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Décision n° 91-303 DC du 15 janvier 1992 - Saisine par 60 députés

Loi renforçant la protection des consommateurs
Conformité

SAISINE DEPUTES FONDEMENTS D'UN RECOURS DEVANT LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL SUR LE TEXTE DE L'ARTICLE 10 DE LA LOI RENFORÇANT LA PROTECTION DES CONSOMMATEURS
Les dispositions contenues à l'article 10 de cette loi portent atteinte au droit de propriété sur la marque, tel que ce droit est garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Par conséquent, le texte déféré doit être déclaré non conforme à la Constitution, suivant la jurisprudence traditionnelle du Conseil constitutionnel au regard de l'application des dispositions du préambule de la Constitution, lequel renvoie expressément à la déclaration précitée.
I : La marque de fabrique, de commerce ou de service est un domaine protégé par la Constitution au titre des dispositions contenues aux articles 2 et 17 de la déclaration de 1789
Dans sa décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 (Journal officiel du 10 janvier 1991, p 524 et suiv), le Conseil constitutionnel a expressément reconnu, après avoir rappelé les termes mêmes des articles 2 et 17 de la déclaration de 1789, que les finalités et les conditions d'exercice du droit de propriété ont été étendues à des domaines nouveaux et que « parmi ces derniers figure le droit pour le propriétaire d'une marque de fabrique, de commerce ou de service d'utiliser celle-ci et de la protéger dans le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ».
Par ailleurs dans cette même décision, le Conseil constitutionnel a énoncé que l'évolution qu'a connue le droit de propriété s'est caractérisée par des limitations à son exercice au nom de l'intérêt général. Les dispositions de l'article 10 de la loi déférée au contrôle du Conseil constitutionnel ne peuvent être assimilables à de telles limitations puisqu'elles ont pour objet essentiel de permettre la promotion d'intérêts économiques particuliers en utilisant la marque d'autrui.
II. : Le cadre défini par la loi et les engagements internationaux de la France ne permettent pas l'utilisation de la marque sans l'autorisation de son propriétaire
Le législateur français a récemment adapté le droit national en fonction des prescriptions de la directive européenne du conseil du 21 décembre 1988 (Journal officiel CE du 11 février 1989) ayant pour objet de rapprocher les législations nationales sur les marques.
Conformément à cette directive, la loi du 4 janvier 1991 sera applicable le 28 décembre 1991. Il est donc nécessaire d'examiner le cadre européen pour comprendre quel est exactement le cadre de la loi.
1. L'article 51 de la directive de 1988 pose le principe selon lequel :
" La marque enregistrée confère à son titulaire un droit exclusif.
Le titulaire est habilité à interdire à tout tiers, en l'absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires :
« a) d'un signe identique à la marque pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée »
En outre, le d du paragraphe 3 de l'article 5 indique qu'il « peut notamment être interdit d'utiliser le signe dans les papiers d'affaires et la publicité ».
Au terme des engagements internationaux de la France, notamment de ses engagements au plan européen, il résulte que le titulaire de la marque se voit conférer un droit exclusif lui donnant notamment la possibilité d'interdire l'usage de celle-ci dans la vie des affaires, en particulier dans la publicité.
2. La loi n° 91-7 du 4 janvier 1991, relative « aux marques de fabrique, de commerce ou de service », reprend le principe posé par la directive en disposant que l'enregistrement de la marque confère à son titulaire un droit de propriété sur celle-ci.
3. Si l'on analyse le texte de la loi du 4 janvier 1991 à la lumière de la directive européenne du 21 décembre 1988, il est clair que le droit de propriété sur la marque est un droit exclusif.
III. : Le texte déféré n'est pas conforme à la Constitution
Cette interprétation rejoint parfaitement l'analyse faite par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991 précitée.
1. Le droit de propriété se définissant comme étant « le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue », il résulte de cette décision du Conseil constitutionnel que, sauf le cas où il lui serait possible d'invoquer l'intérêt général, le législateur ne saurait limiter l'exercice du droit de propriété sur la marque. Notamment, il ne saurait limiter l'usus du titulaire.
2. Or en autorisant expressément un tiers à utiliser la marque d'un concurrent sans que celui-ci puisse le lui interdire, ou même simplement s'y opposer, l'article 10 de la loi déférée au contrôle de constitutionnalité limite l'exercice du droit de propriété du titulaire de la marque sans raison légitime. En effet, la publicité comparative ne peut en aucun cas répondre à un quelconque besoin d'intérêt général pouvant justifier la limitation, notamment, de l'usus du titulaire de la marque.
3. Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel ne pourra que déclarer non conforme à la Constitution les dispositions de l'article 10 du texte déféré à son contrôle.