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Décision n° 2022-1026 QPC du 25 novembre 2022 - Décision de renvoi CE

Association France horizon [Assujettissement de certaines associations à la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, de commerce ou de stockage en Île-de-France]
Conformité

Conseil d'État - 9ème - 10ème chambres réunies

N° 452256
ECLI : FR : CECHR : 2022 : 452256.20220923
Mentionné dans les tables du recueil Lebon

Lecture du vendredi 23 septembre 2022
Rapporteur
M. Olivier Saby
Rapporteur public
Mme Céline Guibé
Avocat(s)
SARL DIDIER-PINET
Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 25 juin 2022, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association France Horizon demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 4 mars 2021 qui a rejeté sa demande de décharge de la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, commerce et stockage en Ile-de-France à laquelle elle a été assujettie au titre de 2019 pour la construction d'une crèche située à Paris, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme et de l'article L. 520-6 du même code en tant qu'elles assujettissent à cette taxe les locaux utilisés par les associations non reconnues d'utilité publiques et spécialement aménagés pour l'exercice de leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code général des impôts ;
- la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
- la loi n° 60-790 du 2 août 1960 ;
- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SARL Didier-Pinet, avocat de l'association France Horizon ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme applicable à partir du 1er janvier 2016 : « En région d'Ile-de-France, une taxe est perçue à l'occasion de la construction, de la reconstruction ou de l'agrandissement des locaux à usage de bureaux, des locaux commerciaux et des locaux de stockage définis, respectivement, aux 1 °, 2 ° et 3 ° du III de l'article 231 ter du code général des impôts ». Aux termes du III de l'article 231 ter du code général des impôts dans ses dispositions applicables au litige : « 1 ° (...) les locaux à usage de bureaux, (...) s'entendent d'une part, des bureaux proprement dits et de leurs dépendances immédiates et indispensables destinés à l'exercice d'une activité, de quelque nature que ce soit, par des personnes physiques ou morales privées, ou utilisés par l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements ou organismes publics et les organismes professionnels, et, d'autre part, des locaux professionnels destinés à l'exercice d'activités libérales ou utilisés par des associations ou organismes privés poursuivant ou non un but lucratif ; / 2 ° (...) les locaux commerciaux, (...) s'entendent des locaux destinés à l'exercice d'une activité de commerce de détail ou de gros et de prestations de services à caractère commercial ou artisanal ainsi que de leurs réserves attenantes couvertes ou non et des emplacements attenants affectés en permanence à ces activités de vente ou de prestations de service ; / (...) ». Aux termes de l'article L. 520-8 du même code : « I. Pour les locaux à usage de bureaux et les locaux commerciaux, les tarifs de la taxe sont appliqués par circonscriptions, telles que définies ci-après : / 1 ° Première circonscription : Paris et le département des Hauts-de-Seine ; (...) II. Les tarifs au mètre carré sont ainsi fixés : / 1 ° Pour les locaux à usage de bureaux : / 1ère circonscription : 400 euros ; 2 ° Pour les locaux commerciaux : 1ère circonscription : 129 euros ». Pour l'application de ces dispositions combinées, éclairées par les travaux préparatoires de la loi de finances pour 1999 dont elles sont issues, les locaux utilisés par des associations sont imposables dans la catégorie dite des locaux à usage de bureaux, à l'exception de ceux qu'elles utilisent pour exercer, à titre lucratif, des activités de commerce ou de prestations de services et qui sont destinés à accueillir la clientèle, lesquels locaux sont imposables dans la catégorie dite des locaux commerciaux.

3. Aux termes de l'article L. 520-6 du code de l'urbanisme applicable à partir du 1er janvier 2016 : « Sont exonérés de la taxe prévue à l'article L. 520-1 : / (...) 2 ° Les locaux affectés au service public et appartenant ou destinés à appartenir à l'Etat, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial ; / (...) / 6 ° Les bureaux utilisés par les membres des professions libérales et les officiers ministériels ; / 7 ° Les locaux affectés aux associations constituées dans les formes prévues à l'article 10 de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ; / (...) ». Aux termes du III de l'article L. 520-7 du même code : « Ne sont pas pris en considération pour établir l'assiette de la taxe les locaux de caractère social ou sanitaire mis à la disposition du personnel ».

4. Il résulte de ces dispositions que, s'agissant de la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, commerce et stockage en Ile-de-France, les associations qui sont assujetties à raison de la construction des locaux professionnels qu'elles détiennent et utilisent pour l'exercice de leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, tel un service de crèche ne bénéficient ni, lorsqu'elles ne sont pas reconnues d'utilité publique en application de l'article 10 de la loi du 1er juillet 1901, des exonérations prévues en faveur des locaux, notamment de même type, affectés au service public et appartenant ou destinés à appartenir à l'Etat, à des collectivités territoriales ou à des établissements publics ne présentant pas un caractère industriel et commercial, ni de l'exemption de taxe prévue en faveur des locaux de caractère social ou sanitaire qui sont mis à la disposition du personnel travaillant dans les immeubles soumis à la taxe, ni encore, si leur activité est réalisée à titre non lucratif, des tarifs réduits applicables aux locaux commerciaux, alors que ceux-ci peuvent être destinés à l'exercice de prestations de services de même type.

5. Par suite, et eu égard à l'objet de la taxe en litige qui a été instaurée par la loi du 2 août 1960 tendant à limiter l'extension des locaux à usage de bureaux et à usage industriel dans la région parisienne, le grief tiré de ce que les dispositions de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme combinées à celles de l'article L. 520-6 du même code en tant qu'elles y soumettent les locaux utilisés par les associations pour l'exercice de leurs activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel, qui sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a dès lors lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées de l'article L. 520-1 du code de l'urbanisme et de l'article L. 520-6 du même code en tant qu'elles soumettent à la taxe pour la création de locaux à usage de bureaux, commerce et stockage en Ile-de-France, les locaux utilisés par les associations non reconnues d'utilité publiques pour l'exercice d'activités à caractère sanitaire, social, éducatif ou culturel est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association France Horizon jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association France Horizon et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, ainsi qu'au Conseil constitutionnel.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 19 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, M. Frédéric Aladjidi, de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Thomas Andrieu, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, M. Alain Seban conseillers d'Etat et M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.