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Décision n° 82-148 DC du 14 décembre 1982 - Saisine par 60 sénateurs

Loi relative à la composition des conseils d'administration des organismes du régime général de sécurité sociale
Conformité

I / VIOLATION DU PRINCIPE D'EGALITE PAR L'ARTICLE 22 DE LA PRESENTE LOI.

L'article 22 de la loi relative à la composition des conseils d'administration des organismes du régime général de sécurité sociale, stipule que seules les organisations syndicales nationales représentatives des salariés, au sens de l'article L. 133-2 du Code du Travail, sont habilitées à présenter des candidats aux élections des représentants des assurés sociaux, dans les organismes institués par les articles 1er, 6, 7 et 8.

Associés à l'article 22, les articles 5 et 12 du projet de loi conduisent à prolonger les effets de ce monopole de représentation dans les caisses régionales et dans les organismes nationaux de la sécurité sociale, dont la composition est déterminée par les articles 2, 3, 4, 9, 10, 11, 13, 14 et 15 de la loi.

L'objectif poursuivi ainsi par la loi est de confier majoritairement aux assurés sociaux le soin d'assurer la gestion des organismes de sécurité sociale. Ces organismes sont chargés de recouvrer les cotisations (URSSAF), de gérer la trésorerie de la Sécurité sociale (ACOSS), de servir les prestations (trois caisses nationales) et de conduire la politique du personnel des caisses (UCANSS).

En outre, les caisses nationales, aux termes de la législation en vigueur, doivent prendre les mesures destinées à garantir leur équilibre financier.

Les moyens employés pour atteindre cet objectif mettent en cause l'égalité entre les assurés au regard du droit de gestion qui leur est reconnu par la loi.

En premier lieu, s'agissant des seuls salariés, le monopole syndical absolu quant à la présentation des candidatures, institué par l'article 22, ne comporte aucun précédent législatif, s'agissant d'élections sociales à caractère général.

L'ordonnance du 30 octobre 1946 qui instituait pour la première fois l'élection des représentants des assurés sociaux dans les organismes de sécurité sociale n'avait pas prévu, pour sa part, un tel monopole de candidatures.

La loi relative à l'élection des conseillers prud'hommes, récemment modifiée, exclut également un tel monopole, considéré contraire à la Constitution par le Conseil d'Etat.

Quant aux ordonnances de 1967, qui ont réformé la composition des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale si elles ont bien prévu ce monopole de présentation, elles s'inscrivent dans une procédure de désignation(1) qui, à l'évidence, suppose que la représentativité des organisations habilitées à désigner soit clairement et préalablement établie.

Seules les élections au sein des entreprises ont donc, jusqu'à présent, retenu un monopole syndical de présentation de candidatures destiné, dans ce cadre précis, à protéger les droits syndicaux. Mais ce monopole n'est pas absolu puisque, dans l'hypothèse où l'élection n'aurait pas permis, au premier tour, d'établir la représentativité des organisations syndicales, un second tour est organisé, qui respecte la liberté de candidatures.

Par conséquent, la loi aujourd'hui incriminée porte atteinte à la liberté de choix des électeurs et à la liberté de candidatures des assurés, en imposant un monopole absolu dans une élection à un seul tour, sans que, s'agissant de la gestion de la sécurité sociale, la protection des droits syndicaux ne se justifie à l'occasion d'une élection directe.

En second lieu, les assurés sociaux du régime général de la sécurité sociale ne sont pas tous des salariés. On peut citer les exemples des chômeurs, indemnisés ou non, et des retraités, mais aussi des étudiants, des invalides de guerre, des bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, des praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés et des artistes et auteurs qui, en aucun cas, ne sauraient être considérés comme des salariés, alors qu'ils sont rattachés au régime général en application du Livre IV du Code de la Sécurité Sociale.

Il s'agit enfin des fonctionnaires et des militaires. Les seconds ne bénéficient pas du droit syndical et les premiers disposent d'organisations représentatives qui, pour être reconnues comme telles dans la défense de leurs intérêts particuliers, ne sont pas autorisées à présenter des candidats (en particulier la Fédération de l'Education Nationale). Ainsi, le monopole syndical de candidatures institué par l'article 22, ne permet pas à tous les assurés sociaux ou du moins à leurs organisations représentatives lorsqu'elles existent, de présenter des candidats et, par conséquent, de défendre leurs intérêts propres dans les Conseils d'Administration, notamment en ce qui concerne leur participation au financement des régimes.

En troisième lieu, certaines catégories d'assurés bénéficient d'une double voie de représentation. En effet, les retraités, qui sont appelés à participer aux élections, et, pour ceux d'entre eux qui appartiennent à une organisation syndicale, à présenter des candidats, disposent en outre, à travers leurs associations, du droit de proposer la désignation d'un ou de plusieurs administrateurs dans les caisses chargées de la gestion du risque vieillesse. Cette double voie de représentation apparaît contraire à l'égalité absolue qui doit être respectée entre chaque catégorie d'assurés sociaux.

En quatrième lieu, les articles incriminés autorisent le ministre chargé de la sécurité sociale à désigner, en qualité de personnalités qualifiées, des personnes choisies parmi les organisations de salariés ou d'employeurs, sans préciser que lesdites organisations doivent être représentatives.

Or, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, une procédure de désignation suppose que la représentativité des organisations intéressées, soit clairement et préalablement établie.

Cette disposition laisse donc au gouvernement une liberté de choix, de nature à introduire une discrimination entre les organisations, qui met en cause la représentativité reconnue de certaines d'entre elles.

Les articles 1er à 15 et l'article 22 du projet de loi méconnaissent donc le principe de l'égalité devant la loi, posé par l'article 2 de la Constitution et par le Préambule de la Constitution, sans que les discriminations introduites par ledit texte ne soient justifiées par les objectifs qu'il poursuit.

II / VIOLATION DU DROIT AU RESPECT DE LA VIE PRIVEE PAR LES ARTICLES 18 et 19 DE LA PRESENTE LOI.

L'article 18 du projet de loi confie aux maires le soin d'établir les listes électorales avec l'assistance des employeurs, de tous les organismes publics et des caisses de sécurité sociale.

L'article 19 autorise, pour l'établissement de ces listes, la levée du secret professionnel et permet en outre que des sociétés privées de services participent aux travaux d'établissement des listes.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés a considéré qu'un tel dispositif est contraire au respect de la vie privée des individus. Les Sénateurs soussignés affirment que la présente loi n'organise pas la protection de la vie privée des futurs électeurs à ces élections.

Or, le respect de la vie privée constitue l'un des éléments essentiels de la protection des libertés individuelles des citoyens, proclamée par le Préambule de la Constitution et consacrée par le Conseil Constitutionnel ainsi que par la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales qui stipule en son article 8 que « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

Les Sénateurs soussignés demandent au Conseil Constitutionnel de déclarer non conformes à la Constitution et aux principes fondamentaux ayant valeur constitutionnelle, les dispositions des articles l8, 19 et 22 de la loi susvisée, ainsi que ses articles 1er à 15, qui ne sont pas séparables de l'article 22.
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(1) par les organisations syndicales (et donc pas d'une élection)