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Décision n° 2022-1015 QPC du 21 octobre 2022 - Décision de renvoi CE

Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine [Obligation d'adhésion à une association professionnelle agréée des courtiers d'assurance et intermédiaires en opérations de banque et services de paiement]
Conformité

Conseil d'État, 6ème chambre, 25/07/2022, 464217, Inédit au recueil Lebon
Conseil d'État - 6ème chambre

N° 464217
ECLI : FR : CECHS : 2022 : 464217.20220725
Inédit au recueil Lebon

Lecture du lundi 25 juillet 2022
Rapporteur
Mme Airelle Niepce
Rapporteur public
M. Stéphane Hoynck

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par deux mémoires, enregistrés les 20 mai et 1er juillet 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine (ANCDGP) demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d'application de la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 513-3, du II de l'article L. 513-5 et de l'article L. 513-6 du code des assurances, et de l'article L. 519-11, du II de l'article L. 519-13 et de l'article L. 519-14 du code monétaire et financier.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 2014/17/UE du Parlement européen et du Conseil du 4 février 2014 ;
- la directive 2016/97/UE du Parlement européen et du Conseil du 20 janvier 2016 ;
- le code des assurances, notamment ses articles L. 513-3, L. 513-5 et L. 513-6 ;
- le code monétaire et financier, notamment ses articles L. 519-11, L. 519-13 et L. 519-14 ;
- la loi n° 2021-402 du 8 avril 2021 ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Airelle Niepce, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Sur le fondement de ces dispositions, l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine demande, à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'elle a formé contre la décision implicite par laquelle le Premier ministre a rejeté sa demande d'abrogation du décret n° 2021-1552 du 1er décembre 2021 relatif aux modalités d'application de la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 513-3, du II de l'article L. 513-5 et de l'article L. 513-6 du code des assurances, ainsi que de l'article L. 519-11, du II de l'article L. 519-13 et de l'article L. 519-14 du code monétaire et financier.

3. Ces dispositions sont applicables au litige relatif au refus du Premier ministre d'abroger des dispositions réglementaires prises pour leur application et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

Sur la conformité à la Constitution des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 513-3 du code des assurances, issu de la loi du 8 avril 2021 relative à la réforme du courtage de l'assurance et du courtage en opérations de banque et en services de paiement : « I.- Aux fins de leur immatriculation au registre mentionné au I de l'article L. 512-1, les courtiers d'assurance ou de réassurance, personnes physiques et sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés pour l'activité de courtage d'assurance, et leurs mandataires, personnes physiques non salariées et personnes morales, adhèrent à une association professionnelle agréée chargée du suivi de l'activité et de l'accompagnement de ses membres. Cette association professionnelle représentative offre à ses membres un service de médiation, vérifie les conditions d'accès et d'exercice de leur activité ainsi que leur respect des exigences professionnelles et organisationnelles et offre un service d'accompagnement et d'observation de l'activité et des pratiques professionnelles, notamment par la collecte de données statistiques. / Les courtiers ou sociétés de courtage d'assurance ou leurs mandataires exerçant des activités en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement peuvent également adhérer à une association professionnelle agréée mentionnée au présent I. / II.- Ne sont pas soumises à l'obligation d'adhésion à une association professionnelle agréée prévue au I les personnes suivantes, y compris, le cas échéant, lorsqu'elles exercent le courtage d'assurance à titre de mandataire d'intermédiaire d'assurance : / 1 ° Les établissements de crédit et sociétés de financement ; / 2 ° Les sociétés de gestion de portefeuille ; / 3 ° Les entreprises d'investissement ; / 4 ° Les agents généraux d'assurance inscrits sous un même numéro au registre mentionné à l'article L. 512-1. / L'obligation d'adhésion à une association professionnelle agréée prévue au I du présent article n'est pas applicable aux mandataires d'intermédiaires d'assurance agissant en application des mandats délivrés par l'une des personnes mentionnées aux 1 ° à 3 ° du présent II ».

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 519-11 du code monétaire et financier, issu de la même loi du 8 avril 2021 : « I.- Aux fins de leur immatriculation au registre mentionné au I de l'article L. 546-1, les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement mentionnés à l'article L. 519-1 et leurs mandataires adhèrent à une association professionnelle agréée chargée du suivi de l'activité et de l'accompagnement de ses membres. Cette association professionnelle représentative offre à ses membres un service de médiation, vérifie les conditions d'accès et d'exercice de leur activité ainsi que leur respect des exigences professionnelles et organisationnelles et offre un service d'accompagnement et d'observation de l'activité et des pratiques professionnelles, notamment par la collecte de données statistiques. / Les intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement exerçant en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement peuvent également adhérer à une association professionnelle agréée mentionnée au présent I. / II. - L'obligation d'adhérer à une association professionnelle agréée prévue au I du présent article ne s'applique pas : / 1 ° Aux mandataires exclusifs en opérations de banque et en services de paiement qui exercent l'intermédiation en vertu d'un mandat d'un établissement de crédit, d'une société de financement, d'un établissement de paiement, d'un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement, d'un intermédiaire en financement participatif, d'une entreprise d'assurance dans le cadre de ses activités de prêts ou d'une société de gestion dans le cadre de ses activités de gestion de fonds d'investissement alternatifs mentionnées à l'article L. 511-6, et qui sont soumis à une obligation contractuelle de travailler exclusivement avec l'une de ces entreprises pour une catégorie déterminée d'opérations de banque ou de services de paiement, ainsi qu'à leurs mandataires ; / 2 ° Aux mandataires en opérations de banque et en services de paiement qui exercent l'intermédiation en vertu d'un ou plusieurs mandats non exclusifs délivrés par un ou plusieurs établissements de crédit, sociétés de financement, établissements de paiement, établissements de monnaie électronique qui fournissent des services de paiement, intermédiaires en financement participatif, entreprises d'assurance dans le cadre de leurs activités de prêts ou sociétés de gestion dans le cadre de leurs activités de gestion de fonds d'investissement alternatifs mentionnées au même article L. 511-6, ainsi qu'à leurs mandataires ; / 3 ° Aux intermédiaires enregistrés sur le registre d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen pour l'exercice d'activité d'intermédiation en matière de contrats de crédit immobilier au sens de l'article L. 313-1 du code de la consommation ».

6. La requérante soutient qu'en imposant aux courtiers d'assurance ou de réassurance ainsi qu'aux intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement ainsi qu'à leurs mandataires respectifs d'adhérer à une association professionnelle agréée, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent la liberté d'entreprendre garantie par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la liberté syndicale et la liberté d'association.

7. Elle soutient également qu'en imposant à ces professionnels d'adhérer à une association professionnelle agréée alors que, d'une part, elles ne prévoient qu'une simple faculté d'adhésion pour ces mêmes personnes lorsqu'elles exercent en France au titre de la libre prestation de services ou de la liberté d'établissement et que, d'autre part, elles dispensent de cette obligation d'adhésion, d'un côté, les établissements de crédit et sociétés de financement, les sociétés de gestion de portefeuille et les entreprises d'investissement et les agents généraux d'assurance ainsi que leurs mandataires respectifs, lorsque ces personnes exercent le courtage d'assurance à titre de mandataire d'intermédiaire d'assurance et, de l'autre, les mandataires exclusifs en opérations de banque et en services qui exercent l'intermédiation et les intermédiaires enregistrés sur le registre d'un autre Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen, les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

8. Les moyens tirés de ce que les dispositions des articles L. 513-3 du code des assurances et L. 519-11 du code monétaire et financier portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d'égalité devant la loi, à la liberté d'entreprendre et à la liberté d'association, soulèvent une question présentant un caractère sérieux.

Sur la conformité à la Constitution des dispositions du II de l'article L. 513-5 et de l'article L. 513-6 du code des assurances et de celles du II de l'article L. 519-13 et de l'article L. 519-14 du code monétaire et financier :

9. D'une part, les dispositions du II de l'article L. 513-5 du code des assurances et du II de l'article L. 519-13 du code monétaire et financier prévoient dans les mêmes termes que les associations professionnelles agréées « établissent par écrit et font approuver par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, lors de leur agrément, (...) les sanctions qu'elles sont susceptibles de prononcer à l'encontre des membres (...) ».

10. D'autre part, les articles L. 513-6 du code des assurances et L. 519-14 du code monétaire et financier prévoient de même, dans les mêmes termes, qu'une association « peut mettre fin à l'adhésion d'un de ses membres à sa demande. Le retrait de la qualité de membre peut également être décidé d'office par l'association si [ce membre] ne remplit plus les conditions ou les engagements auxquels était subordonnée son adhésion, s'il n'a pas commencé son activité dans un délai de douze mois à compter de son adhésion, s'il n'exerce plus son activité depuis au moins six mois ou s'il a obtenu l'adhésion par de fausses déclarations ou par tout autre moyen irrégulier. / (...) / Lorsqu'il est prononcé d'office, le retrait de la qualité de membre est notifié à l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution et prend effet à l'expiration d'une période dont la durée est déterminée par l'association. / Lorsque le retrait de la qualité de membre est prononcé d'office, l'association peut également décider d'informer de sa décision les autres associations professionnelles (...). / La décision de retrait peut faire l'objet d'un recours devant le tribunal judiciaire dans le ressort duquel se trouve le siège de l'association. / II. L'association professionnelle n'est pas compétente pour sanctionner les manquements de ses membres qui relèvent exclusivement de la compétence de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (...) ».

11. La requérante soutient que ces dispositions méconnaissent les principes d'indépendance et d'impartialité garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 en ce qu'elles permettent à certains adhérents des associations professionnelles agréées de prononcer des sanctions à l'égard de leurs pairs et en ce qu'elles ne garantissent pas la séparation organique ou fonctionnelle des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement, lorsque ces associations infligent une sanction à leurs membres.

12. Elle soutient également qu'en conférant aux associations professionnelles agréées un pouvoir de sanction identique à celui détenu par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, ces mêmes dispositions méconnaissent le principe non bis in idem et le principe de légalité des délits et des peines garantis par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

13. Le moyen tiré de ce que ces dispositions portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment aux principes d'indépendance et d'impartialité, soulève une question présentant un caractère sérieux.

14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
--------------
Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 513-3, du II de l'article L. 513-5 et du I de l'article L. 513-6 du code des assurances ainsi que de l'article L. 519-11, du II de l'article L. 519-13 et du I de l'article L. 519-14 du code monétaire et financier est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Association nationale des conseils diplômés en gestion de patrimoine, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée à la Première ministre.
Délibéré à l'issue de la séance du 7 juillet 2022 où siégeaient : Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d'Etat et Mme Airelle Niepce, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 25 juillet 2022.

La présidente :
Signé : Mme Isabelle de Silva
La rapporteure :
Signé : Mme Airelle Niepce
La secrétaire :
Signé : Mme Valérie Peyrisse

ECLI : FR : CECHS : 2022 : 464217.20220725