 90-614 du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants, parallèle qui a été établi au cours des débats pour argumenter en faveur du projet de loi en cause.
Si le service créé par la loi du 12 juillet 1990, couramment dénommé « TRACFIN », est bien un service administratif comme le service de prévention de la corruption, et s'il dispose de compétences similaires, il faut relever que l'article 6 de la loi qui l'institue prévoit l'intervention du président du tribunal de grande instance de Paris, pour proroger le délai d'examen d'un document par le service TRACFIN.
Aucune disposition de cette nature n'est prévue dans le cas du service central de prévention de la corruption.
Au surplus, il convient d'indiquer que la loi déférée crée un déséquilibre entre, d'une part, l'insuffisance des garanties dont peuvent bénéficier les personnes auditionnées ou auxquelles un document est demandé et, d'autre part, les sanctions que ces personnes peuvent se voir appliquer en cas de refus, l'article 5 de la loi prévoyant une peine de 50 000 F d'amende.
c) Plusieurs dispositions d'ordre constitutionnel sont méconnues par les articles 1er à 6 :
En premier lieu, le principe de la séparation des pouvoirs affirmé à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, ainsi que la garantie des droits protégée par le même article, et la liberté individuelle, sont violés par les dispositions ci-dessus évoquées.
Le service central de prévention de la corruption présente une nature administrative, en dépit de certains éléments pouvant rappeler l'institution judiciaire ; il dispose de pouvoirs étendus comparables à ceux de la police judiciaire, alors que ses membres n'ont pas la qualification d'officier ou d'agent de police judiciaire ; il est juge de sa propre compétence, sans qu'intervienne un juge pour encadrer celle-ci.
Dans une situation voisine, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions de l'article L 40 du code des postes et télécommunications, dans sa décision n° 90-281 DC du 27 décembre 1990, en relevant qu'il incombe au législateur « notamment de préserver l'exercice des droits de la défense, de veiller au respect du droit de propriété et de placer sous le contrôle de l'autorité judiciaire, conformément à l'article 66 de la Constitution, toute mesure affectant, au sens dudit article, la liberté individuelle ».
Dans le cas présent, si des peines de prison ne sont pas prévues, il est manifeste que les attributions du service en cause excèdent les pouvoirs habituellement reconnus à un organisme administratif, lequel n'a pas la qualité d'autorité administrative indépendante.
Un deuxième principe d'ordre constitutionnel est par ailleurs méconnu par la loi déférée : en précisant que doit être communiqué « tout document, quel qu'en soit le support », l'article 5 est incompatible avec l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'il affirme que « la propriété (est) un droit inviolable et sacré ». Il n'est pas interdit de penser en effet que le service pourra se faire communiquer des documents bancaires ou comptables, des pièces de correspondance privée, des actes notariés, des logiciels d'informatique, des archives personnelles. Il peut s'agir d'éléments originaux, dont la conservation n'est pas précisée par la loi qui ne prévoit aucun droit de restitution. Il est soutenu que de telles dispositions excèdent les besoins du service et contredisent le droit de propriété.
2. Sur les dispositions relatives au financement des campagnes électorales et des partis politiques.
a) Sur la commission des partis politiques : incompétence négative :
A l'article 11 (8 ter A ancien), outre le moyen de procédure précédemment soulevé, il y a lieu de relever que le législateur est resté en deçà de sa compétence.
En renvoyant à un décret en Conseil d'Etat les modalités d'application de cet article, à savoir la composition, le fonctionnement et les attributions de la commission des partis politiques qu'il a situé au-dessus de la Commission nationale des comptes de campagnes et des financements politiques puisqu'elle procède à l'audition de celle-ci, il apparaît que le législateur méconnaît l'étendue de la compétence qu'il tient de l'article 34 de la Constitution et renvoie au pouvoir réglementaire le soin de déterminer l'étendue des pouvoirs de la commission qu'il a créée (n° 86-217 DC, 18 septembre 1986, cons. 35 et 36).
b) Sur la publicité des dons des personnes morales aux partis politiques : restriction à la libre expression des partis et rupture d'égalité :
Il est soutenu que l'obligation de publicité des dons consentis par les personnes morales aux partis politiques et aux candidats instituée respectivement par les articles 13 et 9 de la loi déférée contrevient à l'article 4 de la Constitution qui dispose que : « les partis se forment et exercent leur activité librement ».
En établissant une obligation de publicité pour les donateurs et les montants des dons, la loi déférée porte atteinte au libre choix des citoyens, à la liberté d'opinion et restreint ainsi la libre expression des courants d'idées et d'opinions, fondement de la démocratie constitutionnellement garantie (n° 89-271 DC du 11 janvier 1990).
Il apparaît en outre qu'en l'espèce une telle disposition est porteuse d'une rupture d'égalité dans le traitement des dons consentis par des personnes morales à des partis politiques ou à des candidats, en raison même de la date à laquelle ces dons ont été effectués.
3. Sur les dispositions des chapitres Ier et II du titre II relatives à la transparence des activités économiques : méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté de communiquer.
Les articles 18 à 29 de la loi déférée prévoient un certain nombre de restrictions à la liberté des contrats, du commerce et de l'industrie, notamment en ce qui concerne le secteur de la publicité.
Les rapports contractuels entre les annonceurs, les agences de publicité et les supports d'information sont en effet considérablement encadrés par ces articles, lesquels restreignent la liberté dont disposent les parties de prévoir les clauses de leur choix dans les conventions qu'elles concluent entre elles.
C'est ainsi que l'article 20 de la loi en cause interdit certaines clauses et ne prévoit qu'une seule modalité pour l'achat d'espace publicitaire, le contrat de mandat. De même, les articles 20, 21 et 22 limitent considérablement la liberté des cocontractants de choisir le mode de rémunération qui aurait leur préférence.
Le respect de ces dispositions est assuré par des sanctions très lourdes figurant à l'article 25, lequel prévoit notamment une amende de 2 000 000 F ainsi qu'une peine d'exclusion des marchés publics.
La combinaison de ces différentes dispositions est de nature à porter gravement atteinte à la liberté d'entreprendre constitutionnellement protégée, que votre Haute Assemblée a consacrée avec éclat dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, en ces termes : « considérant que () la liberté, qui, aux termes de l'article 4 de la Déclaration, consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, ne saurait elle-même être préservée si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre ». Il peut être également soutenu que la gravité des sanctions prévues à l'article 25 présente une absence de proportionnalité en regard des principes et objectifs que la loi veut défendre.
Pareille argumentation peut être étendue à l'évidence aux sanctions qui peuvent être appliquées aux vendeurs d'espaces publicitaires, qui peuvent être des organes de presse, la lourdeur des peines prévues à l'article 25 pouvant, à l'extrême, porter gravement atteinte à l'équilibre économique d'un journal ou d'une station de radio ou de télévision.
Sur ce point, comme sur les restrictions apportées au contenu des contrats de vente d'espaces publicitaires, il peut être soutenu que les articles en cause méconnaissent la liberté de la presse et de communication des opinions, protégée par l'article 11 de la déclaration des droits.
4. Sur les dispositions de l'article 32 prévoyant la composition des commissions départementales d'urbanisme commercial.
Les paragraphes I et II de l'article 32 prévoient, au sein des commissions départementales d'urbanisme commercial, la présence de seulement deux représentants des professions commerciales, industrielles ou artisanales.
La législation en vigueur prévoyant que les recours contre les décisions de ces organismes sont formés par trois membres de la commission, la disposition en cause est de nature à entraver le droit de recours dont disposent les représentants des professions intéressées, méconnaissant ainsi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, au rang desquels il convient de placer le principe du double degré de juridiction.
5. Sur les dispositions relatives aux délégations de service public.
L'article 38 institue une procédure de publicité des conditions d'octroi des délégations de service public des personnes morales de droit public.
Une telle disposition est constitutive d'une rupture d'égalité devant les charges publiques affirmée par l'article 13 de la déclaration des droits.
Si les marchés et concessions ont été ouverts à la concurrence par les dispositions de la loi n° 91-3 du 3 janvier 1991, certains secteurs en sont demeurés, conformément à la législation communautaire, expressément exclus.
Il apparaît à cet égard que l'application de l'article 38 conduirait à une ouverture unilatérale qui ferait peser sur les entreprises françaises opérant dans les secteurs dits exclus en France les conditions d'une mise en concurrence sans réciprocité dans les autres Etats de la Communauté européenne. Celles-ci se trouveraient en conséquence victimes, par ce fait, d'une rupture caractérisée d'égalité.
Cet article paraît donc pour ce motif devoir être censuré.
Sur l'article 40 relatif à la limitation dans le temps des délégations de service public, il est soutenu que sont méconnus, d'une part, le principe de la libre administration des collectivités territoriales, garanti par l'article 72 de la Constitution, et, d'autre part, la liberté d'entreprendre, ainsi qu'en conséquence le principe de continuité du service public.
L'article 40 de la loi en cause établit le principe de la limitation de la durée des conventions de délégations de service public.
Le même article n'autorise de prolongation de ces conventions que de façon très limitative, en ne permettant qu'une prolongation d'un an pour des motifs d'intérêt général ou une prolongation qui ne peut excéder le tiers de la durée initialement prévue lorsque le délégataire est contraint de réaliser certains travaux pour la bonne exécution du service public.
Sauf à faire application des dispositions qui viennent d'être rappelées, la durée de la convention ne peut dépasser la durée normale d'amortissement des installations mises en uvre, lorsque celles-ci sont à la charge du délégataire. La limitation très stricte qui résulte du principe posé dans le premier alinéa de l'article entrave considérablement la liberté d'action des collectivités locales, lesquelles ne sont plus libres de choisir la durée qui leur convient et, en conséquence, ne peuvent plus appliquer les tarifs qui ont leur préférence puisqu'il est établi que ceux-ci varient notamment en fonction de la durée de la convention.
Pareille argumentation peut être développée au sujet des dérogations introduites au deuxième alinéa de l'article examiné qui restreignent étroitement les possibilités dont dispose la collectivité délégante pour prolonger la convention. Particulièrement la limitation, soit à un an, soit au tiers de la durée initiale du délai pendant lequel la convention peut être prolongée porte atteinte à la liberté contractuelle des collectivités territoriales, et, par là même, entre en conflit avec le principe de la libre administration établi à l'article 72 de la Constitution. Ces remarques valent en ce qui concerne les entreprises qui contractent avec les collectivités : la liberté contractuelle du délégataire est restreinte dans les mêmes proportions que celles du délégant, ce qui l'empêche d'établir des prévisions pour ses investissements et ses tarifs, toutes restrictions qui sont de nature à porter atteinte au principe de la liberté d'entreprendre rappelé par votre assemblée dans sa décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982.
Sur l'article 41 établissant des dérogations aux règles régissant les délégations de service public : violation du principe d'égalité.
L'article 41 de la loi déférée établit une dérogation au profit des entreprises exerçant un monopole institué par la loi, d'une part, et des services confiés à un établissement public ou à une société dont le capital est, directement ou indirectement, majoritairement détenu par la collectivité délégante, d'autre part, les dispositions du chapitre IV du titre II de la loi, relatives aux délégations de service public, ne sont ainsi pas applicables aux entreprises et services qui viennent d'être rappelés.
Il est donc soutenu que cette exclusion porte atteinte au principe d'égalité devant la loi tel qu'il résulte de la déclaration des droits et d'une jurisprudence désormais établie par votre Haute Assemblée.
En effet, s'il peut être avancé que des considérations tirées de l'intérêt général peuvent justifier que soient traitées différemment des activités qui ne se trouvent pas placées dans la même situation, il est paradoxal d'opposer aux principes de transparence dont on peut soutenir qu'il constitue un objectif de rang constitutionnel, des considérations tirées d'un monopole organisé par la loi ou de la propriété exercé par la collectivité délégante à l'égard du délégataire.
Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé, comme indiqué précédemment, que le respect de l'égalité « ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit » (n° 89-254 DC du 4 juillet 1989).
A l'article 49, l'exclusion des Etablissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) du champ d'application de l'article est également constitutive d'une rupture d'égalité. Cette rupture d'égalité est double :
: d'une part, par rapport aux établissements publics administratifs exploitant un service public industriel et commercial, et d'autre part, par rapport aux autres personnes morales qui ne sont pas placées dans une situation différente au regard de la transparence et de la concurrence que les établissements publics à caractère industriel et commercial.
Selon une jurisprudence solidement établie, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ou à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit clairement en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
Or il apparaît en l'espèce que cette dérogation au profit des établissements publics à caractère industriel et commercial est totalement en contradiction avec l'objet même de la loi qui vise à renforcer la transparence des marchés publics et qu'elle est au surplus contraire à l'intérêt général.
6. Sur l'article 86 établissant l'article L 26 du code électoral : atteinte au droit de vote.
Le nouvel article L 26 du code électoral résultant de l'article 86 énonce que :
« Dans le cas où le préfet ou le sous-préfet conteste le motif retenu par la commission administrative à l'appui de l'inscription d'un électeur, il appartient à ce dernier, pour permettre au juge d'apprécier les justifications produites, d'établir à quel titre il estime que son inscription doit être maintenue. » En renversant la charge de la preuve en matière de contestation d'une inscription sur les listes électorales, qu'il appartient au plaignant de rapporter, dans la rédaction actuelle du code électoral (art L 25), la disposition de la loi déférée méconnaît les droits civiques et limite, par ses conséquences, le droit de vote affirmé par l'article 3 de la Constitution.
Au surplus, l'article déféré ne présente aucun lien avec la loi examinée et doit pour ces motifs être écarté par votre Haute Assemblée comme constituant un cavalier législatif.
Par ces motifs et par tous autres qu'il plaira au conseil de soulever d'office, les députés soussignés demandent au Conseil constitutionnel de déclarer les dispositions de la loi susvisées non conformes à la Constitution.
SAISINE DEPUTES : MEMOIRE COMPLEMENTAIRE :
En complément des premières observations formulées en soutien de la saisine portant sur la loi relative à la prévention de la corruption, les arguments et moyens de fond articulés au soutien de la critique des articles 18 à 29 peuvent être confortés et développés ainsi qu'il suit : I : Sur la liberté d'entreprendre
La liberté d'entreprendre a été consacrée comme liberté constitutionnelle par dix décisions du Conseil constitutionnel (82-141 DC du 27 juillet 1982 ; 82-150 DC du 30 décembre 1982 ; 84-172 DC du 26 juin 1984 ; 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 ; 85-200 DC du 16 janvier 1986 ; 89-254 DC du 4 juillet 1989 ; 89-268 DC du 29 décembre 1989 ; 89-209 DC du 22 janvier 1990 ; 90-283 DC du 8 janvier 1991) à partir de la décision fondamentale du 16 janvier 1982 relative à la loi de nationalisation, qui en a fait un droit fondamental de la première génération (à la différence des constitutions italienne et espagnole, par exemple, qui ont proclamé cette liberté dans le cadre des droits économiques et sociaux).
De ce qui constitue une véritable jurisprudence, on peut déduire que, certes, comme tous les droits fondamentaux, la liberté d'entreprendre peut connaître certaines limitations mais que ces limitations ne doivent pas excéder ce qui est nécessaire à la réalisation du but poursuivi et que, d'autre part, elles ne doivent pas conduire à une dénaturation de ladite liberté.
A : L'atteinte au principe de proportionnalité
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel l'amène à examiner « si des restrictions arbitraires ou abusives étaient apportées à la liberté d'entreprendre » (décision du 16 janvier 1982 concernant la loi de nationalisation 81-132 DC Rec. 18).
En procédant à cet examen, le conseil exerce un contrôle de la proportionnalité des restrictions introduites avec l'objectif poursuivi par la loi. Dans sa décision du 27 juillet 1982 sur la loi relative à la communication audiovisuelle : « Cette réglementation, qui répond dans des circonstances données à la sauvegarde de l'ordre public, ne doit pas excéder ce qui est nécessaire à garantir l'exercice d'une liberté » (82-141 DC Rec. 48).
Sachant que ce contrôle peut porter sur une catégorie déterminée de professionnels (par exemple, le contrôle de la liberté d'entreprendre des établissements financiers. : Décision 89-26 DC du 29 décembre 1989), il paraît certain que, pour la profession des négociants indépendants en achat d'espace publicitaire, les dispositions des articles 20 et 25 de la loi, en particulier, en ce qu'elles imposent à cette profession le passage par un contrat de mandat, limitent drastiquement les prestations de services possibles et leur rémunération normale, enfin sanctionnent lourdement les infractions à ces dispositions, constituent une incroyable restriction à la liberté du commerce et une pénalisation grave et discriminatoire des professionnels concernés, totalement hors de proportion avec l'objectif recherché.
On précisera plus loin (partie I-B) la gravité de l'atteinte à la liberté d'entreprendre, dans son principe même, que représente l'interdiction, jusqu'à présent jamais mise en uvre en France (si ce n'est lorsqu'il s'agit du corps humain ou de la vie privée), de l'activité d'achat pour revendre. On notera dès maintenant qu'une telle violation d'un droit fondamental ne peut qu'être disproportionnée par rapport au but poursuivi.
La pénalisation des professionnels concernés est particulièrement grave et discriminatoire. En effet, les centrales d'achat d'espace jouent un rôle déterminant en tant qu'intermédiaires spécialisés sur le marché de l'achat d'espace et représentent plusieurs milliers d'emplois en France. Elles vont se trouver brutalement confrontées à l'interdiction pure et simple de la fonction d'achat-revente avec conseil, qui était leur seule activité pour la majorité d'entre-elles, ce qui va entraîner immédiatement la faillite d'un certain nombre de ces professionnels et des licenciements massifs pour les autres. Il s'agit, en outre, d'une discrimination particulièrement inadmissible puisque les autres intermédiaires (principalement des agences de publicité traditionnelles) qui sont leurs concurrents sur le marché de l'achat d'espace, d'une part, exerçaient déjà sur ce marché sous la forme du mandat, désormais seule autorisée, d'autre part, avaient d'autres sources de revenus que le seul achat d'espace. La reconversion au système du mandat ou vers d'autres activités ne peut évidemment se faire en trois mois, et les clients ne vont pas attendre pour abandonner ceux qui ne sont pas mandataires aujourd'hui.
Ce résultat catastrophique est totalement hors de proportion avec l'objet poursuivi par la loi. S'il s'agit de rechercher la transparence tarifaire, la volonté de faire respecter la législation sur la tarification (objet des articles 31 et 33 de l'ordonnance de 1986 sur la concurrence, renforcés d'ailleurs par les articles 18 et 19 de la loi) devrait suffire. Il est en effet de notoriété publique que ces dispositions n'étaient pas respectées. Or ce non-respect n'a pas encore été sanctionné.
En outre, d'autres professions pratiquent des « remises hors facture » dont l'opacité a été reprochée (dans l'électroménager ou dans les pellicules photo, on retrouve la même « opacité », cf rapport au Parlement sur les pratiques tarifaires entre les entreprises en France, BOCCRF du 12 janvier 1991, annexe I), sans que l'on songe à d'autres sanctions que celles de la loi existante.
S'il fallait aller plus loin dans la recherche de la transparence tarifaire, il était même loisible au législateur de durcir encore les règles relatives à la facturation, par exemple :
: préciser, pour la profession d'intermédiaire en achat d'espace, les types de remises devant figurer sur facture (barème d'écart, tarification par type de prestation habituelle, par exemple « prime time » et « day time » à la télévision, remises d'objectif) ;
: sanctionner plus sévèrement non seulement l'absence de contrat écrit de coopération commerciale énumérant les prestations fournies dans ce cadre (déjà objet de l'article 18 de la loi) mais aussi toute remise discriminatoire accordée ou obtenue sans contrepartie réelle et justifiée : actuellement, la sanction prévue par l'article 36 de l'ordonnance de 1986 sur la concurrence n'est que civile, elle pourrait devenir pénale.
Bref, il existe à l'évidence d'autres moyens de lutter contre un système de tarification opaque que la disparition pure et simple d'une activité économique. L'extraordinaire disproportion entre l'objectif poursuivi par la loi et la suppression de toute activité autre que mandataire, telle que résultant des dispositions incriminées de la loi, ne peut qu'encourir la sanction du Conseil constitutionnel.
B : Dans ses décisions 89-254 DC du 4 juillet 1989 et 90-283 DC du 8 janvier 1991, le Conseil constitutionnel précise qu'il est loisible au législateur d'apporter (à la liberté d'entreprendre) des limitations exigées par l'intérêt général « à la condition que celles-ci n'aient pas pour conséquence d'en dénaturer la portée »
Cette jurisprudence est parfaitement en accord avec les jurisprudences constitutionnelles européennes qui font de la préservation du « contenu essentiel » d'une liberté la limite extrême à ne pas dépasser par le législateur.
Or il est aisé de démontrer qu'en l'espèce le législateur a porté atteinte au « contenu essentiel » ou au « noyau » de la liberté d'entreprendre et qu'il a dénaturé la portée de cette liberté.
En effet, il a purement et simplement fait disparaître la profession d'acheteur d'espace publicitaire, activité consistant à acheter pour revendre, c'est-à-dire une atteinte fondamentale au droit du commerce. On rappellera que l'achat d'espace publicitaire est exercé de manière autonome depuis plus d'une dizaine d'années en France (voir description de cet achat pour revente par opposition au mandat en annexe II) ; cet exercice autonome a manifestement la préférence des annonceurs, clients des spécialistes de l'achat d'espace (annexe III : enquête Ipsos) ; cette autonomie de l'achat d'espace s'est d'ailleurs développée non seulement en Europe, mais ailleurs dans le monde (cf annexe IV : article de Time Magazine).
Le législateur a, par sa réglementation, condamné à l'asphyxie économique les entreprises se consacrant à cette activité et a, également, de ce fait, interdit à tout entrepreneur nouveau le choix d'une telle profession ou l'exercice d'une telle activité. En conséquence, il a supprimé la possibilité de bénéficier de la liberté d'entreprendre, ce qui est tout aussi condamnable, au regard de la Constitution, que de priver telle ou telle personne de la possibilité d'exercer le droit de propriété.
On imagine mal, de la même manière, que le législateur interdise, en matière de transactions immobilières, la profession de marchands de biens pour ne laisser subsister que celle d'agent immobilier.
L'agent immobilier peut être aussi marchand de biens. L'intermédiaire entre l'annonceur et le vendeur d'espace publicitaire peut être aussi acheteur d'espace publicitaire.
II. : Sur la liberté de contracter
L'article 20 de la loi porte également atteinte à la liberté de contracter de manière inconstitutionnelle dans la mesure où, ici également, il y a dénaturation de la portée de cette liberté par mise en cause de son « contenu essentiel ».
La liberté de contracter est indissociable de la liberté d'entreprendre : on ne conçoit pas en effet que celle-ci puisse s'exercer si n'est pas reconnue simultanément au profit de son bénéficiaire la possibilité de passer librement convention avec toute personne de son choix.
La liberté de contracter voit son contenu essentiel mis en cause de deux manières.
D'une part, en effet, le législateur fait obligation de recourir à un seul type de contrat, le mandat, alors que bien d'autres procédés contractuels sont concevables et ont été utilisés jusqu'ici.
D'autre part, l'article 20 de la loi contestée contraint l'acheteur d'espace publicitaire à ne contracter qu'avec un seul partenaire, l'annonceur, réduisant ainsi à néant la liberté de choix du cocontractant, qui est évidemment un élément fondamental de la liberté de contracter.
Ainsi donc, que reste-t-il de la liberté de contracter si l'entrepreneur ne peut ni choisir le type de contrat à utiliser ni son cocontractant ? Le contenu essentiel de la liberté de contracter est donc bien atteint, et l'inconstitutionnalité de l'article 20 est manifeste. On pourrait aussi ajouter que l'alinéa 2 de ce même article va encore plus loin en fixant même le contenu des stipulations du contrat.