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Décision n° 2021-960 QPC du 7 janvier 2022 - Décision de renvoi CE

Association française des producteurs de cannabinoïdes [Définition de la notion de stupéfiant dans le régime des substances vénéneuses]
Conformité

Conseil d'État - 1ère - 4ème chambres réunies

N° 455024
ECLI : FR : CECHR : 2021 : 455024.20211008
Inédit au recueil Lebon

Lecture du vendredi 08 octobre 2021
Rapporteur
Mme Manon Chonavel
Rapporteur public
Mme Marie Sirinelli

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 28 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association française des producteurs de cannabinoïdes demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision par laquelle les ministres concernés ont implicitement rejeté sa demande tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 août 1990 portant application de l'article R. 5132-86 du code de la santé publique pour le cannabis en tant qu'il exclut la tige et la fleur de l'autorisation de culture, d'importation, d'exportation et d'utilisation industrielle et commerciale de certaines variétés de cannabis qu'il prévoit, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 5132-1, L. 5132-7 et L. 5132-8 du code de la santé publique.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et ses articles 34 et 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Manon Chonavel, auditrice,

- les conclusions de Mme Marie Sirinelli, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Les dispositions contestées instituent un régime de police spéciale destiné à réglementer les opérations relatives aux substances présentant des risques directs ou indirects pour la santé publique. L'article L. 5132-1 du code de la santé publique définit les substances vénéneuses comme les substances stupéfiantes, les substances psychotropes et les substances inscrites sur la liste I et la liste II définies à l'article L. 5132-6 du même code et précise les notions de « substances » et de « préparations ». L'article L. 5132-7 du code de la santé publique, dans sa rédaction applicable au litige, confie au directeur général de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé le pouvoir de classer les plantes, substances ou préparations vénéneuses comme stupéfiants ou comme psychotropes ou de les inscrire sur les listes I et II. Enfin, l'article L. 5132-8 du même code renvoie à des décrets en Conseil d'Etat le soin de préciser les conditions auxquelles sont soumis la production, la fabrication, le transport, l'importation, l'exportation, la détention, l'offre, la cession, l'acquisition et l'emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses, en prévoyant notamment que ces décrets peuvent prohiber toute opération relative à ces plantes et substances.

3. Les dispositions des articles L. 5132-1, L. 5132-7 et L. 5132-8 du code de la santé publique, applicables au présent litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment en ce qu'en renvoyant au pouvoir réglementaire, par le classement des plantes, substances ou préparations dans les catégories des substances stupéfiantes ou psychotropes ou par leur inscription sur les listes I et II, sans l'encadrer, la définition du champ d'application de la police spéciale des substances vénéneuses qui lui confère par ailleurs des pouvoirs étendus, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence dans des conditions affectant par elles-mêmes la liberté d'entreprendre, soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.

D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions des articles L. 5132-1, L. 5132-7 et L. 5132-8 du code de la santé publique est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association française des producteurs de cannabinoïdes jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au Conseil constitutionnel, à l'association française des producteurs de cannabinoïdes et au ministre des solidarités et de la santé.
Copie en sera adressée au Premier ministre, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
ECLI : FR : CECHR : 2021 : 455024.20211008