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Décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990 - Saisine par 60 députés

Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé
Non conformité partielle

PREMIERE SAISINE DEPUTES
Les députés soussignés défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé afin qu'il plaise au conseil de reconnaître l'inconstitutionnalité de la procédure d'adoption, ainsi que celle des articles 7 A et 14 à 14 sexdecies pour les motifs ci-joints.
En ce qui concerne la validité de la procédure législative.
La première partie du projet de loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé a été adoptée par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture par recours à la procédure de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution. En l'absence du Premier ministre, c'est M Lionel Jospin, ministre d'Etat, chargé de l'éducation nationale, qui, chargé de l'intérim du Gouvernement, a engagé la responsabilité de celui-ci le vendredi 19 décembre à 19 h 5.
Cette procédure appelle deux remarques quant à la compétence du ministre chargé de l'intérim et quant à l'opposabilité du décret organisant l'intérim :
1. Sur la compétence :
L'article 49, alinéa 3, de la Constitution précise « le Premier ministre peut après délibération du conseil des ministres engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d'un texte ».
En l'absence de toute autre hypothèse, il apparaît clairement que le Premier ministre a seul le pouvoir de mettre en uvre la procédure de l'article 49-3 à l'exclusion de tout autre membre du Gouvernement.
A contrario, les articles 41, 43 ou 44 de la Constitution parmi d'autres, montrent bien que lorsque le constituant a voulu élargir certains pouvoirs à tous les membres du Gouvernement, il l'a précisé en évoquant alors « le Gouvernement » et non pas « le Premier ministre ».
Ni l'article 49 ni aucun autre article ne prévoit l'hypothèse de l'intérim du Premier ministre, ce qui amène à penser en respectant une lecture stricte de la Constitution, que seul le Premier ministre en titre et en personne peut exercer les pouvoirs que la Constitution lui reconnaît à titre exclusif.
Si l'article 21 prévoit que le Premier ministre « peut déléguer certains de ses pouvoirs aux ministres » d'une part, il n'est pas certain que les pouvoirs de l'article 49 entrent dans cette catégorie et, d'autre part, cette délégation formelle n'a pas eu lieu en l'occurrence. Le décret du 14 décembre du Président de la République ne constitue en aucune manière une délégation de cette nature.
L'intérim décidé par décret en l'absence de toute précision constitutionnelle ne saurait concerner que les seuls pouvoirs réglementaires du Premier ministre afin d'assurer la continuité de « l'exécution des lois » dont il a la charge de fait de l'article 21.
Le recours à l'article 49-3 par une autre personne que le Premier ministre en titre est donc contraire à la Constitution. Il constitue en l'espèce un vice grave de procédure impliquant l'annulation du texte déféré.
2. A supposer que l'intérim du Premier ministre puisse s'exercer dans le domaine constitutionnel, il ne peut être opposé en l'espèce.
En effet, en vertu du décret-loi du 5 novembre 1870, le décret n'entre en vigueur qu'un jour franc après sa promulgation, c'est-à-dire en l'occurrence le 16 décembre à zéro heure.
La décision d'engager la procédure de l'article 49-3 ayant été prise le 15, elle a été prise par une personne qui n'avait pas compétence pour le faire. Il y a donc là aussi vice de procédure.
Enfin, le texte qui est déféré a été adopté en dernière lecture après que le Premier ministre ait engagé une nouvelle fois la responsabilité de son gouvernement conformément à l'article 49-3 le lundi 18 décembre.
Or, l'article 49-3 précise que le Premier ministre ne peut engager cette procédure « qu'après délibération du conseil des ministres ».
Le compte rendu officiel du conseil des ministres du 13 décembre ne mentionne nulle part une telle délibération.
Il apparaît donc, sauf à recueillir de plus amples informations sur la rationalité de cette délibération, que le Premier ministre a méconnu une disposition de la Constitution en engageant la responsabilité du Gouvernement en l'absence de délibération préliminaire.
Le texte a donc été adopté selon une procédure qui a méconnu une exigence constitutionnelle.
Ce vice de forme constitue à lui seul un motif d'annulation.
En ce qui concerne l'article 7 bis A :
L'article 7 bis A est contraire au préambule de la Constitution de 1946, au principe d'égalité devant la loi et aux articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ainsi qu'à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la définition de la notion d'amendement (86-225 DC du 23 janvier 1987).
L'article 7 bis A introduit une distinction entre les médecins généralistes et les médecins spécialistes en organisant deux types différents de convention.
Jusqu'à présent les conventions conclues entre les organisations syndicales représentatives et les caisses primaires d'assurance maladie recouvraient la totalité de la médecine ambulatoire respectant ainsi le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, confirmé par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, qui affirme que « la Nation garantit à tous la protection de la santé ».
L'organisation de la multiplicité des conventions constitue la contradiction matérielle de ce principe.
En instituant un système de conventions multiples et différenciées, le texte déféré introduit le risque de voir se créer dans notre pays des zones entières non conventionnées, portant ainsi atteinte au principe de droit à la santé évoqué par le préambule.
En effet, certaines de ces organisations comprennent à la fois des spécialistes et des généralistes et seraient donc soumises à un traitement différent de celles qui comprennent uniquement les médecins de l'une des deux catégories, alors que leur vocation est identique et que le principe même de conventionnement ne saurait être divisé.
L'article 7 bis A est contraire à la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la notion d'amendement.
En effet, le Conseil, à plusieurs reprises, et notamment dans sa décision 86-225 DC du 23 janvier 1987, a affirmé que l'exercice du droit d'amendement était limité et qu'un amendement ne devrait pas constituer un projet de loi déguisé.
Or, en l'occurrence, le fait d'introduire des règles entièrement nouvelles dans les procédures de conventionnement de la médecine ambulatoire constitue manifestement, par l'importance et les répercussions que va avoir cette disposition sur l'avenir de notre médecine, un projet à lui tout seul et non un simple amendement au texte déféré.
Il convient donc de déclarer l'inconstitutionnalité de l'article pour ces motifs.
En ce qui concerne les articles 14 à 14 sexdecies :
De même, les articles 14 à 14 sexdecies sont-ils contraires à la jurisprudence du conseil précitée relative à l'exercice du droit d'amendement.
En effet, les dispositions introduites par ces articles, du fait de leur portée tant morale que philosophique et scientifique, ainsi que des conséquences éthiques qu'elles induisent, ne sauraient, sans méconnaître la Constitution, figurer à titre accessoire dans une loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé.
Il convient donc de déclarer l'inconstitutionnalité de ces articles pour ces motifs.