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Décision n° 84-185 DC du 18 janvier 1985 - Saisine par 60 sénateurs

Loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales
Non conformité partielle

II : SAISINE SENATEURS
Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent à l'examen du Conseil constitutionnel l'article 15 du projet de loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports de l'Etat avec les collectivités territoriales et cela pour les motifs ci-après : I : Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 octobre 1977 par M Marcel Champeix, alors président du groupe socialiste du Sénat, et par soixante-trois autres sénateurs, dont cinquante-neuf membres du groupe socialiste, du texte de la loi complémentaire à la loi du 31 décembre 1959, modifiée par la loi du 1er juin 1971 relative à la liberté de l'enseignement.
Dans sa décision du 23 novembre 1977, le Conseil constitutionnel a déclaré cette loi conforme à la Constitution en indiquant notamment dans ses considérants :
"- que le principe de la liberté de l'enseignement constitue un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ;« br /> »- que la sauvegarde « du caractère propre » d'un établissement lié à l'Etat par contrat, notion reprise de l'article 1er, 4e alinéa, de la loi du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'Etat et les établissements privés, n'est que la mise en oeuvre du principe de la liberté de l'enseignement ;"
Toute disposition mettant en cause le « caractère propre » des établissements d'enseignement privés est donc, de ce fait, contraire à la Constitution.
II : Or, en abrogeant certaines dispositions de la loi du 27 novembre 1977 objet de la décision susvisée, l'article 15 du présent projet de loi contient des dispositions qui mettent en cause « le caractère propre » des établissements d'enseignement privés.
En effet :
: il prévoit que l'enseignement dispensé dans les établissements d'enseignement privés sous contrat serait désormais soumis « aux règles », et non plus seulement « aux règles générales », et aux programmes de l'enseignement public ;
: il stipule que les maîtres assurant cet enseignement ne seraient plus tenus de respecter, dans l'exercice de leur fonction, les principes définis au quatrième alinéa de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1959 et en particulier « le caractère propre » de l'établissement :
: il retire aux chefs d'établissements le pouvoir de proposition pour les nominations des enseignants et, par conséquent, la liberté de constituer une équipe éducative, ce qui constitue une autre atteinte « au caractère propre » dont la sauvegarde n'est, aux termes mêmes de la décision susvisée du Conseil constitutionnel, « que la mise en oeuvre » d'une liberté qui constitue « l'un des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946 et auxquels la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle ».
III : Dans les considérants de sa décision n° 83-165 DC du 20 janvier 1948 relative à la loi de l'enseignement supérieur, le Conseil constitutionnel a, d'autre part, notamment déclaré qu'une loi n'est pas conforme à la Constitution dès lors qu'elle abroge des dispositions donnant des garanties conformes aux exigences constitutionnelles sans les remplacer par des garanties équivalentes.
Or, si le projet de loi qui nous est soumis procède, ainsi qu'il est mentionné au paragraphe II ci-dessus, à l'abrogation de dispositions donnant des garanties conformes aux exigences constitutionnelles, il ne les remplace par aucune garantie équivalente.
IV : Enfin, en subordonnant la conclusion d'un contrat d'association entre l'Etat et l'établissement d'enseignement privé pour les classes du premier degré à l'accord de la commune-siège et en rendant cette dernière cosignataire du contrat, l'article 15 du présent projet de loi crée les conditions suffisantes pour une remise en cause du principe de la liberté de l'enseignement, puisque le simple refus de la commune-siège empêchera la signature dudit contrat.
Il ne saurait pourtant être question de conférer ainsi, par la loi, aux communes, le droit, par leur simple refus, de tenir en échec la liberté de l'enseignement, « principe fondamental reconnu par les lois de la République, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1946 et auquel la Constitution de 1958 a conféré valeur constitutionnelle » et de placer de surcroît les Français, selon l'endroit où ils résident, en situation d'inégalité face à ce principe fondamental et constitutionnel.
Si l'Etat est en effet le garant de nos libertés publiques dans les conditions prévues par la loi, le législateur ne peut, pour autant, conférer à des communes le droit de restreindre ou de supprimer l'exercice d'une liberté fondamentale.
C'est pour tous les motifs susmentionnés que les sénateurs soussignés vous demandent, monsieur le président, messieurs les membres du Conseil constitutionnel, de déclarer que l'article 15 du projet de loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l'Etat et les collectivités territoriales, n'est pas conforme à la Constitution.