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Décision n° 91-302 DC du 30 décembre 1991 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 1992
Non conformité partielle

PREMIERE SAISINE DEPUTES
En application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les parlementaires soussignés défèrent au Conseil constitutionnel le texte de la loi de finances pour 1992, tel qu'il est considéré comme adopté par l'Assemblée nationale dans sa séance du 19 décembre 1991, afin qu'il plaise au conseil de déclarer certaines de ses dispositions non conformes à la Constitution.
Sur le renforcement des pouvoirs du service de la redevance de l'audiovisuel :
L'article 82 de la loi modifie en profondeur le dispositif prévu par l'article 95 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle qui instituait pour les agents assermentés du service de la redevance de l'audiovisuel un droit de communication sur les livres des commerçants, constructeurs, importateurs, réparateurs et bailleurs de postes de télévision, ainsi que sur les documents comptables et les pièces justificatives des officiers ministériels dans les cas de ventes publiques.
La disposition contestée de la loi de finances pour 1992 élargit considérablement le champ du mécanisme actuel en autorisant les agents assermentés du service de la redevance à se faire communiquer, outre les informations actuellement livrables, par les diffuseurs ou distributeurs de services de télévision « les informations nominatives relatives à leur abonnés », et par les gestionnaires publics ou privés d'immeubles à usage d'habitation, les « documents de service relatifs aux raccordements aux antennes collectives de télévision ou aux réseaux câblés, ainsi que toute information liée à ces documents et permettant d'identifier les détenteurs de récepteurs de télévision ». Par ailleurs, « sans qu'il puisse être fait obstacle au secret statistique défini par la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 », l'Etat, les collectivités locales et les établissements publics devront communiquer au service de la redevance « tous documents contenant les informations permettant à ces agents assermentés d'accomplie leurs missions ».
Sur plusieurs points, ces dispositions encourent l'inconstitutionnalité.
1 ° Atteinte aux libertés A : Liberté de communication
L'article 82 apparaît contraire au principe de liberté de communication. Ce principe qui a été défendu à plusieurs reprises dans vos décisions n° 84-173 DC du 26 juillet 1984 et n° 86-210 DC du 29 juillet 1986 impose au législateur de veiller à sauvegarder le pluralisme et éviter que les moyens de communication, presse écrite ou presse audiovisuelle, puissent être soumis à l'influence du pouvoir politique.
La liberté de communication et son corollaire obligé qu'est le pluralisme ne peuvent être réellement garantis qu'à deux conditions : d'une part il faut que les organes de communication puissent exercer leur activité en toute indépendance à l'égard du pouvoir, mais d'autre part il faut que le lecteur, l'auditeur ou le téléspectateur puisse choisir librement son média sans qu'aucun contrôle puisse être exercé sur ce choix.
Or, en permettant à des agents de l'Etat de prendre connaissance des listes nominatives des abonnés à un réseau câblé ou, a fortiori, à une chaîne de télévision payante, l'article incriminé porte gravement atteinte à ce principe de libre choix. Le fait de laisser à un service de l'Etat la possibilité de contrôler quels sont les citoyens qui ont choisi tel ou tel type de média pour s'informer apparaît fondamentalement dangereux pour notre démocratie.
B : Libertés individuelles
Le principe de la protection de la vie privée prend place parmi les principes généraux du droit et figure à l'article 9 du code civil dans les termes suivants : « chacun a droit au respect de sa vie privée ». De même faut-il citer l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui énonce pour sa part : « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».
Ces stipulations désignent bien les « documents de service » relatifs aux raccordements qui pourraient être exigés auprès des gestionnaires d'immeubles, car ils contiennent justement non seulement l'ordre passé à l'installateur, mais aussi la demande formulée par la personne qui désire être raccordée.
S'agissant de la fourniture d'informations par les personnes publiques mentionnées dans le dernier alinéa de l'article en cause, la généralité des termes définissant le champ du contrôle laisse une marge d'appréciation considérable aux agents chargés de le mettre en uvre, puisqu'il est fait allusion à l'accomplissement de missions dont le contenu est fixé par le service de la redevance lui-même.
Outre que cette rédaction fait échec à la sauvegarde de la liberté individuelle, elle est de nature à affaiblir le secret statistique rappelé au même paragraphe de l'article (voir en ce sens votre décision n° 82-148 DC du 14 décembre 1982 sur la composition des conseils d'administration des organismes de sécurité sociale, à propos de la conciliation entre la publicité des listes électorales et le secret de la vie privée).
2 ° Rupture du principe d'égalité
L'article 82 apparaît aussi contraire au principe d'égalité.
L'abondante jurisprudence dans ce domaine a permis de définir les cas où le législateur pouvait méconnaître ce principe : la rupture du principe d'égalité ne se justifie que si l'inégalité de traitement correspond à une inégalité de situation ou si elle est conforme au but poursuivi par le législateur. Or aucune des deux conditions n'est remplie en l'espèce.
Le contrôle prévu ne s'appliquera qu'à l'égard des seules sociétés de télévision qui ont choisi l'abonnement comme mode de financement ou le câble comme mode de diffusion. De plus, le but poursuivi par le législateur est de lutter contre le non-paiement de la redevance télévisée dont le produit est affecté aux seules chaînes publiques.
Il apparaît donc incohérent avec le but poursuivi d'imposer à des opérateurs privés des contraintes particulières visant à améliorer le financement des chaînes publiques.
L'inégalité opérée par la disposition incriminée entre les différentes sociétés de télévision apparaît donc injustifiée.
En premier lieu, l'extension du champ d'investigation des agents assermentés du service de la redevance ne s'étend pas de manière égale à tous les agents économiques qui peuvent détenir les informations intéressant ce service.
Les diffuseurs ou distributeurs de télévision sont seuls visés, alors que les éditeurs de revues de programmes de télévision, de catalogues de cassettes vidéo par exemple, détiennent des fichiers d'abonnés qui sont tout aussi révélateurs de la détention d'un poste récepteur de télévision. De même, les vendeurs, loueurs ou clubs de cassette vidéo sont en réalité dans la même situation, au regard de la détention de postes récepteurs de télévision, que les diffuseurs de service.
Or il résulte clairement des débats parlementaires que le Gouvernement a entendu à titre principal atteindre les abonnés aux réseaux câblés et à la chaîne à péage Canal Plus ; le ministre délégué au budget déclara en effet à l'Assemblée nationale, au cours des débats de la première lecture du texte (cf 3e séance du 15 novembre 1991, JO AN, p 6163, première colonne in fine) : « le système que j'ai trouvé consiste à utiliser les fichiers d'abonnement à des réseaux de télévision particuliers : câbles, chaînes à péage, par exemple », et il ajoute pour illustrer son propos : « il y en a même qui déboursent 160 F par mois pour une chaîne à péage, mais qui refusent de payer 500 et quelques francs par an au titre de la redevance. On marche cul par-dessus tête (sic) ».
La référence précise au montant de l'abonnement mensuel à la chaîne Canal Plus, rapprochée d'ailleurs de l'approximation concernant le montant de la redevance audiovisuelle elle-même (566 F par an en 1991) est révélatrice de ce que le but principal de la réforme vise en réalité à titre principal cette chaîne à péage, seule existante d'ailleurs à l'heure actuelle sur le marché français.
Il y a là une sélection sans fondement entre les différents agents économiques susceptibles de détenir des informations de même nature, aux dépens de Canal Plus.
En deuxième lieu il y a manifestement une rupture d'égalité entre les différents organismes soumis à ce droit de communication.
a) D'une part, en l'absence de toute taxe ou redevance attachée à l'abonnement aux réseaux câblés ou à la chaîne à péage, les informations nominatives sur leurs abonnés n'ont pas en principe à être communiquées aux services de la redevance. Il ne s'agit que d'investigations indirectes au regard de l'assujettissement à la redevance audiovisuelle. En effet, les informations susceptibles d'être recueillies ne concrétisent que l'existence d'abonnements expirés ou en cours, et non la possession d'un téléviseur. Or on peut parfaitement souscrire un abonnement au profit d'un tiers. C'est là une forme de « cadeau » qui se développe.
Tel n'est pas le cas pour les organismes (les vendeurs essentiellement) visés par l'article 95 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 dans sa rédaction applicable jusqu'ici. Ceux-ci sont tous impliqués directement dans la vente, la location ou la réparation d'appareils récepteurs de télévision : les documents comptables de ces agents économiques portent précisément sur la détention effective par leurs clients de tels appareils et donc sur le critère même d'assujettissement à la redevance.
Ainsi, la loi de finances étend le champ d'application du droit de communication des agents de la redevance à des éléments étrangers aux critères d'assujettissement à celle-ci et qui ne peuvent conduire qu'à de simples présomptions.
Il s'agit manifestement d'un détournement du droit de communication fiscal tel qu'institué par le livre des procédures fiscales et adapté à la redevance de l'audiovisuel qui place les diffuseurs ou distributeurs de service de télévision dans une situation inégalitaire par rapport aux autres agents économiques qui en font l'objet.
b) D'autre part, cette inégalité est encore aggravée par l'absence totale de définition des documents communicables en ce qui concerne les diffuseurs et distributeurs de service de télévision.
Pour les autres agents économiques (toujours les vendeurs), l'article 95 de la loi de 1982 précitée et le paragraphe 1 (

  1. de la loi adoptée, par référence au livre des procédures fiscales en matière de droit de communication (article L 85), limite le droit de communication aux seuls documents comptables et annexes.
    Pour la chaîne à péage et les réseaux de distribution de télévision par câbles le droit de communication est étendu à l'ensemble des « informations nominatives relatives à leurs abonnés » sans aucune distinction ou limitation.
    Cette extension du droit de communication est contraire au respect du secret des correspondances et de la vie privée des clients de ces seuls organismes. Il y a également rupture d'égalité entre les différents organismes soumis à cette obligation de communication.
    En troisième lieu, on constate dans la disposition critiquée une rupture d'égalité évidente entre les redevables de la redevance de l'audiovisuel.
    a) D'une part, parmi les usagers, ceux qui ont été, sont ou seront abonnés à un réseau câblé ou à Canal Plus sont placés dans une situation plus défavorable que ceux qui ne le sont pas, puisque leur nom sera systématiquement communiqué au service de la redevance.
    b) D'autre part, les usagers sont également placés dans une situation différente selon qu'ils sont propriétaires, copropriétaires ou locataires de leur habitation, principale ou secondaire.
    En effet, les informations détenues par les gestionnaires d'immeuble ou les administrations seront différentes.
    C'est ainsi que la fraude éventuelle de propriétaires de maisons individuelles ne pourra pas être décelée auprès de tels organismes.
    Les copropriétaires ne le seront pas davantage en l'absence d'obligation d'obtenir du syndic une autorisation pour se brancher sur une antenne collective ou pour poser une antenne extérieure, ou pour se raccorder au réseau câblé, etc. La nécessité éventuelle d'en avertir le syndic (pour la pose d'une antenne privative extérieure notamment) n'est pas observée systématiquement et une information téléphonique ne laisse pas de trace écrite.
    En réalité, seuls les locataires peuvent être ainsi contrôlés par les services de la redevance.
    Entre les redevables est donc institué un traitement inégalitaire, lequel n'est pas justifié par une différence de situation qui soit en rapport avec l'objet de la législation.
    En quatrième lieu, le dispositif mis en place, notamment en ce qui concerne la chaîne à péage, consacre une rupture d'égalité entre les différentes chaînes privées, qui est également étrangère au but poursuivi par cette législation, étant observé que Canal Plus ne bénéficie même pas du produit de la redevance.
    En effet, seule Canal Plus est visée en qualité de diffuseur de service de télévision, aucune autre chaîne publique ou privée n'étant directement soumise à ce droit de communication, ni exposée à un contrôle direct de ses clients, ni d'ailleurs à une perte plus vraisemblable de clientèle acquise ou future.
    Vainement objecterait-on que Canal Plus est dans une situation différente de celle des autres chaînes privées puisqu'elle est concessionnaire d'un service public en application de l'article 79 de la loi du 29 juillet 1982 (qui a été abrogé pour l'avenir par la loi du 30 septembre 1986, les autres concessions accordées sous l'empire de cette loi ayant été résiliées en 1986).
    L'argument n'est pas opérant.
    a) D'une part, l'article 41-3 de la loi de 1986 qui n'a pas été altéré par la loi du 17 janvier 1989 précise que : « le titulaire d'une concession ou d'une autorisation en vertu des dispositions de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 est regardé comme titulaire d'une autorisation », notamment en ce qui concerne les dispositions limitant les possibilités de concentration et il y a donc une volonté d'assimilation de Canal Plus aux autres chaînes privées autorisées dans les limites possibles.
    b) D'autre part, les dispositions spécifiques à Canal Plus (convention de concession et le cahier des charges approuvés par le décret du 14 mars 1986 modifié) ne comportent, bien entendu, aucune disposition spécifique au regard de la redevance audiovisuelle ou des services de contrôle.
    La différence juridique de statut de Canal Plus ne peut justifier aucune inégalité de traitement au regard de la redevance ou du droit de communication par rapport aux autres chaînes privées autorisées, la qualité de concessionnaire de service public étant totalement indifférente au regard de la contrainte contestée.
    Or, les spectateurs des autres chaînes privées ne sont pas identifiables, qu'elles soient diffusées par câble ou par voie hertzienne.
    Canal Plus est donc, du fait de la disposition contestée, placée dans une situation d'inégalité par rapport aux autres chaînes privées. C'est d'ailleurs cette chaîne qui était spécialement visée par le Gouvernement comme le montre les déclarations précitées du ministre du budget à l'Assemblée nationale.
    Or, c'est pour cette chaîne que le droit de communication apparaît le plus préjudiciable au niveau commercial et pour elle aussi que le risque de dérive du droit de communication vers un croisement de fichiers informatisés au niveau national est le plus grand.
    Le législateur a donc, de manière flagrante, violé le principe d'égalité.
    Sur la modification du mode de financement du budget annexe des prestations sociales agricoles (BAPSA)
    Les articles 35 et 36 de la loi de finances pour 1992 modifient substantiellement le financement du BAPSA en diminuant le prélèvement opéré au profit du budget annexe sur les recettes de la TVA, en application de l'article 1614 du code général des impôts, et en compensant cette perte de ressources par un prélèvement opéré sur la trésorerie des régimes de protection sociale des professions artisanales, industrielles, commerciales et libérales.
    Le transport ainsi opéré porte sur une somme supérieure à sept milliards de francs.
    Trois questions au moins sont soulevées par la modification introduite par les articles en cause :
    1 ° Le prélèvement réalisé sur les régimes sociaux des travailleurs indépendants a-t-il sa place dans une loi de finances ?
    L'article L 651-1 du code de la sécurité sociale institue au profit des régimes de protection sociale des travailleurs non salariés des professions non agricoles une contribution sociale de solidarité à la charge des sociétés dont le chiffre d'affaires est supérieur à trois millions de francs. Le produit de cette contribution, créée par une loi du 3 janvier 1970, est reversé à la CANAM, au titre de la maladie, et au titre du régime vieillesse à l'ORGANIC, à la CANCAVA et à la CNREBTP qui est la caisse complémentaire du bâtiment et des travaux publics.
    Pour l'agriculture, un dispositif similaire existe, au profit du BAPSA, à l'article 1126 du code rural tel qu'il résulte de la loi du 23 janvier 1990.
    Ce sont ces deux dispositifs que l'article 35 de la loi de finances pour 1992 fusionne en un seul, en instituant un prélèvement unique dont la nature juridique prête à interrogation. En effet, d'après l'article 1er de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances, ces dernières peuvent contenir « toutes dispositions relatives à l'assiette, aux taux et aux modalités de recouvrement des impositions de toute nature ».
    Le Conseil constitutionnel s'est prononcé à diverses reprises sur la portée de cette disposition.
    Dans une décision du 14 janvier 1983, le conseil juge qu'une cotisation assise sur la publicité pharmaceutique et versée à la Caisse nationale d'assurance maladie constitue une imposition de toute nature.
    De même, dans une décision du 28 décembre 1990, il range dans cette catégorie la contribution sociale généralisée et il se prononce dans le même sens le 16 janvier 1991 pour le versement transport en précisant que celui-ci « constitue une imposition et non un prélèvement social ».
    Une « imposition de toute nature » est donc une contribution obligatoire des citoyens qui est recouvrée par la puissance publique, qui n'est pas une redevance pour service rendu et qui n'est pas nécessairement affectée à l'Etat (la CSG, par exemple, est perçue au profit de la Caisse nationale d'allocations familiales).
    Les cotisations sociales sont différentes. Dans un arrêt du 8 juillet 1953, la Cour de cassation a précisé que les cotisations sont « acquises au fonds commun des assurances sociales, qui en devient propriétaire, et confondues avec les autres ressources dont dispose cet organisme, pour être ultérieurement () réparties indistinctement envers les divers bénéficiaires au fur et à mesure que s'ouvrent leurs droits ». C'est bien dans cette catégorie là que se trouve la contribution sociale de solidarité inscrite à l'article L 651-1 du code de la sécurité sociale.
    Cette dissemblance est d'ailleurs confirmée par la nature des textes qui régissent les divers prélèvements.
    Si l'article 34 de la Constitution prévoit que « la loi fixe les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités des impositions de toutes natures », le régime des prélèvements sociaux est différent : or, dans le cas de la contribution sociale de solidarité, l'article L 651-3 du code de la sécurité sociale, qui résulte de l'article 11-I de la loi du 3 juillet 1972, précise que cette contribution est annuelle et que « son taux est fixé par décret ».
    La contribution sociale de solidarité prévue par l'article L 651-1 du code de la sécurité sociale et dont le taux est fixé par voie réglementaire n'a donc pas le caractère d'une « imposition ». Il s'agit bien d'une cotisation sociale, ce qui a pour conséquence que l'article 35 n'a pas sa place dans une loi de finances.
    2 ° La deuxième question posée sur ce moyen est celle de la nature du prélèvement opéré sur le fonds de roulement du BAPSA :
    Ce prélèvement figure dans le chapitre 70-28 du budget annexe, pour un montant de 150 millions de francs.
    L'article 21 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances énonce que « les budgets annexes comprennent, d'une part, les recettes et les dépenses d'exploitation, d'autre part, les dépenses d'investissements et les ressources spéciales affectées à ces budgets ».
    En aucun cas n'est mentionné le fonds de roulement, qui n'est donc pas éligible au titre des recettes du budget annexe, sauf à la considérer comme une « ressource spéciale ».
    3 ° La troisième question soulevée à l'occasion du BAPSA a trait au régime de la propriété des fonds détenus par les régimes de retraite des travailleurs indépendants :
    Il y a lieu de constater qu'un prélèvement spécifique, organisé en dehors des règles qui régissent à titre habituel la compensation entre régimes de protection sociale, constitue une atteinte au droit de propriété constitutionnellement protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
    Pour ces raisons, les parlementaires soussignés prient votre Haute Assemblée de bien vouloir déclarer non conformes à la Constitution les dispositions des articles 35, 36 et 82 de la loi de finances pour 1992 ainsi que le prélèvement sur le fonds de roulement du budget annexe des prestations sociales agricoles prévu par le chapitre 70-28 du BAPSA.
    RECOURS COMPLÉMENTAIRE I : Atteinte aux libertés
    A : En premier lieu, il apparaît que, malgré une modification substantielle du texte de l'article 82 de la loi de finances pour 1992 entre la première et la deuxième lecture des assemblées parlementaires, l'article 82-II ici critiqué comporte des atteintes caractérisées aux libertés publiques et aux droits des personnes privées.
    En effet, le texte permet aux agents du service de la redevance d'accéder à toute information nominative, notamment de Canal Plus, « pour des recherches non exhaustives relatives à des personnes détenant ou susceptibles de détenir un appareil récepteur de télévision et n'ayant pas souscrit la déclaration ou ayant souscrit une déclaration inexacte ou incomplète »
    Cette rédaction est gravement imprécise à deux points de vue.
    D'autre part, les « recherches non exhaustives », si elles excluent, en principe, la faculté pour les agents du service de la redevance et des sociétés gérant des réseaux câblés ou de Canal Plus, laissent à l'administration la possibilité d'une inquisition qui peut dériver vers une quasi-exhaustivité. Il est révélateur, à cet égard, de rappeler les déclarations faites par le représentant du Gouvernement à l'Assemblée nationale lors des débats en première lecture. Le ministre délégué au budget y déclarait, pour s'opposer à un amendement (amendement de M Alain Richard, rapporteur général) : « Il propose de préciser que c'est pour la recherche ponctuelle et motivée » de redevables que ce texte devra s'appliquer. Je ne peux pas accepter cet amendement qui reviendrait, dans les faits, à ôter toute portée pratique à la mesure proposée ".
    Eu égard à l'intention très clairement exprimée par le Gouvernement, la définition négative du champ d'application du droit de communication ouvert aux services de la redevance (« recherches non exhaustives ») paraît tout à fait insuffisante pour parer le risque de croisement des fichiers.
    Or ce risque est particulièrement net en ce qui concerne Canal Plus qui, à la différence des autres organismes, comme on l'a vu plus haut, dispose d'un fichier nationalement rapprochable du fichier du service de la redevance et est particulièrement visé par la réforme gouvernementale.
    D'autre part, le risque apparaît d'autant plus grand que la définition des personnes recherchées est aussi extrêmement large. Le texte indique en effet que ces recherches nominatives seront relatives aux « personnes détenant ou susceptibles de détenir un appareil récepteur de télévision et n'ayant pas souscrit la déclaration prévue par l'article 94 ou ayant souscrit une déclaration inexacte ou incomplète ».
    Pour ceux qui n'ont pas souscrit de déclaration de détention d'un appareil récepteur de télévision, leur individualisation ne peut pratiquement résulter que du rapprochement des fichiers du service de la redevance et des fichiers de Canal Plus pour « combler les vides » du fichier des services de la redevance. Son efficacité suppose en réalité un examen exhaustif des documents nominatifs de la chaîne cryptée.
    Quant à ceux qui avaient souscrit une déclaration inexacte ou incomplète, le texte ne précise pas sur quels critères ou quels indices ils pourraient être sélectionnés par les services de contrôle de la redevance.
    Dès lors ne peut être exclue une vérification systématique des déclarations que les services de la redevance qualifieraient aussi systématiquement de douteuses !
    Ainsi, bien que modifiée entre les deux lectures, la rédaction du texte ne dément pas l'intention déterminante du Gouvernement exprimée devant l'Assemblée nationale lors de la première lecture, affirmant que le texte se suffit à lui-même « puisqu'il limite l'objet et donc le motif de cette recherche aux seules personnes détenant un appareil de télévision », ce qui implique une quasi-exhaustivité du contrôle du droit de communication puisque le taux d'équipement des ménages en cette matière est estimé à 96 p 100.
    L'efficacité même du système suppose une tendance vers l'exhaustivité, facilitée par l'imprécision du texte.
    En deuxième lieu, et comme on l'a montré plus haut, l'étendue matérielle du droit de communication en ce qui concerne les réseaux câblés et Canal Plus est extrêmement vaste, puisque le texte ne définit pas les catégories de documents détenus qui peuvent faire l'objet du droit de communication, mais vise « les informations nominatives relatives à leurs abonnés », ce qui implique non seulement leurs documents comptables mais toute nature de documents, et notamment la correspondance de leurs clients ou des bénéficiaires d'abonnements offerts par ceux-ci.
    Cela constitue une extension maximum du droit de communication des services fiscaux, sans pour autant que le texte ait prévu une information préalable des personnes qui doivent faire l'objet de ces recherches. Or ces recherches sont de nature à porter directement atteinte à leur vie privée et à leur choix de programmes télévisuels.
    On a démontré plus haut que le droit de communication institué dans le texte critiqué ne portait pas sur l'objet même du contrôle dont est investi le service de la redevance mais sur des éléments extrinsèques, étrangers à la détention même d'un appareil récepteur de télévision.
    C'est d'ailleurs l'une des raisons qui ont poussé la commission des finances du Sénat à proposer la suppression de ce texte.
    M Chinaud, rapporteur général, a notamment relevé que la prérogative attachée à la notion de « tiers autorisé » au sens des articles 29 et 43 de la loi du 6 janvier 1978 précitée n'avait jamais permis à ses bénéficiaires d'utiliser « en tant que fichiers de référence, c'est-à-dire comme sources permanentes d'informations, les fichiers dont ils ne sont pas »destinataires« au sens de la loi du 6 janvier 1978 » (cf rapport Chinaud devant la commission des finances du Sénat du 19 novembre 1991, p 182 in fine).
    En troisième lieu, les organismes visés par ce droit de communication élargi des agents du service de contrôle de la redevance ne disposent d'aucun moyen pour contrôler le bien-fondé des demandes d'information qu'ils auront à satisfaire.
    Ils ne peuvent donc satisfaire aux obligations de non-divulgation que leur impose la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, à l'égard des personnes concernées, telles qu'elles sont notamment définies aux articles 29 et 43 de la loi et assorties de sanctions pénales.
    Ces organismes ne peuvent davantage faire sanctionner directement les abus dont ils pourraient faire l'objet. Seules les personnes assujetties ensuite à la redevance de l'audiovisuel pouvant éventuellement contester les conditions de leur assujettissement.
    Enfin les organismes ainsi soumis à ce droit de communication nouveau ne peuvent s'y opposer efficacement en cas de dérive abusive des services de contrôle de la redevance. Seule leur est ouverte la faculté de saisir la CNIL, dans les conditions strictes prévues à l'alinéa 3 de l'article 35 de la loi du 6 janvier 1978 précitée, pour obtenir des délais de réponse ou l'autorisation de ne pas tenir compte de certaines demandes manifestement abusives.
    Le dispositif critiqué porte ainsi des atteintes extrêmement graves aux libertés fondamentales en ce qui concerne tant la vie privée des personnes que la confidentialité des relations qu'entretiennent les entreprises ou les organismes gestionnaires d'immeubles avec leurs clients ou leurs locataires.
    B : Cette atteinte entraîne l'inconstitutionnalité du texte.
    On doit en effet considérer que certains des principes consacrés par la loi relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés constituent des « principes fondamentaux recensés par les lois de la République », au sens de la jurisprudence du Conseil constitutionnel.
    Certes le Gouvernement feint d'en ignorer la portée, puisque le ministre délégué au budget, devant l'Assemblée nationale lors des débats du 15 novembre 1991 déjà évoqués n'a pas hésité à affirmer : « Quant à la loi informatique et libertés, elle ne peut pas passer son temps à tout nous interdire. Il faut savoir qu'une partie de la fraude fiscale actuelle découle directement des contraintes que cette loi génère. »
    Mais la réalité est tout autre, et le grand argentier le sait bien, même lorsqu'il chausse les bottes de grand inquisiteur.
    Personne n'ignore en effet que les progrès techniques qu'entraîne le développement de l'outil informatique ont suscité très vite des inquiétudes sur les atteintes que la transcription, la conservation et la diffusion des informations recueillies, notamment les informations nominatives, en ce qui concerne les personnes privées, pouvaient entraîner pour l'exercice des libertés publiques et privées.
    Les Etats développés se sont penchés sur cette question et ont tenté d'en limiter les risques en imposant des réglementations. Au niveau international, cette préoccupation apparaît concomitamment, notamment au niveau européen par les travaux de l'OCDE et ceux du Conseil de l'Europe qui, après avoir adopté en 1973 et en 1974 deux résolutions relatives à la protection de la vie privée des personnes physiques vis-à-vis des banques de données électroniques dans le secteur privé et dans le secteur public, a adopté une convention pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé de données à caractère personnel le 28 janvier 1981. La France a d'ailleurs ratifié cette convention (décret de publication n° 85-1203 du 15 novembre 1985).
    On ne rappellera pas les nombreux débats et rapports qui, pendant près de dix ans, ont permis l'aboutissement que constitue la loi du 6 janvier 1978 à cet égard.
    Il n'en demeure pas moins que, depuis l'étude non publiée du Conseil d'Etat sur les conséquences du développement de l'informatique sur les libertés publiques et privées et sur les décisions administratives, dans le cadre de son rapport annuel 1969-1970 et les rapports de M le président Braibant (cf colloque de l'Institut français des sciences administratives du 27 septembre 1970, « le secret des fichiers » et aussi « la protection des droits des individus au regard du développement de l'informatique », Revue internationale du droit comparé, 1971, p 780 sq) et après l'échec du projet gouvernemental de système automatisé pour les fichiers administratifs et le répertoire des individus (dit projet Safari) en 1974, des études approfondies philosophiques, juridiques et techniques ont permis de définir les grands principes qui devaient gouverner la matière, concrétisés notamment par les travaux de la commission ad hoc dite « Informatique et libertés » et le rapport du 27 juin 1975 (dit rapport Tricot) qui a abouti au dépôt, le 9 août 1986, du projet de loi qui devait prendre sa forme définitive par la loi du 6 janvier 1978.
    C'est de l'ensemble de ces réflexions que sont issus les principes fondamentaux de la loi du 6 janvier 1978 permettant le développement de l'informatisation dans le respect des libertés publiques et privées.
    Les principes fondamentaux résultent notamment du chapitre Ier de la loi du 26 janvier 1978 qui pose le principe que « l'informatique doit être au service de chaque citoyen » (art 1er, première phrase), interdisant qu'elle porte atteinte à son identité, à sa vie privée ou aux libertés individuelles et publiques.
    Ses corollaires immédiats, consacrés d'abord par l'article 2 (qualifié de principe d'humanité par André Hollaux, « La loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique et les libertés », Revue administrative 1978, p 31 et suivante), sont l'interdiction faite à la justice et à l'administration de prendre des décisions relatives au comportement du citoyen fondé sur les données informatisées et le droit d'accès et de contestation reconnus des intéressés en ce qui concerne les données les concernant (art 3).
    C'est aussi à ce titre que l'ensemble de la loi institue une protection qui se veut générale et contrôlée par une autorité administrative indépendante, dont la composition doit garantir l'indépendance et l'autorité (art 8).
    C'est en vertu de ce même principe que les détenteurs de données nominatives informatisées s'engagent de ce seul fait vis-à-vis des personnes concernées à un certain nombre d'obligations, dont celle de ne pas les communiquer à des tiers non autorisés (art 29), et sont passibles de sanctions pénales s'ils divulguent des informations nominatives susceptibles de porter atteinte à la réputation, à la considération de la personne ou à l'intimité de sa vie privée sans autorisation préalable de celle-ci (art 43).
    La loi du 6 janvier 1978 pose donc un principe fondamental qui doit être rangé parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, tenant à la stricte confidentialité des données nominatives informatisées, autre formulation du principe que l'informatique doit être au service de chaque citoyen, règle dont les dérogations ne peuvent être que très strictement entendues et, en toute hypothèse, ne peuvent permettre de porter atteinte notamment aux droits de l'homme, à la vie privée ou aux libertés individuelles et publiques.
    Or les développements qui précèdent ont démontré que le dispositif critiqué viole à plusieurs titres ce principe fondamental :
    : il permet, dans les faits, par l'absence de précision de ses termes, un croisement de fichiers nominatifs ;
    : il habilite des tiers à recueillir des informations nominatives étrangères à l'objet de leur mission de contrôle de la détention d'appareils récepteurs de télévision ;
    : il ne prévoit aucune information préalable des personnes concernées, ni de moyens pour les organismes qui y sont soumis d'en contrôler le bien-fondé ou de s'y opposer malgré les sanctions qu'ils pourraient encourir ;
    : il institue un droit de communication général des informations nominatives détenues par les distributeurs des réseaux câblés et Canal Plus de nature à porter atteinte à la vie privée et au secret des correspondances des personnes visées ainsi qu'à la confidentialité des rapports commerciaux noués ou des rapports privés avec les gestionnaires des immeubles où ils résident, dans le but d'un redressement fiscal indirectement lié aux résultats de ces investigations.
    II. : Non-respect du principe de proportionnalité
    Il convient de souligner que, eu égard aux atteintes que porte le texte critiqué au principe d'égalité devant la loi et aux libertés publiques et individuelles, le dispositif mis en place ne peut trouver de fondement suffisant dans l'objectif de lutte contre la fraude fiscale.
    Il n'est évidemment pas dans l'intention de Canal Plus, ni de quiconque, de contester le bien-fondé du but poursuivi par l'administration qui entend lutter, aussi efficacement que possible, contre la fraude qui résulte du système déclaratif sur lequel repose la redevance de l'audiovisuel.
    Ce sont les modalités choisies et imposées par le Gouvernement qui paraissent mal adaptées et inutilement attentatoires aux libertés publiques et aux principes constitutionnels qui régissent la République qui sont seuls ici en cause.
    Le système choisi repose sur la collecte d'informations indirectes qui ne peuvent être, à elles seules, déterminantes au regard du but recherché.
    Or le droit fiscal français comporte des dispositions permettant aux services de contrôle de procéder à la constatation directe de l'infraction recherchée : c'est celui qui résulte du régime des perquisitions fiscales instituté par la loi de finances pour 1985 et dont la constitutionnalité a été admise par le Conseil constitutionnel, notamment au regard des précautions procédurales dont il est entouré.
    Les visites domiciliaires, dans les formes légales, sont bien la seule méthode directe et dont les résultats sont incontestables pour établir l'existence de la faute présumée.
    Le Gouvernement n'en a pas disconvenu devant l'Assemblée nationale au cours des débats précités. Il en a seulement écarté l'éventualité en indiquant : « Est-ce que vous vous figurez que je vais envoyer les agents du service de la redevance demander un million et demi d'autorisations aux présidents des TGI pour aller faire des visites domiciliaires, alors que nous savons bien, les uns et les autres, que tant en matière fiscale qu'en matière douanière les visites domiciliaires conservent un caractère exceptionnel et que l'on n'en fait pas des centaines et des milliers par an. »
    Cette argumentation est totalement inopérante. Le contrôle à domicile de la détention effective d'un appareil récepteur de télévision est le seul dont les résultats soient fiables, voire même indiscutables. Certes, sa mise en uvre est lourde mais cela est aussi le gage de la sauvegarde des libertés individuelles et précisément le recours à une telle procédure serait incontestable au regard des libertés.
    Son importance numérique n'est qu'à la mesure de la fraude présumée en matière de paiement de la redevance audiovisuelle.
    En toute hypothèse, cette argumentation ne saurait permettre à l'administration d'imposer la mise en uvre d'un système gravement attentatoire au principe d'égalité et aux libertés publiques et privées qui sont la substance même du régime démocratique, d'autant plus inadapté qu'il ne donnera que des résultats partiels et insuffisants à eux seuls pour établir la fraude recherchée.
    Manifestement le texte critiqué méconnaît par ses modalités le principe de proportionnalité qui doit exister entre le but poursuivi et les moyens mis en uvre.
    De quelque manière qu'on l'envisage, le paragraphe II de l'article 82 du projet de loi de finances pour 1992 est contraire à la Constitution.