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Décision n° 88-251 DC du 12 janvier 1989 - Saisine complémentaire par 60 sénateurs

Loi portant diverses dispositions relatives aux collectivités territoriales
Non conformité partielle

MÉMOIRE AMPLIATIF

Les sénateurs soussignés qui, conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, ont eu l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi portant diverses dispositions relatives aux collectivités territoriales, adoptée définitivement le 22 décembre 1988, concluent, par le présent mémoire ampliatif, qu'il plaise au conseil de déclarer non conformes à la Constitution les articles 17, 16 et 3 de cette loi, pour les motifs suivants : Sur l'article 17 (art 14 du projet de loi) :
Cet article a été introduit par amendement d'origine parlementaire lors de la première lecture à l'Assemblée nationale du projet de loi déposé sur le bureau de cette assemblée après déclaration d'urgence et alors encore intitulé « Projet de loi relatif au délai de réorganisation des services extérieurs de l'Etat, à la composition paritaire du conseil d'administration du Centre national de la fonction publique territoriale et aux fonctionnaires territoriaux à temps non complet » dont, à ce stade de l'élaboration de la loi, il constituait encore l'article 14.
Cet article 14 tend à étendre aux communes de 2 500 habitants et plus les dispositions spéciales relatives à l'élection des conseils municipaux prévues par la loi n° 82-974 du 19 novembre 1982 pour les seules communes de 3 500 habitants et plus.
Les dispositions du code électoral sont d'une nature spécifique et ne sauraient être assimilées à des dispositions relatives aux collectivités territoriales. Elles concernent en effet au premier chef l'exercice de la souveraineté et le droit de suffrage définis par l'article 3 de la Constitution et c'est la raison pour laquelle elles font l'objet de projets de lois spécifiques, y compris de la part du présent Gouvernement, qui a déposé parallèlement un projet de loi « modifiant diverses dispositions du code électoral et du code des communes relatives aux procédures de vote et au fonctionnement des conseils municipaux » où la disposition attaquée eût été parfaitement à sa place. Aussi le Sénat a-t-il, dès sa première lecture, supprimé cet article 14 considéré, pour cette première raison, par la majorité de ses membres comme non conforme à la Constitution.
La majorité du Sénat a également considéré que cet article 14 n'était pas conforme à la Constitution puisque n'étant relatif ni à la réorganisation des services extérieurs de l'Etat, ni à la composition paritaire du conseil d'administration du Centre national de la fonction publique territoriale, ni aux fonctionnaires territoriaux à temps non complet.
Après une commission mixte paritaire infructueuse, en dépit des mises en garde devant le Sénat et de son vote, l'Assemblée nationale a maintenu, en nouvelle lecture, ledit article 14, lequel a été, en nouvelle lecture, à nouveau supprimé par le Sénat.
Que ce soit en première lecture, que ce soit en nouvelle lecture, le Gouvernement n'avait pas cru devoir soulever devant l'Assemblée nationale l'exception d'irrecevabilité. Il ne s'était pas pour autant déclaré favorable ni à l'amendement parlementaire de première lecture ni au maintien de la disposition en nouvelle lecture, se bornant jusque-là à s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée nationale puis à la sagesse du Sénat.
Mais, en demandant à l'Assemblée nationale de statuer définitivement, sans tenir compte des modifications du Sénat, singulièrement de l'amendement de suppression de l'article 14 (qui deviendra l'article 17 dans le texte définitif), le Gouvernement n'a pas hésité à reprendre finalement la paternité de l'amendement initial, en dépit de son caractère inconstitutionnel.
A plusieurs reprises, en effet, le Conseil constitutionnel a déclaré que les amendements à un projet de loi ne doivent pas être dépourvus de tout lien avec les autres dispositions du projet dans lequel ils sont introduits (décisions du Conseil constitutionnel n° 85-191 DC du 10 juillet 1985 et n° 85-198 DC du 13 décembre 1985).
Le Conseil constitutionnel a, par ailleurs, précisé que cette règle ne s'applique pas seulement aux amendements de nouvelle lecture mais aussi à ceux introduits à n'importe quel stade de la procédure parlementaire (décision du Conseil constitutionnel n° 86-220 DC du 22 décembre 1986).
Dans sa décision n° 86-22 DC du 29 décembre 1986, le conseil a, en outre, opéré une distinction entre le droit d'initiative des lois prévu à l'article 39, alinéa 1, de la Constitution et le droit d'amendement résultant de l'article 44, alinéa 1, de la Constitution.
Enfin, dans sa décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel a réitéré la distinction qui précède et ajouté que « les adjonctions ou modifications apportées (par voie d'amendement) au texte en cours de discussion ne sauraient, sans méconnaître les articles 39, alinéa 1, et 44, alinéa 1, de la Constitution, ni être sans lien avec ce dernier, ni dépasser, par leur objet et leur portée, les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ».
De tout ce qui précède, il résulte qu'à raison tant de leur ampleur que de leur importance, les dispositions qui sont à l'origine de l'article 17 excèdent les limites inhérentes à l'exercice du droit d'amendement ; que, dès lors, elles ne pouvaient être introduites dans le projet de loi « relatif au délai de réorganisation des services extérieurs de l'Etat, à la composition paritaire du conseil d'administration du Centre national de la fonction publique territoriale et aux fonctionnaires territoriaux à temps non complet » par voie d'amendement sans que soit méconnue la distinction établie entre les projets et les propositions de loi visés à l'article 39 de la Constitution et les amendements dont ces derniers peuvent faire l'objet en vertu de l'article 44, alinéa 1, de la Constitution ; qu'il y a lieu, en conséquence, de demander au Conseil constitutionnel de décider que l'article 17 de la loi qui lui est déférée a été adopté selon une procédure irrégulière.
Sur l'article 16 (article 13 du projet de loi) :
Il convient de noter que la même argumentation s'applique à l'article 16 (ex-article 13) qui résulte lui aussi d'un amendement d'origine parlementaire, lequel n'étant relatif ni à la réorganisation des services extérieurs de l'Etat, ni à la composition paritaire du conseil d'administration du Centre national de la fonction publique territoriale, ni aux fonctionnaires territoriaux à temps non complet, a lui aussi, et pour les raisons ci-dessus exposées, été adopté selon une procédure irrégulière.
Mais il faut, le concernant, observer, en outre, que le statut de la questure de Paris, et notamment le contrôle de sa gestion financière et comptable, doivent être appréciés au regard à la fois de l'article 72, premier alinéa, de la Constitution et de l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme aux termes duquel « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration », qu'il apparaît que, si le législateur a entendu rapprocher le statut de Paris du droit commun, il n'a pu ni voulu y parvenir en totalité, que le Conseil constitutionnel lui-même a qualifié ce statut de « particulier » dans sa décision n° 138 DC du 25 janvier 1982 (décentralisation Région de Corse), et que le législateur a entendu en tirer les conséquences dans la loi n° 86-1308 du 29 décembre 1986 ;
Considérant que l'existence même d'une questure, réalité historique et juridique continue depuis près de cinquante ans, est un élément de ce statut particulier, en ce que cette institution, unique au regard du statut des collectivités territoriales, a pour objet de permettre la gestion d'une assemblée commune à la commune et au département de Paris, de tirer les conséquences du rôle international de Paris, capitale de la France, et de permettre à ses élus et à son maire de jouer ce rôle, qu'il est patent que le législateur de 1986 avait entendu respecter le parallélisme entre le mode de contrôle des questures des assemblées parlementaires et celui de la ville de Paris, la seule questure de Paris étant toutefois, compte tenu du principe de séparation des pouvoirs entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, susceptible d'êre soumise au contrôle du juge des comptes, qu'il respectait ainsi l'esprit du décret-loi de 1939 qui constituait l'une des règles fondamentales applicables à Paris et qui n'avait été supprimé par le législateur de 1975 que par inadvertance, cette abrogation figurant dans une liste confuse que le législateur n'avait pas été en mesure d'apprécier, que le législateur de 1986 donnait ainsi à une réalité incontestable, répondant à des nécessités spécifiques à Paris, un cadre juridique précis répondant strictement, dans le contexte nouveau de la décentralisation, aux exigences de nature constitutionnelle de l'article XV de la Déclaration des droits de l'homme précitée.
Considérant que le remplacement de la Cour des comptes par la chambre régionale des comptes constitue la modification d'un élément non substantiel de ce statut, qu'il n'en va pas de même des règles de mandatement particulières, garanties par ailleurs par la présence a priori d'une commission composée d'élus et présidée par un haut magistrat, sans lesquelles l'existence d'une questure est dépourvue de toute efficacité, que la disposition votée ne permet plus à la ville de Paris d'assurer sa mission de rayonnement international voulue par ailleurs ; qu'elle la prive ainsi d'un élément substantiel de son statut particulier alors même que les députés auteurs de l'amendement et le Gouvernement lui-même, ainsi qu'il ressort explicitement des débats parlementaires, n'entendaient nullement supprimer la questure de la ville de Paris.
Les sénateurs auteurs de la saisine estiment qu'il y a lieu de décider que l'article 16 de la loi a été adopté selon une procédure irrégulière et qu'il est en outre contraire, par son excès même, à la Constitution et au statut particulier de la ville de Paris.
Sur l'article 3 :
Considérant que l'introduction du principe du paritarisme au sein du conseil d'administration du Centre national de la fonction publique territoriale doit nécessairement se concilier avec le principe de la libre administration des collectivités territoriales affirmé tant par l'article 34 de la Constitution, aux termes duquel « la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources », que par l'article 72, alinéa 2, de la Constitution en vertu duquel « les collectivités locales s'administrent librement par des conseils élus, dans les conditions prévues par la loi » ;
Considérant que, sur le fondement de ce principe, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur avait pu attribuer compétence à des centres de gestion pour effectuer des tâches de recrutement et de gestion des personnels des collectivités territoriales, dès lors que ces centres de gestion étaient « composés d'élus de ces collectivités » (décision n° 168 DC du 20 janvier 1984) et qu'aux termes de la loi du 26 janvier 1984 la direction des centres départementaux comme du Centre national de gestion a été effectivement confiée à des conseils d'administration exclusivement composés d'élus locaux ;
Considérant que la loi du 13 juillet 1987, en substituant au Centre national de gestion et au centre de formation des personnels communaux le Centre national de la fonction publique territoriale, a, compte tenu de cette dualité d'origine, investi cet établissement public administratif unique de missions d'une double nature en le chargeant, d'une part, de la plupart des attributions de gestion précédemment confiées au Centre national de gestion, selon l'énumération faite par l'article 12 bis de la loi du 26 janvier 1984 modifiée, d'autre part, en matière de formation, des missions définies à l'article 11 de la loi n° 84-594 du 12 juillet 1984 modifiée ;
Considérant que, pour l'ensemble de ces missions, la loi de 1987 a prévu qu'il serait dirigé par un conseil d'administration composé de trente et un membres élus, représentants des collectivités territoriales, mais que, pour l'exercice des missions relatives à la formation, la loi a institué aux côtés du conseil d'administration un conseil d'orientation composé paritairement d'élus et de représentants du personnel, assistés par des personnalités qualifiées, composition à l'évidence calquée sur celle du conseil d'administration du centre de formation des personnels communaux créé par la loi n° 72-658 du 13 juillet 1972, à la seule différence qu'en 1972 les membres s'ajoutant aux collèges des dix élus et des dix représentants du personnel, à savoir les trois représentants de l'administration et les deux personnalités qualifiées, avaient voix délibérative, tandis qu'en 1987 le législateur a entendu faire jouer le paritarisme de manière plus étendue entre élus et représentants du personnel, puisque les personnalités qualifiées n'ont que voix consultative ;
Considérant que l'objectif poursuivi par les auteurs de la présente loi a été, non pas de rétablir un paritarisme supprimé en 1987, mais de le renforcer tout en ne l'appliquant, conformément aux observations formulées par le Conseil d'Etat, qu'aux attributions relatives à la formation et non pas à celles relatives à la gestion, ce qui doit, dans le respect du principe de libre administration des collectivités locales, continuer à ne relever que des seuls représentants élus des collectivités territoriales ;
Considérant toutefois que le dispositif de la loi ne traduit que très imparfaitement cet objectif, et cela d'un double point de vue ;
En premier lieu, si l'article 3 maintient le principe du choix du président du centre national parmi les représentants élus du conseil d'administration, il modifie son collège électoral. Jusqu'à présent élu par le collège des élus, le président tiendra désormais son mandat du conseil d'administration statuant en formation plénière, c'est-à-dire du collège des représentants élus des collectivités territoriales et de celui des représentants des organisations syndicales. Or, parmi les responsabilités incombant au président du centre national, une large partie porte sur des actes de gestion. La logique aurait voulu comme le proposait le Sénat que le président soit élu par les seuls représentants des élus, ce que prévoit d'ailleurs à juste titre l'article 5 pour l'élection des dix représentants des élus au sein du conseil d'orientation du centre national.
En second lieu et surtout, le sixième alinéa du texte proposé par l'article 3 pour modifier l'article 12 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 précitée, qui tend à la répartition des attributions entre le conseil d'administration en formation plénière et le seul collège des élus, traduit un double glissement au regard de l'objectif de ne confier à la formation paritaire que des missions relevant de la gestion de la formation :
D'une part, des missions relevant strictement des centres de gestion et non des centres de formation ont été incluses dans les matières sur lesquelles seront amenés à se prononcer conjointement les représentants des élus et des organisations syndicales, en particulier le budget du centre national ainsi que le taux de cotisation et le prélèvement supplémentaire qui non seulement constituent des décisions financières incombant aux seules autorités locales élues mais encore recouvrent des dépenses afférentes à la gestion, qui doivent également rester de la seule compétence des élus ;
D'autre part, la participation des représentants des organisations syndicales aux délibérations relatives aux attributions de gestion du centre national, que le Sénat avait écartée, afin de respecter les prérogatives des élus en la matière, résulte implicitement des termes du sixième alinéa susvisé. Sans doute la loi prévoit-elle que les représentants du personnel ne prendront pas part au vote en ce qui concerne les attributions de gestion qu'elle énumère, mais ils assisteront et participeront néanmoins aux débats, et pourront donc infléchir le sens des scrutins. Ceci n'apparaît pas conforme au principe de la libre administration des personnels par des collèges élus.
C'est pourquoi les sénateurs auteurs de la saisine estiment qu'il y a lieu d'annuler comme non conformes à la Constitution les dispositions de l'article 3 portant atteinte à ce principe.