Décision n° 90-287 DC du 16 janvier 1991 - Saisine par 60 sénateurs
Loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales
Non conformité partielle
SAISINE SENATEURS
Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel les articles 8, 9, 22, 23, 26, 27 et 32 de la loi portant dispositions relatives à la santé publique et aux assurances sociales, adoptée le 21 décembre par l'Assemblée nationale.
Les sénateurs soussignés demandent au Conseil constitutionnel de décider que les articles précédemment cités de ladite loi sont non conformes à la Constitution, pour les motifs suivants.
I : Sur l'irrégularité de l'adoption d'articles dépourvus de tout lien direct avec le projet de loi (art 22, 23, 26, 27 et 32)
En première comme en nouvelle lecture, ont été considérés comme adoptés par l'Assemblée nationale, aux termes du troisième alinéa de l'article 49 de la Constitution, plusieurs amendements ne concernant ni la santé publique ni les assurances sociales et donc dépourvus de tout lien avec le texte en discussion.
C'est notamment le cas :
: de l'article 22 résultant d'un amendement du Gouvernement et relatif aux conditions d'utilisation des titres-restaurant ;
: de l'article 23 résultant d'un amendement du Gouvernement et relatif au statut des personnels enseignants des écoles d'architecture ;
: de l'article 26 résultant d'un amendement présenté par le Gouvernement en nouvelle lecture, modifiant divers articles du code des communes relatifs au versement de transport acquitté par les employeurs publics et privés, alors même que le Parlement est saisi de ce sujet dans le cadre de l'article 61 du projet de loi d'orientation relatif à l'administration territoriale de la République, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale ;
: de l'article 27 résultant d'un amendement présenté par le Gouvernement en nouvelle lecture, tendant à modifier, tout en lui donnant une portée rétroactive, la rédaction de l'article 8 de la loi n° 48-1360 du 1er septembre 1948 portant modification et codification de la législation relative aux rapports des bailleurs et locataires ou occupants de locaux d'habitation ou à usage professionnel et instituant des allocations de logement ;
: de l'article 32 résultant d'un amendement présenté par le Gouvernement en nouvelle lecture et modifiant la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale.
Dans ses décisions n° 86-225 DC du 23 janvier 1987 et n° 90-227 DC du 25 juillet 1990, le Conseil constitutionnel a précisé la distinction établie par la Constitution entre les projets et propositions de loi, visés par son article 39, et les amendements dont ces derniers peuvent faire l'objet en vertu de l'article 44, alinéa 1er.
En l'espèce, il y a lieu d'estimer que les diverses dispositions précitées sont dépourvues de tout lien avec le texte en discussion, dont l'objet se limite à la santé publique et aux assurances sociales ; elles excèdent ainsi les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement et ont donc été adoptées selon une procédure contraire à la Constitution.
II. : Sur la méconnaissance des principes d'égalité et de la liberté d'entreprendre (art 8 et 9) 1 L'égalité entre différents établissements privés de soins dans leurs relations avec les organismes de sécurité sociale
L'article 8 soumet les établissements d'hospitalisation privés à but lucratif à des conditions rigoureuses en matière de conventions avec la sécurité sociale. Leurs tarifs, ainsi que les tarifs de responsabilité des caisses, sont fixés, pour chaque discipline, par une convention d'une durée déterminée, au moins égale à cinq ans, passée avec la caisse régionale d'assurance maladie.
Ces conventions peuvent être suspendues ou dénoncées par les caisses en cas de manquement grave des établissements aux obligations légales, réglementaires ou conventionnelles. Elles doivent en outre être homologuées par l'autorité administrative, cette homologation pouvant être suspendue dans des cas et conditions fixés par décret.
Il faut noter qu'en déléguant au pouvoir réglementaire la charge de déterminer les cas dans lesquels l'homologation peut être suspendue, le septième alinéa de l'article L 162-22, tel qu'il résulte de l'article 8 de la loi, soustrait au domaine législatif la détermination du régime conventionnel, et doit donc être considéré comme non conforme à l'article 34 de la Constitution qui dispose que la loi détermine les principes fondamentaux de la sécurité sociale.
L'article 9 concerne quant à lui les centres de santé, établissements privés de cure et de prévention régis par le décret du 20 août 1946. Dans la nouvelle rédaction proposée pour l'article L 162-32 du code de la sécurité sociale, il est prévu que les tarifs applicables seront ceux fixés pour chacune des catégories de praticiens et d'auxiliaires médicaux dans les conditions prévues par les articles L 162-6, L 162-8, L 162-9 et L 162-11 du code de la sécurité sociale, que le centre ait passé convention avec la caisse primaire de sécurité sociale ou qu'il ne l'ait pas fait.
A la lecture des articles 8 et 9, il apparaît clairement que les effets du conventionnement dans la détermination des tarifs sont radicalement différents dans les deux types d'établissements privés de soins, en contradiction avec le principe d'égalité.
2 L'égalité entre les centres de santé et les praticiens libéraux
En prévoyant qu'à défaut de convention entre la caisse primaire et le centre de santé, les conventions et tarifs mentionnés aux articles L 162-6, L 162-8, L 162-9 et L 162-11 du code de la sécurité sociale s'appliquent de plein droit, l'article L 162-32 du code de la sécurité sociale résultant de l'article 9 de la loi implique une rupture de l'égalité de la prise en charge des actes de médecine ambulatoire, effectués respectivement dans les centres de santé et par les praticiens libéraux, car il écarte ainsi les obligations auxquelles ces derniers sont tenus de se soumettre, en contrepartie de la prise en charge des actes au tarif conventionnel.
3 La liberté d'entreprendre
Le cinquième alinéa de l'article 8 subordonne l'homologation des tarifs à la prise en compte, d'une part, des caractéristiques propres de chaque établissement, notamment du volume de son activité, et, d'autre part, de l'évolution des dépenses hospitalières définie à partir des hypothèses économiques générales et par référence à la politique sociale et sanitaire de l'Etat.
Ce mécanisme a pour effet de confier à l'administration le pouvoir de contrôler en permanence et de fixer à l'avance le volume d'activité d'une entreprise privée ainsi que son chiffre d'affaires et paraît donc contraire au principe constitutionnel de la liberté d'entreprise.
En raison du rôle dévolu à l'autorité administrative, en l'occurrence le préfet de région, et aux caisses régionales d'assurance maladie, il est en outre à craindre que ce plafonnement de l'activité des établissements privés à but lucratif soit appliqué très diversement selon les régions, au mépris du principe d'égalité.