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Décision n° 2022-1030 QPC du 19 janvier 2023 - Décision de renvoi CE

Ordre des avocats au barreau de Paris et autre [Perquisitions dans le cabinet d’un avocat ou à son domicile]
Conformité

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu les procédures suivantes :

1 ° Sous le n° 463588, par des mémoires enregistrés le 28 juillet et le 7 septembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice du 28 février 2022 présentant les dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021, ainsi que celle de l'article 56-1-2 du même code, créé par cette loi.

2 ° Sous le n° 463683, par un mémoire enregistré le 2 août 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la circulaire du garde des sceaux, ministre de la justice du 28 février 2022 présentant les dispositions de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des premier, deuxième et quatrième alinéas de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021, ainsi que celle de l'article 56-1-2 du même code.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Paris et au cabinet Briard, avocat de l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine ;

Considérant ce qui suit :

  1. Les mémoires enregistrés sous les nos 463588 et 463683 tendent à la transmission au Conseil constitutionnel de questions prioritaires de constitutionnalité mettant en cause les mêmes dispositions législatives. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

  2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

  3. D'une part, aux termes de l'article 56-1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : « Les perquisitions dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ne peuvent être effectuées que par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué, à la suite d'une décision écrite et motivée prise par le juge des libertés et de la détention saisi par ce magistrat, qui indique la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition, l'objet de celle-ci et sa proportionnalité au regard de la nature et de la gravité des faits. Le contenu de cette décision est porté à la connaissance du bâtonnier ou de son délégué dès le début de la perquisition par le magistrat effectuant celle-ci. Celui-ci et le bâtonnier ou son délégué ont seuls le droit de consulter ou de prendre connaissance des documents ou des objets se trouvant sur les lieux préalablement à leur éventuelle saisie. Lorsque la perquisition est justifiée par la mise en cause de l'avocat, elle ne peut être autorisée que s'il existe des raisons plausibles de le soupçonner d'avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu'auteur ou complice, l'infraction qui fait l'objet de la procédure ou une infraction connexe au sens de l'article 203. Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d'autres infractions que celles mentionnées dans la décision précitée. Les dispositions du présent alinéa sont édictées à peine de nullité. / Le magistrat qui effectue la perquisition veille à ce que les investigations conduites ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession d'avocat et à ce qu'aucun document relevant de l'exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel de la défense et du conseil, prévu à l'article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, ne soit saisi et placé sous scellé. / Le bâtonnier ou son délégué peut s'opposer à la saisie d'un document ou d'un objet s'il estime que cette saisie serait irrégulière. Le document ou l'objet doit alors être placé sous scellé fermé. Ces opérations font l'objet d'un procès-verbal mentionnant les objections du bâtonnier ou de son délégué, qui n'est pas joint au dossier de la procédure. Si d'autres documents ou d'autres objets ont été saisis au cours de la perquisition sans soulever de contestation, ce procès-verbal est distinct de celui prévu par l'article 57. Ce procès-verbal ainsi que le document ou l'objet placé sous scellé fermé sont transmis sans délai au juge des libertés et de la détention, avec l'original ou une copie du dossier de la procédure. / Dans les cinq jours de la réception de ces pièces, le juge des libertés et de la détention statue sur la contestation par ordonnance motivée. / A cette fin, il entend le magistrat qui a procédé à la perquisition et, le cas échéant, le procureur de la République, ainsi que l'avocat au cabinet ou au domicile duquel elle a été effectuée et le bâtonnier ou son délégué. Il peut ouvrir le scellé en présence de ces personnes. / S'il estime qu'il n'y a pas lieu à saisir le document ou l'objet, le juge des libertés et de la détention ordonne sa restitution immédiate, ainsi que la destruction du procès-verbal des opérations et, le cas échéant, la cancellation de toute référence à ce document, à son contenu ou à cet objet qui figurerait dans le dossier de la procédure. / Dans le cas contraire, il ordonne le versement du scellé et du procès-verbal au dossier de la procédure. Cette décision n'exclut pas la possibilité ultérieure pour les parties de demander la nullité de la saisie devant, selon les cas, la juridiction de jugement ou la chambre de l'instruction. / La décision du juge des libertés et de la détention peut faire l'objet d'un recours suspensif dans un délai de vingt-quatre heures, formé par le procureur de la République, l'avocat ou le bâtonnier ou son délégué devant le président de la chambre de l'instruction. Celui-ci statue dans les cinq jours suivant sa saisine, selon la procédure prévue au cinquième alinéa du présent article. / Ce recours peut également être exercé par l'administration ou l'autorité administrative compétente. / Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions effectuées dans les locaux de l'ordre des avocats ou des caisses de règlement pécuniaire des avocats. Dans ce cas, les attributions confiées au juge des libertés et de la détention sont exercées par le président du tribunal judiciaire qui doit être préalablement avisé de la perquisition. Il en est de même en cas de perquisition au cabinet ou au domicile du bâtonnier. / Les dispositions du présent article sont également applicables aux perquisitions ou visites domiciliaires effectuées, sur le fondement d'autres codes ou de lois spéciales, dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile ou dans les locaux mentionnés à l'avant-dernier alinéa ».

  4. D'autre part, aux termes de l'article 56-1-2 du code de procédure pénale, créé par la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire : « Dans les cas prévus aux articles 56-1 et 56-1-1, sans préjudice des prérogatives du bâtonnier ou de son délégué prévues à l'article 56-1 et des droits de la personne perquisitionnée prévus à l'article 56-1-1, le secret professionnel du conseil n'est pas opposable aux mesures d'enquête ou d'instruction lorsque celles-ci sont relatives aux infractions mentionnées aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts et aux articles 421-2-2, 433-1, 433-2 et 435-1 à 435-10 du code pénal ainsi qu'au blanchiment de ces délits, sous réserve que les consultations, correspondances ou pièces détenues ou transmises par l'avocat ou son client établissent la preuve de leur utilisation aux fins de commettre ou de faciliter la commission desdites infractions ».

  5. Ces dispositions sont applicables au présent litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment aux droits de la défense protégés par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité invoquées.

D E C I D E :
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Article 1er : Les questions de la conformité à la Constitution des articles 56-1 et 56-1-2 du code de procédure pénale issus de la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire sont renvoyées au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'ordre des avocats au barreau de Paris et sur celle de l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché les questions de constitutionnalité ainsi soulevées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'ordre des avocats au barreau de Paris, à l'ordre des avocats au barreau des Hauts-de-Seine et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 6 octobre 2022 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Rozen Noguellou, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 18 octobre 2022.
La présidente :
Signé : Mme Suzanne von Coester
La rapporteure :
Signé : Mme Rozen Noguellou
La secrétaire :
Signé : Mme Marie-Adeline Allain

ECLI : FR : CECHS : 2022 : 463588.20221018