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Décision n° 86-221 DC du 29 décembre 1986 - Saisine par 60 députés

Loi de finances pour 1987
Non conformité partielle

I : SAISINE DEPUTES
Monsieur le président,
Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel certaines dispositions de la loi de finances pour 1987 telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement.
I : Plusieurs dispositions de la loi déférée ont été adoptées dans des conditions non conformes à la Constitution. Il s'agit de celles qui résultent d'articles additionnels introduits après la réunion de la commission mixte paritaire (articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B, 23 bis C).
Certes, dans sa décision n° 81-136 DC du 31 décembre 1981, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de considérer que le fait que la commission mixte paritaire se soit déjà réunie ne faisait pas obstacle à l'introduction d'articles additionnels.
On ne peut manquer de relever, néanmoins, que la situation est sensiblement différente en l'espèce dans la mesure où, contrairement au précédent de 1981, les articles additionnels ainsi introduits l'ont été après que la commission mixte paritaire eut abouti à un accord.
Cela posé, on pourrait en déduire que tout amendement est possible. En effet, s'il existait un doute sur la recevabilité des amendements, doute que le Conseil constitutionnel a levé, ce n'était que dans l'hypothèse d'un échec de la commission mixte car l'article 45 est muet à ce sujet. En revanche, lorsque la commission mixte a réussi, il ne fait aucun doute, puisque l'alinéa 3 de l'article 45 le prévoit expressément, que les amendements sont possibles, sous la seule réserve qu'ils bénéficient de l'accord du Gouvernement, lequel va de soi lorsqu'il les dépose lui-même.
Mais une telle conclusion serait controuvée.
En premier lieu, il est tout à fait clair que les amendements ne sont pas tous de même nature et qu'on ne saurait confondre ceux qui ont pour objet de modifier le texte en discussion et ceux qui ont pour objet d'y introduire des dispositions nouvelles. Certes, la Constitution, dans son article 44, n'opère pas cette distinction.
Mais c'est tout simplement parce que le problème posé n'est pas de ceux qu'il appartient à la norme suprême de traiter. En revanche, il n'est que de se référer par exemple à l'article 42 de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 pour constater qu'un texte de valeur constitutionnelle opère clairement cette distinction nécessaire entre article additionnel et amendement ordinaire.
C'est à la lumière de cette distinction que doit s'interpréter le troisième alinéa de l'article 45 de la Constitution.
Que le Gouvernement ait la possibilité de déposer ou d'accepter des amendements au texte élaboré par la commission mixte est une nécessité dès lors qu'il ne siège pas au sein de cette commission et n'a pas la possibilité de s'y faire entendre. Au cas, improbable mais possible, où la commission dénaturerait le texte souhaité par le Gouvernement, ou plus simplement adopterait des rédactions contraires à ce qu'il estime nécessaire, il est à la fois logique et indispensable qu'il puisse demander aux assemblées de modifier le texte.
S'agissant en revanche des articles additionnels, ils ont pour objet non plus de revenir à la rédaction souhaitée par le Gouvernement, mais de faire intervenir le législateur sur des domaines nouveaux. Cela peut se concevoir, même si cela ne va pas sans poser de sérieux problèmes, lorsque la commission mixte paritaire a échoué. Dans ce cas, en effet, d'une part, l'échec atteste d'un désaccord persistant entre les deux assemblées, désaccord auquel l'introduction de dispositions additionnelles peut éventuellement mettre fin. D'autre part, les lectures ultérieures, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat donnent lieu à de véritables débats, pour lesquels le droit d'amendement n'est nullement limité.
Lorsque, à l'inverse, la commission mixte a abouti à un texte, il n'y a plus de véritable débat. Seuls sont recevables les amendements déposés ou acceptés par le Gouvernement et chaque assemblée, après les avoir adoptés ou rejetés, se prononce par un vote unique sur l'ensemble.
Si donc on admettait que fussent introduits à cette occasion des articles additionnels, cela signifierait que le Gouvernement, et lui seul, bénéficierait d'un privilège exorbitant, au-delà de celui qu'a entendu lui donner l'article 45, alinéa 3. Il lui serait loisible en effet, lors même que les représentants des deux chambres sont parvenus à un accord, d'introduire des dispositions totalement nouvelles, qui ne pourraient ne faire l'objet au minimum que d'une lecture dans chaque assemblée et au maximum d'une lecture supplémentaire à l'Assemblée nationale pour statuer définitivement, et cela, de plus, sans que les parlementaires puissent exercer pleinement leur droit d'amendement, ni même ne puissent sous-amender les articles additionnels ainsi introduits.
Cela est manifestement contraire à la lettre comme à l'esprit de l'article 45. En permettant que des articles additionnels soient introduits après l'échec d'une commission mixte, le risque est déjà grave de voir un gouvernement greffer de manière subreptice et tardive des dispositions nouvelles dans un texte dont l'examen est quasiment achevé. Au moins demeurent de véritables possibilités de discussion même si elles sont limitées. Si l'on admettait qu'il puisse en aller de même lorsque la commission mixte a réussi, cela priverait la procédure législative, telle qu'elle est définie par l'article 45, de toute substance. En outre, le bicaméralisme y perdrait aussi l'essentiel de son sens puisque le rejet d'une disposition par le Sénat ne serait pas suivi d'un échange entre les deux assemblées mais d'une décision définitive immédiatement prise par les seuls députés.
Ne peut donc être considérée comme conforme à la Constitution l'introduction d'articles additionnels lors des lectures portant sur un texte adopté en commission mixte paritaire. C'est pourquoi devront être déclarés non conformes les articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B et 23 bis C de la loi qui vous est déférée.
II. : Subsidiairement, si, par impossible, il en allait autrement, il resterait qu'en toute hypothèse les articles 4 bis et 6 bis devraient de toute façon être déclarés non conformes à la Constitution.
Ceux-ci résultent en effet d'amendements déposés postérieurement à la réunion et à la réussite de la commission mixte paritaire. Mais ils ont cette particularité de ne pas constituer des dispositions nouvelles, mais d'amender, en fait comme en droit, les articles 4 et 6 de la loi, ce que d'ailleurs les exposés des motifs des deux amendements reconnaissent benoîtement, de manière particulièrement claire dans le cas de l'amendement n° 18.
Or les deux articles concernés, adoptés en termes identiques par les deux assemblées dès la première lecture, ne pouvaient évidemment plus être modifiés. Conformément à l'article 45, seuls font l'objet des discussions ultérieures les « dispositions restant en discussion », celles qui, « par suite d'un désaccord entre les deux assemblées » n'ont pu être adoptées.
Certes, il peut se produire qu'une erreur soit décelée tardivement et qu'il soit utile d'y remédier avant la promulgation pour éviter d'avoir à revenir ultérieurement devant le Parlement. Mais des procédures particulières l'ont prévu, soit dans les règlements des assemblées soit dans la Constitution elle-même.
Dans les règlements des assemblées, il s'agit des dispositions relatives à la seconde délibération (art 118, alinéas 3 et 4, à l'Assemblée nationale, art 43 au Sénat). Dans l'une et l'autre assemblée, cette seconde délibération ne peut être refusée lorsqu'elle émane du Gouvernement. Cette possibilité est néanmoins soumise à un délai. Il faut qu'elle soit utilisée avant le vote sur l'ensemble de sorte qu'une fois celui-ci intervenu, il ne soit plus possible d'en remettre en cause les acquis, faute de quoi la procédure législative perdrait tout sens.
Au cas, pourtant, où le Gouvernement serait particulièrement lent à découvrir une difficulté, la Constitution elle-même a eu la sagesse de prévoir un recours : il est en effet loisible au Premier ministre notamment, contresignataire d'une telle décision, de demander au Président de la République d'user du pouvoir qu'il tient de l'article 10, alinéa 2, de la Constitution, de demander une nouvelle délibération des articles concernés.
Constitution et règlements ont donc prévu toutes les dispositions nécessaires pour éventuellement remettre en cause ce qui a été adopté en termes identiques par les deux assemblées. Ces dispositions existent, mais n'existent que celles-là Elles sont exclusives de toutes autres : ce que les deux assemblées du Parlement ont adopté en termes identiques ne peut plus être remis en question que par les assemblées elles-mêmes à la demande du Président de la République.
Aussi est-ce manifestement en violation des articles 10, alinéa 2, et 45 de la Constitution qu'ont été adoptés les articles 4 bis et 6 bis de la loi déférée.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les articles 4 bis, 6 bis, 11 bis A, 16 bis 1, 23 bis B et 23 bis C de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.