Contenu associé

Décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986 - Saisine par 60 députés

Loi relative à la liberté de communication
Non conformité partielle

Monsieur le président,
Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi relative à la liberté de communication tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement.
Ce texte, qui comporte plus d'une centaine d'articles, pose un nombre considérable de problèmes dont tous n'ont ni la même portée ni la même difficulté. C'est la raison pour laquelle, afin de donner à l'argumentation la clarté nécessaire, la présente saisine portera en premier lieu sur quatre aspects fondamentaux de la loi, Commission nationale de la communication et des libertés, autorisations en matière audiovisuelle, transfert de TF 1 au secteur privé, pluralisme de la communication, avant d'envisager isolément un certain nombre de dispositions particulières (1).
(1) Les articles mentionnés dans la saisine le seront sous le numéro qu'ils portaient lors de leur adoption en première lecture par le Sénat.
I : Sur la Commission nationale de la communication et des libertés
Dans sa décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, le Conseil constitutionnel a relevé, à propos de la communication audiovisuelle, qu'il « appartient au législateur de concilier l'exercice de la liberté de communication avec les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels auquel ces modes de communication, par leur influence considérable, sont susceptibles de porter atteinte ».
Pour respecter ces principes et les mettre en uvre, il ne fait guère de doute que les personnes physiques et morales intervenant dans la communication audiovisuelle ne doivent pas être soumises aux pressions que le pouvoir politique pourrait être tenté d'exercer sur elles à des fins partisanes.
De là est née l'idée d'une instance impartiale dont l'indépendance même garantirait celle des acteurs de la communication audiovisuelle.
Ainsi, l'évolution des sciences et des techniques, l'influence considérable des moyens de communication audiovisuelle, les errements passés de gouvernements les utilisant à des fins de propagande conduisent à considérer que la mise en uvre moderne de la liberté de communication proclamée par l'article 11 de la Déclaration de 1789 suppose l'existence d'une instance indépendante à laquelle est confiée la mission de veiller constamment au respect des principes constitutionnels et de prendre les décisions nécessaires.
Aussi n'est-il pas excessif de considérer comme résultant d'une exigence constitutionnelle non seulement l'existence d'une telle institution, mais également son indépendance.
Or, si la loi déférée maintient une telle instance, elle porte gravement atteinte à son indépendance.
Il ne s'agit nullement de contester le droit qu'a le législateur de modifier la dénomination de cette instance, de changer sa composition ou encore de redéfinir ses attributions. Le Parlement, sur tous ces points, a fait ses choix et ils ne sont pas constitutionnellement discutables dans leur principe.
Il n'en va pas de même, en revanche, de la fin prématurée du mandat des membres de la Haute Autorité.
Quelle serait en effet l'indépendance réelle de toute institution dont les membres, nonobstant la durée que la loi donne à leur mandat, sont remplacés en vertu d'une loi nouvelle dont l'adoption fait suite à l'alternance politique ?
Quelle peut être l'indépendance d'une instance dont, ainsi, le sort des membres est lié à la stabilité d'une coalition électorale ?
Il est clair que cette indépendance est en fait réduite à néant, quelles que puissent être les qualités personnelles des membres appelés à siéger dans l'instance renouvelée.
Cela ne signifie nullement l'impossibilité pour le législateur de modifier les règles de composition d'un tel organisme, d'en porter les membres de neuf à treize ou de confier à d'autres le soin de les désigner. Aussi bien n'est-ce pas l'article 4 qui est ici contesté mais plutôt les articles 92 et 94.
Cela signifie seulement que le législateur, dès lors que l'instance concernée joue un rôle éminent dans le domaine des libertés publiques, doit prévoir un mécanisme permettant aux membres nommés d'achever normalement leur mandat. Ainsi, en l'espèce, la loi pouvait-elle décider que quatre membres supplémentaires seraient immédiatement adjoints à ceux qui composent la Haute Autorité et que les autres membres seraient nommés, par les nouvelles instances compétentes, au fur et à mesure que seraient venus à leur terme les mandats des membres actuels.
Mais elle ne pouvait, sans méconnaître une exigence de valeur constitutionnelle, créer un précédent grave en abrégeant le mandat de personnalités dont la vocation principale doit être l'indépendance, s'agissant d'une instance dont l'activité touche à l'exercice des libertés publiques. C'est d'ailleurs ce que le Conseil constitutionnel, sur un autre sujet, a admis implicitement mais clairement dans sa décision des 25 et 26 juin 1986.
Les dispositions relatives à la Commission encourent donc la censure, sauf à ce que le Conseil constitutionnel, ce qui permettrait de ne pas faire obstacle au nouveau système, décide de ne déclarer non conformes que l'article 92, les deux premiers alinéas de l'article 94 et, dans le troisième alinéa, les termes « auxquels correspond un mandat de cinq ans ensuite. » II. : Sur les autorisations d'utilisation des fréquences hertziennes
Les fréquences hertziennes disponibles sont un bien limité. C'est à ce titre que leur utilisation ne peut être purement et simplement laissée à la volonté de qui s'en saisit.
S'agissant de la radiodiffusion, l'espace nécessaire à l'émission, joint au caractère local que la loi a donné aux autorisations, permet qu'existent de très nombreuses radios privées locales.
Tout autre est le problème posé par la télévision hertzienne.
Son impact, en premier lieu, est sans commune mesure avec celui de la radio. Le seuil de rentabilité des équipements nécessaires, infiniment plus coûteux que dans le cas de la radio, est beaucoup plus élevé, ce qui, en deuxième lieu, suppose que l'audience potentielle soit plus large et que soit réduit d'autant le nombre des autorisations susceptibles d'être consenties.
C'est à ce double titre au moins que le Conseil constitutionnel, dans sa décision précitée du 27 juillet 1982, a reconnu que la télévision, faute de l'encadrement législatif approprié, pouvait être de nature à porter atteinte à des principes de valeur constitutionnelle.
C'est à ce double titre aussi que les auteurs du projet qui allait devenir la loi du 29 juillet 1982 avaient entendu formaliser le caractère particulier de ce bien en créant un domaine public hertzien.
Il ne s'agissait là, ni plus ni moins, que d'adapter au développement des sciences et des techniques les solutions les plus éprouvées par l'histoire. Le domaine public terrestre et fluvial était apparu avec la double volonté de limiter la propriété féodale et d'assurer les moyens de ce qui devait devenir la liberté d'aller et de venir. Ce domaine public est ensuite devenu maritime et aérien, au fur et à mesure que s'opérait la conquête des mers et de l'air, pour éviter que leur appropriation privée ne les livrât aux mains de ceux qui s'en empareraient les premiers. A bien y réfléchir, la comparaison n'aurait rien d'abusif entre routes hertziennes et routes terrestres.
Dès 1982, avec la renonciation au monopole public qui avait jusqu'alors évité que le problème fût posé, l'idée de domaine public hertzien s'est imposée d'elle-même. Toutefois, au cours de la discussion parlementaire, les difficultés pratiques et juridiques consécutives à ce choix sont apparues telles que le législateur a finalement décidé d'y renoncer.
Mais il ne l'a fait que parce qu'il existait une autre solution jugée meilleure et plus facilement utilisable : celle de la concession de service public.
Au nom de celle-ci, la télévision hertzienne pouvait être confiée à des entreprises privées, et l'a effectivement été, sans pour autant que soient méconnues les exigences particulières qui s'attachent à la nature même de ce mode de communication.
La concession permet, en effet, tout en substituant la notion de service public à celle de domaine public, de maintenir l'impératif d'intérêt général. De plus, elle offrait la possibilité que soient créées des chaînes privées, dans le cadre d'un contrat définissant clairement leurs obligations, au nombre desquelles figure, par nature même, le respect des principes de continuité, de mutabilité et d'égalité qui caractérisent le service public.
De la sorte, ce système était, par essence, respectueux du pluralisme dont aucun concessionnaire ne pouvait s'affranchir sans méconnaître ses obligations de service public. Il ne présentait en revanche aucune incompatibilité de principe avec les objectifs légitimes de transparence et de compétition entre candidats à la concession. Ainsi étaient concurremment poursuivis et atteints les objectifs de développement de la télévision et de défense de l'intérêt général.
Il n'en va pas de même, il s'en faut de beaucoup, avec la loi déférée.
Celle-ci non seulement ne recourt pas à la notion de domaine public, mais supprime celle actuellement en vigueur de service public.
De ce fait, les fréquences hertziennes utilisables pour la télévision sont traitées exactement comme le serait n'importe quel autre moyen de communication. De deux choses l'une pourtant : ou bien la télévision hertzienne constitue effectivement un moyen de communication comme un autre, et l'autorisation préalable ne se justifie pas plus pour lui que pour la presse écrite, ou bien la télévision n'est pas un moyen de communication comme les autres, du fait du caractère limité des fréquences, et le traitement particulier qu'elle appelle doit tenir compte de ses éléments propres.
Dès lors que les fréquences hertziennes constituent un bien fini et limité, dès lors que l'usage de ce bien fini et limité intéresse au plus haut point l'exercice des libertés publiques, il en résulte soit que ce bien appartient au domaine public, soit que la télévision constitue un service public national dont la nécessité découle de principes et de règles de valeur constitutionnelle.
Cela bien sûr ne signifie nullement, ni dans un cas ni dans l'autre, que le législateur serait dans l'incapacité de décider souverainement de confier une partie de ce service à des entreprises privées. Cela ne fait pas même obstacle forcément à ce qu'une entreprise publique fasse l'objet d'un transfert au secteur privé.
Cela signifie seulement que l'activité concernée, elle, ne peut pas être transférée au secteur privé.
On en veut d'ailleurs pour preuve que, dans la loi de 1982 comme dans l'absolu, ce qui vaut pour la télévision hertzienne ne vaut pas pour la télévision par câble.
Le recours à cette dernière technique n'est en effet ni fini ni limité. La création de réseaux ne dépend, comme pour le téléphone, que de l'installation des câbles et des prises de branchement. De ce fait, et n'était-ce la nécessité pour ces câbles d'emprunter le domaine public, il n'y aurait rien d'anormal à ce que la télévision par câble soit soumise au même type de traitement que celui qui s'applique à la presse écrite : liberté absolue sous réserve de répondre des abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi et de respecter les nécessités du pluralisme.
C'est pour la même raison, le caractère fini et limité dans un cas et son absence dans les autres, que la télévision hertzienne est un service public national quand la télévision câblée et la presse écrite n'en sont pas.
Aussi est-ce pour avoir méconnu cette évidence, pour avoir permis que ce qui appartient par nature au service public cesse d'être assujetti à l'intérêt général, que les articles 27, 31, 32, 34 et 35 de la loi déférée, ainsi que ceux qui en sont la conséquence nécessaire, ne pourront, sur ce point aussi, qu'être déclarés non conformes à la Constitution.
III. : Sur le transfert au secteur privé de la Société TF 1
En ce qui concerne le principe d'un tel transfert, une société nationale peut faire l'objet d'un transfert au secteur privé comme l'a expressément prévu l'article 34 de la Constitution. Mais cette possibilité ne concerne pas toute société, pas plus qu'elle ne peut intervenir dans n'importe quelles conditions.
Le préambule de la Constitution de 1946, en premier lieu, exige que devienne la propriété de la collectivité, et a fortiori le demeure, tout bien ou entreprise dont l'exploitation a les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait.
Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs pas manqué de le rappeler dans sa décision précitée des 25 et 26 juin 1986. Dans la même décision, cependant, le Conseil a considéré que cela « laisse au législateur l'appréciation de l'opportunité des transferts du secteur public au secteur privé des biens ou des entreprises sur lesquels ces transferts doivent porter ».
Il en résulte donc que le législateur est fondé à décider un tel transfert à la seule condition que ce soit dans le « respect des principes et des règles de valeur constitutionnelle qui s'imposent à tous les organes de l'Etat ».
Ces règles et ces principes ont été méconnus.
En premier lieu, les remarques qui précèdent concernant la concession de service public valent également pour la privatisation de TF 1
Si l'on peut admettre que le législateur dispose du droit de transférer une société nationale de télévision au secteur privé, encore faut-il que continuent de s'appliquer à la chaîne les impératifs d'intérêt général dont on a démontré qu'ils étaient consubstantiels à la notion même de télévision hertzienne. Les règles qui doivent s'appliquer à toute télévision privée doivent s'appliquer tout autant à une télévision privatisée.
C'est pourquoi la privatisation de TF 1, opérée hors le cadre de la concession de service public, doit, à ce titre, être déclarée non conforme à la Constitution, à tout le moins par voie de conséquence.
En deuxième lieu, on ne peut admettre, au regard des exigences du pluralisme, l'acquisition de TF 1 par un unique groupe d'acquéreurs.
Première chaîne française de télévision, TF 1 a acquis dans son histoire une expérience, un savoir faire et des moyens, qui lui donnent une audience considérable. Elle dispose en outre d'un réseau couvrant l'ensemble du territoire national et bénéficie de son ancrage profond dans les habitudes des Français.
A priori on pourrait considérer que tous ces éléments ont pour seule conséquence, à condition de pouvoir les quantifier, de renchérir le prix auquel la cession pourrait être opérée. Et ce serait vrai s'il s'agissait d'une entreprise industrielle ou commerciale comme une autre. Tel n'est manifestement pas le cas.
Parce qu'elle opère dans le domaine télévisuel, qui intéresse au plus haut point les libertés publiques, parce qu'elle appartient au secteur de la communication, qui exige le pluralisme, elle ne peut être considérée comme le serait une autre entreprise.
Or, au regard de l'exigence du pluralisme, il importe de rappeler qu'en matière de presse écrite le législateur de 1984 a limité à 25 p 100 de la diffusion le plafond maximum de la concentration entre les mêmes mains. Il a été proposé de porter ce seuil à 30 p 100 dans un article de loi que le Conseil constitutionnel, pour d'autres raisons, a déclaré non conforme à la Constitution.
Pourtant, avec la loi adoptée, ce serait 40 p 100 de l'audience actuelle de la télévision qui d'un seul coup se trouveraient, par décision de la loi, remis entre les mains d'un unique groupe de repreneurs.
Il est pourtant manifeste que l'audience est à la télévision ce que la diffusion est la presse écrite, avec cela d'aggravant que nul ne conteste l'impact accru qu'a le premier mode de communication sur le second.
Comment justifier alors que le niveau de concentration jugé inacceptable pour la presse écrite soit considéré comme tolérable pour la télévision, alors surtout que cette audience ne procède en rien du mérite ou du talent des repreneurs mais seulement d'une position acquise.
On pourrait certes objecter qu'entrer dans cette logique aurait pour conséquence soit d'interdire le transfert d'une chaîne publique au secteur privé, soit d'obliger à la démanteler au préalable. Mais une telle conclusion serait erronée. L'exigence du pluralisme a pour seule conséquence en l'occurrence d'interdire que l'ensemble de la chaîne soit cédé à un groupe unique.
Quant à l'idée selon laquelle le fait qu'il s'agisse justement d'un groupe, et non d'une seule personne physique ou morale, suffirait à assurer le pluralisme, elle mérite à peine qu'on s'y arrête, tant il est certain que l'existence de deux partenaires ne saurait suffire à garantir le pluralisme.
La seule solution constitutionnellement acceptable consistait donc à prescrire une plus large diffusion des actions de TF 1 que celle qui en remet 50 p 100 à un seul groupe.
Il en va d'autant plus ainsi, par ailleurs, qu'en admettant même que la seule logique des seuils de concentration ne suffise pas à disqualifier le système retenu, il est une autre raison de le censurer.
En troisième lieu, c'est au regard des principes relatifs à la concurrence qu'on ne peut non plus admettre la reprise de TF 1 par un groupe unique.
Le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 a pour objet implicite mais nécessaire de donner valeur constitutionnelle au principe de concurrence entre les activités privées. Seule, d'une part, la collectivité peut détenir des monopoles, et si, d'autre part, obligation lui est faite de devenir propriétaire de ceux qui se créeraient, c'est bien pour éviter que puissent exister dans le secteur privé des domaines échappant à la concurrence.
C'est d'ailleurs à ce titre que le législateur, s'il n'entend évidemment pas interdire les positions dominantes, en sanctionne les abus.
Sans doute est-ce un fait sans précédent que celui consistant pour la loi non pas à limiter mais à créer une position dominante. C'est ce que fait le texte déféré.
TF 1 privatisée se trouvera certes en concurrence avec Antenne 2 et FR 3 d'un côté, avec les autres sociétés privées de l'autre.
Mais en ce qui concerne les premières, la concurrence sera naturellement faussée par le fait que pèsent sur elles les obligations et sujétions particulières liées à leur caractère public.
Certes, elles bénéficient en contrepartie des produits de la redevance, mais il est loin d'être acquis que celle-ci suffise à compenser les recettes publicitaires auxquelles leurs obligations les conduisent à renoncer et dont le montant, en outre, est désormais plafonné plus rigoureusement.
Quant aux autres sociétés privées, plusieurs ont vocation à être des chaînes nationales. Mais il ne s'agit là que d'une vocation.
Outre qu'elles ne peuvent pas encore techniquement couvrir tout le territoire, elles risquent de ne le pas pouvoir commercialement non plus compte tenu notament de la situation qui serait créée par l'entrée en vigueur de la loi.
Une chose est de partir à la conquête d'un secteur demeuré totalement vierge, celui des télévisions privées ; autre chose est d'engager cette même conquête lorsque le terrain se trouve massivement occupé par une télévision existante, puissante, diffusant sur l'ensemble du territoire dans d'excellentes conditions.
Les télévisions publiques ont la puissance et les contraintes. Les télévisions privées ont nettement moins de contraintes et nettement moins de puissance. TF 1 privatisée aura seule à la fois la puissance et l'absence de contraintes, et cela, répétons-le, au profit d'un seul groupe de repreneurs.
En quatrième lieu les conditions de vente appellent également la critique.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision des 25 et 26 juin 1986, a considéré que le droit de propriété concernait la propriété publique autant que la propriété privée et en a légitimement déduit qu'une entreprise publique ne pouvait être cédée à un prix inférieur à sa valeur.
On ne fera pas à la loi le procès de brader les intérêts financiers de l'Etat. Mais il convient d'observer que dans la dicision précitée le Conseil a considéré que les droits patrimoniaux de l'Etat avaient une double source : l'article 17 de la Déclaration de 1789, mais aussi le principe d'égalité.
Au regard du premier, le dispositif, sous réserve qu'il soit correctement appliqué, n'est pas contesté. Il n'en va pas de même au regard du second.
En effet, le prix a une double signification : reçu par l'Etat, il doit être la contrevaleur de ce qu'il cède ; versé par l'acheteur il doit être la représentation de ce qu'il acquiert.
L'Etat, ici, devrait normalement recevoir de l'ensemble des acquéreurs ce qui doit lui revenir.
Le groupe de repreneurs, en revanche, obtiendra infiniment plus que ce pour quoi il aura payé. Sous couleur de « rendre TF 1 » au public, c'est en réalité un somptueux cadeau qui sera fait aux acquéreurs puisque ceux-ci, en ne versant que 50 p 100 du prix de la société, sont assurés de bénéficier de 100 p 100 du pouvoir au sein de celle-ci.
Les actions réservées aux salariés peuvent se justifier par la notion d'intéressement, laquelle peut être considérée comme découlant du principe constitutionnel de participation.
Mais sous cette réserve, en réalité, l'opération qui consiste à céder 50 p 100 de la société au groupe de repreneurs et 40 p 100 au public serait plus justement qualifiée en considérant que, sous réserve qu'il soit procédé à une augmentation de capital les conduisant à renoncer à la moitié des bénéfices, les acquéreurs peuvent acheter TF 1 à moitié prix. Car c'est bien à cela que revient l'opération envisagée. Or, il est certain que les bénéfices futurs ne sont certainement pas le seul attrait qu'il y a à s'emparer d'une telle société.
Une fois acquise dans ces conditions la propriété de 50 p 100 du capital, ceux qui les détiendraient seraient dans une situation inexpugnable. Seuls réellement investis de tous les pouvoirs, nul ne pourrait les leur contester, nul n'en pourrait créer ou acquérir d'équivalents, nul ne pourrait les contraindre à la vente.
Quels que soient donc ceux qui seraient choisis pour cette reprise, ils bénéficieraient d'un privilège exorbitant non seulement au regard du pluralisme, non seulement au regard de la concurrence, mais également, et ce n'est pas le moins surprenant, au regard du prix effectivement payé pour obtenir tout cela.
Ainsi l'égalité entre les citoyens sera-t-elle rompue, et définitivement, au profit de ceux qui seront choisis comme repreneurs.
A cela on pourrait être tenté d'objecter qu'il peut en aller ainsi pour tout transfert au secteur privé, que celui qui acquiert suffisamment d'actions peut disposer seul de la totalité du pouvoir.
Mais une telle objection ne serait pas fondée.
D'une part celui qui, dans une autre entreprise, est le plus gros porteur de parts ou même acquiert une minorité de blocage, peut toujours craindre qu'un autre, par des voies diverses, devienne plus gros porteur, voir actionnaire majoritaire. Contre ce risque les repreneurs de TF 1 seraient législativement prémunis.
D'autre part et surtout, l'acquisition d'une fraction importante du capital d'une entreprise privatisée résultera en principe d'une compétition ouverte, dont les résultats sont susceptibles d'être à tout moment remis en cause, et pour des entreprises qui ne concernent en rien les libertés publiques.
C'est exactement le contraire en l'espèce. Les libertés publiques sont en cause. La décision rapide d'une commission, quelle que puisse être la qualité de ceux qui la composeront, tiendra lieu de compétition ouverte. Son choix sera irrévocable en fait.
Ce sont là quelques-unes des raisons pour lesquelles la comparaison entre le cas de TF 1 et celui des autres sociétés dont vient d'être décidé le transfert au secteur privé serait sans pertinence.
Enfin, il n'est pas indifférent de relever que la chronologie des opérations pourrait même conduire à ce que l'Etat soit lésé dans ses droits.
Si, en effet, la mise sur le marché de 40 p 100 des actions ne remportait pas le succès escompté, pour quelque raison que ce soit, l'Etat serait contraint de conserver les actions invendues. De la sorte, il disposerait certes des droits proportionnels à dividendes, mais la collectivité aurait perdu tout pouvoir dans la société, sans pour autant recevoir l'intégralité du prix que légitime une telle cession.
A tous égards donc, et de quelque côté qu'on aborde la question, le transfert au secteur privé de la propriété de TF 1 ne peut constitutionnellement être opéré dans les conditions décidées par la loi.
Il n'eût été possible que si, à tout le moins, il avait respecté les règles spécifiques qui s'imposent à la télévision hertzienne, avait fait l'objet d'un appel au marché ou à une pluralité de repreneurs, avait porté sur la quasi-totalité du capital.
Faute d'en avoir décidé ainsi, la loi, pour cet autre motif, devra être déclarée non conforme à la Constitution.
IV. : Sur le pluralisme de la communication
Celui-ci est menacé, pour les raisons précédemment développées, par le transfert de TF1 au secteur privé. On n'y reviendra donc pas.
Au-delà, il n'existe pas actuellement, le problème étant nouveau en France, de définition constitutionnelle précise de ce que le respect du pluralisme permet ou de ce qu'il interdit.
Une première remarque s'impose. Lors du débat parlementaire sur la loi relative à la presse écrite, aux souhaits formulés par les orateurs de l'opposition que soit mis en place un dispositif limitant la concentration, il était systématiquement répondu, tant par les rapporteurs que par le Gouvernement, que la loi relative à la communication audiovisuelle prévoierait une limite à la concentration de caractère multimédia.
Aussi n'est-ce pas sans surprise qu'on peut lire, à la page 299 du rapport de M Péricard, que « l'élaboration d'une législation multimédia est prématurée, et la teneur du projet de loi sur la communication conduit à reporter à un texte spécifique les dispositions sur la presse écrite rendues nécessaires par la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet ».
Cette manière de procéder, qui semble mettre à l'honneur un nouveau genre que l'on pourrait appeler « ping-pong législatif », ne laisse pas d'inquiéter.
Elle doit être analysée à la lumière de trois éléments. Le premier réside dans le rappel légitimement fait par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 juillet qui, en envisageant le « pluralisme de la presse et, plus généralement, des moyens de communication dont la presse est une composante », donne à penser que la limitation multimédia de la concentration est un objectif de valeur constitutionnelle.
Le deuxième élément se trouve dans la décision n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984 d'où il résulte que la constitutionnalité de dispositions limitant les concentrations était subordonnée à ce que leur application ne concernât que des situations apparues postérieurement à la publication de la loi.
Le troisième élément, enfin, résulte de la loi elle-même qui serait naturellement applicable dès sa publication.
Conjuguées, ces trois considérations conduisent à la conclusion selon laquelle, lors même que la Constitution exige un dispositif multimédia de protection du pluralisme, il n'interviendrait qu'après qu'auront pu être opérées des concentrations, éventuellement très excessives qui, cependant, ne pourront être ni empêchées a priori, ni remises en cause a posteriori.
Les conséquences de cette abstention du législateur sont donc susceptibles d'être extrêmement graves, de ruiner durablement toute possibilité réelle de défense du pluralisme de la communication, sans qu'il soit besoin pour cela ni de violer les termes de la loi ni même d'en méconnaître l'esprit.
On ne saurait en effet se satisfaire, sur un sujet aussi important, des recommandations particulièrement imprécises faites à la commission compétente de veiller aux conditions de concurrence et de lutter contre les abus de positions dominantes ni de celles, à peine plus précises, du 5 ° de l'article 33.
La loi déférée pèche donc par omission, mais certains de ses articles, en principe consacrés au même sujet, le font aussi par commission.
En ce qui concerne l'article 43
Cet article ne plafonne à 25 p 100 les prises de participation, directes ou indirectes, qu'au sein d'une même société. Ainsi permet-il qu'une personne atteigne ce seuil, qui peut faire d'elle l'actionnaire principal, dans une multitude de sociétés, voire toutes les sociétés desservant l'ensemble du territoire.
Cela est d'autant plus vrai que, s'appliquant à une hypothèse distincte, l'article 45 ne pourrait faire obstacle à une telle prise de contrôle.
En ce qui concerne l'article 45
Revenant sur le texte adopté par le Sénat, l'Assemblée nationale a supprimé le plafond d'audience au-delà duquel le titulaire d'une autorisation pour la télévision hertzienne ne pouvait en obtenir une autre.
Cela résulte du texte de l'article 45. Si une ambiguïté pouvait subsister quant à la portée des termes « sous la même réserve », elle a été levée par les travaux préparatoires. Cette réserve ne concerne que la loi du 19 juillet 1977 et non le plafond de 15 millions d'habitants.
Ainsi sera-t-il possible à un opérateur, à condition de créer (ou surtout d'acquérir) des chaînes dans des zones différentes, de disposer en fait d'une couverture nationale.
De plus, le réseau national de fait ainsi mis en place ou acquis ne pouvant, juridiquement, entrer dans le champ d'application de l'article 43, il pourra avoir un propriétaire unique, ce qui réduit à néant, dans ce cas, le plafond prévu par cet article.
Outre que l'on peut s'interroger sur la cohérence qu'il y a à disposer une limite à l'article 43, quand l'article 45 permet d'y échapper, il importe de relever que la personne qui souhaiterait atteindre le résultat ainsi décrit, disposer seule d'un réseau national (ce qui d'ailleurs ne lui interdirait pas, comme on l'a démontré, d'être par ailleurs détentrice de 25 p 100 du capital de toutes les autres sociétés desservant l'ensemble du territoire), n'aurait aucune autorisation d'aucune sorte à demander à qui que ce soit, de même qu'aucune autorité ne disposerait du pouvoir de faire obstacle à une telle opération.
Ainsi, les dispositions qui figurent dans la loi sont-elles tantôt insuffisantes, tantôt inopérantes. Non seulement elles n'apportent , à la concentration au sein du secteur audiovisuel, que des limites notoirement inappropriées à l'objectif constitutionnel de pluralisme, mais encore elles laissent le champ libre aux concentrations les plus abusives de caractère multimédia, dont les risques sont d'ailleurs d'autant plus grands qu'elles ne mettent rigoureusement aucun obstacle à ce que se constituent des monopoles régionaux absolus.
Dans ces conditions, les dispositions des articles en cause seront déclarées non conformes à la Constitution. Aussi appartiendra-t-il au Conseil constitutionnel de décider si elles sont inséparables de la loi elle-même ou si leur déclaration de non-conformité doit seulement conduire à déclarer non conforme par voie de conséquence l'abrogation des dispositions existantes de la loi du 29 juillet 1982.
V : Sur les autres dispositions de la loi
Indépendamment des quatre séries de questions précédemment posées, la loi contient d'autres dispositions qui, pour être moins fondamentales, n'en sont pas moins inconstitutionnelles.
En ce qui concerne l'article 5
Le premier alinéa de cet article dispose que les fonctions de membre de la commission sont incompatibles notamment avec tout mandat électif et tout emploi public.
Le principe de ces incompatibilités, s'il est sain au fond, méconnaît cependant une exigence que le Conseil constitutionnel a rappelé à deux occasions au moins, dans les termes les plus nets, par ses décisions n° 71-46 DC du 20 janvier 1972 et n° 84-177 DC du 30 août 1984 : exigence selon laquelle les incompatibilités applicables aux ministres et parlementaires résultent de la Constitution ou d'une loi organique, mais non d'une loi ordinaire.
Dans ces conditions, sans qu'il s'agisse ici de mettre en cause le principe d'incompatibilités si évidentes qu'il est probable que les autorités de nomination ne pourront que les respecter spontanément, les termes « tout mandat électif » au moins, tels qu'ils figurent dans le premier alinéa de l'article 5, devront être déclarés non conformes à la Constitution.
Il devra en aller de même de la mention des mandats électifs au quatrième alinéa de l'article.
En ce qui concerne l'article 6
Le premier alinéa de cet article, qui fait référence aux articles 24 et 38, attribue un caractère réglementaire à certaines décisions de la commission. Or, l'article 21 de la Constitution, sous la seule réserve de son article 13, confie au Premier ministre le monopole du pouvoir réglementaire.
Le système mis en place par la disposition contestée a pour effet de ne donner au Premier ministre que le pouvoir de demander une seconde délibération sur des décisions que la loi qualifie de réglementaires.
Certes, on peut supposer que le législateur, par ce qualificatif, a seulement entendu opposer des décisions de portée générale à d'autres décisions qui n'ont qu'un caractère individuel. Mais il reste, ce faisant, que cela crée un précédent extrêmement dangereux au regard des attributions que la Constitution confie au Premier ministre.
Il n'est d'ailleurs pas indifférent de noter que le législateur de 1982, plus circonspect, s'était borné à évoquer les actes, décisions et recommandations de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle sans jamais tenter de leur attribuer un caractère réglementaire.
Et cela est d'autant moins explicable ici qu'il eût suffi de ne mentionner que le deuxième alinéa de l'article 24, avec le deuxième alinéa de l'article 38, sans qu'il soit besoin de faire référence aux caractères de ces décisions.
De deux choses l'une alors : ou bien les décisions en question appartiennent effectivement au pouvoir réglementaire et le Premier ministre ne peut en être privé, et ce sont les articles 6, alinéa 1, 24, 31 et 38, alinéa 2, qui doivent être déclarés non conformes pour des raisons de compétence ; ou bien il en va autrement et ce sont les termes « qui présentent un caractère réglementaire » qui devraient l'être pour des raisons de forme, car, hormis les hypothèses particulières de l'article 13 de la Constitution, ne peuvent être considérées comme ayant un tel caractère des décisions prises par une autorité autre que le chef du Gouvernement.
Il reste, si cette seconde solution devait être retenue, que la déclaration de non-conformité qui ne toucherait que les termes « qui présentent un caractère réglementaire » aurait pour effet de permettre au Premier ministre de demander aussi une nouvelle délibération sur les autorisations d'usage des fréquences (art 24, alinéa 1), ce qui n'était certainement pas dans les intentions du législateur.
En ce qui concerne l'article 12
Le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion est un impératif dont le caractère constitutionnel ne saurait être mis en doute, surtout s'agissant de supports techniques dont, pour reprendre les termes mêmes du Conseil constitutionnel, l'influence est considérable.
Dans ces conditions, l'article 12 qui limite cette obligation aux seules sociétés nationales de programme méconnaît une exigence de caractère constitutionnel. Certes, on pourrait admettre que le pluralisme ne soit pas imposé avec la même rigueur à tous les titulaires d'une autorisation, quelle soit télévisuelle ou radiophonique. Mais il importe de relever que là où le respect du pluralisme des courants de pensée est une obligation légale pour les sociétés nationales, ce qui est bien normal, il dépend de la seule volonté de la commission, conformément à l'article 32, de l'imposer aux autres sociétés, ce qui est nettement moins normal.
De ce fait, le respect du pluralisme des courants de pensée et d'opinion ne pourrait être assuré en toute hypothèse si la loi n'en faisait une obligation que pour les seules sociétés nationales.
C'est la raison pour laquelle l'adjectif « nationales », qui figure au premier alinéa de l'article 12, ne peut qu'être déclaré non conforme à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 13
Le paragraphe II de cet article introduit la publicité émanant des partis et groupements politiques. Ce faisant, il méconnaît gravement les articles 2 et 4 de la Constitution. En effet, les partis et groupements politiques ayant vocation à concourir à l'expression du suffrage doivent le faire dans des conditions d'égalité.
La possibilité de recourir à la publicité télévisée introduit entre eux une inégalité tenant à leur prospérité financière. Or, s'il est vrai que ce type de publicité existe dans de nombreux pays démocratiques, il faut relever qu'il y est légitimé par le fait que ceux-ci ont adopté des règles législatives strictes concernant le financement des organisations politiques (soit par la déclaration et le plafonnement comme aux Etats-Unis, soit par la subvention comme en Espagne), ce qui n'est nullement le cas en France.
Quant à l'argument selon lequel il n'y aurait pas d'inconvénient à étendre à l'audiovisuel ce qui est actuellement autorisé pour la publicité dans la presse écrite, il méconnaîtrait cette évidence qui rend incomparables les coûts d'une publicité imprimée et télévisée.
En ce qui concerne l'article 28
Sous une apparence anodine, le troisième alinéa de cet article est en réalité susceptible d'avoir les plus lourdes conséquences.
En effet, Radio-France dispose actuellement d'un certain nombre de stations décentralisées, fonctionnant dans le cadre du service public, conformément à l'article 50 de la loi du 29 juillet 1982. Ce sont principalement ces stations qu'une décision de la commission pourrait supprimer dès lors qu'elle ne les jugerait plus nécessaires à l'exécution des missions de service public de Radio-France, telles qu'elles sont définies par le cahier des charges.
On relèvera que l'article 50, relatif au cahier des charges, est d'une extrême imprécision et que la loi, ne donnant aucun critère sérieux de la définition des obligations de service public, laisse au Gouvernement le soin d'apprécier discrétionnairement ce qu'elles doivent être.
En outre, et à supposer même que le Gouvernement s'acquitte de cette tâche dans les meilleures conditions, l'appréciation ultime quant à la nécessité de l'existence d'une station publique sera ainsi laissée à la commission. De ce fait, à défaut d'avoir les moyens de les créer, la commission aura effectivement le pouvoir de supprimer des stations publiques décentralisées, c'est-à-dire de mettre fin à un service public.
Or, il ne semble pas qu'il puisse être de la compétence d'une autorité autre que celle de la collectivité publique, nationale ou locale, qui lui a donné naissance, de supprimer un service public. La loi seule pourrait éventuellement le faire. Elle ne saurait en revanche déléguer ce privilège.
C'est pour n'en avoir pas tenu compte que devra être déclaré non conforme à la Constitution le troisième alinéa de l'article 28 de la loi déférée.
En ce qui concerne l'article 32
Dès lors qu'est choisie la voie de l'autorisation, à tout le moins la loi doit-elle déterminer elle-même et avec précision les conditions auxquelles cette autorisation devrait être subordonnée.
Or, les termes de l'article 32, par leur imprécision, aboutissent à une véritable subdélégation à la commission des pouvoirs du Parlement, dans un domaine, celui des libertés publiques, où ils sont pourtant essentiels.
En effet, en laissant à la commission la possibilité de n'imposer que « tout ou partie » des obligations évoquées, le législateur non seulement ne fixe pas véritablement « les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques », mais encore il permet que celles-ci soient méconnues.
Ainsi, par exemple, est-ce l'obligation faite à la Haute Autorité par l'article 14 de la loi du 29 juillet 1982 de veiller au respect du pluralisme et de l'équilibre dans les programmes de tous les services audiovisuels qui lui a permis d'introduire une règle aussi nécessaire que celle dite des trois tiers (un tiers Gouvernement, un tiers majorité, un tiers opposition), qui garantit un minimum réel de pluralisme des temps d'intervention.
Avec la rédaction de l'article 32, une prescription de ce type pourrait ne pas seulement être atténuée ou remplacée ; elle pourrait disparaître.
Dans ces conditions, l'imprécision en la forme et le laxisme au fond qui caractérisent l'article 32 ne permettent pas de le regarder comme conforme ni aux termes de l'article 34 de la Constitution ni aux impérieuses exigences du pluralisme de la communication.
En ce qui concerne les articles 35 et 38
La dernière phrase du premier alinéa de l'article 35 et la première phrase du cinquième alinéa de l'article 38 disposent que les autorisations mentionnées par ces dispositions ne peuvent être délivrées qu'à des sociétés.
Sont de ce fait exclues et les personnes physiques et, surtout, les associations à but non lucratif régies par la loi de 1901. Non seulement cette discrimination est contraire au principe d'égalité mais encore elle écarte, dans un domaine pourtant primordial des libertés publiques, tout but non lucratif.
Ce résultat, choquant en matière de télévision par satellite, est totalement inadmissible en matière de radiodiffusion et de télévision par câbles, qui sont justement ceux où la vocation des associations est la plus certaine.
Ces deux dispositions devront donc être déclarées non conformes à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 60
On est ici en présence d'un intéressant exemple d'entêtement dans l'erreur. A l'initiative d'un parlementaire de la majorité d'alors, une proposition de loi avait été votée, concernant la grève à la radio-télévision et faisant aux agents obligation d'assurer un service normal. Ainsi était créée une catégorie nouvelle, celle de la grève platonique.
Très logiquement, le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 79-105 DC du 25 juillet 1979, avait déclaré non conforme à la Constitution le recours à la notion de service normal, ce qui avait eu pour effet de revenir, implicitement d'abord, explicitement ensuite, à celle, plus conforme au caractère constitutionnel du droit de grève, de service minimum.
L'article 60 du projet de loi reprenait la notion de service minimum. L'amendement 734 de la commission saisie au fond précisait un certain nombre d'éléments tout en conservant la mention du service minimum. L'amendement 960 corrigé de la commission des finances, préféré par le Gouvernement lors de l'engagement de sa responsabilité, est à peu près identique à celui de l'amendement 734, à ce seul détail près qu'a disparu l'adjectif « minimum » accolé au service.
D'une part, l'absence n'a pas la même signification que la suppression. Si l'adjectif « minimum » n'avait jamais été employé, on aurait pu s'interroger sur le service à assurer. Mais puisque cet adjectif figurait et qu'il est supprimé, sans que quiconque songe à juger cette disparition fortuite, cela ne peut que signifier la nécessité d'un service normal.
D'autre part, il importe de savoir, en ce qui concerne les personnels techniques (qui représentent 70 p 100 des effectifs) et les rédactions (dont les programmes d'information font partie du service minimum), que le nombre d'agents dont la présence et le travail sont nécessaires pour assurer la diffusion d'un programme minimum est rigoureusement le même que pour assurer un programme normal.
Il en résulte que la seule matérialité de leur droit de grève se traduit non dans l'absence ou dans la cessation du travail, mais justement dans le fait que n'est diffusé qu'un programme minimum, commun aux diverses chaînes publiques. Supprimer celui-ci revient donc non pas à faire peser sur les personnels des obligations supplémentaires, mais à priver leur droit de grève de toute effectivité et à les priver donc du droit de grève lui-même.
Dès lors, l'article 60 ainsi rédigé encourt exactement les mêmes critiques, aggravées par l'expérience, que celles qui avaient conduit à la non-conformité partielle de 1979. Il encourt donc la même sanction.
En ce qui concerne l'article 85
Pour cet article, comme pour les autres dispositions éventuellement applicables aux territoires d'outre-mer, les députés soussignés n'ont pas eu connaissance de la consultation des assemblées territoriales exigée par l'article 74 de la Constitution.
Aussi appartiendra-t-il au Conseil constitutionnel de rechercher si cette consultation a été opérée dans les délais, formes et conditions requis.
En ce qui concerne l'article 97
Cet article appelle les mêmes critiques que celles formulées à l'encontre de la remise en cause du mandat des membres actuels de la Haute Autorité de la communication audiovisuelle. Mais ces critiques se trouvent encore aggravées par le fait que le jeu combiné des articles 48, 49 et 51 permet qu'il soit prématurément mis fin aux fonctions des présidents et des administrateurs des sociétés nationales, lors même que, pour reprendre les termes employés par le Conseil constitutionnel dans sa décision des 25 et 26 juin 1986, il s'agit indiscutablement d'entreprises dont l'activité touche à l'exercice des libertés publiques.
En ce qui concerne l'article 98
Cet article prévoit les modalités de transformation de Télédiffusion de France en société dont la majorité du capital est détenue par l'Etat et les statuts approuvés par décret.
Au nombre de ces modalités, il en est deux qui appellent la critique constitutionnelle.
La première porte sur la compétence de la loi pour décider qu'une nomination interviendrait par décret en conseil des ministres et l'on se bornera sur ce point à renvoyer à l'argumentation développée sur l'article 49.
La seconde concerne le cinquième alinéa de l'article. D'une part, celui-ci porte expressément atteinte au principe d'inaliénabilité du domaine public. D'autre part, en ne fixant pas de délai à cette opération douteuse, il permet qu'elle intervienne après qu'une partie du capital de la société aura été transférée au secteur privé. De ce fait, ceux qui auront acquis des actions dont le prix aura été calculé sans que ces biens soient pris en compte, ou seulement à titre potentiel, bénéficieront ensuite d'un enrichissement sans cause, rompant l'égalité entre les citoyens, au moment où les biens en question seront incorporés au patrimoine de la société, renchérissant ainsi la valeur des actions qu'ils détiennent.
A ce double titre, les dispositions contestées de l'article 98 seront également déclarées contraires à la Constitution.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conforme à celle-ci la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, Monsieur le président, Messieurs les conseillers, l'expression de notre haute considération.