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Décision n° 86-209 DC du 3 juillet 1986 - Saisine par 60 députés

Loi de finances rectificative pour 1986
Non conformité partielle

Monsieur le président, Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel le texte de la loi de finances rectificative pour 1986 tel qu'il a été définitivement adopté par le Parlement.
La loi déférée appelle une remarque préalable. Il s'agit en effet d'une loi de finances au sens de l'article 2 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances. La question est posée dès lors de savoir si l'examen du projet devait ou non respecter les délais de l'article 47 de la Constitution, car, si tel était le cas, on pourrait considérer que l'engagement de sa responsabilité par le Gouvernement, conduisant à une adoption postérieure au terme de quarante jours, était tardif.
Il semble d'ailleurs que ce soit cette crainte qui l'ai conduit, alors que le débat suivait son cours normal, à en précipiter l'issue.
Le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de relever que ces délais ne concernaient pas les lois de règlement, quoique celles-ci fissent partie des lois de finances selon l'article 2 de l'ordonnance précitée (décision n° 83-61 DC du 19 juillet 1983). En revanche, il n'a pas été appelé à statuer sur leur caractère contraignant à l'égard des lois de finances rectificatives.
Ainsi est-il aujourd'hui avéré que les exigences de l'article 47 peuvent s'appliquer en toute hypothèse à la loi de finances de l'année, tandis qu'elles ne s'appliquent pas à la loi de règlement.
Aux yeux des députés soussignés, les lois de finances rectificatives sont dans une situation intermédiaire.
Les prescriptions particulières relatives à la loi de finances de l'année tiennent à la nécessité absolue d'en obtenir l'adoption ou, à défaut, de disposer d'un substitut, de sorte qu'en toute hypothèse l'Etat puisse prélever les impôts et ordonner une partie au moins des dépenses, lorsque s'ouvre l'exercice budgétaire.
Les lois de finances rectificatives ne présentent pas le même caractère obligatoire. Le Gouvernement n'est pas formellement tenu d'en déposer le projet. Dès lors, il y aurait quelque chose de curieux à considérer, s'il prend finalement la décision de soumettre un texte à l'approbation des députés, que cela fasse ensuite peser sur lui le devoir de poursuivre, d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat, sans qu'à aucun moment, une fois le mécanisme engagé, il ne puisse y renoncer.
Or telle serait bien la conséquence logique d'une assimilation pure et simple entre loi de finances de l'année et loi de finances rectificative. Cela serait d'autant plus surprenant que la notion même de délai n'a de sens qu'autant qu'existe un point de départ déterminé. Or s'il est fixé pour la loi de finances de l'année (art 38 de l'ordonnance précitée), il dépend de la seule volonté du Gouvernement pour la loi de finances rectificative.
A s'en tenir à ces éléments, on pourrait en conclure que les lois de finances rectificatives, tout comme les lois de règlement, ne sont pas concernées par les délais de l'article 47. Mais sans doute cette conclusion serait-elle à son tour excessive.
Il peut se produire des situations, en effet, où l'adoption d'une loi de finances rectificative est rendue indispensable par un changement brutal des conditions d'application de la loi de finances de l'année. En outre, la position peut varier selon qu'il s'agit ou non d'un collectif de fin d'exercice qui doit évidemment être adopté avant le 31 décembre.
Le constituant de 1958 peut avoir eu cette hypothèse présente à l'esprit lorsqu'il a rédigé l'article 47. Autant elle était exclue, par définition, pour les lois de règlement, autant elle ne pouvait l'être pour les collectifs budgétaires.
C'est pour cette raison qu'on ne peut probablement pas se borner à écarter purement et simplement des délais qui, outre qu'ils sont évoqués par la Constitution, peuvent occasionnellement se révéler d'un intérêt vital pour les finances publiques.
Dans ces conditions, sans doute est-il possible de considérer que, pour l'examen des lois de finances rectificatives, le dépassement des délais, lorsqu'il est imputable au Gouvernement (par exemple, s'il n'use pas des moyens dont il dispose pour les faire respecter, ou encore tarde à saisir le Sénat), n'a pas pour conséquence de rendre le texte inconstitutionnel, mais seulement d'interdire au Gouvernement de recourir aux ordonnances prévues au troisième alinéa de l'article 47.
Ainsi, soit le collectif répond à un souhait politique ou financier, et Gouvernement et Parlement ne seront pas enfermés dans les délais, le premier renonçant de ce fait au droit qu'il tient du troisième alinéa de l'article 47 ; soit la loi de finances rectificative résulte d'un impératif absolu (qu'il appartient à l'exécutif d'apprécier) et le Gouvernement devra tout mettre en oeuvre pour respecter les délais de sorte qu'un retard imputable au seul Parlement puisse trouver son issue dans le recours aux ordonnances.
Si cette interprétation, qui semble seule logique, devait prévaloir, il appartiendrait au Conseil constitutionnel de préciser si la loi déférée en a ou non méconnu les principes.
Sur le fond
(Afin d'éviter tout risque d'erreur, figurera, après chaque numéro d'article contesté et entre parenthèses, celui qu'il portait dans le projet examiné par la commission mixte paritaire.)
En ce qui concerne l'article 5 (art 4) :
Cet article institue un droit de timbre de 150 F sur l'inscription aux concours de recrutement des fonctionnaires de l'Etat. De ce droit, perçu au profit de l'Etat, sont exemptés les candidats bénéficiaires, ou à la charge de personnes bénéficiaires, des revenus de remplacement prévus par l'article L 351-2 du code du travail.
Cette disposition appelle de nombreuses critiques au plan constitutionnel.
En premier lieu il est à noter qu'elle ne concerne que les concours de recrutement des fonctionnaires de l'Etat. Or, s'il est vrai que l'article 34 de la Constitution ne mentionne que ces derniers, il est tout aussi vrai que les fonctionnaires des collectivités territoriales bénéficient désormais des mêmes droits et sont astreints aux mêmes devoirs, conformément aux lois des 13 juillet 1983, 11 et 26 janvier 1984.
De ce fait le droit de timbre qui concerne les uns à l'exclusion des autres introduit une rupture d'égalité des citoyens devant la loi.
Mais il y a plus grave encore. De l'aveu même du ministre chargé du budget, avec cet article 5 « il ne s'agit pas, pour le Gouvernement, de se procurer des recettes budgétaires » (Journal officiel, Assemblée nationale, p 1225) jugées par ailleurs dérisoires. La raison d'être de cette disposition est ailleurs : « tout simplement, nous voulons endiguer pour les concours administratifs un afflux de candidatures qui est pour l'administration source de coûts de gestion considérables » (M Juppé, Journal officiel, Assemblée nationale, p 1212).
Le coût d'organisation des concours administratifs peut être une vraie question, mais à celle-ci l'article 5 apporte une réponse constitutionnellement inacceptable. D'une part, comme cela a été suggéré dans le débat, il peut exister d'autres solutions ; d'autre part, cette dépense, s'il n'y a pas moyen de la minimiser par d'autres méthodes, doit être regardée comme le prix à payer pour la mise en oeuvre d'un principe constitutionnel aussi ancien que fondamental.
L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 dispose en effet que la loi doit être la même pour tous et que « tous les citoyens étant égaux à ses yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leur vertu et de leur talent ».
Le droit de timbre institué par l'article 5 n'a pas seulement pour effet de porter atteinte à ce principe : il a cela pour objet, ainsi qu'il résulte des déclarations ministérielles. Dès lors que ce timbre n'a d'autre vocation que d'être dissuasif, dès lors que l'acquérir n'exige ni vertu ni talent mais seulement de l'argent, seront exclus de la possibilité de se présenter à des concours non pas ceux que leur dilettantisme ou leur faiblesse auraient voués à l'insuccès, mais plutôt ceux qui, démunis, n'auront même pas l'occasion de faire la preuve de leur vertu ou de montrer leur talent.
La capacité à laquelle songeaient les rédacteurs de 1789 n'était sans doute pas la capacité financière et le Gouvernement qui a proposé cet article a dû être victime d'un malentendu.
C'est en vain qu'on invoquerait le second alinéa. Certes, celui-ci exempte du droit de timbre diverses catégories d'usagers.
Mais à supposer même que cela soit possible, l'exemption ne règle aucun problème. Le fait de bénéficier des revenus de remplacement de l'article L 351-2 du code du travail a une signification absolue pour dénoter une situation difficile ; elle n'a qu'une signification relative en matière de revenus, puisqu'il se trouve : et cela est heureux : des demandeurs d'emploi auxquels les indemnités, au moins pendant quelque temps, assurent un niveau de vie parfois très décent.
A l'inverse, un étudiant boursier doit faire la preuve de ses difficultés de subsistance pour obtenir l'aide de l'Etat. Quand il l'a obtenue il doit s'en rendre digne et ne jamais redoubler une année d'étude au risque de perdre sa bourse. Pendant la même période, il est dispensé de tous les droits d'inscriptions universitaires. Et quand enfin il termine ses études grâce à l'effort de solidarité de tous, il risquerait de ne pouvoir se présenter aux concours qui lui sont accessibles parce qu'après lui être venu en aide, l'Etat lui-même dresse sur sa route des obstacles financiers qu'il ne peut franchir.
A travers ce simple exemple, il ressort clairement que la précaution prise par le second alinéa est notoirement insuffisante pour laver l'article 5 du reproche d'inconstitutionnalité.
Bien au contraire, la rédaction que le Sénat a choisi de lui donner et que le Parlement a finalement retenue pousse l'absurdité à son comble. Dans le texte initialement adopté par l'Assemblée nationale, le critère de l'exemption était celui de l'inscription à l'ANPE, qui concerne tous les demandeurs d'emploi, quelle que soit la date depuis laquelle ils se trouvent dans cette situation. Au contraire, avec la rédaction nouvelle, ne seraient pas exemptés du droit de timbre les chômeurs en fin de droit, c'est-à-dire précisément ceux dont la situation est la plus dramatique.
Sans qu'il soit besoin de développer davantage, de rappeler que de nombreux candidats se présentent à plusieurs concours en même temps, que sauf perversité ils le font par nécessité et non pas par plaisir, l'article 5 de la loi déférée sera immanquablement déclaré non conforme à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 7 (art 6) :
Celui-ci traite d'une contribution de deux milliards de francs que la caisse d'aide à l'équipement des collectivités locales apportera au financement des dépenses de l'Etat.
On est en droit de s'interroger en premier lieu sur la portée de cette disposition. Elle figure dans une loi de finances rectificative, qui s'applique donc à l'exercice en cours, et l'utilisation du futur est alors incompréhensible. S'il s'agit d'une simple annonce, c'est une information fort importante pour les collectivités locales comme on le verra plus loin, mais il est des modes de publicité plus appropriés que la loi. S'il s'agit d'une décision que l'on veut effectivement et immédiatement applicable, l'emploi du futur n'a guère de sens.
Au-delà, l'article 7 encourt la censure en ce qu'il constitue une très grave atteinte au principe d'égalité devant la loi.
L'égalité en cause est ici celle qui s'applique entre les collectivités territoriales. Personnes morales, elles ont droit, comme toutes les autres personnes morales et pourvu qu'elles soient placées dans une situation identique au regard de l'objet de la loi, au respect du principe d'égalité.
Le prélèvement décidé (en le supposant tel) par le législateur sera opéré sur les réserves de la caisse. Celle-ci, de ce fait, verra considérablement amputée sa marge de négociation avec les collectivités qui ont contracté des emprunts auprès d'elle. Or pratiquement tous les contrats prévoient des clauses susceptibles de conduire à un remboursement anticipé ou à une renégociation de la dette. Ainsi, une collectivité qui a accepté un taux d'intérêt, par exemple, de 18 p 100 au temps où il était couramment pratiqué, est normalement conduite aujourd'hui à une renégociation ou à un remboursement anticipé au vu de la baisse des taux d'intérêt.
Or, il ne fait aucun doute que la CAECL, dont les réserves seraient ainsi diminuées de deux milliards, ne pourra, le plus souvent, accéder à ces demandes.
Cela serait regrettable mais, à la rigueur, admissible si cette caisse était l'unique organisme de crédit aux collectivités territoriales. Or, cela n'est nullement le cas, il s'en faut de beaucoup, et la Caisse des dépôts et consignations, par exemple, consent beaucoup de prêts du même type à des clients de même nature.
Cela est d'ailleurs si vrai que le délégué régional de la CAECL est en même temps celui de la Caisse des dépôts et recourt à une pratique appelée « le mixage » qui fait que, saisi de demandes d'emprunts, il les fait porter indifféremment sur l'une des deux caisses.
Dès lors, selon qu'une collectivité territoriale ou l'un de ses établissements publics aura contracté un emprunt auprès de la CAECL ou d'un autre organisme, les conditions d'exécution du contrat varieront très sensiblement. Et cela ne sera nullement dû aux aléas normaux que sont, par exemple, la qualité de la gestion de l'organisme de crédit, mais seulement à une décision extérieure, imprévisible et prise par l'Etat à l'égard d'un seul et unique organisme de prêt.
La rupture d'égalité qui procède de ce prélèvement le rend donc contraire à la Constitution.
En ce qui concerne l'article 11 (art 6 quater nouveau) :
Cet article soumet à une taxe spéciale et anonyme de 10 p 100 tous les avoirs irrégulièrement détenus à l'étranger qui auront été rapatriés avant le 1er janvier 1987.
Indépendamment de tous les jugements d'ordre moral qu'on serait tenté de porter sur cette mesure et les facilités qui l'entourent, elle pose un problème grave au regard du principe d'égalité devant l'impôt.
Contrairement aux commentaires dont elle a abusivement fait l'objet, il ne s'agit pas d'une amnistie. L'amnistie eût consisté à libérer les personnes concernées de toutes les poursuites dont elles auraient dû normalement faire l'objet et de leur épargner ainsi toute amende, voire toute peine de prison.
Mais l'article 11 va bien au-delà puisqu'il modifie le taux et les modalités de recouvrement des impositions en cause. De ce fait, en fixant forfaitairement à 10 p 100 le montant de la taxe spéciale, le législateur a violé le principe d'égalité devant l'impôt puisque seront soumis à des règles différentes de taux, d'assiette, de modalités de recouvrement et de pénalité des revenus qui sont pourtant identiques. Ainsi, par exemple, entre un contribuable ayant perçu en France le revenu de ses investissements réguliers en valeurs mobilières, acquittant normalement les sommes dues à l'administration fiscale, et un autre contribuable qui, ayant perçu à l'étranger le revenu de ses investissements irréguliers en valeurs mobilières, est amené à les rapatrier, les prélèvements non seulement seraient nettement différents mais profiteraient largement au second.
Cela est d'autant plus choquant que les avoirs irrégulièrement détenus à l'étranger peuvent être constitués non d'un capital mais d'une partie du revenu d'un contribuable qui l'expatrierait systématiquement. De ce fait, le taux de l'IRPP serait rétroactivement ramené à 10 p 100 pour lui quand il continuerait, pour les autres, à s'élever jusqu'à 65 p 100 ou 60 p 100.
Certes, on pourra invoquer la différence de situation juridique pour expliquer la différence de traitement. Et il est exact qu'entre des avoirs en situation régulière et des avoirs en situation irrégulière il existe une différence juridique notable. Mais les auteurs de la présente saisine doutent que quiconque songe à justifier que les avoirs irréguliers soient fiscalement traités de manière outrageusement préférentielle aux avoirs réguliers.
Là ne s'arrêtent cependant pas les griefs qu'encourt cet article. Il rompt encore l'égalité entre les citoyens à l'égard de l'impôt d'une seconde manière.
Dès lors, en effet, qu'il dispose pour l'avenir, le texte permet d'échapper aux impositions normales au titre de 1986. Tout contribuable doté de plus d'imagination que de scrupules, et dont la nature des revenus le permet, pourrait transférer à l'étranger l'ensemble de ses revenus perçus entre le 1er janvier 1986 et l'entrée en vigueur de la loi déférée. Il lui suffirait ensuite de rapatrier ces mêmes sommes avant le 1er janvier 1987 pour n'avoir à acquitter en tout et pour tout que la taxe spéciale de 10 p 100, sans le moindre risque de poursuites ultérieures.
Il en va d'ailleurs de même de tous les contribuables qui, ayant dissimulé des revenus sans pour autant constituer des avoirs à l'étranger, peuvent désormais échapper à toute poursuite future à la seule condition d'exporter puis de rapatrier ces sommes dans les délais indiqués.
Dans ces conditions, l'article 11 est bien une dispense d'impôts et ne constitue nullement une amnistie qui ne se traduirait que par une dispense de peine. Son principal effet est de permettre l'imposition différenciée de revenus identiques, avec cela de pittoresque, si ce n'était outrageant, de privilégier les fraudeurs au détriment des contribuables consciencieux.
Pour avoir ainsi gravement méconnu le principe constitutionnel d'égalité des contribuables devant l'impôt, l'article 11 de la loi déférée ne pourra qu'être déclaré non conforme.
En ce qui concerne l'article 16 (art 9 bis) :
Cet article a pour objet d'annuler des autorisations de programme et des crédits de paiement dans les crédits ouverts au ministre des départements et territoires d'outre-mer au titre des dépenses ordinaires.
Cette disposition n'est pas conforme à l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances qui prévoit, dans son article 41, que le Parlement vote les dépenses par titre et par ministère.
Si, en l'occurrence, le ministère est clairement indiqué, il n'en va pas de même des titres sur lesquels portent les décisions prises. Sans qu'il soit besoin de développer davantage, cet article ne peut donc qu'être également déclaré non conforme.
En ce qui concerne l'article 18 (art 11 A) :
Cet article a un double objet. D'une part, il ramène à trois ans ou deux ans le délai de reprise prévu par le livre des procédures fiscales et par le code de la sécurité sociale. D'autre part, il limite à un an, sauf exception, la durée des vérifications approfondies en matière fiscale.
Cet article méconnaît gravement le principe d'égalité des citoyens devant la loi.
Il convient de rappeler en premier lieu que le principe d'égalité, s'il ne fait effectivement pas obstacle à ce que soient traitées différemment des personnes placées dans des situations distinctes, subordonne cette faculté à ce que, d'une part, la différence des situations le justifie, à ce que, d'autre part, la non-identité des règles soit compatible avec la finalité de la loi.
C'est là ce que le Conseil constitutionnel avait considéré dans sa décision n° 78-101 DC du 17 janvier 1979 relative à l'élection des membres aux conseils des prud'hommes.
En l'espèce, le délai de reprise est fixé différemment selon le type de revenu dont disposent les contribuables. Le délai est normalement fixé à trois ans, mais il est ramené à deux pour les contribuables n'ayant disposé que de traitements, salaires ou pensions.
Cette différence ne correspond nullement à ce qu'il était loisible au législateur de décider. En effet, en ce qui concerne les procédures fiscales, l'impôt frappe le revenu dans sa globalité.
C'est là un principe constant au nom duquel, au regard de l'IRPP, aucune différenciation n'est opérée entre les revenus selon leur origine.
Dans ces conditions, rien ne permet de justifier que les délais de reprise soient différents selon les contribuables pour des impositions de même nature.
Certes, les traitements, salaires et pensions, faisant l'objet d'une déclaration à la fois par celui qui les verse et celui qui les reçoit, diminuent les risques de fraudes. Mais cette donnée est sans conséquence à l'égard du délai de reprise. A supposer qu'une différence ait été nécessaire pour tenir compte de cette particularité, elle aurait dû intervenir au paragraphe III de l'article, lorsqu'il s'agit de déterminer la durée des vérifications.
A ce stade, sans doute aurait-on pu considérer que les revenus non salariaux sont plus difficiles à appréhender, exigent des contrôles plus longs et plus délicats. Alors, mais alors seulement, il eût été concevable pour ces contribuables de prolonger la durée des vérifications approfondies. A l'inverse, aucun motif recevable ne permet de fixer différemment le délai de reprise.
Les paragraphes I et II de l'article, de surcroît, ont également des conséquences absurdes.
Soit en effet un contribuable aux revenus modestes, dont le taux marginal d'imposition est inférieur à 26 p 100. S'il tente d'économiser malgré tout et se constitue par exemple un livret B de caisse d'épargne ou acquiert quelques obligations ou encore souscrit à un emprunt d'Etat, il aura évidemment avantage à refuser le prélèvement libératoire et à incorporer ses intérêts dans sa déclaration de revenus. De ce seul fait, il ne pourra plus être considéré comme « n'ayant disposé que de traitements, salaires ou pensions » et, en cas de contrôle, alors même que les ressources qu'il tire de son épargne sont connues et aisément contrôlables, le délai de reprise le concernant sera porté à trois ans.
De ce fait, deux contribuables ayant des revenus strictement identiques, et dans leur origine et, par hypothèse, dans leur montant, seraient soumis à des délais de reprise différents si l'un a placé ses économies dans des emprunts d'Etat, imposables, tandis que l'autre n'aurait ouvert qu'un livret A de caisse d'épargne, non imposable.
Le principe d'égalité se trouve donc une nouvelle fois méconnu, sans qu'on puisse objecter que les revenus modestes ne sont pas ceux qui font le plus souvent l'objet de contrôles (au demeurant le montant du prélèvement libératoire est de 46 p 100 pour les bons du Trésor, par exemple, ce qui fait que seules les personnes ayant des revenus conséquents le choisissent et peuvent ainsi bénéficier du délai de reprise à deux ans), ni qu'on puisse invoquer l'attitude dont ferait preuve l'administration dans ce type d'hypothèses. Il suffit que la loi les ait prévues pour qu'elle encoure la censure.
Ce n'est que pour mémoire, enfin, qu'on relèvera que le délai de reprise ayant précisément pour vocation de permettre la réincorporation dans l'impôt de revenus éventuellement dissimulés, le critère tenant à l'origine des revenus déclarés n'est sans doute pas le plus pertinent.
Il résulte sans conteste de tout ce qui précède que les paragraphes I et II de l'article 18 devront être déclarés non conformes à la Constitution pour avoir porté une atteinte grave au principe d'égalité devant la loi.
Cette déclaration de non-conformité affectant les paragraphes I et II entraînera par voie de conséquence celle du reste de l'article.
En effet, la durée nécessaire à une vérification approfondie de la situation fiscale dépend naturellement du nombre d'années soumises au contrôle. C'est parce que ce nombre a été réduit de quatre à trois, et parfois à deux, qu'il a été jugé possible de limiter à un an seulement la période de vérification.
Dès lors, la non-conformité à la Constitution des deux premiers paragraphes retentit par voie de conséquence sur les deux suivants.
En ce qui concerne les articles 18, 19, 25 et 26 (art 11 bis A, 11 bis, 14 bis A et 14 bis B) :
Ces articles ont pour objet de supprimer, d'une part, l'obligation de déclarer annuellement aux services fiscaux certains contrats d'assurance portant sur une valeur supérieure à 100000 F et, d'autre part, l'obligation d'effectuer par chèque, virement ou carte bancaires les paiements supérieurs à 10000 F, et enfin de faire, si l'on ose dire, de l'anonymat au carré, en permettant que soient acquittés par tout moyen de paiement l'achat de bons anonymes au porteur. Sont également abrogées de ce fait les sanctions qui s'attachent au non-respect de prescriptions supprimées.
Dans sa décision n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, rendue à propos de la loi de finances pour 1984, le Conseil constitutionnel avait relevé qu'il découle nécessairement des dispositions de l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen « que l'exercice des libertés publiques et droits individuels ne saurait en rien excuser la fraude fiscale ni en entraver la légitime répression ».
Or les articles contestés, s'ils ne concourent en rien à préserver l'exercice des libertés publiques et droits individuels, en revanche, entravent gravement la légitime répression, de la fraude fiscale notamment mais pas exclusivement.
Que ces dispositions n'aient pas pour objet et ne puissent avoir pour effet de garantir l'exercice des libertés publiques et des droits individuels, cela résulte de leur nature même. Outre que l'écrasante majorité des contribuables dispose d'un compte bancaire ou postal et que le paiement par chèque ne pose donc aucun problème, l'article 1649 ter F du code général des impôts ne contraint même pas ceux qui s'y refuseraient à disposer d'un tel compte puisqu'il a ménagé la possibilité de virements postaux.
Quant à l'obligation de déclarer certains contrats d'assurance, elle pèse non sur les assurés mais sur les assureurs. A cela on pourrait objecter que les intéressés craindraient, par cette déclaration obligatoire, de se signaler à l'attention des services fiscaux. Certes, puisque l'article 1649 ter G est précisément fait pour cela. Mais de deux choses l'une : ou le contribuable déclare des revenus tels qu'ils suffisent à expliquer qu'il possède les bijoux, pierreries, objets d'art, de collection ou d'antiquité représentant le montant assuré, et il n'a nulle raison de craindre les services fiscaux, qui ne prendraient d'ailleurs sans doute par la peine d'une vérification pour ce seul motif ; ou au contraire la disproportion entre patrimoine et assurance est l'indice d'une dissimulation qui rend une vérification non seulement légitime mais nécessaire.
Si, donc, les dispositions en cause ne concourent nullement à l'exercice des droits et libertés, pas plus qu'elles ne les limitent, leur abrogation, en revanche, entraverait très gravement la légitime répression.
S'agissant tout d'abord de l'interdiction faite aux particuliers non commerçants d'acquitter en espèces, les paiements supérieurs à 10000 F, son rôle, réel en matière de lutte contre la fraude fiscale, est plus décisif encore en matière de lutte contre de nombreux types de délinquance ou de criminalité.
Cette disposition dresse en effet un obstacle difficile à surmonter pour ceux qui tentent d'écouler ou de dépenser de l'argent illégalement acquis, que l'illégalité trouve sa source dans la violation de dispositions fiscales ou dans celle du code pénal.
Supprimer cette précaution élémentaire qui, rappelons-le une fois encore, ne peut être considérée comme attentatoire à quelque liberté que ce soit entrave donc la répression de la délinquance et de la criminalité tout autant que celle de la fraude fiscale, alors pourtant que la nécessité de cette répression résulte d'exigences auxquelles les articles 8 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen donnent valeur constitutionnelle.
En ce qui concerne l'article 30 (art 16 bis A) :
Cet article additionnel, issu d'un amendement parlementaire adopté par le Sénat, a pour objet de permettre à la ville de Paris et au conseil régional d'Ile-de-France de disposer de questures, comparables à celles des assemblées parlementaires, aptes à gérer librement les crédits afférents aux frais de représentation, de déplacement et de délégation des membres des conseils.
On est en droit de s'interroger en premier lieu sur le point de savoir si cette disposition ne revêt pas le caractère d'un cavalier budgétaire.
On aurait garde d'insister, en second lieu, sur les conditions assez insolites dans lesquelles le Sénat a adopté cet article, sans qu'aucun éclaircissement soit donné aux parlementaires qui en demandaient.
L'article en cause a deux conséquences. D'une part, il valide toutes les décisions prises, depuis 1975 au moins, dans des conditions de régularité douteuses. D'autre part, il ressuscite l'article 9 du décret-loi du 21 avril 1939 relatif au régime administratif de la ville de Paris.
Les actes antérieurs n'ayant, semble-t-il, donné lieu à aucun contentieux, on se bornera à évoquer ici les conséquences de cet article pour l'avenir, conséquences dont la constitutionnalité est, pour le moins, discutable.
L'article 15 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. C'est au nom de ce principe, applicable également aux élus chargés de l'administration de collectivités, que tout gestionnaire de fonds publics est soumis à toutes sortes de contrôles. Ne font exception à cette règle, encore que de manière limitée, que les assemblées parlementaires qu'on ne saurait mettre sous une tutelle autre que la leur propre sans attenter au principe de séparation des pouvoirs.
Or ce qui vaut pour le Parlement ne vaut certainement pas pour les collectivités territoriales. Certes, on peut admettre que Paris et la région Ile-de-France présentent des caractéristiques particulières et sont soumis à des contraintes spécifiques pour permettre à la ville de tenir son rang de capitale. Ainsi ces deux collectivités sont plus que d'autres conduites à organiser de grandes manifestations culturelles, à accueillir des hôtes de marque étrangers et donc, par exemple, à engager des frais de représentation sans commune mesure avec d'autres collectivités.
Que cela puisse justifier l'application de règles particulières de contrôle, les auteurs de la présente saisine pourraient en convenir. Mais tout autre est la décision prise par l'article en cause.
Elle revient en effet à supprimer tout contrôle extérieur puisque l'article 9 du décret-loi du 21 avril 1939 dit de ces dépenses qu'elles sont gérées « par les bureaux des deux assemblées et sous leur contrôle ».
Aussi l'ampleur de la dérogation consentie, tant par rapport au droit commun des collectivités territoriales que par rapport à l'ensemble des règles de la comptabilité publique, porte-elle atteinte au principe posé par l'article 15 précité de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
En ce qui concerne les articles 32, 33 et 34 (art 17, 18 et 19) :
Ces articles ont pour objet de créer pour dix ans, et d'organiser, un établissement public à caractère administratif appelé Caisse d'amortissement de la dette publique.
Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959, les dépenses ordinaires de l'Etat sont groupées sous quatre titres, dont le premier concerne les « charges de la dette publique ainsi que de la dette viagère et dépenses en atténuation de recettes ».
De ce fait, l'ensemble de la dette publique doit figurer au sein de ce titre, faute de quoi il serait porté atteinte non seulement au principe d'universalité budgétaire mais aussi aux droits du Parlement en matière budgétaire.
Actuellement, le titre Ier retrace l'ensemble de la dette à quelques exceptions près : retraites des fonctionnaires inscrites au titre III, pensions d'anciens combattants inscrites au titre IV et, en partie, retraites des agriculteurs figurant au budget annexe des prestations sociales agricoles. Ces exceptions pourraient susciter des interrogations quant à leur régularité mais il reste qu'à défaut de faire partie du titre Ier où elles trouveraient normalement leur place elles sont situées de manière telle que le Parlement peut tout ensemble autoriser la dépense et en contrôler les modalités.
Au contraire, si pouvait être créé l'établissement public en cause, avec les mécanismes prévus par la loi déférée, cela aurait pour conséquence, d'une part, d'extraire du titre Ier des dépenses qui doivent y figurer, d'autre part, de porter atteinte aux compétences que le premier alinéa de l'article 15 de l'ordonnance du 2 janvier 1959 attribue expressément et exclusivement au Trésor et enfin d'interdire au Parlement d'autoriser et de contrôler ces opérations.
Certes, la loi prévoit qu'un rapport spécial, annexé au projet de loi de finances de l'année, rend compte des opérations réalisées par la caisse. Mais l'information ainsi donnée ne saurait se substituer au droit que le Parlement tient implicitement de la Constitution et explicitement de la loi organique de voter les titres budgétaires.
Le fait pour le Parlement de se prononcer sur ces titres, qui n'est que la mise en oeuvre de principes anciens issus notamment de l'article 14 de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen, n'a de sens qu'autant que les titres en question retracent l'ensemble de ce qu'ils sont supposés contenir.
Dans cet esprit, la création d'établissements publics auxquels seraient confiées, ne serait-ce qu'en partie, des opérations relevant normalement du budget de l'Etat, aboutirait à priver celui-ci et l'ensemble des règles qui lui sont applicables de toute substance. Imaginerait-on par exemple la création d'un établissement public d'intervention auquel serait attribué tout ou partie du titre IV visé par l'article 6 de l'ordonnance ? S'il est vrai que la loi a prévu également la création d'un compte d'affectation spéciale et d'un compte de commerce, grâce auxquels le Parlement pourra exercer un contrôle, il reste qu'il ne s'agirait là que d'un contrôle partiel.
En effet, il ne pourra porter que sur les recettes de la caisse, mais non sur ses dépenses que le Parlement, au mieux, pourra connaître, mais auxquelles il ne sera jamais appelé à consentir et qu'il sera de plus mis dans l'impossibilité de contrôler réellement, et ce sur une partie de la substance du titre Ier du budget de l'Etat.
Pour avoir ainsi violé l'ordonnance du 2 janvier 1959 dans ce qu'elle a de plus fondamental, les dispositions contestées seront nécessairement déclarées non conformes à la Constitution.
Subsidiairement, tout ou partie des articles en cause devraient également être déclarés non conformes à la Constitution par voie de conséquence de la déclaration qui affectera nécessairement la loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social.
C'est pour l'ensemble de ces raisons que les députés soussignés ont l'honneur de vous demander, en application du deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déclarer non conformes à celle-ci les dispositions contestées de la loi qui vous est déférée.
Nous vous prions d'agréer, M le président, messieurs les conseillers, l'assurance de notre haute considération.