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Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990 - Saisine par 60 sénateurs

Loi de finances pour 1991
Non conformité partielle

SAISINE SENATEURS
Les sénateurs soussignés défèrent au Conseil constitutionnel l'ensemble de la loi de finances pour 1991, adoptée définitivement par l'Assemblée nationale le 20 décembre 1990, et notamment les articles 92 à 99 et 99 bis.
Concernant ces articles, il convient de signaler que :
I : Certaines dispositions de la contribution sociale généralisée paraissent contraires au principe d'égalité exprimé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
II. : L'inscription dans la seconde partie du projet de loi de finances pour 1991 des articles 92 à 99 et 99 bis est contraire aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 portant loi organique relative aux lois de finances.
III. : La procédure suivie pour l'examen du projet de loi de finances pour 1991 n'a pas respecté les dispositions de l'article 40 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
IV. : Le Parlement n'a pas bénéficié d'une information suffisante pour lui permettre d'exercer la mission de contrôle dont il est investi par la Constitution.
I : Certaines dispositions de la contribution sociale généralisée paraissent contraires au principe d'égalité exprimé par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, plus particulièrement : A : En ce qui concerne le principe de l'égalité devant l'impôt
Ce principe découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (« la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ») et de l'article 13 du même texte (la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens »).
Or, l'article 97 de la loi de finances pour 1991, relatif à l'institution d'une contribution sociale généralisée sur les revenus du patrimoine, dispose, en son paragraphe II, que les contribuables dont la cotisation d'impôt sur le revenu est inférieure au montant mentionné au 1 bis de l'article 1657 du code général des impôts (1) ne sont pas assujettis à la contribution sur les revenus du patrimoine.
En revanche, aucune référence à un tel seuil de non-recouvrement n'est prévu en faveur des revenus d'activité, également assujettis à la contribution sociale généralisée, et visés aux articles 93, 94 et 95 du projet de loi de finances pour 1991.
La différence ainsi introduite dans la situation des contribuables en fonction de la nature des revenus perçus :
1. Peut conduire, dans certains cas, à des situations paradoxales et contraires au principe d'égalité devant l'impôt :
A titre d'exemple, un contribuable marié avec un enfant ne disposant que de revenus imposables tirés de son patrimoine pour un montant de 65 830 F n'acquittera aucune contribution, alors que le même contribuable qui déclare des revenus imposables taxés de son activité pour un même montant sera assujetti à la contribution sociale généralisée.
De même, le contribuable dans une situation semblable mais dont le revenu imposable serait composé pour moitié de revenus d'activité et pour moitié de revenus du patrimoine échapperait à la contribution sociale généralisée sur cette dernière partie de son revenu.
2. N'est pas justifiée par l'objet poursuivi par le législateur dans le cadre de la contribution sociale généralisée.
Le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que le législateur règle de façon différente les situations de contribuables relevant de catégories différentes, ni à ce qu'il déroge au principe d'égalité pour des raisons d'intérêt général.
Toutefois, la différence de traitement qui en résulte doit être en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit.
Or, en l'occurrence, la différence de traitement instituée par le législateur, et fondée sur la seule nature des revenus perçus, apparaît sans rapport avec l'objet de la contribution sociale généralisée qui doit permettre :
: de faire participer l'ensemble des revenus au financement de la sécurité sociale, et non plus les seuls revenus professionnels assujettis aux cotisations ;
: de répartir plus équitablement la charge dudit financement en fonction des capacités contributives de chacun.
B : En ce qui concerne le principe de l'égalité devant la justice
L'article 96 du projet de loi de finances pour 1991 dispose que les différends nés de l'assujettissement à la contribution sociale généralisée des revenus d'activité et de remplacement relèvent du contentieux de la sécurité sociale, c'est-à-dire de l'ordre judiciaire.
En revanche, les articles 97 et 98 du projet précité relatifs respectivement à l'assujettissement des revenus du patrimoine et des produits de placement soumis à prélèvement libératoire disposent que la contribution est recouvrée sous les mêmes sûretés, privilèges et sanctions que l'impôt sur le revenu. Le contentieux né de l'assujettissement de ces revenus relève donc de la compétence des juridictions administratives.
1. Or, la différence ainsi introduite dans la situation des contribuables paraît contraire au principe d'égalité devant la justice.
Outre qu'elles relèvent de deux ordres de juridiction distincts, les procédures mises en uvre soit dans le cadre du contentieux de la sécurité sociale, soit dans le cadre du contentieux de l'impôt sur le revenu, ne sont pas identiques, notamment en ce qui concerne leurs voies de recours.
Ainsi, par exemple, les réclamations formées par les assurés ou par les employeurs contre les décisions des organismes de sécurité sociale doivent être soumises à la commission de recours amiable dans les deux mois suivant la notification de la décision contestée (art R 143-6 du code de la sécurité sociale).
En revanche, un contribuable assujetti à l'impôt sur le revenu peut adresser une réclamation à l'administration fiscale jusqu'au 31 décembre de la seconde année suivant celle de la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement (art R 196-1 du livre des procédures fiscales).
De même, les décisions des tribunaux des affaires sociales peuvent faire l'objet d'un appel dans le délai d'un mois à compter de leur notification (art R 142-28 du code de la sécurité sociale). En ce qui concerne le contentieux de l'impôt sur le revenu, le contribuable peut faire appel des jugements du tribunal administratif dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Ainsi, au titre d'une même imposition, les contribuables assujettis à la contribution sociale généralisée pourront bénéficier de voies de recours plus ou moins favorables en fonction de la nature des revenus considérés.
2. Par ailleurs, cette distinction n'est pas justifiée par l'objet de la contribution sociale généralisée.
La différence de traitement ainsi établie entre les contribuables et l'atteinte au principe d'égalité devant la justice qui en résulte ne peut être justifiée :
: ni par la volonté de réformer le mode de financement de la protection sociale ;
: ni par le souci d'opérer une redistribution des revenus entre les différentes catégories de contribuables considérées.
II. : L'inscription dans la seconde partie du projet de loi de finances pour 1991 des articles 92 à 99 et 99 bis est contraire aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances
Par lettre rectificative en date du 3 octobre 1990, le Gouvernement a complété la seconde partie du projet de loi de finances pour 1991 par huit articles additionnels (art 92 à 99) instituant une contribution sociale généralisée.
Or, la nature juridique de cette contribution aurait dû conduire à l'inscription desdits articles dans la première partie du projet de loi de finances pour 1991, conformément aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
A : La contribution sociale généralisée est un impôt affecté à un établissement public
1. La contribution sociale généralisée n'est pas une cotisation.
En effet, la cotisation est un prélèvement qui donne à celui qui l'acquitte des droits à des prestations : le champ des bénéficiaires des prestations financées par la cotisation est, en principe, le même que celui des cotisants.
Or, la contribution sociale généralisée est un prélèvement opéré sur l'ensemble des titulaires de revenus sans que ceux-ci bénéficient par ailleurs de contrepartie directe. Le versement de la contribution sociale généralisée ne permet pas d'acquérir des droits à des prestations de sécurité sociale.
Il ne s'agit donc pas, à proprement parler, d'une cotisation.
2. La contribution sociale généralisée doit donc nécessairement correspondre, et à titre exclusif, à l'une ou l'autre des catégories de prélèvement reconnues dans notre droit constitutionnel.
En d'autres termes, il s'agit soit d'une redevance pour services rendus, soit d'une taxe parafiscale, soit d'un véritable impôt.
Or, à l'examen, il apparaît que la contribution sociale généralisée ne peut être assimilée :
: aux redevances pour services rendus visées à l'article 5 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
: aux taxes parafiscales visées à l'article 4 de l'ordonnance précitée. En effet, la perception de ces taxes est subordonnée chaque année à l'autorisation du Parlement, dans le cadre de la loi de finances. Or, la contribution sociale généralisée est un prélèvement à caractère permanent, l'intervention du Parlement étant limitée à l'augmentation éventuelle de son taux.
N'étant ni une redevance pour services rendus ni une taxe parafiscale, la contribution sociale généralisée est donc un impôt affecté à un établissement public, à savoir la Caisse nationale d'allocations familiales.
B : L'inscription dans la seconde partie du projet de loi de finances pour 1991 des articles additionnels instituant cette contribution se révèle ainsi contraire aux dispositions de l'article 31 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959
L'article précité dispose que le projet de loi de finances autorise, dans sa première partie, « la perception des impôts affectés aux collectivités et aux établissements publics ».
La contribution sociale généralisée étant un impôt affecté à un établissement public, sa nature juridique aurait donc dû conduire à l'inscription des articles additionnels instituant ce nouveau prélèvement dans la première partie du projet de loi de finances pour 1991, et non dans sa seconde partie ;
En conséquence, il apparaît que la perception de la contribution sociale généralisée n'a pas été autorisée dans des conditions conformes à celles définies par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
III. : La procédure suivie pour l'examen du projet de loi de finances pour 1991 n'a pas respecté les dispositions de l'article 40 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances
L'article précité dispose que « la seconde partie de la loi de finances de l'année ne peut être mise en discussion devant une assemblée avant le vote de la première partie ».
Compte tenu des observations exposées ci-dessus, il apparaît que les articles additionnels instituant une contribution sociale généralisée relèvent, en droit, de la première partie du projet de loi de finances pour 1991.
Or, le vote sur ces articles n'est intervenu, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, qu'après la mise en discussion de la seconde partie de la loi de finances.
La procédure suivie pour l'examen du projet de loi de finances pour 1991 n'est donc pas conforme aux règles définies par l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances.
IV. : Le Parlement n'a pas bénéficié d'une information suffisante pour lui permettre d'exercer la mission de contrôle dont il est investi par la Constitution
L'article 32 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose que le projet de loi de finances de l'année est accompagné « d'annexes générales destinées à l'information et au contrôle du Parlement ».
Or, le Parlement a été appelé à se prononcer sur les articles additionnels instituant une contribution sociale généralisée sans disposer, notamment en annexe du projet de loi de finances pour 1991, d'éléments substantiels d'information lui permettant : A : D'apprécier le contexte général dans lequel doit s'inscrire cette réforme du financement de la sécurité sociale
Ainsi, l'état annuel retraçant l'effort social de la nation, qui doit être présenté à l'appui du projet de loi de finances, en application de la loi n° 74-1094 du 24 décembre 1974, n'était toujours pas disponible lors de l'examen du projet de contribution sociale généralisée par le Parlement. Celui-ci a été ainsi privé des données les plus récentes relatives à l'ensemble des prestations sociales et aux charges qui en découlent pour l'Etat, les collectivités locales, les employeurs, les assurés et les contribuables.
B : D'évaluer les effets de l'institution du nouveau prélèvement, notamment en ce qui concerne son produit, ou la charge fiscale en résultant pour les différentes catégories d'assujettis
A cet égard, il convient de signaler que le Parlement ne disposait, en annexe du projet de loi de finances, d'aucune information exhaustive lui permettant d'évaluer effectivement la réalité et l'étendue de l'effet redistributif invoqué par le Gouvernement pour justifier l'institution de la contribution sociale généralisée.
Les simulations diffusées par ailleurs à ce sujet par le Gouvernement demeurent partielles et ne prennent en compte que les seuls revenus salariaux, alors que l'assiette de la contribution sociale généralisée est beaucoup plus étendue.
C : De disposer d'une vision globale et cohérente de la totalité du dispositif de la contribution sociale généralisée et de l'équilibre financier général devant en résulter
En effet, certaines dispositions importantes dudit dispositif (allégement de certains prélèvements sociaux, création d'une cotisation patronale déplafonnée d'assurance vieillesse) n'ont fait l'objet d'aucune présentation détaillée, ni d'aucune évaluation précise, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 1991 ou de ses annexes.
Il convient à cet égard de signaler que le principe d'une remise forfaitaire accordée aux cotisants de l'assurance vieillesse, présentée par le Gouvernement comme l'un des éléments essentiels devant accompagner la mise en uvre du nouveau prélèvement, ne figurait pas dans la rédaction initiale du projet de loi portant diverses mesures relatives à la santé et aux assurances sociales, censé compléter le dispositif de la contribution sociale généralisée.
Cette disposition a été introduite par voie d'amendement à l'occasion de l'examen en première lecture du texte précité devant l'Assemblée nationale, soit après que le Parlement ait examiné le projet de contribution sociale généralisée dans le cadre de la loi de finances.
En conséquence, et compte tenu du manque d'informations suffisantes, le Parlement n'a pu exercer pleinement et efficacement la mission de contrôle dont il est investi par la Constitution.
(1) Soit 400 F en 1990.
(2) Notamment : décision du Conseil constitutionnel du 3 juillet 1986 (DC n° 86-209).