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Décision n° 89-256 DC du 25 juillet 1989 - Saisine par 60 députés

Loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles
Conformité

SAISINE DEPUTES
Monsieur le président et Messieurs les membres du Conseil constitutionnel,
Les députés dont les noms suivent demandent à ce qu'il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution l'article 11 de la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles pour les raisons de procédure et de fond exposées ci-après.
Sur la procédure
Le Conseil constitutionnel a considéré dans sa décision n° 89-251 DC du 12 janvier 1989 « que le droit d'amendement, qui est le corollaire de l'initiative législative peut, sous réserve des limitations posées aux troisième et quatrième alinéas de l'article 45, s'exercer à chaque stade de la procédure législative ; que, toutefois, les adjonctions ou modifications ainsi apportées au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39 (alinéa 1) et 44 (alinéa 1) de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement qui relève d'une procédure spécifique ».
L'article 11 de la loi, qui autorise l'extension à la construction de voies ferrées de l'expropriation selon la procédure d'extrême urgence, résulte de l'adoption d'un amendement déposé par le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République de l'Assemblée nationale, lors de la seconde lecture de la loi déférée au Conseil.
Nous soutenons au vu du titre de la loi et de l'examen de l'exposé des motifs du projet de loi que l'adjonction de l'article 11 est sans lien avec le texte, car sans rapport avec l'urbanisme et encore moins avec les agglomérations nouvelles (le rapport n° 305 du Sénat souligne à la page 23 le caractère circonstanciel de cette mesure).
Aussi, nous demandons au conseil de faire application à l'article 11 de la loi déférée de sa jurisprudence précitée car la disposition qui lui est soumise est sans lien avec l'objet du texte en cours de discussion.
Sur le fond
L'article 11 de la loi portant dispositions diverses en matière d'urbanisme et d'agglomérations nouvelles viole l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 qui dispose que « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ».
En effet, il résulte de l'article L 15-9 du code de l'expropriation dont le champ d'application est ici élargi que l'indemnisation des expropriés ne peut être considérée comme intervenant préalablement à la dépossession : le versement d'une provision ne peut, par définition, être assimilé à celui de l'indemnité.
D'autre part, le principe fondamental reconnu par les lois de la République, au terme duquel l'autorité judiciaire est la garante des libertés publiques et de la propriété implique que le montant de la provision ne peut pas, s'agissant d'une expropriation, être déterminé par l'administration. Il doit nécessairement être fixé par le juge de l'expropriation.
Il faut noter que dans une décision du 28 décembre 1967, le Conseil constitutionnel fait référence dans le domaine de l'expropriation pour cause d'utilité publique aux « garanties de la fixation d'une juste indemnité ». L'article L 15-9 ne permet pas d'obtenir cette garantie et provoque une rupture de l'égalité entre les citoyens, certains étant intégralement indemnisés avant leur éviction, ceux visés à l'article L 15-9 du code de l'expropriation percevant une simple provision dont le montant est fixé sans garantie judiciaire, ce qui est en contradiction avec la décision n° 85-189 DC du 17 juillet 1985 dont la rédaction implique « a contrario, que l'autorité judiciaire est seule compétente pour fixer, en cas de désaccord, l'indemnité due par l'administration à un propriétaire privé en cas de dépossession d'un bien immobilier. Un parallèle peut être établi avec la jurisprudence du Conseil d'Etat qui avait interdit au Gouvernement de dessaisir le juge judiciaire en matière d'expropriation (CE du 12 février 1960, Fédérale algérienne des syndicats de défense des irrigants) » (1).
(1)Bruno Genevoix : La Jurisprudence du Conseil constitutionnel.
Principes directeurs, page 256.
Il résulte de cette jurisprudence que le juge de l'expropriation doit intervenir préalablement à la dépossession, et non après celle-ci comme le prévoit le texte déféré au Conseil.
C'est pour l'ensemble des motifs ci-dessus exposés que les députés soussignés ont l'honneur, conformément à l'article 61 de la Constitution, de demander au Conseil constitutionnel que la loi qui lui a été déférée soit déclarée non conforme à la Constitution.