Décision n° 2022-1029 QPC du 9 décembre 2022 - Décision de renvoi Cass.
Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 12 octobre 2022, 22-40.013, Publié au bulletin
Cour de cassation - Chambre commerciale
N° de pourvoi : 22-40.013
ECLI : FR : CCASS : 2022 : CO00699
Publié au bulletin
Solution : QPC - Renvoi au Conseil constitutionnel
Audience publique du mercredi 12 octobre 2022
Décision attaquée : Tribunal de commerce de Paris, du 08 juillet 2022
Président
M. Vigneau
Avocat(s)
SCP Piwnica et Molinié
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
COMM.
COUR DE CASSATION
FB
______________________
QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
______________________
Audience publique du 12 octobre 2022
RENVOI
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 699 FS-B
Affaire n° X 22-40.013
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 12 OCTOBRE 2022
Le tribunal de commerce de Paris (16e chambre) a transmis à la Cour de cassation, par jugement rendu le 8 juillet 2022, des questions prioritaires de constitutionnalité reçues le 18 juillet 2022, dans l'instance mettant en cause :
D'une part,
M. [C] [N], domicilié [Adresse 4],
D'autre part,
1 °/ la société LT capital, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],
2 °/ la société Mitsio Invest, société civile, dont le siège est [Adresse 5],
3 °/ Mme [F] [Y], domiciliée [Adresse 2],
4 °/ M. [O] [P], domicilié [Adresse 1],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés LT capital et Mitsio Invest, de Mme [Y] et de M. [P], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débat en l'audience publique du 11 octobre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, M. Ponsot, Mme Fèvre, M. Alt, conseillers, MM. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Lefeuvre, Tostain, MM. Boutié, Gillis, Maigret, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;
Faits et procédure
1. M. [N] était salarié et associé de la société par actions simplifiée LT capital. Il a, au mois d'octobre 2020, démissionné de ses fonctions salariées.
2. L'article 11 des statuts de la société par actions simplifiée LT capital stipule que la qualité d'associé est réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société et qu'en cas de perte, par l'associé, de cette qualité, le président de la société convoque l'assemblée générale extraordinaire des associés afin qu'elle se prononce sur l'exclusion de l'associé.
3. Dans sa version initiale, cet article précisait que l'associé dont l'exclusion est envisagée ne prend pas part au vote sur la décision de son exclusion.
4. Le 22 janvier 2021, l'assemblée générale extraordinaire a modifié, à la majorité requise par les statuts pour leur modification, l'article 11 des statuts en ce sens que l'associé dont l'exclusion est envisagée prend part au vote sur la décision d'exclusion.
5. Par décision du même jour, l'assemblée générale extraordinaire a exclu M. [N], celui-ci ayant, en application de l'article 11 des statuts, modifié, pris part au vote relatif à la décision de son exclusion.
6. M. [N] a assigné la société LT capital en nullité de la modification statutaire du 22 janvier 2021, de la décision l'excluant de la société et de la cession de ses actions. Devant le tribunal de commerce, M. [N] a, par un mémoire distinct, posé quatre questions prioritaires de constitutionnalité.
Enoncé des questions prioritaires de constitutionnalité
7. Par jugement du 8 juillet 2022, le tribunal de commerce de Paris a transmis quatre questions prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigées :
« 1 °/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il porte atteinte au droit de propriété sans nécessité publique ?
2 °/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il porte atteinte de façon disproportionnée aux droits de propriété sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d'intérêt général ?
3 °/ L'article L. 227-16 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il permet, combiné à l'article L. 227-19 du même code, la cession forcée par l'associé de ses actions sans qu'il ait consenti à l'adoption de la clause statutaire d'exclusion l'autorisant ?
4 °/ L'article L. 227-19 du code de commerce est-il conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 alors qu'il permet la cession forcée par l'associé de ses actions sans qu'il ait consenti à l'adoption de la clause statutaire d'exclusion l'autorisant ? »
Examen des questions prioritaires de constitutionnalité
8. Les dispositions contestées sont le premier alinéa de l'article L. 227-16 du code de commerce, qui dispose que, dans les sociétés par actions simplifiées, « [d]ans les conditions qu'ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu'un associé peut être tenu de céder ses actions », et le second alinéa de l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, qui dispose que « [l]es clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts ».
9. Ces dispositions sont applicables au litige, la décision d'exclusion de M. [N] ayant été prise en application d'une clause d'exclusion stipulée dans les statuts de la société LT capital, laquelle a été adoptée sur le fondement de l'article L. 227-16 du code de commerce et modifiée à la majorité prévue par les statuts, ainsi que le permet désormais l'article L. 227-19 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019. En effet, ces dernières dispositions, qui suppriment l'exigence d'unanimité pour l'adoption ou la modification d'une clause statutaire d'exclusion dans les sociétés par actions simplifiées, ont pour objet et pour effet de régir les effets légaux du contrat de société. Elles sont, par suite, applicables aux sociétés par actions simplifiées créées antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019.
10. Les articles L. 227-16 et L. 227-19 du code de commerce n'ont pas déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
11. Les questions posées présentent un caractère sérieux en ce que, d'une part, l'article L. 227-16, alinéa 1, du code de commerce a pour conséquence de permettre à une société par actions simplifiée de priver, en exécution d'une clause statutaire d'exclusion, un associé de la propriété de ses droits sociaux sans que cette privation repose sur une cause d'utilité publique, et en ce que, d'autre part, il résulte de la combinaison de ce texte avec l'article L. 227-19, alinéa 2, de ce code, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019, qu'une société par actions simplifiée peut désormais, par une décision non prise à l'unanimité de ses membres, priver un associé de la propriété de ses droits sociaux sans qu'il ait consenti par avance à sa possible exclusion dans de telles conditions, de sorte que ces dispositions seraient de nature à porter atteinte au droit de propriété et à ses conditions d'exercice, garantis par les articles 17 et 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.
12. En conséquence, il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze octobre deux mille vingt-deux. ECLI : FR : CCASS : 2022 : CO00699
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