Décision n° 77-83 DC du 20 juillet 1977 - Saisine par 60 députés
SAISINE DEPUTES SOCIALISTES Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil Constitutionnel la loi modifiant l'article 4 de la loi de finances rectificative pour 1961 (N 61825 du 29 juillet 1961) telle qu'elle a été adoptée définitivement par le Parlement le 30 juin 1977.
Nous estimons en effet, que cette loi n'est pas conforme à la Constitution pour les motifs suivants.
I : Elle est contraire à un principe fondamental reconnu par les lois de la République et visé par le préambule de la Constitution de 1946 repris et confirmé par le préambule de la Constitution de 1958.
Il s'agit du droit reconnu à tout citoyen de se défendre avant toute sanction, qu'elle soit administrative ou judiciaire, inscrit de longue date dans notre droit et constamment confirmé par la jurisprudence.
En ce qui concerne les fonctionnaires, c'est un texte très ancien qui leur a reconnu le droit de se défendre après communication du dossier : l'article 65 de la loi du 22 avril 1905.
Le principe posé par cette disposition a pris place dans le principe général du droit défini à plusieurs reprises par le Conseil d'Etat et qui exige que chacun puisse se défendre avant toute mesure présentant à son égard un caractère de sanction.
On peut citer à cet égard l'arrêt WINKELL de 1909 ou encore l'arrêt Dame Veuve Trompier-Gravier de 1944.
Il résulte de cette jurisprudence administrative constante qu'aucune sanction ne peut être infligée à un citoyen, qu'il soit ou non fonctionnaire, sans qu'il ait été invité à prendre connaissance de son dossier et à présenter sa défense.
Or, le projet de loi relatif à la notion de « service fait » introduit dans les textes régissant la fonction publique une nouvelle catégorie de sanctions, qui ne reçoit toutefois pas cette qualification, de sorte qu'elle n'entre pas dans la catégorie des sanctions qui ouvrent le droit à la défense.
II : D'autre part, ce texte est contraire à l'article 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 et à une disposition du Préambule de la Constitution de 1946, également confirmés par le préambule de la Constitution de 1958.
A) La loi qui vous est déférée n'est pas conforme aux dispositions de l'article 6 de la Déclaration précitée selon lequel la loi est la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse.
Le texte voté est en contradiction avec ce principe d'égalité devant la loi. En effet, il introduit une distinction entre d'une part les fonctionnaires coupables d'une faute disciplinaire au sens des articles 11 et 30 à 33 du statut général des fonctionnaires et qui relèvent d'une sanction disciplinaire normale, et d'autre part, les fonctionnaires coupables de cette faute particulière qu'est l'inéxécution en tout ou partie « des obligations de service qui s'attachent à sa fonction telles qu'elles sont définies dans leur nature et leurs modalités par l'autorité compétente », qui seront soumis à une sanction nouvelle : la retenue sur traitement.
B) En ayant refusé de consulter le Conseil Supérieur de la Fonction Publique, le Gouvernement a violé le principe fixé par le préambule de la Constitution de 1946, selon lequel les travailleurs participent par l'intermédiaire de leurs délégués à la détermination collective des conditions de travail. Or, la loi adoptée institue une nouvelle sanction qui fait incontestablement partie des conditions de travail et c'est donc en méconnaissance des dispositions précitées du Préambule que le projet soumis au Parlement a été adopté sans l'avis préalable du Conseil Supérieur de la Fonction publique.
Pour ces divers motifs, nous vous demandons de bien vouloir déclarer la loi qui vous est déférée non conforme à la Constitution.